Cour de cassation de Belgique
Arret
1454
NDEG C.12.0596.F
L'AIR LIQUIDE BELGE, societe anonyme dont le siege social est etabli àLiege, quai des Vennes, 8,
demanderesse en cassation,
representee par Maitre Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue de Louise, 149, ou il estfait election de domicile,
contre
METAL PROTECTION, societe privee à responsabilite limitee, dont le siegesocial est etabli à Andenne (Seilles), rue de Geron, 17,
defenderesse en cassation.
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 29 mars 2012par la cour d'appel de Liege.
Par ordonnance du 3 octobre 2013, le premier president a renvoye la causedevant la troisieme chambre.
Le conseiller Didier Batsele a fait rapport.
L'avocat general delegue Michel Palumbo a conclu.
II. Le moyen de cassation
La demanderesse presente un moyen libelle dans les termes suivants :
Dispositions legales violees
- articles 1102, 1134, 1146 à 1151 et 1184 du Code civil ;
- article 149 de la Constitution.
Decisions et motifs critiques
L'arret confirme le jugement entrepris, lequel avait resilie laconvention des parties à leurs torts reciproques, dit qu'aucune indemniten'etait due de part et d'autre et, disant l'action principalepartiellement fondee, avait condamne la defenderesse au paiement desommes à titre de frais d'enlevement, de remise en etat et de materielnon recupere et avait compense les depens de premiere instance, l'arretcompensant par ailleurs les depens d'appel.
L'arret fonde ces decisions sur ce que, « par de judicieux motifs quela cour [d'appel] adopte, qui prennent objectivement en considerationl'ensemble des informations et pieces deposees par les parties et quirencontrent de maniere aussi adequate que complete les arguments de faitet de droit qu'elles developpent en termes de conclusions, les premiersjuges ont :
- resilie la convention liant les parties à leurs torts reciproques, enraison de leurs fautes respectives ;
- octroye à [la demanderesse] 2.420 euros et 1.772,65 euros à titre defrais d'enlevement, de remise en etat et de materiel non recupere ;
- deboute [la defenderesse] de sa demande reconventionnelle.
Au present stade de la procedure, il suffit de preciser les elementssuivants.
Quant à la rupture des relations contractuelles
Pour apprecier les responsabilites de la rupture du contrat liant lesparties, il doit etre tenu compte de ce que tant [la demanderesse] que[la defenderesse] ont fait preuve de negligence dans l'execution de leurs engagements :
1. [La defenderesse] a toujours insiste sur l'importance pour elle de la regularite de l'approvisionnement, ce dont [la demanderesse] etait parfaitement consciente, contrairement à ce qu'elle laisse entendre :
a) Les conventions du 19 octobre 2005 contiennent dejà l'ajout manuscritsuivant : `resiliation immediate pour non-fourniture dans les 48 heures del'appel' (...) ;
b) La convention du 13 octobre 2008 contient elle aussi la mention partiellement manuscrite que, `en cas d'arret de production du clientcause par un approvisionnement d'oxygene liquide defaillant et avere,l'arret du contrat est immediat sans aucune indemnite de la part duclient' (...) ;
c) [La demanderesse] ne peut soutenir avoir ete surprise par cette seconde mention pretendument ajoutee apres sa signature ; cette versionest contredite par sa propre lettre du 24 octobre 2005 par laquelle elleaccuse reception des exemplaires signes par [la defenderesse] qu'elle luiretourne `revetus de la signature de notre direction commerciale. Nousvous en souhaitons bonne reception' (...) ;
2. Par lettre du 7 janvier 2009, [la defenderesse] fait part de son insatisfaction face aux manquements repetes de [la demanderesse] (retardde livraison, appels telephoniques, telemetrie attendue depuis des mois,citernes installees plus de huit mois apres la convention, prix, promesses non tenues) pour conclure : `Pour cette ultime recuperation, jeserai moins patient' (...). Cette lettre ne donne lieu à aucunecontestation de [la demanderesse] à l'epoque ;
3. Les parties se sont accordees sur l'installation d'une telesurveillancequi devait permettre à [la demanderesse] de controler à distance le niveau des cuves afin d'eviter une rupture d'approvisionnement. Par mail du 15 janvier 2009, M. D., delegue technico-commercial de [lademanderesse], signale à [la defenderesse] que le technicien qui estpasse chez elle pour installer le coffret de telesurveillance DIMA n'a pule mettre en service, à defaut d'une ligne de telephone analogiquepermettant de transmettre des donnees fiables à [la demanderesse]. Lapiece 20 de son dossier montre que la realite est plus complexe puisqueson propre technicien ecrit dans son rapport : `Le DIVA n'est pas regle,il est à 96 p.c. alors qu'il y a 75 p.c., d'ou 20 p.c. de difference.La ligne telephonique n'est pas bonne, il faut une ligne analogique directe. De plus le DIVA est en N2 et non en O2', ce qui donne à penser que le dispositif etait adapte à de l'azote (N2) et non à de l'oxygene(O2). Malgre cela, les parties ne prennent aucune initiative ;
4. Le 2 avril 2009, [la defenderesse] signale qu'elle n'utilise plus les citernes à gaz placees par [la demanderesse], avant d'ajouter : `Noussouhaitons donc mettre fin à la convention (en juillet 2009). Voulez-vous me contacter (...) afin que nous precisions les modalites de reprise de l' « equipement » ? Vous aurez evidemment soin de stopperles factures à la date de la cloture' (...). Si [la demanderesse]pretend ne pas avoir rec,u cette lettre, il etonne qu'elle ne se soit pasautrement inquietee de la situation dans laquelle se trouvait sa clienteet d'une telesurveillance qui n'etait toujours pas operationnelle ;
5. Le 29 juin 2009, [la defenderesse] denonce un nouveau retard de livraison : l'oxygene commande `la semaine derniere' devait etre livre`lundi à la premiere heure' mais n'etait toujours pas livre le mardi,[la demanderesse] a invoque une erreur et promis une livraison pour le`mercredi à la premiere heure', avec pour consequence que `l'atelier està l'arret, suite à vos manquement(s), et ce n'est pas la premiere fois,voir courriers precedents sans reponse de votre part' (...) ;
6. [La demanderesse] repond le 8 juillet avoir pu trouver une solution pour livrer le mardi 30 juin et met en avant la necessite d'une ligne telephonique specifique pour un bon fonctionnement de l'installation, à defaut de quoi `nous ne pouvons activer ce service de telemetrie. Nous souhaitons trouver avec vous une solution à cette situation et proposons de vous rencontrer dans les prochaines semaines pour envisager la mise en place d'un dispositif de telesurveillance plus simple et fonctionnant sansfil' (...) ;
7. Dans sa lettre du 27 juillet 2009, [la defenderesse] admet qu'`en cequi concerne le dernier « probleme » de livraison, la situation (a) ete sauvee in (extremis)' mais souligne que `le systeme de telesurveillance est uniquement pour l'oxygene, nous avons dejà rencontre de nombreux problemes pour le gaz egalement. C'est pourquoi je reste sur ma position, je vous demande donc de recuperer vos reservoirs afin que les locations (s'arretent) fin juillet 2009' (...).
Les constatations qui precedent suffisent à demontrer que les parties ontfait preuve de negligence dans la gestion de leurs relationscontractuelles :
- la [demanderesse], en multipliant les retards de livraison, en ne conseillant pas au mieux sa cocontractante sur les dispositifs de telesurveillance disponibles, qu'elle devait necessairement connaitre en sa qualite de professionnelle en matiere de vente d'oxygene et de gaz, et en ne prenant aucune initiative suite au placement d'un coffret de telesurveillance defectueux ; la cour [d'appel] s'etonne en particulierque face à cette situation, [la demanderesse] ait attendu le mois dejuillet 2009 pour proposer un systeme sans fil alors qu'elle connaissaitl'importance que sa cliente attachait aux ruptures d'approvisionnement ;[la demanderesse] ne peut se retrancher derriere l'article G de la convention pour se soustraire à sa responsabilite contractuelle, eu egardà la multiplicite des manquements constates et aux courriers que lui a adresses la defenderesse pour s'en plaindre ;
- [la defenderesse], en reagissant de maniere epidermique, sansapprofondir les pistes de solutions suggerees par [la demanderesse] ; l'attestation qu'elle produit à son dossier (...) quant à l'installation d'une ligne telephonique en septembre 2008 n'est pas de nature à la dedouaner :
* cette installation, pour laquelle aucune facture n'est produite, est realisee bien avant le placement du coffret ;
* des lors qu'elle savait qu'il fallait une ligne analogique, on ne comprend pas que [la defenderesse] n'ait pas fait appel au memeinstallateur pour mettre son installation en conformite avec lecoffret DIMA.
La cour [d'appel] se rallie donc pleinement à l'analyse des premiersjuges, qui n'ont pu `que constater le non-respect reciproque desobligations contractuelles : [la demanderesse] n'a pas conseillecorrectement, n'a pas installe un materiel adequat, [la defenderesse] n'apas respecte les termes memes du contrat en (y) mettant fin (...) sansmise en demeure' »,
et, par adoption des motifs du premier juge, sur ce que :
« La rupture
Le contrat unissant les parties etait à duree indeterminee, tant celuisigne en 2005 que celui de 2008 en remplacement de 2005 et prevoyant uneinstallation de telemetrie.
[La defenderesse] se prevaut du fait que le systeme de telemetrie n'ajamais ete installe pour s'exonerer de toute responsabilite.
Il n'est pas contestable que l'installation de la telemetrie a eteproposee par [la demanderesse] au moment du renouvellement du contrat pourfavoriser ledit renouvellement. Il ne resulte d'aucune piece des dossiersque [la defenderesse] a ete informee à ce moment de l'obligation des'equiper d'une ligne telephonique analogique dediee exclusivement ausysteme DIVA, alors que [la demanderesse] connaissait les installationsde [la defenderesse], qu'elle fournissait depuis des annees, et savaitdonc que celles-ci etaient situees à l'exterieur du batiment.
[La demanderesse] pouvait techniquement, comme en atteste sa lettre du 8juillet, installer un dispositif de telesurveillance plus simplefonctionnant sans fil.
Le tribunal ne peut que constater le non-respect reciproque desobligations contractuelles : [la demanderesse] n'a pas conseillecorrectement, n'a pas installe un materiel adequat, la [defenderesse] n'apas respecte les termes memes du contrat en mettant fin au contrat sansmise en demeure.
Vu les fautes reciproques, le tribunal dit que la convention est resilieeà torts reciproques, qu'aucune indemnite n'est due de part et d'autre,la convention ne prevoyant en outre aucun dedommagement.
Par contre, les frais d'enlevement, de remise en etat des stockages n'ontpas ete contestes à bref delai ; ceux-ci sont des lors dus, tout commele materiel non recupere ».
Griefs
Premiere branche
Le juge qui doit se prononcer sur la demande de resolution d'un contratsynallagmatique est tenu d'examiner l'etendue et la portee des engagementspris par les parties et, à la lumiere des circonstances de fait,d'apprecier si le manquement invoque est suffisamment grave pourprononcer la resolution.
L'arret, par les motifs reproduits au moyen, examine sans doute l'etendue et la portee des engagements contractuels pris par la demanderesse etreleve sans doute, dans le chef de celle-ci, certains manquements à cesengagements.
Ni les motifs propres de l'arret ni ceux du jugement entrepris qu'iladopte n'examinent toutefois si ces manquements sont suffisamment gravespour prononcer la resolution de la convention aux torts de lademanderesse.
Il suit de là que la decision de l'arret de resilier la convention liantles parties à leurs torts reciproques en raison de leurs fautesrespectives n'est pas legalement justifiee en ce qu'elle prononce laresiliation (resolution) de cette convention aux torts de la demanderesse(violation des articles 1102, 1142 et 1184 du Code civil).
A tout le moins, à defaut d'indiquer dans ses motifs que les manquementsimputes à la demanderesse etaient suffisamment graves pour justifier laresolution de la convention à ses torts et les raisons de cette appreciation, l'arret ne contient pas les constatations permettant à la Cour d'exercer son controle de legalite sur sa decision de resoudre cette convention aux torts de la demanderesse et n'est des lors pasregulierement motive (violation de l'article 149 de la Constitution).
Seconde branche
En vertu des regles de la responsabilite contractuelle et specialement del'article 1149 du Code civil, en cas d'inexecution fautive d'uneobligation contractuelle, le debiteur doit entierement repondre de laperte subie par le creancier et du gain dont celui-ci a ete prive, sousreserve de l'application des articles 1150 et 1151 du Code civil.
Au cas ou, comme en l'espece, le juge, en application de l'article 1184du Code civil, declare le contrat synallagmatique resolu pour cause demanquements des deux parties, il est tenu de determiner les dommages et interets dus à chacune des parties en raison de l'inexecution du contratpar l'autre partie, en fonction de la gravite et de l'incidence causalede leurs manquements respectifs.
La circonstance que les deux parties n'ont pas respecte leurs engagementsne les exonere ni de leur responsabilite contractuelle ni de leurobligation de reparer, en fonction de leur part de responsabilite, ledommage subi par l'autre partie.
L'arret decide, par adoption des motifs du jugement entrepris et enconfirmant ce jugement, que, vu les fautes reciproques des parties, laconvention est resiliee à leurs torts reciproques et qu'aucune indemnite n'est due de part et d'autre.
En deniant à la demanderesse, sur la base de ce motif, le droit d'obtenir la reparation de son prejudice, l'arret viole les dispositionsdu Code civil visees au moyen et specialement les articles 1149 et 1184de ce code.
Par ailleurs, en omettant de relever les circonstances de fait d'ouresulterait que le prejudice invoque par la demanderesse ne serait pasetabli ou ne serait pas une suite immediate et directe des fautes qu'ilreleve dans le chef de la defenderesse, l'arret ne contient pas lesconstatations de fait qui doivent permettre à la Cour d'exercer lecontrole de legalite qui lui est confie et n'est des lors pasregulierement motive (violation de l'article 149 de la Constitution).
III. La decision de la Cour
Quant à la premiere branche :
En vertu de l'article 1184, alinea 3, du Code civil, la resolution doitetre demandee en justice.
Le juge qui doit se prononcer sur la demande de resolution d'un contratsynallagmatique est tenu d'examiner l'etendue et la portee des engagementspris par les parties et, à la lumiere des circonstances de fait,d'apprecier si le manquement invoque est suffisamment grave pour prononcerla resolution.
Par aucun motif, l'arret attaque n'examine si les manquements reproches àla demanderesse sont suffisamment graves pour prononcer la resolution dela convention à ses torts. Il s'ensuit qu'il n'est pas legalementjustifie.
Le moyen, en cette branche, est fonde.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l'arret attaque ;
Ordonne que mention du present arret sera faite en marge de l'arretcasse ;
Reserve les depens afin qu'il soit statue sur ceux-ci par le juge dufond ;
Renvoie la cause devant la cour d'appel de Mons.
Ainsi juge par la Cour de cassation, troisieme chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president Christian Storck, les conseillers Didier Batsele,Alain Simon, Mireille Delange et Sabine Geubel, et prononce en audiencepublique du vingt-huit octobre deux mille treize par le presidentChristian Storck, en presence de l'avocat general delegue Michel Palumbo,avec l'assistance du greffier Lutgarde Body.
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| L. Body | S. Geubel | M. Delange |
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| A. Simon | D. Batsele | Chr. Storck |
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28 OCTOBRE 2013 C.12.0596.F/1