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22/11/2013 | BELGIQUE | N°F.10.0036.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 22 novembre 2013, F.10.0036.F


Cour de cassation de Belgique

Arrêt

**101



**4628



N° F.10.0036.F

ETAT BELGE, représenté par le ministre des Finances, dont le cabinet estétabli à Bruxelles, rue de la Loi, 12, en la personne du directeurrégional des contributions directes à Mons, dont les bureaux sont établisà Mons, digue des Peupliers, 71,

demandeur en cassation,

contre

1. P C,

défendeur en cassation,

ayant pour conseil Maître Marc Baltus, avocat au barreau de Bruxelles,dont le cabinet est établi à Saint-Gilles, rue de Bordeaux,

49,

2. C M,

défenderesse en cassation,

ayant pour conseil Maître Pierre Willemart, avocat au barreau deBruxelles, dont le cabinet...

Cour de cassation de Belgique

Arrêt

**101

**4628

N° F.10.0036.F

ETAT BELGE, représenté par le ministre des Finances, dont le cabinet estétabli à Bruxelles, rue de la Loi, 12, en la personne du directeurrégional des contributions directes à Mons, dont les bureaux sont établisà Mons, digue des Peupliers, 71,

demandeur en cassation,

contre

1. P C,

défendeur en cassation,

ayant pour conseil Maître Marc Baltus, avocat au barreau de Bruxelles,dont le cabinet est établi à Saint-Gilles, rue de Bordeaux, 49,

2. C M,

défenderesse en cassation,

ayant pour conseil Maître Pierre Willemart, avocat au barreau deBruxelles, dont le cabinet est établi à Watermael-Boitsfort, boulevard duSouverain, 100.

I. La procédure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 15 janvier 2010par la cour d'appel de Bruxelles, statuant comme juridiction de renvoiensuite de l'arrêt de la Cour du 14 décembre 2007.

Le 3 octobre 2013, l'avocat général André Henkes a déposé des conclusionsau greffe.

Le conseiller Martine Regout a fait rapport et l'avocat général AndréHenkes a été entendu en ses conclusions.

II. Le moyen de cassation

Le demandeur présente un moyen libellé dans les termes suivants :

Dispositions légales violées

Articles 49, modifié par l'article 8 de la loi du 6 juillet 1994 portantdes dispositions fiscales, et 53, 1°, du Code des impôts sur les revenus1992

Décision et motifs critiqués

Statuant comme juridiction de renvoi après cassation de l'arrêt du 22 juin2005 de la cour d'appel de Mons par l'arrêt du 14 décembre 2007 de la Coursuivant lequel :

« Il résulte des articles 49, alinéa 1^er, et 53, 1°, du Code des impôtssur les revenus 1992 que les dépenses peuvent être considérées comme descharges professionnelles lorsqu'elles sont inhérentes à l'exercice de laprofession ;

L'arrêt constate que le défendeur a illicitement détourné à son profit dessommes qu'il avait perçues en qualité de curateur de faillite ;

En considérant que l'obtention de ces sommes n'a été rendue possible quegrâce à l'activité professionnelle du défendeur et que son obligation deremboursement était également de nature professionnelle, l'arrêt nejustifie pas légalement sa décision que les remboursements constituent desfrais professionnels déductibles »,

la cour d'appel de Bruxelles a considéré dans l'arrêt attaqué que :

« De l'enseignement de l'arrêt de la Cour du 14 décembre 2007 […], il y aessentiellement lieu de retenir que le juge de fond doit, pour admettre ladéduction comme frais professionnels, relever les circonstancesparticulières de l'espèce qui justifient que les remboursements sontinhérents à l'activité professionnelle du contribuable concerné ;

Puisque le droit fiscal ne contient pas de définition de l'adjectif`inhérent', c'est à juste titre que l'avocat général A. Henkes a examiné,dans ses conclusions précédant l'arrêt du 14 décembre 2007, la portée decet adjectif en consultant les dictionnaires Robert et Larousse. Selon cesouvrages, il se dit de quelque chose qu'elle est inhérente à une autrelorsqu'elle est essentielle, immanente, inséparable ou intrinsèque àcelle-ci (Robert, Dictionnaire alphabétique et analogique de la languefrançaise, Paris, 1977) ou encore quand elle est liée d'une manière intimeet nécessaire à une autre (Petit Larousse, Dictionnaire encyclopédique,Paris, 1961) ;

Or, en l'espèce, les [défendeurs] font précisément valoir que les sommesdétournées par le [défendeur] constituent des revenus résultant d'uneactivité illicite et que la perception même de ces revenus a fait naître àcharge du [défendeur] l'obligation de restituer, en ce sens que cetteobligation de rembourser est inhérente à ladite activité illicite.

Ce n'est donc pas `en raison de' l'exercice de son activitéprofessionnelle de curateur mais `à l'occasion de' cet exercice que le[défendeur] a perçu les sommes détournées. Ce lien avec l'activitéprofessionnelle du [défendeur] suffit pour que les sommes détournéesdeviennent imposables au titre de revenus professionnels (en l'occurrenceau titre de profits) ;

D'autre part, les dépenses de remboursement sont dues en raison d'actesillicites commis dans l'exercice de l'activité professionnelle et, dèslors, nécessairement inhérentes aux opérations illicites qui ont produitles revenus imposables et effectivement imposés au titre de revenusprofessionnels. Il n'est, dès lors, pas correct de dire que les dépensesde remboursement en question revêtent un caractère privé ;

Comme l'indiquent à juste titre les [défendeurs], c'est la perception desrevenus illicites qui a par elle-même fait naître à charge du [défendeur]l'obligation de restituer, obligation résultant tant des articles 1382 et1383 du Code civil que, plus spécialement en ce qui concerne lesmalversations d'un curateur, de l'article 575, 4°, du Code de commerce ;

Cette dernière disposition légale établit notamment le lien requis avecl'activité professionnelle du curateur et rend le remboursement - quoiqueinhérent à des opérations illicites commises à l'occasion de l'exercice del'activité professionnelle du [défendeur] - finalement intimement etnécessairement lié à et, dès lors, suivant la définition précitée del'adjectif `inhérent', inhérent à cette activité professionnelle »,

et a décidé que :

« Partant, la déduction des remboursements des sommes détournées doit êtreadmise en frais professionnels, sans qu'il soit requis de poser à la Courconstitutionnelle la question préjudicielle proposée par les[défendeurs] ».

Griefs

Pour constituer des frais professionnels légalement déductibles, lescharges revendiquées doivent être inhérentes à l'exercice de l'activitéprofessionnelle dès lors qu'en vertu de l'article 53, 1°, du Code desimpôts sur les revenus 1992, « ne constituent pas des frais professionnels(déductibles en application de l'article 49 de ce code), les dépensesayant un caractère personnel, telles que […] toutes […] dépenses nonnécessitées par l'exercice de la profession ».

En l'espèce, même si les sommes détournées par le défendeur sont de natureà constituer un revenu professionnel imposable dans son chef parcequ'elles proviennent, fût-ce indirectement, d'activités de toute nature etque la loi inclut parmi les revenus professionnels imposables notammentles avantages de toute nature obtenus en raison ou à l'occasion del'exercice de l'activité professionnelle, les remboursements ultérieursdes sommes que l'intéressé avait détournées et qui ont été imposées dansson chef au titre de revenus professionnels ne constituent pas pour autantdes frais professionnels légalement déductibles, lesquels doivent êtreinhérents à l'exercice de l'activité professionnelle dès lors qu'en vertude l'article 53, 1°, du Code des impôts sur les revenus 1992, « neconstituent pas des frais professionnels (déductibles en application del'article 49 de ce code), les dépenses ayant un caractère personnel,telles que […] toutes […] dépenses non nécessitées par l'exercice de laprofession ».

En effet, s'il est vrai que l'obtention des sommes détournées par ledéfendeur n'a été rendue possible que par son activité professionnelled'avocat et, plus particulièrement, par celle de curateur de faillites, cequi n'est pas contesté par l'arrêt attaqué, il n'en résulte pas que cesdétournements de fonds opérés à l'occasion de l'exercice de cette activitéseraient indissociables de celle-ci, comme le décide cet arrêt, sauf àconsidérer que l'appropriation par un curateur de faillites de sommesrevenant à la masse des créanciers ressortit spécifiquement à la missionqui lui est dévolue par le tribunal de commerce, ce qui ne se peut.

De la circonstance que le produit d'actes illicites commis à l'occasion del'exercice de l'activité professionnelle a été imposé parce que la loiinclut parmi les revenus professionnels les avantages de toute natureobtenus « à l'occasion » de l'exercice de l'activité professionnelle, ilne se déduit pas que lesdits actes illicites sont « inhérents » àl'exercice de l'activité professionnelle ni, partant, que les frais qu'ilsengendrent soient inhérents à - nécessités par - l'exercice de laditeactivité professionnelle.

Par ailleurs, le remboursement des sommes détournées en réparation desfautes commises à l'occasion de l'exercice de cette activité de curateurne constitue pas l'exécution d'une obligation de nature professionnelledès lors que lesdites fautes ne consistent pas en de simples erreurs defait ou de droit commises dans l'exercice de la curatelle mais dansl'appropriation délibérée de diverses sommes revenant à la masse descréanciers, appropriation véritablement incompatible avec la missiondévolue au curateur par le tribunal de commerce et dont l'article 575, 4°,alinéa 2, du Code de commerce, applicable au cours des années 1994 à 1998,prévoit expressément la restitution, de sorte que ledit remboursementconstitue une conséquence que la loi elle-même attache à une condamnationpour des actes accomplis, sans doute à l'occasion de l'activité decurateur, mais précisément à l'encontre délibérée de ce que l'exercice decette activité exige ou permet et au mépris de la loi pénale.

Il s'ensuit que les remboursements litigieux ne sont pas inhérents àl'exercice de l'activité professionnelle du défendeur à défaut deprésenter un lien de nécessité avec cet exercice, conformément auxexigences des articles 49 et 53, 1°, du Code des impôts sur les revenus1992, et que, partant, leur déduction en frais professionnels doit êtrerefusée.

De ce qui précède, il résulte que, en considérant que « les dépenses deremboursement sont dues en raison d'actes illicites commis dans l'exercicede l'activité et, dès lors, nécessairement inhérentes aux opérationsillicites qui ont produit les revenus imposables et effectivement imposésau titre de revenus professionnels », que « c'est la perception desrevenus illicites qui a par elle-même fait naître […] l'obligation derestituer […], et que « [l'article 575, 4°, du Code de commerce] établitnotamment le lien requis avec l'activité professionnelle du curateur etrend le remboursement […] finalement intimement et nécessairement lié àet, dès lors, […] inhérent à cette activité professionnelle », l'arrêtattaqué ne justifie pas légalement sa décision que « la déduction desremboursements des sommes détournées doit être admise en fraisprofessionnels » mais viole les dispositions légales visées au moyen.

III. La décision de la Cour

La décision de l'arrêt attaqué est inconciliable avec l'arrêt de renvoi du14 décembre 2007.

Le moyen a la même portée que celui qui fut accueilli par cet arrêt.

Le pourvoi doit, dès lors, être examiné par les chambres réunies de laCour. 

Il résulte des articles 49, alinéa 1^er, et 53, 1°, du Code des impôts surles revenus 1992 que les dépenses peuvent être considérées comme descharges professionnelles lorsqu'elles sont inhérentes à l'exercice de laprofession.

L'arrêt attaqué constate que le défendeur, avocat, a été condamné pour desfaits de détournements de fonds commis dans l'exercice de ses fonctions decurateur de faillite, que les sommes ainsi détournées ont fait l'objet decotisations à l'impôt des personnes physiques pour les exercicesd'imposition 1990 à 1993 et que le défendeur a effectué des remboursementsimportants pendant les années 1994 à 1997.

Il énonce que « les dépenses de remboursement sont dues en raison d'actesillicites commis dans l'exercice de l'activité professionnelle et, dèslors, nécessairement inhérentes aux opérations illicites qui ont produitles revenus […] imposés au titre de revenus professionnels » et qu'iln'est « pas correct de dire que les dépenses de remboursement en questionrevêtent un caractère privé ».

Il considère que « c'est la perception des revenus illicites qui a parelle-même fait naître à charge du [défendeur] l'obligation de restituer,obligation résultant tant des articles 1382 et 1383 du Code civil [que],plus spécialement en ce qui concerne les malversations d'un curateur, del'article 575, 4°, du Code de commerce », et que « cette dernièredisposition légale établit notamment le lien requis avec l'activitéprofessionnelle du curateur et rend le remboursement […] finalementintimement et nécessairement lié à et, dès lors, […] inhérent à cetteactivité professionnelle ».

Par ces considérations, l'arrêt attaqué justifie légalement sa décisionque les remboursements litigieux constituent des frais professionnelsdéductibles fiscalement.

Le moyen ne peut être accueilli.

Par ces motifs,

La Cour, statuant en chambres réunies,

Rejette le pourvoi ;

Condamne le demandeur aux dépens.

Les dépens taxés à la somme de quarante-trois euros deux centimes enversla partie demanderesse et à la somme de cent trente-trois eurostrente-huit centimes envers les parties défenderesses.

Ainsi jugé par la Cour de cassation, chambres réunies, à Bruxelles, oùsiégeaient le premier président Etienne Goethals, le président ChristianStorck, le conseiller Didier Batselé, les présidents de section PaulMaffei et Albert Fettweis, les conseillers Koen Mestdagh, Martine Regout,Alain Simon, Gustave Steffens, Alain Bloch et Bart Wylleman, et prononcéen audience publique du vingt-deux novembre deux mille treize par lepremier président Etienne Goethals, en présence de l'avocat général AndréHenkes, avec l'assistance du greffier en chef Chantal Van Der Kelen.

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| | | *  |
| | | |
| Ch. Van Der Kelen | * B. Wylleman | |
| | | |
| | | * A. Bloch |
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| G. Steffens | * A. Simon | * M. Regout |
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| K. Mestdagh | * A. Fettweis | * P. Maffei |
|-------------------------+---------------------+------------------------|
| D. Batselé | * Chr. Storck | * E. Goethals |
+------------------------------------------------------------------------+

22 NOVEMBRE 2013 F.10.0036.F/1


Synthèse
Numéro d'arrêt : F.10.0036.F
Date de la décision : 22/11/2013

Origine de la décision
Date de l'import : 31/08/2018
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2013-11-22;f.10.0036.f ?
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