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15/11/2013 | BELGIQUE | N°C.12.0291.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 15 novembre 2013, C.12.0291.F


Cour de cassation de Belgique

Arret

5173



NDEG C.12.0291.F

M. M.,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est etabli à Liege, rue de Chaudfontaine, 11,ou il est fait election de domicile,

contre

eTAT BELGE, represente par le ministre de la Justice, dont le cabinet estetabli à Bruxelles, boulevard de Waterloo, 115,

defendeur en cassation,

represente par Maitre Michel Mahieu, avocat à la Cour de cassation, dontle cabinet est etabli à W

atermael-Boitsfort, boulevard du Souverain, 36,ou il est fait election de domicile.

I. La procedure devant la Cour

L...

Cour de cassation de Belgique

Arret

5173

NDEG C.12.0291.F

M. M.,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est etabli à Liege, rue de Chaudfontaine, 11,ou il est fait election de domicile,

contre

eTAT BELGE, represente par le ministre de la Justice, dont le cabinet estetabli à Bruxelles, boulevard de Waterloo, 115,

defendeur en cassation,

represente par Maitre Michel Mahieu, avocat à la Cour de cassation, dontle cabinet est etabli à Watermael-Boitsfort, boulevard du Souverain, 36,ou il est fait election de domicile.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 23 juin 2011par la cour d'appel de Bruxelles.

Le 7 octobre 2013, l'avocat general Thierry Werquin a depose desconclusions au greffe.

Le president de section Albert Fettweis a fait rapport et l'avocat generalThierry Werquin a ete entendu en ses conclusions.

II. Le moyen de cassation

La demanderesse presente un moyen libelle dans les termes suivants :

Dispositions legales violees

- articles 5, 7 et 10 de la loi du 17 mai 2006 relative au statutjuridique externe des personnes condamnees à une peine privative deliberte et aux droits reconnus à la victime dans le cadre des modalitesd'execution de la peine ;

- article 584 du Code judiciaire ;

- articles 144 et 159 de la Constitution ;

- articles 5, 6, S: 1er, et 13 de la Convention de sauvegarde des droitsde l'homme et des libertes fondamentales du 4 novembre 1950, approuvee parla loi du 13 mai 1955.

Decisions et motifs critiques

L'arret dit pour droit que le premier juge et la cour d'appel sont sanspouvoir de juridiction pour connaitre des demandes formees par lademanderesse et condamne celle-ci aux depens, aux motifs que « les courset tribunaux de l'ordre judiciaire ont le pouvoir de juridiction deconnaitre des demandes formees devant eux en vue d'obtenir la protectiond'un droit subjectif dont un administre est titulaire envers les autoritesadministratives et le juge des referes ne s'immisce pas dans lesattributions du pouvoir executif lorsque, statuant au provisoire dans uncas dont il reconnait l'urgence, il se declare competent pour, dans leslimites de sa mission, prescrire à l'autorite administrative les mesureset notamment les injonctions necessaires aux fins de prevenir et de fairecesser une atteinte paraissant portee fautivement par cette autorite àdes droits subjectifs dont la sauvegarde releve des cours et tribunaux.

L'administre est titulaire d'un droit subjectif à l'encontre d'uneautorite administrative lorsqu'il peut exiger d'elle le respect d'uneobligation determinee.

En l'espece, (la demanderesse) ne puise pas dans la loi du 17 mai 2006(...) le droit subjectif de contraindre (le defendeur) à lui accorder lapermission de sortie et le conge penitentiaire qu'elle sollicite.

(...) Il resulte [des articles 4 à 11 de la loi du 17 mai 2006] qu'enregle :

- le condamne ne peut obtenir une permission de sortie ou un congepenitentiaire que s'il ne presente pas de contre-indications auxquellesla fixation de conditions particulieres ne peut repondre, cescontre-indications ayant trait aux risques que le condamne se soustraie àl'execution de sa peine, qu'il commette des infractions graves pendant lapermission de sortie ou le conge penitentiaire et qu'il importune lesvictimes ;

- la presence de l'une ou l'autre de ces contre-indications est apprecieediscretionnairement par le ministre competent ;

- sa decision d'octroi d'une permission de sortie en precise la duree et,le cas echeant, la periodicite ;

- en outre, le cas echeant, le ministre ou son delegue l'assortit deconditions particulieres pour rencontrer les contre-indications ou lesrisques eventuels et il peut, par la suite, adapter ces conditionsparticulieres ;

- le cas echeant egalement, le ministre ou son delegue peut s'opposer aurenouvellement automatique du conge penitentiaire chaque trimestre.

Le ministre ou son delegue dispose donc d'un pouvoir discretionnaire pour apprecier, non seulement les contre-indications eventuelles à unepermission de sortie ou à un conge penitentiaire, mais egalement lesconditions dans lesquelles la mesure pourrait s'exercer et sa periodicite.

Les dispositions legales precitees ne conferent donc pas à (lademanderesse) le droit subjectif d'obtenir du ministre ou de son deleguel'octroi de la permission de sortie et du conge penitentiaire qu'elledemande.

(...) Certes, ainsi que l'objecte (la demanderesse), l'article 10, S: 4,de la loi du 17 mai 2006 enonce qu'en l'absence de decision du ministreou de son delegue `dans le delai prevu', c'est-à-dire dans les quatorzejours de la reception du dossier (article 10, S: 2), `le ministre estrepute avoir accorde la permission de sortie ou le conge penitentiaire.Cette permission de sortie ou ce conge penitentiaire s'accompagne desconditions particulieres proposees le cas echeant par le directeur'.

Par ailleurs, (la demanderesse) parait fondee à invoquer l'article 159 dela Constitution et le principe general de legalite pour contester lavalidite des decisions en cause des lors que, d'une part, ni l'extremegravite des faits, ni le fait qu'un suivi therapeutique peut etre assureintra muros, ni encore l'impact sur les victimes `de par l'echo mediatiquequ'une sortie risque d'avoir' - invoques par les decisions litigieuses -ne paraissent etre des contre-indications prevues par les dispositionslegales reproduites ci-dessus et que, d'autre part, ces decisions neprecisent pas les motifs pour lesquels les risques que l'interessee sesoustraie à l'execution de sa peine et qu'elle commette de nouvellesinfractions graves existeraient concretement et ne verifient pas si lesmodalites proposees par le directeur de la prison sont aptes à leseviter.

Cependant, l'illegalite apparente de ces decisions, soulevee autrement quepar un recours en annulation, ne porte pas atteinte à leur existence nià leur teneur - qui est un refus - et ne permet pas de presumer que leministre ou son delegue aurait implicitement accorde la permission desortie et le conge penitentiaire litigieux comme cela aurait ete le cass'il ne s'etait pas prononce (comp. Cass., 29 juin 1999, selon lequel`l'illegalite resultant de la notification tardive de la decision sur larecevabilite du recours, illegalite soulevee autrement que par un recoursen annulation, ne porte pas atteinte à l'existence de cette decision etn'implique pas non plus l'existence d'une autorisation antipollutiontacite en application de l'article 25, S: 1er, du decret du Conseilflamand du 28 juin 1985 relatif à l'autorisation antipollution').

L'article 10, S: 4, n'est des lors pas applicable en l'espece.

Il resulte des motifs qui precedent que le premier juge eut du se declarersans pouvoir de juridiction pour connaitre des demandes originaires,l'injonction qu'il fit (au defendeur), en vertu de son obligation demotiver adequatement ses decisions, d'adopter de nouvelles decisions quiseraient adequatement motivees etant etrangere à l'objet desditesdemandes ».

Griefs

Premiere branche

En vertu de l'article 144 de la Constitution, les contestations qui ontpour objet des droits civils sont exclusivement du ressort des tribunaux.

L'article 584 du Code judiciaire dispose que le president du tribunal de premiere instance statue au provisoire dans tous les cas ou il reconnaitl'urgence, en toutes matieres, sauf celles que la loi soustrait aupouvoir judiciaire. En vertu de cette disposition, le pouvoir judiciaireest competent tant pour prevenir que pour reparer une atteinte irreguliereportee à un droit subjectif par l'administration.

En vertu des articles 5 et 7 de la loi du 17 mai 2006, la permission desortie et le conge penitentiaire sont accordes s'il n'existe pas, dans lechef du condamne, de contre-indications auxquelles la fixation deconditions particulieres ne puisse repondre.

Il s'en deduit que le condamne jouit d'un droit à la permission de sortieet au conge penitentiaire s'il n'existe pas de contre-indicationsauxquelles la fixation de conditions particulieres ne puisse repondre, desorte qu'en se declarant incompetent pour connaitre de la demande,l'arret viole les articles 144 de la Constitution, 584 du Code judiciaire,5 et 7 de la loi du 17 mai 2006 et, par voie de consequence, l'article 5de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertesfondamentales, en vertu duquel nul ne peut etre prive de sa liberte horsles cas vises par cette disposition conventionnelle.

Seconde branche

En vertu de l'article 10 de la loi du 17 mai 2006, la decision du ministreen matiere de permissions de sortie et de conge penitentiaire doit etremotivee.

L'arret constate l'illegalite apparente de la motivation des decisions derefus des permissions de sortie et de conge penitentiaire par lesconsiderations que, « d'une part, ni l'extreme gravite des faits, ni lefait qu'un suivi therapeutique peut etre assure intra muros, ni encorel'impact sur les victimes `de par l'echo mediatique qu'une sortie risqued'avoir' - invoques par les decisions litigieuses - ne paraissent etre descontre-indications prevues par les dispositions legales reproduitesci-dessus et que, d'autre part, ces decisions ne precisent pas les motifspour lesquels les risques que l'interessee se soustraie à l'execution desa peine et qu'elle commette de nouvelles infractions graves existeraientconcretement et ne verifient pas si les modalites proposees par le directeur de la prison sont aptes à les eviter ».

Il s'en deduit que les decisions de refus de permissions de sortie et deconges penitentiaires ne contiennent pas la constatation legale d'unecontre-indication privant le condamne de son droit à une permission desortie et à un conge penitentiaire (violation des articles 5, 7 et 10 dela loi du 17 mai 2006).

Il s'en deduit aussi que le droit de la demanderesse à une permission desortie et à un conge penitentiaire est viole par la decision que « lepremier juge et la cour [d'appel] sont sans pouvoir de juridiction pourconnaitre des demandes formees par (la demanderesse) », des lors quecette decision a pour effet de donner application à des refus depermission de sortie et de conge penitentiaire qui ne constatent paslegalement l'existence d'une contre-indication. L'arret viole des lorsl'article 159 de la Constitution, en vertu duquel les cours et tribunauxn'appliqueront les arretes et reglements generaux, provinciaux et locaux,qu'autant qu'ils seront conformes aux lois.

L'arret a egalement pour effet de priver la demanderesse d'un recourseffectif devant une instance nationale que reconnaissent à toutepersonne les articles 6 et 13 de la Convention de sauvegarde des droitsde l'homme et des libertes fondamentales. L'arret viole en outre, par voiede consequence, l'article 5 de cette convention, en vertu duquel nul nepeut etre prive de sa liberte hors les cas vises par cette dispositionconventionnelle.

III. La decision de la Cour

Quant à la premiere branche :

1. Aux termes de l'article 144 de la Constitution, les contestations quiont pour objet des droits civils sont exclusivement du ressort destribunaux.

Les cours et tribunaux connaissent de la demande d'une partie fondee surun droit subjectif.

L'existence de pareil droit suppose que la partie demanderesse fasse etatd'une obligation determinee qu'une regle de droit objectif imposedirectement à un tiers et à l'execution de laquelle cette partie a uninteret.

Pour qu'une partie puisse se prevaloir d'un tel droit à l'egard del'autorite, il faut que la competence de cette autorite soit liee.

2. Aux termes de l'article 5 de la loi du 17 mai 2006 relative au statutjuridique externe des personnes condamnees à une peine privative deliberte et aux droits reconnus à la victime dans le cadre des modalitesd'execution de la peine, la permission de sortie est accordee à condition1DEG que le condamne soit dans les conditions de temps visees à l'article4, S:S: 2 et 3 ; 2DEG qu'il n'existe pas, dans le chef du condamne, decontre-indications auxquelles la fixation de conditions particulieres nepuisse repondre ; ces contre-indications portent sur le risque que lecondamne se soustraie à l'execution de sa peine, sur le risque qu'ilcommette des infractions graves pendant la permission de sortie ou sur lerisque qu'il importune les victimes ; 3DEG que le condamne marque sonaccord aux conditions qui peuvent etre attachees à la permission desortie en vertu de l'article 11, S: 3.

L'article 7 de la meme loi dispose que le conge penitentiaire est accordeà tout condamne qui satisfait aux conditions suivantes : 1DEG le condamnese trouve dans l'annee precedant la date d'admissibilite à la liberationconditionnelle ; 2DEG il n'existe pas, dans le chef du condamne, decontre-indications auxquelles la fixation de conditions particulieres nepuisse repondre ; ces contre-indications portent sur le risque que lecondamne se soustraie à l'execution de sa peine, sur le risque qu'ilcommette des infractions graves pendant le conge penitentiaire ou sur lerisque qu'il importune les victimes ; 3DEG le condamne marque son accordaux conditions qui peuvent etre attachees au conge penitentiaire en vertude l'article 11, S: 3.

3. Il suit de ces dispositions que, lorsque toutes les conditions prevuespar la loi sont reunies, le ministre de la Justice ou son delegue sonttenus d'accorder la permission de sortie ou le conge penitentiaire demandepar le condamne.

La circonstance que l'une des conditions charge le ministre ou son delegued'apprecier s'il n'existe pas dans le chef du condamne decontre-indications precisees par la loi et, dans l'affirmative, si desconditions particulieres sont susceptibles d'y repondre, ne confere pas auministre un pouvoir discretionnaire lui permettant de refuser la demande.

Partant, la competence de l'autorite saisie d'une demande de permission desortie ou de conge penitentiaire est liee.

4. En considerant que la loi du 17 mai 2006 « ne confere pas à lademanderesse le droit subjectif d'obtenir du ministre ou de son deleguel'octroi de la permission de sortie et du conge penitentiaire qu'elledemande », l'arret ne justifie pas legalement sa decision de declarer lepremier juge et la cour d'appel sans pouvoir de juridiction pour connaitredes demandes formulees par la demanderesse.

Le moyen, en cette branche, est fonde.

Sur les autres griefs :

Il n'y a pas lieu d'examiner la seconde branche du moyen, qui ne sauraitentrainer une cassation plus etendue.

Par ces motifs,

La Cour

Casse l'arret attaque, sauf en tant qu'il rec,oit l'appel principal ;

Ordonne que mention du present arret sera faite en marge de l'arretpartiellement casse ;

Reserve les depens pour qu'il soit statue sur ceux-ci par le juge dufond ;

Renvoie le cause, ainsi limitee, devant la cour d'appel de Liege.

Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president Christian Storck, le conseiller Didier Batsele, lepresident de section Albert Fettweis, les conseillers Alain Simon etMichel Lemal, et prononce en audience publique du quinze novembre deuxmille treize par le president Christian Storck, en presence de l'avocatgeneral Thierry Werquin, avec l'assistance du greffier Patricia DeWadripont.

+--------------------------------------------+
| P. De Wadripont | M. Lemal | A. Simon |
|-----------------+------------+-------------|
| A. Fettweis | D. Batsele | Chr. Storck |
+--------------------------------------------+

15 NOVEMBRE 2013 C.12.0291.F/10


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.12.0291.F
Date de la décision : 15/11/2013

Origine de la décision
Date de l'import : 18/12/2013
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2013-11-15;c.12.0291.f ?
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