Cour de cassation de Belgique
Arret
836
NDEG C.12.0614.F
INTERNATIONAL HOTELS WORLDWIDE Inc., societe de droit des Iles ViergesBritanniques, dont le siege est etabli aux Iles Vierges Britanniques,Akara Building,
demanderesse en cassation,
representee par Maitre Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 149, ou il estfait election de domicile,
contre
1. eTAT BELGE, represente par le ministre des Affaires etrangeres, dontle cabinet est etabli à Bruxelles, rue des Petits Carmes, 15,
2. BANCA MONTE PASCHI BELGIO, societe anonyme dont le siege social estetabli à Bruxelles, rue Joseph II, 24,
defendeurs en cassation,
representes par Maitre Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, rue des Quatre Bras, 6, ou il estfait election de domicile.
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 26 juin 2012par la cour d'appel de Bruxelles.
Le 9 septembre 2013, l'avocat general Andre Henkes a depose desconclusions au greffe.
Le conseiller Michel Lemal a fait rapport et l'avocat general Andre Henkesa ete entendu en ses conclusions.
II. Les moyens de cassation
La demanderesse presente quatre moyens dont le deuxieme est libelle dansles termes suivants :
Dispositions legales violees
Articles 17, 1025, 1033, 1122 et 1712.1 du Code judiciaire
Decisions et motifs critiques
L'arret dit les appels des defendeurs recevables et fondes et met lejugement du premier juge à neant, sauf en ce qu'il a dit les demandesrecevables et liquide les depens. Statuant à nouveau pour le surplus, ilmet à neant l'ordonnance prononcee par le tribunal de premiere instancede Bruxelles en date du 26 avril 2007 et declare la demande d'exequatur dela sentence arbitrale du 8 octobre 2001 recevable mais non fondee. Enfin,il dit l'appel de la demanderesse recevable mais non fonde et la condamneaux depens des deux instances.
Ces decisions sont fondees sur l'ensemble des motifs de l'arret tenus pouretre ici expressement reproduits, et plus particulierement sur les motifssuivants :
« 4. La tierce opposition [du defendeur] et l'intervention volontaire dela [defenderesse] sont recevables.
L'appel incident de [la demanderesse] n'est pas fonde sur ce point.
En effet, toute personne qui n'a point ete dument appelee ou n'est pasintervenue à la cause en la meme qualite peut former tierce opposition àune decision qui prejudicie ses droits et qui a ete rendue par unejuridiction civile (article 1122 du Code judiciaire).
L'ordonnance qui accorde l'exequatur de la sentence arbitrale est renduesur requete unilaterale ; il s'ensuit que [les defendeurs] ne sont pasparties à cette cause.
Dans la mesure ou [les defendeurs] ont des obligations envers l'OTAN - quiinvoque l'immunite -, [ils] peuvent etre prejudicies par l'exequatur dansla mesure ou ils risquent de devoir executer leurs obligations enversl'OTAN sans qu'aucune retenue ne soit acceptee et que, lorsqu'ilss'inclinent devant la saisie-arret-execution, ils doivent verser les fondsentre les mains de l'huissier instrumentant intervenant au nom ducreancier, [la demanderesse].
S'il est exact que `l'executoire n'est pas l'execution', toujours est-ilque `l'executoire' sert de fondement pour l'execution, à savoirl'invitation par l'huissier de justice adressee [aux defendeurs] de viderleurs mains en celles de l'huissier.
Lorsqu'ils ne s'opposent pas à l'ordonnance du 26 avril 2007, [lesdefendeurs] risquent donc de devoir payer deux fois.
Une action peut etre admise lorsqu'elle a ete intentee, meme à titredeclaratoire, en vue de prevenir la violation d'un droit gravement menace(article 18 du Code judiciaire).
La constatation que les droits des opposants peuvent etre leses leurfournit, outre la qualite, aussi l'interet pour agir (articles 17 et 18 duCode judicaire).
Cet interet est ne et actuel, il est direct.
Le fait que le pretendu debiteur (l'OTAN) ait ou non conteste la mesurequerellee n'est pas de nature à pouvoir restreindre les droits des tiers.
La tierce opposition est recevable des que la position de l'opposant peutetre menacee par la decision critiquee (comp. Cass., 21 mars 2003). Telqu'en l'espece, un prejudice eventuel suffit.
Contrairement à ce que soutient [la demanderesse], les articles 1711 et1712 du Code judiciaire ne constituent pas une `lex specialis derogat legigenerali'.
Ces articles reglent les recours (ordinaires) des parties à l'arbitrage.
Ces articles ne limitent pas les droits des tiers de former tierceopposition (recours extraordinaire) ».
Griefs
1. Selon l'article 17 du Code judiciaire, l'action ne peut etre admise sile demandeur n'a pas qualite et interet pour la former.
2. Selon l'article 1025 du Code judiciaire, sauf dans les cas ou il y estformellement deroge par la loi, les procedures sur requete - c'est-à-diresur requete unilaterale - sont reglees ainsi qu'il est dit au titre V dulivre II du Code judiciaire, lequel comprend notamment l'article 1033 dece code.
3. Selon l'article 1033 du Code judiciaire, toute personne qui n'est pasintervenue à la cause, en la meme qualite, peut former opposition à ladecision qui prejudicie à ses droits.
4. Selon l'article 1122, alinea 1er, du Code judiciaire, toute personnequi n'a point ete dument appelee ou n'est pas intervenue à la cause en lameme qualite peut former tierce opposition à la decision, memeprovisoire, qui prejudicie ses droits et qui a ete rendue par unejuridiction civile ou par une juridiction repressive en tant que celle-cistatue sur les interets civils.
4. Selon l'article 1710.1 du Code judiciaire, la sentence arbitrale nepeut faire l'objet d'une execution forcee qu'apres avoir ete revetue de laformule executoire par le president du tribunal de premiere instance surrequete presentee par la partie interessee, sans que la partie contrelaquelle l'execution est demandee puisse, en cet etat de la procedure,pretendre presenter des observations.
Il resulte de cette disposition que l'exequatur d'une sentence arbitraleest accorde sur requete unilaterale.
5. Selon l'article 1712.1 du Code judiciaire, la decision par laquelle lasentence a ete revetue de la formule executoire doit etre signifiee par lapartie qui l'a requise à l'autre partie. Elle est susceptibled'opposition devant le tribunal de premiere instance dans le delai d'unmois à partir de la signification.
6. Il resulte de ces dispositions que, par derogation aux articles 1033 et1122 du Code judiciaire, l'article 1712.1 de ce code reserve à la partieà la procedure arbitrale contre qui la sentence arbitrale a ete rendue laqualite requise pour former tierce opposition à l'encontre del'ordonnance accordant l'exequatur de cette ordonnance.
7. Par les motifs reproduits en tete du moyen, l'arret decide quel'article 1712 du Code judiciaire ne constitue pas une lex specialis, desorte que, conformement au droit commun des articles 17 et 1122 du Codejudiciaire, tout tiers subissant un prejudice meme eventuel del'ordonnance accordant l'exequatur à une sentence arbitrale jouit de laqualite requise pour former tierce opposition contre celle-ci. Il declare,par consequent, recevables les tierces oppositions formees par lesdefendeurs contre l'ordonnance du
26 avril 2007.
8. En statuant ainsi, l'arret meconnait la nature de l'oppositionintroduite contre une ordonnance accordant l'exequatur à une sentencearbitrale, qui constitue une action attitree reservee aux parties à laprocedure arbitrale (violation de toutes les dispositions visees en tetedu moyen et specialement de l'article 1712.1 du Code judiciaire).
III. La decision de la Cour
Sur le deuxieme moyen :
Sur la fin de non-recevoir opposee au moyen par les defendeurs et deduitede ce que, dans le premier moyen, la demanderesse a admis que lesdispositions dont la violation est invoquee sont applicables à la tierceopposition formee par les defendeurs :
La circonstance que, dans un moyen, le demandeur en cassation invoque laviolation de dispositions legales particulieres ne le prive pas du droitde soutenir, dans un moyen distinct, que ces dispositions n'etaient pasapplicables au litige.
La fin de non-recevoir ne peut etre accueillie.
Sur le fondement du moyen :
Aux termes de l'article 1710.1 du Code judiciaire, applicable au litige,la sentence arbitrale ne peut faire l'objet d'une execution forceequ'apres avoir ete revetue de la formule executoire par le president dutribunal de premiere instance, sur requete presentee par la partieinteressee, sans que la partie contre laquelle l'execution est demandeepuisse, en cet etat de la procedure, pretendre presenter des observations.
Suivant l'article 1712.1 de ce code, applicable au litige, la decision parlaquelle la sentence a ete revetue de la formule executoire doit etresignifiee par la partie qui l'a requise à l'autre partie et estsusceptible d'opposition devant le tribunal de premiere instance dans ledelai d'un mois à partir de cette signification.
Il suit de ces dispositions que, par derogation aux articles 1033 et 1122du Code judiciaire, seule la partie contre laquelle l'execution a etedemandee peut former une tierce opposition à la decision d'exequatur dela sentence arbitrale.
L'arret constate que la sentence arbitrale a ete rendue en cause de lademanderesse et de l'Organisation du Traite de l'Atlantique Nord, que lademanderesse a demande l'exequatur de cette sentence au president dutribunal de premiere instance de Bruxelles, que ladite sentence a eterendue executoire par ordonnance du 26 avril 2007, que la demanderesse afait proceder à l'execution forcee de cette sentence par le biais desaisies-arret-execution pratiquees entre les mains des defendeurs et queceux-ci ont forme tierce opposition à l'ordonnance du 26 avril 2007.
L'arret, qui considere qu'en vertu de l'article 1122 du Code judiciaire,les defendeurs, qui ne sont pas partie à la procedure arbitrale, ontqualite pour former une tierce opposition à l'ordonnance accordantl'exequatur de la sentence arbitrale, ne justifie pas legalement sadecision de declarer recevables les tierces oppositions des defendeurs.
Le moyen est fonde.
Sur les autres griefs
Il n'y a pas lieu d'examiner les autres moyens, qui ne sauraient entrainerune cassation plus etendue.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l'arret attaque, sauf en ce qu'il declare recevables les appels desdefendeurs ;
Ordonne que mention du present arret sera faite en marge de l'arretpartiellement casse ;
Reserve les depens pour qu'il soit statue sur ceux-ci par le juge dufond ;
Renvoie la cause, ainsi limitee, devant la cour d'appel de Mons.
Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Albert Fettweis, les conseillersMartine Regout, Michel Lemal, Marie-Claire Ernotte et Sabine Geubel, etprononce en audience publique du quatre octobre deux mille treize par lepresident de section Albert Fettweis, en presence de l'avocat generalAndre Henkes, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.
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| P. De Wadripont | S. Geubel | M.-Cl. Ernotte |
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| M. Lemal | M. Regout | A. Fettweis |
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4 OCTOBRE 2013 C.12.0614.F/9