Cour de cassation de Belgique
Arret
5642
NDEG S.11.0054.F
A. K.,
demanderesse en cassation,
representee par Maitre Paul Lefebvre, avocat à la Cour de cassation, dontle cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 480, ou il est faitelection de domicile,
contre
CENTRE PUBLIC D'ACTION SOCIALE DE MOLENBEEK-SAINT-JEAN, dont les bureauxsont etablis à Molenbeek-Saint-Jean, rue Vandenpeereboom, 14,
defendeur en cassation,
represente par Maitre Michel Mahieu, avocat à la Cour de cassation, dontle cabinet est etabli à Watermael-Boitsfort, boulevard du Souverain, 36,ou il est fait election de domicile.
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 13 janvier 2011par la cour du travail de Bruxelles.
Le 7 octobre 2013, l'avocat general delegue Michel Palumbo a depose desconclusions au greffe.
Le conseiller Mireille Delange a fait rapport et l'avocat general delegueMichel Palumbo a ete entendu en ses conclusions.
II. Les moyens de cassation
La demanderesse presente trois moyens libelles dans les termes suivants :
Premier moyen
Dispositions legales violees
- article 149 de la Constitution ;
- articles 22 et 24 de la loi du 26 mai 2002 concernant le droit àl'integration sociale.
Decisions et motifs critiques
L'arret rejette l'appel de la demanderesse dirige contre le jugementconfirmant la decision du [defendeur] prise le 6 avril 2007 et condamne,ainsi, la demanderesse au remboursement d'un montant de 10.565,23 euros àtitre de revenu d'integration sociale avec effet retroactif au 26 fevrier2004 sur la base des motifs suivants :
« [La demanderesse] allegue en vain, dans ses conclusions, n'avoircohabite ni avec monsieur H. ni avec monsieur G. Cette cohabitation estetablie par un ensemble d'indices, correctement retenus par le premierjuge. [La demanderesse], notamment, avait une procuration sur le compte demonsieur G. La cohabitation ne se limite pas à la periode au cours delaquelle monsieur G. a ete officiellement inscrit à son adresse. A ceselements, s'ajoutent ceux indiquant que [la demanderesse] menait un trainde vie que ne pouvait pas lui assurer la seule aide sociale ».
Griefs
L'article 24, S: 1er, de la loi du 26 mai 2002 enonce que « le revenud'integration verse en application de la presente loi est recupere àcharge de l'interesse : 1DEG en cas de revision avec effet retroactif,visee à l'article 22, S: 1er ». Par ce renvoi à l'article 22, S: 1er,le legislateur entend soumettre l'action en recuperation aux memesrestrictions que la decision de revision.
L'article 22, S: 1er, de la loi du 26 mai 2002 dispose, quant à lui, que,« sans prejudice des dispositions legales et reglementaires en matiere deprescription, le centre revoit une decision en cas : [...] 4. d'omission,de declarations incompletes et inexactes de la personne ».
Le second paragraphe de l'article 22 de la loi du 26 mai 2002 precise que« la decision de revision produit ses effets à la date à laquelle lemotif qui a donne lieu à la revision est apparu », sauf « en casd'erreur juridique ou materielle du centre » (hypothese visee par lepoint 3 du paragraphe 1er), en quel cas et moyennant certaines conditions« la revision produit ses effets le premier jour du mois suivant lanotification ».
La decision de revision requiert la determination precise, non seulementdu « motif qui a donne lieu à la revision », mais egalement de la« date » de sa survenance dans le temps afin de determiner les montantsprecis des revenus d'integration sociale qui font l'objet de l'action derecouvrement par le centre public d'action sociale.
Il s'ensuit qu'un recouvrement ne peut viser que les revenus d'integrationsociale dont le paiement eut lieu apres la survenance du motif qui donnelieu à la revision, ce qui est, par ailleurs, confirme par le secondparagraphe de l'article 24 de la loi du 26 mai 2002 qui precise que, « endehors des cas vises au paragraphe 1er, une recuperation du revenud'integration aupres de l'interesse n'est pas possible ». Ce secondparagraphe de l'article 24 de la loi du 26 mai 2002 confere ainsi auxdispositions legales organisant l'action en remboursement un caractered'ordre public devant etre applique d'initiative par le juge.
En l'espece, l'arret se borne, toutefois, à decrire les motifs qui ontdonne lieu à revision mais ne constate nulle part le moment precis de lasurvenance de ces motifs, rendant de ce fait impossible à la Cour deverifier s'il applique legalement les effets dans le temps de la decisionde revision et, par ricochet, de la periode et, partant, des montants derevenus d'integration sociale y afferents, objet de l'action enremboursement.
En condamnant la demanderesse à l'entierete des montants de revenusd'integration sociale perc,us, l'arret viole, partant, les articles 22 et24 de la loi du 26 mai 2002 et, en omettant de preciser dans le temps lesmotifs qui ont donne lieu à revision, rend, par ailleurs, impossible àla Cour de verifier s'il a legalement applique les effets dans le temps dela decision de revision et, par ricochet, de la periode et des montants derevenus d'integration sociale y afferents, objet de l'action enremboursement intentee par le [defendeur], et viole, partant, egalementl'article 149 de la Constitution.
Deuxieme moyen
Dispositions legales violees
- articles 10 et 11 de la Constitution ;
- article 98, S: 1er, modifie par l'article 53 de la loi du 5 aout 1992,par l'article 2 de la loi du 3 mai 2003 et par l'article 3 de la loi du7 janvier 2002, de la loi du 8 juillet 1976 organique des centres publicsd'action sociale.
Decisions et motifs critiques
L'arret rejette l'appel de la demanderesse dirige contre le jugement dupremier juge confirmant la decision du [defendeur] prise le 6 avril 2007et condamne, ainsi, la demanderesse au remboursement d'un montant de23.133,53 euros à titre d'aide sociale avec effet retroactif au 1erseptembre 2001 sur la base des motifs suivants :
« [La demanderesse] allegue en vain, dans ses conclusions, n'avoircohabite ni avec monsieur H. ni avec monsieur G. Cette cohabitation estetablie par un ensemble d'indices, correctement retenus par le premierjuge. [La demanderesse], notamment, avait une procuration sur le compte demonsieur G. La cohabitation ne se limite pas à la periode au cours delaquelle monsieur G. a ete officiellement inscrit à son adresse. A ceselements, s'ajoutent ceux indiquant que [la demanderesse] menait un trainde vie que ne pouvait pas lui assurer la seule aide sociale ».
Griefs
L'article 98, S: 1er, in fine de la loi organique dispose qu'« en cas dedeclaration volontairement inexacte ou incomplete de la part dubeneficiaire, le centre recupere la totalite de ces frais, quelle que soitla situation financiere de l'interesse ».
Cette disposition est d'ordre public.
Premiere branche
A l'instar des dispositions legales afferentes à l'action enremboursement de la loi du 26 mai 2002, l'article 98, S: 1er, de la loiorganique et l'action en recuperation que cet article organises'interpretent comme ne pouvant viser que l'aide sociale à compter dumotif, objet de la declaration inexacte ou incomplete.
En l'espece, l'arret se borne à decrire les motifs qui ont donne lieu àrevision mais ne constate nulle part le moment precis de la survenance deces motifs, rendant de ce fait impossible à la Cour de verifier s'ilapplique legalement les effets dans le temps de la decision de revisionet, par ricochet, de la periode et, partant, des montants d'aide sociale yafferents, objet de l'action en remboursement.
En condamnant la demanderesse à l'entierete des montants d'aide sociale,l'arret viole, partant, l'article 98, S: 1er, de la loi organique et, enomettant de preciser dans le temps les motifs qui ont donne lieu àrevision, rend, par ailleurs, impossible à la Cour de verifier s'il alegalement applique les effets dans le temps de la decision de revisionet, par ricochet, de la periode et des montants d'aide sociale yafferents, objet de l'action en remboursement intentee par le [defendeur],et viole, partant, egalement l'article 149 de la Constitution.
Seconde branche
Si la Cour est d'avis que l'article 98, S: 1er, de la loi organique etl'action en recuperation que cet article organise ne s'interpretent pascomme les articles correspondants de la loi du 26 mai 2002 dans le sensou, contrairement au revenu d'integration sociale, le montant durecouvrement de l'aide sociale ne se greffe pas sur la decision derevision, il y a lieu de constater une inegalite de traitement entre lesbeneficiaires d'un revenu d'integration sociale, d'une part, et ceux d'uneaide sociale, d'autre part, avec, partant, pour consequence une violationdes articles 10 et 11 de la Constitution.
Troisieme moyen
Dispositions legales violees
- article 2277 du Code civil ;
- article 102, modifie par l'article 56 de la loi du 5 aout 1992, de laloi du 8 juillet 1976 organique des centres publics d'aide sociale.
Decisions et motifs critiques
Apres avoir constate que, par « decision du 6 avril 2007 », le[defendeur] a decide de recouvrer le montant de « 23.133,53 euros d'aidesociale », l'arret rejette l'appel de la demanderesse dirige contre lejugement du premier juge qui confirme ladite decision du 6 avril 2007 etcondamne ainsi la demanderesse au remboursement d'un montant de 23.133,53euros à titre d'aide sociale avec effet retroactif au 1er septembre 2001.
Griefs
En vertu de l'article 102 de la loi organique, « l'action enremboursement prevue aux articles 98 et 99 se prescrit conformement àl'article 2277 du Code civil ».
La decision du [defendeur] de remboursement de l'aide sociale versee à lademanderesse avec effet retroactif au 1er septembre 2001, soit d'unmontant de 23.133,53 euros, est prise le 6 avril 2007 et notifiee à lademanderesse par lettre recommandee le 10 avril 2007.
Il s'ensuit que l'action en recuperation de l'aide sociale versee cinqannees avant le 10 avril 2002 est prescrite.
Pourtant l'arret condamne la demanderesse à l'entierete de l'aide socialeversee, soit 23.133,53 euros, y compris celle versee avant le 10 avril2002 alors que cette partie est prescrite.
En condamnant la demanderesse au remboursement de l'aide sociale verseeavant le 10 avril 2002, l'arret condamne la demanderesse au remboursementd'aide sociale prescrite et viole, partant, l'article 102 de la loiorganique ainsi que l'article 2277 du Code civil.
III. La decision de la Cour
Sur le premier moyen :
L'arret constate, par renvoi aux motifs du jugement entrepris et par desmotifs propres, que la demanderesse a declare au defendeur vivre seuleavec son fils mineur ; qu'elle a beneficie de l'aide sociale à partir de2001, puis, etant devenue belge en 2004, du revenu d'integration sociale ;que, par deux decisions du 29 avril 2005, le defendeur lui a retire ledroit à l'aide sociale à partir du 1er septembre 2001 et le droit aurevenu d'integration sociale à partir du 26 fevrier 2004, en raison d'unecohabitation non declaree et de ressources inexpliquees et que, par desdecisions du 6 avril 2007, le defendeur a decide de recuperer l'aidesociale et le revenu d'integration sociale verses, respectivement, depuisle 1er septembre 2001 et le 26 fevrier 2004.
L'arret considere, par renvoi aux motifs du jugement entrepris et par desmotifs propres, qu' « en realite, la [demanderesse] a cohabite avec T.H. » et qu'elle « a ensuite cohabite avec R. G. de fevrier 2004 àfevrier 2005 ». Il enonce que ces faits ressortent, parmi d'autreselements, de declarations de la demanderesse, de lettres de T. H. et dutrain de vie de la demanderesse.
En rejetant pour ces motifs le recours de la demanderesse contre lesdecisions du defendeur du 6 avril 2007, l'arret decide que la demanderessea cohabite à partir du 1er septembre 2001 avec T. H. et ensuite, sansdiscontinuite, à partir de fevrier 2004 avec R. G.
Contrairement à ce que soutient le moyen, l'arret fixe le moment ou estsurvenue la cohabitation, qui est un des motifs ayant donne lieu à larevision du droit de la demanderesse au revenu d'integration sociale.
Le moyen manque en fait.
Sur le deuxieme moyen :
Quant à la premiere branche :
Par les enonciations visees en reponse au premier moyen, l'arret fixe au1er septembre 2001 le moment ou est survenue la cohabitation.
Le moyen, en cette branche, manque en fait.
Quant à la seconde branche :
Il resulte de la reponse à la premiere branche du moyen que la legalitede l'arret ne suppose pas l'interpretation de l'article 98, S: 1er, de laloi du 8 juillet 1976 organique des centres publics d'action socialeenvisagee par le moyen, en cette branche.
Celui-ci, en cette branche, est, des lors, irrecevable à defautd'interet.
Sur le troisieme moyen :
En vertu de l'article 102, alinea 1er, de la loi du 8 juillet 1976organique des centres publics d'action sociale, l'action en remboursementde l'aide sociale dirigee contre le beneficiaire se prescrit conformementà l'article 2277 du Code civil, c'est-à-dire par cinq ans.
Cette disposition est d'ordre public.
Le juge est des lors tenu, par derogation à l'article 2223 du Code civil,d'en examiner d'office l'application.
L'arret constate, tant par ses motifs propres que par ceux du jugementdont appel qu'il adopte, que, à partir du 1er septembre 2001, ledefendeur a paye l'aide sociale à la demanderesse ; que ce dernier a, parune decision du 29 avril 2005, decide de retirer cette aide sociale àpartir de cette date du 1er septembre 2001 et, par une decision du 6 avril2007, fixe le montant à recuperer à 23.133,53 euros ; que lademanderesse a exerce un recours contre ces decisions devant le tribunaldu travail et que le defendeur a, alors, forme une demandereconventionnelle en remboursement des 23.133,53 euros.
En s'abstenant dans ces circonstances d'examiner le moyen resultant de laprescription de l'action du defendeur, l'arret ne justifie pas legalementsa decision de condamner la demanderesse à rembourser la somme de23.133,53 euros au defendeur.
Le moyen est fonde.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l'arret attaque en tant que, par confirmation du jugement entrepris,il condamne la demanderesse à rembourser au defendeur la somme de23.133,53 euros d'aide sociale, augmentee des interets de retard surchaque mensualite depuis la date du paiement ;
Rejette le pourvoi pour le surplus ;
Ordonne que mention du present arret sera faite en marge de l'arretpartiellement casse ;
Vu l'article 1017, alinea 2, du Code judiciaire, condamne le defendeur auxdepens ;
Renvoie la cause, ainsi limitee, devant la cour du travail de Mons.
Les depens taxes à la somme de trois cent sept euros nonante-six centimesà l'egard de la partie demanderesse et à la somme de cent cinquanteeuros vingt-sept centimes à l'egard de la partie defenderesse.
Ainsi juge par la Cour de cassation, troisieme chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president Christian Storck, les conseillers Didier Batsele,Alain Simon, Mireille Delange et Sabine Geubel, et prononce en audiencepublique du vingt-huit octobre deux mille treize par le presidentChristian Storck, en presence de l'avocat general delegue Michel Palumbo,avec l'assistance du greffier Lutgarde Body.
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| L. Body | S. Geubel | M. Delange |
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| A. Simon | D. Batsele | Chr. Storck |
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28 OCTOBRE 2013 S.11.0054.F/11