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22/11/2013 | BELGIQUE | N°F.07.0025.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 22 novembre 2013, F.07.0025.F


Cour de cassation de Belgique

Arret

4818



NDEG F.07.0025.F

ETAT BELGE, represente par le ministre des Finances, dont le cabinet estetabli à Bruxelles, rue de la Loi, 12,

demandeur en cassation,

represente par Maitre Franc,ois T'Kint, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Charleroi, rue de l'Athenee, 9, ou il estfait election de domicile,

contre

MEDICOM, societe privee à responsabilite limitee dont le siege social estetabli à Eghezee (Noville-sur-Mehaigne), route de la Hesbaye, 81,

defenderesse en c

assation,

representee par Maitre John Kirkpatrick, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à B...

Cour de cassation de Belgique

Arret

4818

NDEG F.07.0025.F

ETAT BELGE, represente par le ministre des Finances, dont le cabinet estetabli à Bruxelles, rue de la Loi, 12,

demandeur en cassation,

represente par Maitre Franc,ois T'Kint, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Charleroi, rue de l'Athenee, 9, ou il estfait election de domicile,

contre

MEDICOM, societe privee à responsabilite limitee dont le siege social estetabli à Eghezee (Noville-sur-Mehaigne), route de la Hesbaye, 81,

defenderesse en cassation,

representee par Maitre John Kirkpatrick, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 3, ou ilest fait election de domicile.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 24 mars 2006par la cour d'appel de Liege.

Par arret du 7 avril 2011, la Cour a pose à la Cour de justice de l'Unioneuropeenne deux questions prejudicielles auxquelles cette juridiction arepondu par son arret nDEG C-210/11 et C-211/11 du 18 juillet 2013.

Le president Christian Storck a fait rapport.

L'avocat general Andre Henkes a conclu.

I. Le moyen de cassation

Le demandeur presente un moyen libelle dans les termes suivants :

Dispositions legales violees

* articles 19, S: 1er, 44, S: 3, 2DEG, et 45, S: 1er, 1DEG, de la loi du3 juillet 1969 creant le Code de la taxe sur la valeur ajoutee ;

* article 1er de l'arrete royal nDEG 3 du 10 decembre 1969 relatif auxdeductions pour l'application de la taxe sur la valeur ajoutee ;

* article 2 de la premiere directive du Conseil des Communauteseuropeennes du 11 avril 1967 en matiere d'harmonisation deslegislations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffred'affaires ;

* articles 6, specialement S: 2, alinea 1er, sous a), 13, specialementB, sous b), et 17, S:S: 2, 3 et 5, de la sixieme directive 77/388/CEEdu Conseil des Communautes europeennes du 17 mai 1977 en matiered'harmonisation des legislations des Etats membres relatives aux taxessur le chiffre d'affaires - systeme commun de la taxe sur la valeurajoutee : assiette uniforme ;

* articles 1315, 1316 et 1709 du Code civil ;

* article 870 du Code judiciaire ;

* articles 1er et 2 du Code des societes.

Decisions et motifs critiques

L'arret attaque accueille l'appel de la defenderesse, met à neant lejugement entrepris et, en consequence, declare nulles et de nul effet,d'une part, la contrainte 197.0919.24813 decernee le 9 juillet 1998 par lereceveur du premier bureau de recette de la taxe sur la valeur ajoutee àNamur, visee et rendue executoire le 13 juillet 1998 par l'inspecteurprincipal du controle de la taxe sur la valeur ajoutee à Namur II,designe à cette fin par le directeur regional de l'administration de lataxe sur la valeur ajoutee, de l'enregistrement et des domaines à Namuret, d'autre part, la contrainte à titre conservatoire 301.0116.27856decernee le 15 janvier 2001 par l'inspecteur principal du premier bureaude la recette de la taxe sur la valeur ajoutee à Namur, visee et rendueexecutoire le 16 janvier 2001 par le directeur regional de la taxe sur lavaleur ajoutee à Namur, et condamne le demandeur aux frais et aux depensdes deux instances, aux motifs que :

« Il n'est pas conteste que l'immeuble [litigieux] appartient enpropriete à la societe, laquelle l'affecte à son patrimoine social ;certes, les gerants qui accomplissent pour ladite societe les travauxnecessaires à l'objet social occupent-ils une partie de l'immeuble (unepartie du premier etage et le second etage) à titre prive, mais au vu dela jurisprudence la plus recente de la Cour de justice de l'Unioneuropeenne (arret Seeling C-269/00 du 8 mai 2003), il y a lieu deconsiderer que cette circonstance est indifferente dans le systeme de lataxe pour refuser à la societe la deductibilite des taxes en amont, ladirective permettant à l'Etat d'organiser la taxation de la prestation deservice lors de la mise à disposition du bien à titre prive (voir l'avisde l'avocat general dans la cause C-269/00, nDEGs 26 et surtout 27 etsuivants) ; il a ete releve qu'un tel systeme peut servir la neutralite dela taxe en permettant de tenir compte de maniere appropriee de lamodification du degre d'utilisation privee du bien par l'assujetti aucours de la duree utile du bien (avis precite, nDEG 28) ; [le demandeur]n'avance aucun argument de nature à demontrer que la jurisprudencedegagee par cet arret ne serait pas applicable aux personnes morales ;c'est en vain qu'il fait reference à l'existence d'une duree convenue,alors que l'avocat general fait au contraire allusion à la faculted'adaptation que la directive permet ; il appartient [au demandeur], lecas echeant, de recourir à d'autres dispositions du code (article 19)pour taxer cette mise du bien à la disposition du gerant en vue d'unusage prive, operation qui ne peut etre consideree comme une operationexoneree au sens de l'article 13, B, de la directive ; l'article 44, S: 3,2DEG, du Code de la taxe sur la valeur ajoutee, qui vise l'affermage ou lalocation, est manifestement inapplicable en l'espece ».

Griefs

Si l'article 19, S: 1er, du Code de la taxe sur la valeur ajoutee disposequ' « est assimilee à une prestation de services effectuee à titreonereux, l'utilisation d'un bien affecte à l'entreprise pour les besoinsprives de l'assujetti ou pour ceux de son personnel ou, plus generalement,à des fins etrangeres à l'activite economique de l'assujetti, lorsque cebien a ouvert droit à une deduction complete ou partielle de la taxe »,l'article 44, S: 3, 2DEG, du meme code exempte de la taxe « l'affermage,la location ou la cession de bail de biens immeubles par nature, de memeque l'utilisation de tels biens dans les conditions de l'article 19, S:1er », tandis que l'article 45, S: 1er, 1DEG, dit encore que « toutassujetti peut deduire de la taxe dont il est redevable, les taxes ayantgreve les biens et les services qui lui ont ete fournis, les biens qu'il aimportes et les acquisitions intracommunautaires de biens qu'il aeffectuees, dans la mesure ou il les utilise pour effectuer des operationstaxees ».

Quant à l'article 1er de l'arrete royal nDEG 3 du 10 decembre 1969relatif aux deductions pour l'application de la taxe sur la valeurajoutee, il precise que :

« S: 1er. Sous reserve de l'application de l'article 45, S:S: 1erbis, 2et 3, du Code de la taxe sur la valeur ajoutee, l'assujetti opere, dansles conditions prevues par les articles 2 et 4 du present arrete, ladeduction des taxes grevant les biens et les services qu'il destine à larealisation d'operations visees par l'article 45, S: 1er, 1DEG à 5DEG, ducode.

Lorsque l'assujetti effectue, dans l'exercice de son activite economique,d'autres operations qui ne permettent pas la deduction, il se conforme,pour la determination des deductions, aux dispositions des articles 46 et48 du code et 12 à 21 du present arrete.

S: 2. Ne sont en aucun cas deductibles les taxes grevant les biens et lesservices qu'un assujetti destine à un usage prive ou à des fins autresque celles qui relevent de son activite economique.

Lorsqu'un bien ou un service est destine à etre affecte partiellement àde telles fins, la deduction est exclue dans la mesure de cetteaffectation. Cette mesure est determinee par l'assujetti sous le controlede l'administration ».

Pour sa part, l'article 2 de la premiere directive 67/227 du Conseil desCommunautes europeennes en matiere d'harmonisation des legislations desEtats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires porte que« le principe du systeme de la taxe sur la valeur ajoutee est d'appliqueraux biens et aux services un impot general sur la consommation exactementproportionnel au prix des biens et des services, quel que soit le nombredes transactions intervenues dans le processus de production et dedistribution anterieur au stade d'imposition.

A chaque transaction, la taxe sur la valeur ajoutee, calculee sur le prixdu bien ou du service au taux applicable à ce bien ou ce service, estexigible deduction faite du montant de la taxe sur la valeur ajoutee qui agreve directement le cout des divers elements constitutifs du prix.

Le systeme commun de taxe sur la valeur ajoutee est applique jusqu'austade du commerce de detail inclus ».

La sixieme directive 77/388/CEE du Conseil des Communautes europeennes enmatiere d'harmonisation des legislations des Etats membres relatives auxtaxes sur le chiffre d'affaires - systeme commun de la taxe sur la valeurajoutee : assiette uniforme dispose :

- article 6, S: 2, alinea 1er, sous a) : « sont assimilees à desprestations de services effectuees à titre onereux : l'utilisation d'unbien affecte à l'entreprise pour les besoins prives de l'assujetti ou deson personnel ou, plus generalement, à des fins etrangeres à sonentreprise, lorsque ce bien a ouvert droit à une deduction complete oupartielle de la taxe sur la valeur ajoutee » ;

- article 13, B, sous b) : « sans prejudice d'autres dispositionscommunautaires, les Etats membres exonerent, dans les conditions qu'ilsfixent en vue d'assurer l'application correcte et simple des exonerationsprevues ci-dessous, et de prevenir toute fraude, evasion et abuseventuels : l'affermage et la location de biens immeubles, à l'exception[...] » ;

* article 17, S:S: 2, 3 et 5 :

« 2. Dans la mesure ou les biens et les services sont utilises pour lesbesoins de ses operations taxees, l'assujetti est autorise à deduire dela taxe dont il est redevable :

a) la taxe sur la valeur ajoutee due ou acquittee pour les biens qui luisont ou lui seront livres et pour les services qui lui sont ou lui serontrendus par un autre assujetti ;

b) la taxe sur la valeur ajoutee due ou acquittee pour les biensimportes ;

c) la taxe sur la valeur ajoutee due conformement à l'article 5, S: 7,sous a) et à l'article 6, S: 3.

3. Les Etats membres accordent egalement à tout assujetti la deduction oule remboursement de la taxe sur la valeur ajoutee visee au paragraphe 2dans la mesure ou les biens et les services sont utilises pour lesbesoins :

a) de ses operations relevant des activites economiques visees àl'article 4, S: 2, effectuees à l'etranger, qui ouvriraient droit àdeduction si ces operations etaient effectuees à l'interieur du pays ;

b) de ses operations exonerees conformement à l'article 14, S: 1er, sousi), à l'article 16, S: 1er, sous B, C et D, S: 2 ;

c) de ses operations exonerees conformement à l'article 13, sous B, sousa) et sous d), points 1 à 5, lorsque le preneur est etabli en dehors dela Communaute ou lorsque ces operations sont directement liees à desbiens qui sont destines à etre exportes vers un pays en dehors de laCommunaute.

[...] 5. En ce qui concerne les biens et les services qui sont utilisespar un assujetti pour effectuer à la fois des operations ouvrant droit àdeduction visees aux paragraphes 2 et 3 et des operations n'ouvrant pasdroit à deduction, la deduction n'est admise que pour la partie de lataxe sur la valeur ajoutee qui est proportionnelle au montant afferent auxpremieres operations.

Ce prorata est determine pour l'ensemble des operations effectuees parl'assujetti conformement à l'article 19.

Toutefois, les Etats membres peuvent :

a) autoriser l'assujetti à determiner un prorata pour chaque secteur deson activite, si des comptabilites distinctes sont tenues pour chacun deces secteurs ;

b) obliger l'assujetti à determiner un prorata pour chaque secteur de sonactivite et à tenir des comptabilites distinctes pour chacun de cessecteurs ;

c) autoriser ou obliger l'assujetti à operer la deduction suivantl'affectation de tout ou partie des biens et des services ;

d) autoriser ou obliger l'assujetti à operer la deduction conformement àla regle prevue au premier alinea, pour tous les biens et les servicesutilises pour toutes les operations y visees ;

e) prevoir, lorsque la taxe sur la valeur ajoutee qui ne peut etre deduitepar l'assujetti est insignifiante, qu'il n'en sera pas tenu compte ».

Il resulte de la combinaison de ces dispositions que la mise à ladisposition d'un gerant par une societe commerciale assujettie à la taxesur la valeur ajoutee et l'utilisation par ce gerant à des finsprivatives, telles que son logement et celui de sa famille, d'un bienimmeuble qui fait partie du patrimoine de la societe, doivent etre, auregard specialement de l'article 44, S: 3, 2DEG, du Code de la taxe sur lavaleur ajoutee, considerees comme constituant une location à titreonereux exemptee de la taxe sur la valeur ajoutee.

Partant, la taxe ayant greve l'acquisition (ou la construction, ou lareparation, l'entretien, etc.) du bien immeuble appartenant au patrimoinesocial de la societe ne peut etre deduite lorsque ce bien est mis« gratuitement » (la societe ne percevant pas un « loyer » encontrepartie) à la disposition d'un gerant, d'un administrateur ou d'unassocie de cette societe. Il en va specialement ainsi lorsque cette miseà disposition, officiellement à titre gratuit, entraine un « avantageen nature » dans le chef du beneficiaire.

Toute societe commerciale à laquelle la loi reconnait la personnalitejuridique, conformement aux articles 1er et 2 du Code des societes,decoule d'un contrat en vertu duquel plusieurs personnes, physiques oumorales, conviennent d'affecter, à la realisation d'un objet socialdetermine, une entreprise commune, des biens ou valeurs dans le butd'exercer une ou plusieurs activites lucratives precises et ce, dans lebut de procurer aux associes un benefice patrimonial direct ou indirect,cette affectation des biens à la realisation de l'objet social etantincompatible avec la notion de « patrimoine prive », etrangere auxsocietes commerciales, meme s'il ne faut pas confondre l'absence de« patrimoine prive » et l'impossibilite d'utiliser des biens à des finsetrangeres à la realisation de l'objet social ou non exclusivementconsacres à l'exercice de l'activite economique.

La mise à disposition d'un immeuble, en tout ou en partie, par unepersonne morale assujettie à la taxe sur la valeur ajoutee, pour lesbesoins prives d'un administrateur, d'un gerant ou d'un associe,correspond à la notion de location immobiliere exemptee de la taxe sur lavaleur ajoutee, au sens des articles 13, B, sous b), de la sixiemedirective, et 44, S: 3, 2DEG, du Code de la taxe sur la valeur ajoutee, ledroit à la deduction de la taxe devant etre demontre, par application desarticles 45, S: 1er, de ce code, 1315 du Code civil et 870 du Codejudiciaire, par l'assujetti, de maniere certaine, ses affirmations, nonautrement etayees, ne pouvant etre admises à ce titre, par application del'article 1316 du Code civil.

Pour qu'il y ait location, au sens des articles 45, S: 1er, du Code de lataxe sur la valeur ajoutee et 1709 du Code civil, il suffit que leproprietaire d'un bien immeuble, ou le titulaire d'un droit de jouissances'exerc,ant sur ce bien, le mette, pour une duree determinee ou non, à ladisposition d'un tiers qui pourra en jouir, moyennant un prix, uneremuneration quelconque, que celle-ci consiste en un loyer en especes ouune prestation, ou tout autre « prix », la notion de loyer et, partant,celle de location, n'etant pas exclue pour la seule raison que l'occupantne verse pas regulierement une somme determinee au « bailleur » encontrepartie du droit d'occuper le bien de la societe des lors que cetteoccupation constitue un avantage en nature decoulant, notamment, del'execution de la mission du gerant, avantage qui donne lieu à lacomptabilisation d'un « avantage de toute nature » en matiere d'impotssur les revenus.

Il decoule de l'application conjointe des articles 19, S: 1er, 44, S: 3,2DEG, 45, S: 1er, 1DEG, du Code de la taxe sur la valeur ajoutee, 1er del'arrete royal nDEG 3 du 10 decembre 1969, 2 de la premiere directive CEEdu 11 avril 1967, 6, S: 2, alinea 1er, sous a), 13, B, sous b), et 17,S:S: 2, 3 et 5, de la sixieme directive CEE/77/388 du 17 mai 1977 que ladeduction des taxes ayant greve les biens et les services factures àl'assujetti - la defenderesse, en l'espece - ne peut lui etre accordee quedans la mesure ou ces biens et ces services sont destines exclusivement àdes fins qui relevent de son activite economique, l'exercice du droit àdeduction de la taxe exigeant qu'il existe un lien direct et immediatentre ces biens et ces services fournis à l'assujetti et l'applicationpar celui-ci de ces biens et ces services à des operations imposables, ceque l'assujetti doit prouver de maniere certaine et par des elementsobjectifs.

D'une part, il n'est pas exact que, specialement par son arret Seeling du8 mai 2003, la Cour de justice de l'Union europeenne aurait considerequ'une societe commerciale assujettie à la taxe sur la valeur ajoutee quimet à la disposition de son administrateur, de son gerant ou de sonassocie un immeuble dependant de son patrimoine, à des fins privees dansle chef de l'occupant, ce qui constitue un avantage en nature pour lebeneficiaire, ne pourrait etre consideree comme ayant, ainsi, donne enlocation ce bien à son gerant, en sorte que cette mise à disposition neserait pas exoneree de la taxe et que la societe pourrait deduireintegralement les taxes qu'elles a payees à propos des fournitures et desprestations relatives à ce bien.

S'il est exact que, par cet arret, la Cour de justice a decide que lesarticles 6, S: 2, alinea 1er, sous a), et 13, B, sous b), de la sixiemedirective doivent etre interpretes en ce sens qu'ils s'opposent à unelegislation nationale qui traite comme une prestation de servicesexoneree, en tant qu'affermage ou location d'un bien immeuble au sens del'article 13, B, sous b), l'utilisation pour les besoins prives del'assujetti d'une partie d'un batiment affecte dans sa totalite à sonentreprise, il s'impose de replacer cet arret dans son contexte,totalement etranger à l'espece.

La Cour de justice a ete invitee à se prononcer, à titre prejudiciel, àpropos de la situation d'un assujetti, personne physique, qui avait decided'affecter un bien immeuble lui appartenant, en totalite, à sonentreprise ; cependant, il occupait une partie de ce bien à titreprivatif, en tant que logement pour lui-meme et sa famille. Une personnephysique ne possede qu'un seul patrimoine, quelle que soit l'affectationqu'elle lui donne, et elle ne peut se louer à elle-meme aucun de sesbiens, les qualites de bailleur et de locataire se confondant. Aussi, danscette hypothese, la Cour de justice a-t-elle considere logiquement que lanotion de location, operation exoneree, n'etait pas envisageable.

Tel n'est pas le cas lorsque le proprietaire du bien immeuble est, commeen l'espece, une personne morale distincte de la personne (physique oumorale) de ses gerants, administrateurs ou associes, qui, proprietaired'un bien immeuble, met celui-ci « gratuitement » à la disposition deceux-ci, dans le chef desquels, de surcroit, cette mise à dispositionsera consideree comme un avantage en nature taxable à l'impot direct.Dans ce cas, cette operation n'est ni taxable à la taxe sur la valeurajoutee, par application des articles 13 de la sixieme directive et 44 duCode de la taxe sur la valeur ajoutee ni, partant, deductible au sens desarticles 17 de la meme directive et 45 du Code de la taxe sur la valeurajoutee.

D'autre part, dans l'hypothese ou une societe commerciale met à ladisposition de son gerant, de son administrateur ou de son associe,« gratuitement », tout ou partie d'un bien dont elle est proprietaire,il lui incombe de prouver que cette mise à disposition de son bien repondaux exigences de la realisation de son objet social et non simplementd'alleguer pareille necessite.

Il s'ensuit que l'arret attaque, qui admet que l'immeuble litigieuxappartient pour le tout au patrimoine de la defenderesse, proprietecommerciale qu'elle a mise en partie à la disposition de ses gerants, quil'occupent dans cette mesure pour leurs besoins prives et ceux de leurfamille, alors que, par ailleurs, l'arret ne pretend pas qu'il seraitprouve que pareille occupation serait necessitee en raison des activitesde la defenderesse mais, au contraire, estime qu'en fonction del'interpretation que la Cour de justice des Communautes europeennes adonnee des articles 6, 13 et 17 de la sixieme directive CEE, l'article 44,S: 3, 2DEG, du Code de la taxe sur la valeur ajoutee ne s'applique pas,des lors que la defenderesse met à disposition de son gerant, pour untemps indetermine, un immeuble qui lui appartient, sans exiger le payementd'un loyer, et denie qu'il y a location, au sens de cette disposition,exoneree de la taxe, avec cette consequence que la defenderesse est endroit de deduire des taxes qu'elle devait la totalite des taxes qu'elles apayees en amont à propos de l'immeuble mis à disposition de ses gerants,sans aucune limitation, viole les dispositions legales visees au moyen,meconnait la notion de societe commerciale dotee de la personnalitejuridique, celle de patrimoine social, ainsi que la notion de« location » au sens de ces dispositions et dispense illegalement ladefenderesse de la charge de la preuve qui lui incombe.

II. La decision de la Cour

Par son arret precite du 18 juillet 2013, la Cour de justice de l'Unioneuropeenne a dit pour droit que

« 1. Les articles 6, S: 2, alinea 1er, sous a), et 13, B, sous b), de lasixieme directive 77/388/CEE du Conseil du 17 mai 1977 en matiered'harmonisation des legislations des Etats membres relatives aux taxes surle chiffre d'affaires - systeme commun de taxe sur la valeur ajoutee :assiette uniforme, telle qu'elle a ete modifiee par la directive 95/7/CEdu Conseil du

10 avril 1995, doivent etre interpretes en ce sens qu'ils s'opposent à ceque la mise à disposition d'une partie d'un bien immeuble appartenant àune personne morale pour les besoins prives du gerant de celle-ci, sansque soit prevu à charge du beneficiaire, à titre de contrepartie del'utilisation de cet immeuble, un loyer payable en especes, constitue unelocation d'immeuble exoneree au sens de cette directive, et [que] le faitqu'une telle mise à disposition est consideree, au regard de lareglementation nationale relative à l'impot sur le revenu, comme unavantage en nature decoulant de l'execution par ces beneficiaires de leurmission statutaire ou de leur contrat d'emploi n'a pas d'incidence à cetegard ;

2. Les articles 6, S: 2, alinea 1er, sous a), et 13, B, sous b),[precites] doivent etre interpretes en ce sens que, dans des situationstelles que celles en cause au principal, la circonstance que la mise detout ou partie de l'immeuble affecte à l'entreprise à la disposition desgerants, des administrateurs ou des associes de celle-ci a ou non un liendirect avec l'exploitation de l'entreprise est depourvue de pertinencepour determiner si cette mise à disposition releve de l'exonerationprevue à la seconde de ces dispositions ».

Il s'ensuit qu'en application de l'article 6, S: 2, alinea 1er, sous a),precite, l'utilisation, sans loyer convenu, d'un bien affecte àl'entreprise d'une personne morale assujettie pour les besoins prives deson gerant doit etre assimilee à une prestation de services effectuee àtitre onereux et que, ne relevant pas de l'article 13, B, sous b), de lasixieme directive, cette utilisation ne peut s'analyser en une location.

La societe a, des lors, le droit de deduire la taxe sur la valeur ajouteeacquittee en amont sur la totalite des frais de construction du bien,conformement à l'article 17, S: 2, de la sixieme directive.

L'article 44, S: 3, 2DEG, du Code de la taxe sur la valeur ajoutee ne peutetre applique en ce que, en contradiction avec la sixieme directive, ilassimile pareille utilisation à la location d'un immeuble exoneree de lataxe.

Le moyen, qui repose sur le soutenement contraire, manque en droit.

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi ;

Condamne le demandeur aux depens.

Les depens taxes à la somme de deux cent cinquante-cinq euros quinzecentimes envers la partie demanderesse et à la somme de quatre centquatre-vingt-neuf euros quarante-sept centimes envers la partiedefenderesse.

Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president Christian Storck, les conseillers Didier Batsele,Martine Regout, Marie-Claire Ernotte et Sabine Geubel, et prononce enaudience publique du vingt-deux novembre deux mille treize par lepresident Christian Storck, en presence de l'avocat general Andre Henkes,avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.

+-----------------------------------------------+
| P. De Wadripont | S. Geubel | M.-Cl. Ernotte |
|-----------------+------------+----------------|
| M. Regout | D. Batsele | Chr. Storck |
+-----------------------------------------------+

22 NOVEMBRE 2013 F.07.0025.F/2


Synthèse
Numéro d'arrêt : F.07.0025.F
Date de la décision : 22/11/2013

Origine de la décision
Date de l'import : 28/12/2013
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2013-11-22;f.07.0025.f ?
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