Cour de cassation de Belgique
Arret
NDEG P.13.0317.N
I.
F. D. T.,
* prevenue,
* demanderesse,
Me Bruno Maes, avocat à la Cour de cassation,
II.
L. V.,
prevenu,
demandeur,
Me Hans Rieder, avocat au barreau de Gand.
I. la procedure devant la Cour
III. Les pourvois sont diriges contre l'arret rendu le 21 janvier 2013par la cour d'appel de Bruxelles, chambre correctionnelle.
IV. La demanderesse fait valoir un moyen dans un memoire annexe aupresent arret, en copie certifiee conforme.
V. Le demandeur fait valoir quatre moyens dans un memoire annexe aupresent arret, en copie certifiee conforme.
VI. Le conseiller Erwin Francis a fait rapport.
VII. L'avocat general suppleant Marc De Swaef a conclu.
II. la decision de la Cour
(...)
Sur le premier moyen du demandeur :
Quant à la premiere branche :
12. Le moyen, en cette branche, invoque la violation de l'article 196 duCode penal : l'arret decide, à tort, que la declaration ecrite dudemandeur du 10 aout 2007, qui stipule que la demanderesse n'a jamaistraite avec lui et qu'il l'a consideree comme simple caution, est un fauxparce qu'elle peut, dans une certaine mesure, servir de preuve de cequ'elle avance ou constate ; pour etre reputee fausse, une piece doittoutefois servir, à tout le moins dans une certaine mesure, de preuved'un fait pertinent en droit, à savoir un fait qui peut produire quelquechose dans la realite juridique ; l'arret ne constate cependant pas un telfait et la declaration precitee ne peut avoir de portee juridique parceque les moyens financiers d'un candidat ne constituent pas une conditionde nomination à la fonction de president du tribunal de commerce et quecette declaration ne peut, par consequent, rien produire dans la realitejuridique.
13. L'infraction de faux en ecritures visee aux articles 193, 196 et 214du Code penal, consiste en ce que, avec une intention frauduleuse ou àdessein de nuire, la realite est deguisee dans un ecrit protege par la loiet d'une maniere determinee par la loi, alors qu'il peut en resulter unprejudice.
Un ecrit protege par la loi est un ecrit pouvant faire preuve dans unecertaine mesure, c'est-à-dire qui s'impose à la confiance publique, desorte que l'autorite ou les particuliers qui en prennent connaissance ouauxquels il est presente peuvent se convaincre de la realite de l'acte oudu fait juridique constate par cet ecrit ou sont en droit de lui accorderfoi.
L'ecrit qui comporte cet acte ou ce fait juridique, doit avoir une porteejuridique, c'est-à-dire qu'il est cense etablir tout fait pouvantinfluencer la situation juridique des personnes ou des choses concernees.
Un ecrit qui constate les liens juridiques entre des parties contractantesen vue de l'acces d'une de ces parties à une fonction visee, a une porteejuridique, nonobstant le fait que la modification de la realite juridiquevisee par cet ecrit soit liee à l'observation d'une obligation legale.
Dans la mesure ou il est deduit d'une autre premisse juridique, le moyen,en cette branche, manque en droit.
14. L'arret decide souverainement que :
- le fait etabli dans la declaration du 10 aout 2007, à savoir le faitque le demandeur n'a jamais traite avec la demanderesse et qu'il l'aconsideree comme simple caution, ne correspond pas à la realite ;
- la demanderesse aspirait à etre nommee presidente du tribunal decommerce de B. et aurait dissimule sa situation financiere exacte, ce quietait necessaire pour atteindre cet objectif ;
- par consequent, la demanderesse avait, par cette declaration,l'intention d'occulter l'existence d'importants emprunts à l'egard desinstances appelees à l'evaluer en vue d'une eventuelle nomination ;
- en agissant de la sorte, la demanderesse a mis ou a pu mettre en perill'interet general public.
Par ces motifs, l'arret indique le fait juridique pertinent pour lequel ladeclaration peut faire office de preuve et justifie legalement sadecision.
Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, ne peut etre accueilli.
Quant à la deuxieme branche :
15. Le moyen, en cette branche, invoque la violation des articles 149 dela Constitution et 196 du Code penal : l'arret ne repond pas à la defensedu demandeur selon laquelle la demanderesse n'a pas utilise la declarationdu 10 aout 2007 pour demontrer un fait pertinent en droit ou selonlaquelle cette piece avait une quelconque valeur probante sociale ; lademanderesse n'a pas depose la declaration devant la commission denomination et de designation reunie du Conseil superieur de la Justice etrien ne permet de demontrer que les membres de cette commission ontconsidere cette declaration comme un fait pertinent en droit.
16. Dans la mesure ou il est deduit d'une illegalite vainement invoqueedans le moyen, en sa premiere branche, le moyen, en cette deuxiemebranche, est irrecevable.
17. L'arret decide notamment que :
« Dans sa replique, [la demanderesse] a explicitement ecrit que ledocument du 10 aout 2007 n'avait ete redige que dans le cadre du depot desa candidature.
Il ressort de la declaration meme que le premier president de la courd'appel de Bruxelles alors en fonction avait manifestement ete en contactavec [le demandeur] fin juillet 2007 - à un moment ou [la demanderesse]etait candidate à la presidence - et que ce document a ete redige à lasuite de cette interpellation.
Il ressort dejà de ces seuls elements que l'ecrit devait faire office depreuve à l'autorite ou aux particuliers qui en ont pris connaissance ouauxquels il a ete soumis afin de les convaincre de la veracite du faitetabli dans l'ecrit ou qu'ils etaient en droit de lui accorder foi. »
18. Par ces motifs, l'arret decide que l'ecrit tendait à credibiliser lesallegations du demandeur à l'egard du premier president de la courd'appel de Bruxelles et que l'ecrit a donc une valeur probante sociale,sans qu'il soit tenu de repondre plus avant à la defense sans objet dudemandeur sur l'utilisation de l'ecrit par la demanderesse devant lacommission mentionnee en cette branche du moyen. Ainsi, l'arret repond àla defense du demandeur, est regulierement motive et legalement justifie.
Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, ne peut etre accueilli.
(...)
Sur le troisieme moyen du demandeur :
25. Le moyen invoque la violation des articles 479, 483 et 484 du Coded'instruction criminelle.
Quant à la premiere branche :
26. Le moyen, en cette branche, invoque que l'arret applique, à tort,l'article 483 du Code d'instruction criminelle et non l'article 484 duditcode ; ce dernier article est applicable parce que le procureur generalpres la cour d'appel de Bruxelles a requis l'ouverture d'une instructionjudiciaire à l'encontre d'un juge au tribunal de commerce qui auraitcommis des crimes dans l'exercice de ses fonctions ; en vertu de l'article484, alinea 2, du Code d'instruction criminelle, les dispositionsgenerales dudit code seront suivies pour le surplus de la procedure ; parconsequent, l'article 479 du Code d'instruction criminelle n'est pasapplicable et le procureur general ne pouvait proceder par voie decitation directe mais seule une juridiction d'instruction pouvait saisirla cour d'appel.
27. L'article 479 du Code d'instruction criminelle relatif à la poursuiteet à l'instruction contre des juges, pour crimes et delits par eux commishors de leurs fonctions, dispose : « Lorsque (...) un juge (...) autribunal de commerce (...)est prevenu d'avoir commis, hors de sesfonctions, un delit emportant une peine correctionnelle, le procureurgeneral pres la cour d'appel le fait citer devant cette cour, qui prononcesans qu'il puisse y avoir appel. »
L'article 480 du Code d'instruction criminelle, ayant le meme objet,dispose : « S'il s'agit d'une infraction punissable d'une peinecriminelle, le procureur general pres la cour d'appel et le premierpresident de cette cour designeront, le premier, le magistrat qui exercerales fonctions d'officier de police judiciaire; le second, le magistrat quiexercera les fonctions de juge d'instruction. »
L'article 483 du Code d'instruction criminelle relatif à la poursuite età l'instruction contre certains juges et tribunaux pour crimes et delitsrelatifs à leurs fonctions, dispose : « Lorsque (...) un juge (...) autribunal de commerce (...) est prevenu d'avoir commis, dans l'exercice deses fonctions, un delit emportant une peine correctionnelle, ce delit estpoursuivi et juge comme il est dit à l'article 479. »
L'article 484 du Code d'instruction criminelle, ayant le meme objet,dispose : « Lorsque des fonctionnaires de la qualite exprimee enl'article precedent seront prevenus d'avoir commis un crime, les fonctionsordinairement devolues au juge d'instruction et au [procureur du Roi]seront immediatement remplies par le premier president et le procureurgeneral pres la cour d'appel, chacun en ce qui le concerne, ou par telsautres officiers qu'ils auront respectivement et specialement designes àcet effet.
Jusqu'à la delegation, et dans le cas ou il existerait un corps de delit,il pourra etre constate par tout officier de police judiciaire; et pour lesurplus de la procedure, on suivra les dispositions generales du presentCode. »
L'article 2, alinea 2, de la loi du 4 octobre 1867 sur les circonstancesattenuantes dispose : « De la meme maniere, dans les cas ou uneinstruction n'a pas ete requise, le ministere public peut, s'il estimequ'il n'y a pas lieu de requerir une peine plus severe qu'une peinecorrectionnelle en raison de circonstances attenuantes ou d'une caused'excuse, citer directement ou convoquer le prevenu devant le tribunalcorrectionnel en indiquant ces circonstances attenuantes ou la caused'excuse. »
28. Il resulte de ces dispositions que, si un juge est prevenu d'avoircommis un crime correctionnalisable dans l'exercice de ses fonctions,l'article 479 du Code d'instruction criminelle est la disposition generaledudit code qu'il y a lieu d'appliquer lorsque le procureur general indiquedes circonstances attenuantes à ce crime dans sa citation directe.
Dans la mesure ou il est deduit d'une autre premisse juridique, le moyen,en cette branche, manque en droit.
29. L'illegalite invoquee selon laquelle l'arret applique, à tort,l'article 483 du Code d'instruction criminelle au lieu de l'article 484dudit code, ne saurait porter prejudice au demandeur.
Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, est irrecevable.
Quant à la seconde branche :
30. Le moyen, en cette branche, invoque que l'arret qui decide que, dansle cas d'un privilege de juridiction, l'action publique ne peut etreintroduite au moment de la saisine d'un magistrat en sa qualite de juged'instruction, mais uniquement par la citation sur le fond devant la courd'appel, viole les dispositions enoncees dans le moyen.
31. Dans les cas prevus par les articles 479 et suivants du Coded'instruction criminelle, hormis en cas de renvoi à la cour d'assises, ilappartient au seul procureur general pres la cour d'appel, à l'exclusiondes juridictions d'instruction, de saisir de l'action publique lajuridiction de jugement competente. Il n'est pas fait exception à cetteregle lorsque cette saisine a ete precedee d'une information à laquellele procureur general a requis le premier president de la cour d'appel defaire proceder.
Le moyen, en cette branche, qui est deduit d'une autre premisse juridique,manque en droit.
(...)
Le controle d'office :
35. Les formalites substantielles ou prescrites à peine de nullite ontete observees et la decision est conforme à la loi.
Par ces motifs,
* * La Cour
* * Rejette les pourvois ;
* Condamne les demandeurs aux frais de leur pourvoi.
Ainsi juge par la Cour de cassation, deuxieme chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le conseiller Luc Van hoogenbemt, faisant fonction depresident, les conseillers Alain Bloch, Peter Hoet, Antoine Lievens etErwin Francis, et prononce en audience publique du vingt-quatre septembredeux mille treize par le conseiller Luc Van hoogenbemt, en presence del'avocat general suppleant Marc De Swaef, avec l'assistance du greffierFrank Adriaensen.
Traduction etablie sous le controle du conseiller Gustave Steffens ettranscrite avec l'assistance du greffier Tatiana Fenaux.
Le greffier, Le conseiller,
24 septembre 2013 P.13.0317.N/1