Cour de cassation de Belgique
Arret
1191
NDEG C.12.0422.F
association des coproprietaires de la residence picasso, dont le siege estetabli à Evere, avenue de l'Andalousie, 10-20, representee par sonsyndic, la societe privee à responsabilite limitee Office de gestionimmobiliere, syndic de coproprietes, dont le siege social est etabli àJette, avenue Henri Liebrecht, 76,
demanderesse en cassation,
representee par Maitre Pierre Van Ommeslaghe, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 106, ouil est fait election de domicile,
contre
1. societe de promotion et d'investissement, en abrege SOPRINVEST, societeanonyme dont le siege social est etabli à Etterbeek, avenue de la Chasse,31,
2. J.-G. R.,
defendeurs en cassation,
representes par Maitre Michele Gregoire, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 480, ou il estfait election de domicile.
en presence de
1. G. T.,
2. M. A. F. B.,
3. S. D.,
4. K. H.,
5. B. M.,
parties appelees en declaration d'arret commun.
NDEG C.12.0606.F
1. societe de promotion et d'investissement, en abrege SOPRINVEST, societeanonyme dont le siege social est etabli à Etterbeek, avenue de la Chasse,31,
2. J.-G. R.,
demandeurs en cassation,
representes par Maitre Michele Gregoire, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 480, ou il estfait election de domicile,
contre
1. association des coproprietaires de la residence picasso, dont le siegeest etabli à Evere, avenue de l'Andalousie, 10-20, representee par sonsyndic, la societe privee à responsabilite limitee Office de gestionimmobiliere, syndic de coproprietes, dont le siege social est etabli àJette, avenue Henri Liebrecht, 76,
2. G. T.,
3. M. A. F. B.,
4.. S. D.,
5. B. M.,
6. K. H.,
defendeurs en cassation.
I. La procedure devant la Cour
Les pourvois en cassation sont diriges contre l'arret rendu par la courd'appel de Bruxelles le 2 fevrier 2012.
Le 28 juin 2013, l'avocat general Thierry Werquin a depose des conclusionsau greffe.
Le conseiller Marie-Claire Ernotte a fait rapport et l'avocat generalThierry Werquin a ete entendu en ses conclusions.
II. Les moyens de cassation
A l'appui du pourvoi inscrit au role general sous le numero C.12.0422.F,la demanderesse presente un moyen libelle dans les termes suivants :
Dispositions legales violees
* articles 517 à 526, 543, 544, 552, 553 à 555, 577-2, 577-3 et 577-4à 577-14 du Code civil, tant, s'agissant de ces derniers, dans leurredaction anterieure à la loi du 30 juin 1994 modifiant et completantles dispositions du Code civil relatives à la copropriete que dansleur redaction posterieure à celle-ci ;
* article 1er de la loi du 10 janvier 1824 sur le droit de superficie ;
* principe general du droit du numerus clausus des droits reels, telqu'il est consacre notamment, pour autant que de besoin, par l'article543 du Code civil ;
* article 149 de la Constitution.
Decisions et motifs critiques
L'arret confirme le jugement entrepris en ce qu'il dit pour droit que lesdix-huit emplacements de parking exterieurs sont des parties privatives,par les motifs que
« D. Fondement des appels
0M L'appel principal
Les [coproprietaires et la demanderesse] considerent que les [defendeurs]ne sont pas proprietaires des emplacements de parking litigieux.
Ils soutiennent subsidiairement que, si les emplacements de parkingdoivent etre consideres comme des biens individuels, ils appartiennentindivisement aux coproprietaires.
Plus subsidiairement, il y aurait lieu d'interpreter l'acte de base en cesens que les parties de l'immeuble à usage commun soient reputeescommunes.
1. Analyse de l'acte de base
Les [coproprietaires et la demanderesse] relevent que les emplacements deparking litigieux sont definis dans l'acte de base transcrit à laconservation des hypotheques à la fois comme partie commune et partieprivative.
L'exemplaire de l'acte de base du 17 fevrier 1993, transcrit le 12 mars1993, stipule au chapitre II du reglement de copropriete, section 1, dansla description du plan d'implantation de l'immeuble et des abords (p. 15),qu'on y remarque les parties privatives ci-apres :
- dix-huit (18) emplacements de parking exterieurs, comprenant
chacun :
a) en propriete privative et exclusive : l'assiette de l'emplacement deparking tel qu'il sera delimite au sol au moyen de lignes de peinture outout autre moyen de marquage ;
b) en copropriete et indivision forcee : aucune quotite indivise desparties communes dont le terrain.
Il resulte clairement de ce texte que les dix-huit emplacements de parkingsont des parties privatives.
Cependant, sous la section 4, parties communes, il est mentionne au point8DEG (p. 47) :
`Les emplacements de parking exterieurs, les pelouses et les plantationsfaisant partie des abords de l'immeuble sont chose commune.
Leur entretien incombe à la copropriete'.
Les [coproprietaires et la demanderesse] font etat, en outre, d'un autreexemplaire de l'acte de base stipulant, au meme chapitre II du reglementde copropriete, section 1, dans la description du plan d'implantation del'immeuble et des abords, ce qui suit :
`On y remarque notamment les parties communes ci-apres : [...] dix-huit(18) emplacements de parking exterieurs'.
Ces differences s'expliquent par le fait que la premiere version de l'actede base du 17 fevrier 1993, qui prevoyait que les emplacements de parkingexterieurs etaient communs, a ete modifiee.
Il n'en demeure pas moins que certaines clauses de l'acte de basetranscrit à la conservation des hypotheques se contredisent, puisque lesemplacements de parking exterieurs sont consideres à la fois comme partiecommune (p. 47) et partie privative (pp. 15 et 42).
Lorsque, dans une convention, une clause est susceptible de deux sens, ondoit l'entendre dans celui avec lequel elle peut avoir quelque effet(article 1157 du Code civil).
La cour [d'appel] releve tout d'abord que chacun des compromis de venteproduits par les [defendeurs] mentionne que le vendeur vend, dansl'immeuble à appartements de la Residence Picasso, un appartement aveccave et emplacement de parking situe en sous-sol.
Nulle part, il n'est mention de l'achat, en meme temps, d'un emplacementde parking exterieur ; ces emplacements demeurent la propriete dupromoteur-vendeur.
à defaut de contradiction entre l'acte de base et les actes d'acquisitiondes appartements, la presomption de l'article 577-3 (ancien) du Codecivil, qui dispose qu'en cas de contradiction des titres, sont reputeescommunes les parties de batiments ou de terrains affectees à l'usage detous les coproprietaires ou de certains d'entre eux, n'est pas applicableen l'espece.
Pour ecarter tout doute au sujet de la partie privative ou non desditsparkings, le notaire instrumentant a ecrit, le 17 juin 2005, àl'association des coproprietaires : `Vous comprendrez, au lu de la page15, ce qui a ete modifie au moment de la signature de l'acte. En effet,lors de la signature de l'acte de base, la societe Astrid PropertyHoldings IBV nous a fait remarquer [...] que les parkings exterieursn'etaient pas repris comme parties communes (lire : privatives) mais biencomme parties privatives (lire: communes), et c'est ce qui explique lacorrection qui a ete apportee à l'acte au moment de la lecture duditacte. Si certains coproprietaires sont en possession d'un autre texte, ils'agit vraisemblablement d'un projet d'acte et non d'une copie de l'actede base signe et dument enregistre'.
à cette lettre etaient annexees les pages de la minute qui ont etemodifiees, relativement au caractere privatif des parkings exterieurs.
Il se deduit de la teneur de cette lettre que, d'une part, le documentdont se prevalent les coproprietaires est un projet d'acte qui ne peutetre pris en consideration pour trancher la question du caractere privatifou commun des emplacements de parking exterieurs et, d'autre part, queceux-ci doivent etre repris comme parties privatives (pp. 15 et 42 del'acte de base) [et qu'il a ete omis, par inadvertance, de mettre le point8DEG de la page 47 de l'acte de base] en concordance avec la page 15.
La minute de la page 15 de l'acte de base montre de fac,on non ambigue queles dix-huit emplacements de parking exterieurs ont ete biffes de la listedes parties communes et ajoutes en mention manuscrite aux partiesprivatives.
Les corrections apportees aux autres clauses de l'acte de base afinqu'elles soient mises en concordance avec la modification apportee à lapage 15 confirment sans ambiguite le caractere privatif des parkingsexterieurs et la volonte du promoteur de les affecter aux partiesprivatives.
Le notaire instrumentant confirme que ces corrections ont ete apportees lejour meme de la signature de l'acte de base, le 17 fevrier 1993, de sorteque la demande d'enquetes formee tres subsidiairement par [lademanderesse] apparait non pertinente.
Contrairement à ce qu'affirme [la demanderesse], les modifications del'acte de base ne devaient pas etre decidees par une assemblee generale,des lors que la seule comparante à l'acte de base etait la societeanonyme Astrid Property Holdings qui, seule, a souhaite place l'immeubleen construction, ainsi que le terrain, sous un regime de copropriete et ena fixe les modalites.
L'intention de la comparante à l'acte de base, la societe AstridHoldings, etait donc bien celle d'accorder à ces emplacements de parkingun caractere privatif.
La comparaison de l'ensemble des actes et documents ne peut aboutir à uneinterpretation differente.
Cette interpretation est la meme que celle que le notaire instrumentantavait dejà tenue dans une lettre du 11 juin 2004 adressee au conseil de[la defenderesse].
Le seul acte de base s'imposant aux parties - et opposable erga omnes -est celui du 17 fevrier 1993, modifie le meme jour et transcrit le 12 mars1993, qui prevoit que les dix-huit emplacements de parking exterieurs sontprivatifs.
A tort, les [coproprietaires et la demanderesse] pretendent que cet actede base ne leur est pas opposable.
L'acte de base du 17 fevrier 1993, tel qu'il a ete modifie, a etetranscrit avant la signature des compromis de vente qui s'y referent(hormis celui qui a ete signe avec monsieur D. le 10 mars 1993) et etaitdonc, a fortiori, opposable à tous les proprietaires au moment de lapassation des actes de vente des appartements.
Or, l'article 7 de la loi Breyne du 9 juillet 1971, applicable à la ventedesdits appartements, prevoit à peine de nullite que les conventions devente doivent etre accompagnees d'une copie de l'acte de base etabli paracte authentique et du reglement de copropriete.
Les coproprietaires ne peuvent des lors affirmer avoir rec,u, au moment dela passation de l'acte de vente, un exemplaire d'acte de base different del'acte transcrit.
En ayant acquis un bien dans la copropriete de la Residence Picasso, lesacheteurs ont adhere à l'acte de base, dont l'acte authentique dumenttranscrit est le seul qui est entre dans le champ contractuel et definitles droits et obligations du promoteur et des acquereurs.
L'affirmation des cinq coproprietaires en cause selon laquelle le projetd'acte de base aurait encore ete diffuse apres le 12 mars 1993 dans un butcommercial n'est confirmee par aucun element du dossier.
Enfin, le fait que les emplacements de parking ne possedent aucune quotiteen copropriete indivise ne fait pas obstacle à leur caractere privatif nià ce que la surface de ces emplacements (le terrain) demeure une chosecommune.
2. L'existence du droit de propriete dans le chef des [defendeurs]
Les [coproprietaires et la demanderesse] alleguent que les [defendeurs] nedisposent d'aucun droit de propriete mais d'un droit de jouissance sur unbien appartenant à autrui, en l'espece un terrain qui appartient enindivision aux coproprietaires de la Residence Picasso.
Ils se fondent sur l'acte de base, chapitre II (reglement de copropriete),section 1, ou il est mentionne, dans la description du plan d'implantationde l'immeuble et des abords (p. 15), les parties privatives suivantes :
- dix-huit (18) emplacements de parking exterieurs, comprenant
chacun :
a) en propriete privative et exclusive : l'assiette de l'emplacement deparking tel qu'il sera delimite au sol au moyen de lignes de peinture outout autre moyen de marquage ;
b) en copropriete et indivision forcee : aucune quotite indivise desparties communes dont le terrain.
Ils se fondent egalement sur le contenu de la lettre explicative dunotaire instrumentant du 20 avril 2004, qui precise ce qui suit :
`Il est donc normal de considerer que l'assiette des emplacements deparking exterieurs reste une chose commue.
En revanche, le droit principal lie à la propriete de ces emplacements deparking, c'est-à-dire leur jouissance, est privative (...).
On peut toutefois regretter dans l'enumeration de ce texte le terme« assiette d'emplacements de parking », dans la mesure ou le terme« delimitation » eut ete plus opportun, puisque l'assiette (terrain)est, en tant que telle, restee commune'.
Contrairement aux affirmations des [coproprietaires et de lademanderesse], il resulte de l'acte de base transcrit, chapitre II,section 1, et de la teneur de la lettre du notaire que les parkingsexterieurs doivent etre repris comme parties privatives.
Le terme 'assiette' doit etre ici compris comme etant la delimitation desemplacements de parking exterieurs, en d'autres mots l'espace àl'interieur duquel se trouvent les parkings.
L'assiette des emplacements proprement dite, c'est-à-dire le terrain, lasurface du sol, reste une partie commune.
Le fonds sur lequel est bati l'immeuble devient, au fur et à mesure de lavente d'un lot privatif, la copropriete indivise des coproprietaires,chaque cession emportant renonciation par un coproprietaire au profit desautres coproprietaires aux droits d'accession immobiliers des quotites dusol et aux memes droits pour tout ce qui ne se rapporte pas aux lotsprivatifs, avec les quotites y afferentes dans les parties communes dubien.
En revanche, le droit de propriete des emplacements de parking exterieursn'est pas cede (jusqu'en 2004) et reste la propriete du promoteur-vendeur.
C'est egalement en vain que les [coproprietaires et la demanderesse] sefondent sur un autre passage de la lettre du notaire instrumentant du 20avril 2004, precisant qu' `il a ete juge opportun par le constructeur àl'epoque de soumettre le droit de propriete à certaines limitations,motif pour lequel l'association des coproprietaires a un droit de regardsur leur utilisation (des emplacements de parking) et leur entretien ainsique sur leur acces', pour en deduire que le promoteur ne peut avoir eul'intention de ceder les emplacements de parking en pleine propriete à untiers, propriete qui se serait alors trouvee videe de sa substance.
Bien que la societe Astrid Property Holdings, qui etait le titulaire dudroit de propriete des emplacements de parking exterieurs, puisse endisposer comme elle l'entend, certaines contraintes liees au respect del'harmonie de la copropriete peuvent lui etre imposees - conformement àl'acte de base - et, particulierement, le droit de regard de l'associationdes coproprietaires sur l'acces, l'utilisation et l'entretien des parkingsfaisant partie des abords de l'immeuble.
Cette limitation du droit de propriete ne fait cependant pas obstacle àce que le promoteur puisse vendre les emplacements de parking litigieux.
La societe Astrid Property Holdings ne disposait pas uniquement d'un droitde jouissance mais etait bien proprietaire desdits emplacements et a puvalablement les vendre à [la defenderesse], qui en a revendu certains [audefendeur] ».
Griefs
Pour decider que les emplacements de parking litigieux sont la proprietedes defendeurs, l'arret procede à une longue analyse de l'acte de base etdes elements produits par les parties pour conclure que ces emplacementsfont partie des parties privatives dans l'acte de base.
Toutefois, abordant ensuite plus specialement la question de la proprietedans le chef des defendeurs, l'arret precise et constate :
- que le terme « assiette » utilise dans l'acte de base doit etrecompris comme la delimitation des emplacements de parking exterieurs, end'autres mots l'espace à l'interieur duquel se trouvent les parkings, et
- que l'assiette des emplacements proprement dite, c'est-à-dire lasurface du sol, reste une partie commune.
Premiere branche
Il est contradictoire de decider, d'une part, que les dix-huitemplacements de parking exterieurs sont privatifs et, d'autre part, quel'assiette des emplacements de parking exterieurs, soit la surface du sol,reste partie commune.
En effet, suivant l'article 544 du Code civil, la propriete est le droitde jouir et disposer des choses de la maniere la plus absolue, pourvuqu'on n'en fasse pas un usage prohibe par la loi. Et, en vertu del'article 552 du Code civil, la propriete du sol emporte la propriete dudessous et du dessus.
La propriete d'un emplacement de parking suppose des lors la propriete dusol propre à servir de parking.
En consequence, l'arret n'a pu, sans se contredire, decider, d'une part, que les emplacements de parking etaient privatifs et restes la proprieteexclusive du promoteur avant d'etre cedes aux defendeurs, ce qui supposaitqu'il conservait la propriete privative du sol destine aux emplacements deparking concernes, et, d'autre part, que la surface du sol restait lapropriete commune des coproprietaires.
Dans cette mesure, les motifs de l'arret sont contradictoires et ladecision n'est pas regulierement motivee (violation de l'article 149 de laConstitution).
Deuxieme branche
Dans ses conclusions additionnelles et de synthese deposees au greffe dela cour d'appel le 29 janvier 2010, la demanderesse faisait valoir que
« IV.4. Les [defendeurs] ne sont proprietaires de rien
S: 1er. - Rappel prealable de la clause litigieuse et notion d'assiette
12. En page 15 de l'acte de base, il est indique que serait privative`l'assiette de l'emplacement de parking tel qu'il sera delimite au sol aumoyen de lignes de peinture ou tout autre moyen de marquage' et il estprecise : `en copropriete et indivision forcee : aucune quotite indivisedes parties communes dans le terrain'.
C'est cette stipulation qui fonde la revendication des [defendeurs].
C'est cette clause, inseree in extremis dans l'acte de base, dans lesconditions rappelees par ailleurs, qui est la cause meme du litige.
13. Cette clause est evidemment quelque peu curieuse, puisque la notiond'assiette se confond en principe avec le terrain, de sorte que le notairequi l'a redigee a ete invite à expliquer ce qu'il y avait entendu.
Il a alors precise, par lettre du 20 avril 2004 :
`Il est donc normal de considerer que l'assiette des emplacements deparking exterieurs reste chose commune. En revanche, le droit principallie à la propriete de ces emplacements de parking, c'est-à-dire leurjouissance, est privative [...]. On peut regretter toutefois, dansl'enumeration de ce texte, le terme d'assiette d'emplacements de parking,dans la mesure ou le terme « delimitation » eut ete plus opportun,puisque l'assiette (terrain) est, en tant que telle, restee commune'.
L'explication est peut-etre encore plus curieuse que la clause expliqueemais il s'en deduit en tout cas clairement :
- que les [defendeurs] ne peuvent pretendre à aucun droit de propriete ;
- que les [defendeurs] disposeraient d'un droit de jouissance exclusive.
Ce que les [defendeurs] ne pourront contester puisqu'ils invoquenteux-memes expressement ce document qui, du reste, emane de leurmandataire.
S: 2. - Inexistence d'un quelconque droit de propriete
14. Il se deduit de la clause rappelee aux paragraphes precedents que lebien litigieux, dont les [defendeurs] revendiquent la propriete, estindividuellement inexistant ; ils ne disposent que d'un droit dejouissance - que l'on s'attachera à qualifier - sur un bien appartenantà autrui, en l'espece le terrain qui appartient aux coproprietaires de laresidence.
Ceci est du reste logique, et la reponse du notaire, pour alambiqueequ'elle soit, etait la seule possible.
En effet :
A. Le droit de propriete ne peut s'appliquer que sur un bien existant
15. Le droit de propriete ne peut s'appliquer que sur un bien. Pour quel'on soit proprietaire d'une chose, il faut que cette chose existe sur unplan juridique.
Un `emplacement de parking' n'est pas un bien en soi : c'est unemplacement, c'est-à-dire une partie de la surface du sol, une partie dusol lui-meme.
S'agissant d'un fonds, l'existence juridique se traduit, necessairement etprealablement, par un acte de division, qui fait d'une partie de lasurface terrestre un fonds. On appelle cela une parcelle.
Aucun acte de division de la parcelle sur laquelle l'immeuble Picasso aete construit n'a jamais eu lieu.
De meme, pour qu'un fonds devienne deux fonds, il faut qu'il soitregulierement divise (Louveaux, Le droit de l'urbanisme, 1999, nDEG 207,p. 237). Il ne suffit pas de le couper en deux par une cloture ou quelqueautre moyen materiel de separation : la separation doit etre juridique.
La `delimitation au sol', par des lignes de peinture, à laquelle les[defendeurs] et le notaire font appel, est, sur un plan juridique,totalement inappropriee.
B. Tout ce qui se trouve sur le terrain, notamment les emplacements deparking, ne peut appartenir qu'au proprietaire du fonds
16. L'article 551 du Code civil enonce que `tout ce qui s'unit ets'incorpore à la chose appartient au proprietaire'.
L'article 552 precise quant à lui que `la propriete du sol emporte lapropriete du dessus et du dessous'.
17. Il n'est pas conteste que la propriete du terrain appartient demaniere indivise aux coproprietaires de la Residence Picasso. Ceci resultetant du paragraphe qui precede que de la lettre du notaire N.
De la combinaison de tout cela, il se deduit necessairement que tout cequi se trouve incorpore au terrain, et donc les emplacements de parkinglitigieux, appartient exclusivement aux coproprietaires de la ResidencePicasso, non aux [defendeurs].
18. Il n'y a, en droit, que deux hypotheses dans lesquelles il pourrait enaller autrement, c'est-à-dire dans lesquelles la propriete de ce qui estbati sur le fonds appartiendrait à une autre personne que le proprietairede ce fonds. Ces deux hypotheses sont les suivantes :
a) L'existence d'un droit reel ou personnel, ou d'une situation de natureà differer l'accession (infra, C);
b) L'existence d'une copropriete organisee par les articles 577-3 etsuivants du Code civil (infra, D, E, F).
Or, comme on va le voir, aucune de ces deux hypotheses n'est rencontreeici.
C. Les [defendeurs] ne disposent pas d'un droit et ne peuvent se prevaloird'une situation de nature à retarder l'accession
19. L'accession, c'est-à-dire l'acquisition par le proprietaire d'unfonds de tout ce qui s'unit de maniere indissoluble à ce fonds, opere demaniere instantanee (De Page, t., nDEG 45, p. 42).
Il n'y a que trois exceptions à cette immediatete :
a) Accession artificielle realisee par un possesseur de mauvaise foi etpour autant que le proprietaire du fonds n'ait pas demande l'enlevementdes constructions ;
b) Existence d'un bail ;
c) Existence d'un droit de superficie.
L'on voit que la situation presente n'entre dans aucun de ces trois cas defigure.
La premiere hypothese n'a pas besoin de developpements. Elle suppose eneffet la coexistence de deux personnes - le proprietaire et celui quiincorpore - et il n'est pas soutenu que les parkings litigieux auraientete construits apres la naissance de la copropriete.
La deuxieme guere davantage : un bail supposerait l'existence d'un contratentre les coproprietaires et les [defendeurs], et le payement d'un loyer.Un tel contrat n'existe pas ici.
Quant à la superficie, elle confere au superficiaire le droit de possederdes batiments, ouvrages ou plantations sur le terrain de la coproprieteet, outre que cet element caracteristique n'est pas present ici, les[defendeurs] reconnaissent (supra, 13) qu'ils ne disposent que d'un droitde jouissance ».
La demanderesse soutenait par ces conclusions que, compte tenu desmentions de l'acte de base, les defendeurs ne pouvaient pretendre disposerd'un droit de propriete sur les emplacements de parking litigieux des lorsqu'il n'est possible de se prevaloir ni d'un droit de propriete sur unespace ouvert au-dessus du sol appartenant à un tiers ni d'un droit reelde superficie portant sur un tel espace ouvert.
L'arret se limite à justifier sa decision en se fondant surl'interpretation de l'acte de base sans repondre à la defense qui etaitainsi developpee et qui demontrait qu'il n'etait legalement pas possiblede reconnaitre l'existence d'un droit de propriete ou d'un autre droitreel sur un espace situe au-dessus du sol alors que ce sol appartenait àun tiers.
Dans cette mesure, l'arret n'est pas regulierement motive et violel'article 149 de la Constitution.
Troisieme branche
Pour decider que les defendeurs sont proprietaires des emplacements deparking litigieux, l'arret constate, d'une part, que le terme« assiette » utilise dans l'acte de base doit ici etre compris comme« la delimitation des emplacements de parking exterieurs, en d'autre motsl'espace à l'interieur duquel se trouvent les parkings » et, d'autrepart, que l'assiette des emplacements proprement dite, c'est-à-dire leterrain, la surface du sol, reste une partie commune.
L'arret admet ce faisant l'existence d'un droit de propriete privatif surun espace ouvert appartenant à certaines personnes situe au-dessus du soldes parkings appartenant à d'autres personnes.
Un droit de propriete privee sur un espace ouvert ne peut se concevoirpuisque, en vertu de l'article 552 du Code civil, la propriete du solemporte la propriete du dessous et du dessus. Le proprietaire du sol estdes lors proprietaire de l'espace situe au-dessus de ce sol.
Si, en vertu des articles 553 à 555 du Code civil et de l'article 1er dela loi du 10 janvier 1824 sur la superficie vises au moyen, on peut danscertaines circonstances etre proprietaire de certains bien materielsimmobiliers se trouvant sur le fonds d'un tiers, un espace ouvert n'estpas un bien materiel immobilier au sens des articles 517 à 525 dudit codeou dudit article 1er de la loi du 10 janvier 1824.
L'arret, qui decide que le sol est une partie commune appartenant à lademanderesse, n'a pu legalement decider que l'espace se trouvantau-dessus de ce sol, à l'interieur duquel se trouveraient les parkings,appartenait aux defendeurs.
En justifiant sa decision par les motifs critiques, l'arret viole lesdispositions visees au moyen, à l'exception de l'article 149 de laConstitution. Plus specialement, il viole :
- la notion legale du droit de propriete (article 544 du Code civil) ;
- les notions de biens immeubles, ainsi d'ailleurs que de biens meubles(articles 517 et suivants du Code civil) ;
- la notion et le regime de la copropriete, en particulier de lacopropriete forcee des immeubles batis (articles 577-2 et 577-3 du Codecivil ; articles 577-4 à 577-14 organisant le regime de la coproprieteforcee, tant dans leur redaction anterieure à la loi du 30 juin 1994modifiant et completant les dispositions du Code civil relatives à lacopropriete que dans leur redaction posterieure à celle-ci) ;
- la notion et le regime du droit de superficie (article 1er de la loi du
10 janvier 1824) ;
- par voie de consequence egalement, le principe general du droit dunumerus clausus des droits reels, tel qu'il est consacre notamment, pourautant que de besoin, par l'article 543 du Code civil et, partant, cetarticle egalement, qui excluent que l'on puisse creer un droit reel - enl'espece une propriete privative - d'une autre nature que celle qui estorganisee et admise par la loi, et sur un autre type de biens que ceuxorganises et admis par la loi, en l'espece un droit reel sur un espaceouvert en l'air.
à l'appui du pourvoi inscrit au role general sous le numero C.12.0606.F,dans la requete en cassation, jointe au present arret en copie certifieeconforme, les demandeurs presentent un moyen.
III. La decision de la Cour
Les pourvois sont diriges contre le meme arret. Il y a lieu de lesjoindre.
Sur le pourvoi inscrit au role general sous le numero C.12.0422.F :
Sur le moyen :
Quant à la troisieme branche :
L'article 552, alineas 1er et 2, du Code civil dispose que la propriete dusol emporte la propriete du dessus et du dessous et que, sauf lesexceptions prevues au titre des servitudes, le proprietaire peut faireau-dessus toutes les plantations et constructions qu'il juge à propos.
Selon l'article 553 du meme code, toutes constructions ou plantations surun terrain sont presumees faites par le proprietaire à ses frais et luiappartenir. L'article 1er de la loi du 10 janvier 1824 sur le droit desuperficie permet de creer un droit reel consistant à avoir desbatiments, ouvrages ou plantations sur un fonds appartenant à autrui.
Il resulte des dispositions precitees qu'un droit de propriete immobilier,distinct de la propriete du sol, ne peut porter que sur des constructions,ouvrages et plantations.
Un espace ouvert au-dessus du sol qui n'est delimite que par des lignes depeinture ou tout autre moyen de marquage au sol ne s'identifie pas à detels ouvrages.
L'arret, qui enonce, d'une part, que « l'assiette des emplacementsproprement dite, c'est-à-dire le terrain, la surface du sol, reste unepartie commune » et, d'autre part, que « les parkings exterieurs doiventetre repris comme parties privatives » correspondant à « l'espace àl'interieur duquel se trouvent les parkings » et delimites par unmarquage au sol, considere que le droit de propriete sur les emplacementslitigieux que s'est reserve le promoteur-constructeur dans l'acte de basea pour objet, non un ouvrage, mais un espace ouvert situe au-dessus du solappartenant en indivision aux coproprietaires.
En reconnaissant au profit des defendeurs l'existence d'un droit depropriete immobilier portant sur un simple espace ouvert situe au-dessusd'un fonds appartenant à autrui, l'arret viole les dispositions legalesprecitees.
Le moyen, en cette branche, est fonde.
Et la demanderesse a interet à ce que le present arret soit declarecommun aux parties appelees à la cause devant la Cour à cette fin.
Sur l'etendue de la cassation :
La cassation de la decision statuant sur le caractere privatif desemplacements de parking exterieurs s'etend aux decisions sur larecevabilite de l'appel de la demanderesse et sur la recevabilite et lefondement de l'appel des parties appelees en declaration d'arret commun.
La cassation s'etend des lors aussi à la decision sur la recevabilite etle fondement de l'appel incident des defendeurs relatif à leur demandereconventionnelle.
Sur le pourvoi inscrit au role general sous le numero C.12.0606.F :
Le pourvoi, qui porte sur la decision statuant sur le fondement de l'appelincident, est sans objet eu egard à la cassation de cette decision sur lepourvoi inscrit au role general sous le numero C.12.0422.F.
Par ces motifs,
La Cour
Joint les pourvois inscrits au role general sous les numeros C.12.0422.Fet C.12.0606.F ;
Casse l'arret attaque ;
Declare le present arret commun à G. T., M. A. F. B., S. D., B. M. et K.H. ;
Ordonne que mention du present arret sera faite en marge de l'arretcasse ;
Rejette le pourvoi inscrit au role general sous le numero C.12.0606.F ;
Reserve les depens des deux pourvois afin qu'il soit statue sur ceux-cipar le juge du fond ;
Renvoie la cause devant la cour d'appel de Liege.
Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president Christian Storck, les conseillers Didier Batsele,Alain Simon, Michel Lemal et Marie-Claire Ernotte, et prononce en audiencepublique du treize septembre deux mille treize par le president ChristianStorck, en presence de l'avocat general Thierry Werquin, avec l'assistancedu greffier Patricia De Wadripont.
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| P. De Wadripont | M.-Cl. Ernotte | M. Lemal |
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| A. Simon | D. Batsele | Chr. Storck |
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13 SEPTEMBRE 2013 C.12.0422.F
C.12.0606.F/21