Cour de cassation de Belgique
Arret
3884
NDEG C.12.0360.F
AG INSURANCE, societe anonyme dont le siege social est etabli àBruxelles, boulevard Emile Jacqmain, 53,
demanderesse en cassation,
representee par Maitre Antoine De Bruyn, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, rue de la Vallee, 67, ou il estfait election de domicile,
contre
1. AXA BELGIUM, societe anonyme dont le siege social est etabli àWatermael-Boitsfort, boulevard du Souverain, 25,
2. MERCATOR ASSURANCES, venant aux droits de la societe anonyme AveroBelgium Insurance, societe anonyme dont le siege social est etabli àAnvers (Berchem), Posthofbrug, 16,
defenderesses en cassation,
representees par Maitre Michel Mahieu, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Watermael-Boitsfort, boulevard du Souverain,36, ou il est fait election de domicile.
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 29 mars 2012par la cour d'appel de Mons.
Le 22 juillet 2013, l'avocat general Andre Henkes a depose des conclusionsau greffe.
Le conseiller Michel Lemal a fait rapport et l'avocat general Andre Henkesa ete entendu en ses conclusions.
II. Les moyens de cassation
La demanderesse presente quatre moyens libelles dans les termes suivants :
Premier moyen
Disposition legale violee
Article 149 de la Constitution
Decisions et motifs critiques
L'arret declare les demandes des defenderesses fondees et condamne lademanderesse à leur payer la somme de 434.264,32 euros, augmentee desinterets moratoires depuis le 18 avril 1997 et des depens, aux motifssuivants :
« Les relations personnelles ne sont pas necessairement à exclure ducadre de la vie privee, c'est en effet ce que la Cour europeenne desdroits de l'homme a decide dans son arret du 16 decembre 1992, Niempetz c/Allemagne :
`Il parait en outre n'y avoir aucune raison de principe de considerercette maniere de comprendre la notion de « vie privee » comme excluantles activites professionnelles ou commerciales : apres tout, c'est dansleur travail que la majorite des gens ont beaucoup, voire le maximumd'occasions de resserrer leurs liens avec le monde exterieur. Un fait,souligne par la Commission, le confirme : dans les occupations dequelqu'un, on ne peut pas toujours demeler ce qui releve du domaineprofessionnel de ce qui en sort. Specialement, les taches d'un membred'une profession liberale peuvent constituer un element de sa vie à un sihaut degre que l'on ne saurait dire en quelle qualite il agit à un momentdonne' (S: 29).
Il decoule de ces nombreuses approches que la vie privee doit etreentendue dans un sens large et qu'elle peut s'inserer dans le cadre memedes activites professionnelles, des lors que les faits soumis à l'examenne decoulent pas de ladite activite professionnelle en soi.
Il s'ensuit que toute interpretation extensive que [la demanderesse]voudrait donner à la notion de vie professionnelle doit etre ecartee etque le fait de bouter le feu à un batiment à l'aide d'allumettes et depapier ne peut etre considere comme decoulant de l'activiteprofessionnelle, comme l'a admis à bon droit le premier juge ».
Griefs
Dans ses conclusions de synthese et d'appel, la demanderesse avaitsoutenu:
« Qu'exactement à l'inverse de ce que soutiennent les [defenderesses],les termes `est exclue la responsabilite decoulant d'une activiteprofessionnelle', figurant dans l'arrete royal, et `nous vous assurons[...] dans le cadre de votre vie privee', figurant dans l'article 1er dela police d'assurance, impliquent une analyse systemique globale etraisonnable de ces notions et non un `saucissonnage artificiel' del'activite humaine ;
Que, d'ailleurs, de facto, les [defenderesses] ont toujours admis quemonsieur M. se trouvait bien au moment des faits dans le cadre de sa vieprofessionnelle et non pas dans le cadre de sa vie privee ;
Qu'in concreto, la veritable cause de l'acte fautif dommageable commis parmonsieur M. se trouve dans son activite professionnelle ».
En exposant dans les motifs rappeles ci-dessus que les relationsprofessionnelles ne sont « pas necessairement » à exclure « ducadre de la vie privee » et que la vie privee doit etre entendue dans unsens large des lors que la vie privee « peut » s'inserer dans le cadrememe des activites professionnelles, l'arret ne repond pas aux conclusionsde la demanderesse qui soutenaient que ne peut etre considere comme unacte de la vie privee, meme au sens large, l'acte dont « la cause setrouve dans l'activite professionnelle » de son auteur.
Il s'ensuit que l'arret n'est pas regulierement motive en ce qu'il nerepond pas à une defense circonstanciee des conclusions de lademanderesse.
Les mots « pas necessairement » ne signifient pas qu'un acte qui nereleve pas de l'exercice de l'activite professionnelle est necessairementun acte de la vie privee ne trouvant pas sa cause dans l'activiteprofessionnelle.
Deuxieme moyen
Dispositions legales violees
* articles 1er, 2 et 6, 1DEG, de l'arrete royal du 12 janvier 1984 (modifie par l'arrete royal du 24 decembre 1992) determinant lesconditions minimales de garantie des contrats d'assurance couvrant laresponsabilite civile extracontractuelle relative à la vie privee,l'article 1er tant avant qu'apres sa modification par l'arrete royaldu 24 decembre 1992 ;
* articles 1134, 1135, 1156, 1319, 1320 et 1322 du Code civil.
Decisions et motifs critiques
L'arret rejette la defense de la demanderesse objectant que l'incendielitigieux « decoule de l'activite professionnelle de J.-M. M. », qu'iln'est « pas du ressort de la vie privee » et n'est donc « passusceptible d'etre couvert par la demanderesse, assureur `responsabilitecivile vie privee' » et, par voie de consequence, condamne lademanderesse à payer à chacune des defenderesses, assureurs incendie dela victime (l'abbaye de S.) et subrogees dans les droits de cettederniere, la somme de 434.264,32 euros, augmentee des interets moratoireset judiciaires et des depens des deux instances, aux motifs suivants :
« La [demanderesse] fait valoir que, selon les aveux de celui-ci,[l'assure de la demanderesse] aurait commis l'incendie du 18 avril 1997avant la fin de ses prestations professionnelles et que, des lors que lesinistre a ete commis dans le cadre de la vie professionnelle, il n'estpas couvert par l'assurance `vie privee' garantie par ses soins.
Elle fonde son argumentation sur la definition de la `vie privee' tellequ'elle figure au lexique, page 13 des conditions generales de la policed'assurances, selon laquelle sont couverts `tous les faits, actes ouomissions, à l'exclusion de ceux qui decoulent d'une activiteprofessionnelle'.
La police d'assurance enonce : `Ce contrat comprend la garantie legale dela responsabilite civile « vie privee » conforme aux arretes royaux du12 janvier 1984 et du 24 decembre 1992. [La demanderesse] completegratuitement cette garantie legale minimum en y ajoutant des extensions degarantie'.
En vertu de l'article 2 de l'arrete royal [du 12 janvier 1984], le contratforme couvre les assures au moins conformement aux conditions minimales degaranties determinees par ledit arrete royal.
L'article 19bis, S: 1er, de la loi du 9 juillet 1975 relative au controledes entreprises d'assurances precise que toute clause et tous accords quine sont pas conformes à ses dispositions ou aux arretes et reglementspris pour son execution sont censes avoir ete etablis des la conclusion ducontrat en conformite avec ces dispositions.
Il se deduit de celles-ci que la couverture de la responsabilite civileextracontractuelle relative à la vie privee ne peut etre,contractuellement, plus restrictive que la couverture legale envisagee parl'arrete royal du 12 janvier 1984.
Il convient donc de s'en referer aux conditions minimales de garantiesprevues par ce dernier.
L'article 1er dans sa version originale stipulait : `Pour l'applicationdu present arrete, on entend par « responsabilite civileextracontractuelle relative à la vie privee » la responsabiliteresultant des articles 1382 jusque et y compris l'article 1386bis du Codecivil et de dispositions analogues de droit etranger. Est exclue laresponsabilite decoulant d'une activite professionnelle, à l'exceptiontoutefois de celle qui resulte de deplacements professionnels'.
La derniere phrase de cette disposition a ete purement et simplementsupprimee par l'arrete royal du 24 decembre 1992. Il ne peut toutefois enetre deduit que le Roi a voulu etendre son champ d'application.
Il resulte du texte originaire de la disposition dont question que ce quel'on oppose à la vie privee n'est point la vie professionnelle maisl'exercice d'une activite professionnelle ; ces termes sont repris telsquels dans la definition de la vie privee aux conditions generales de la[demanderesse] : `tous les faits, actes ou omissions, à l'exclusion deceux qui decoulent d'une activite professionnelle'.
Des termes memes de la police litigieuse, il se deduit quel'interpretation de la notion de vie privee doit etre entendue de manierelarge, tandis que les restrictions à son application ne visent que `lesactivites professionnelles' et non la `vie professionnelle'. [...]
Les relations professionnelles ne sont pas necessairement à exclure ducadre de la vie privee. [...]
Il decoule de ces nombreuses approches que la vie privee doit etreentendue dans un sens large et qu'elle peut s'inserer dans le cadre memedes activites professionnelles, des lors que les faits soumis à l'examenne decoulent pas de ladite activite professionnelle en soi ».
Griefs
Monsieur E. M., pere de J.-M. M., a souscrit le 16 fevrier 1993 aupres dela demanderesse un contrat d'assurance « Responsabilite civile familiale».
Suivant l'article 1er des conditions generales de ce contrat, l'objet dela garantie due par la demanderesse est le suivant :
« Nous vous assurons lorsque vous devez reparer un dommage cause à untiers dans le cadre de la vie privee et en dehors de tout contrat :
- soit parce que vous etes personnellement responsable en raison d'unefaute, d'une negligence ou d'une imprudence (articles 1382 et 1383 du Codecivil) ;
- soit parce que vous etes tenu pour responsable du dommage cause par lefait des personnes dont vous devez repondre, telles que vos enfants ...(article 1384, alineas 2 et 3, du Code civil) ;
(...) - soit parce qu'un assure est tenu pour responsable bien qu'il soitdans un etat grave de desequilibre mental ou de debilite mentale (article1386bis du Code civil).
Selon l'article 2 des conditions generales, sont assurees « toutes lespersonnes vivant au foyer du preneur d'assurance ».
Il n'est pas conteste qu'en 1997, lorsqu'il a boute le feu à desbatiments de l'abbaye de S., brasserie de ..., J.-M. M. vivait chez sonpere et avait donc la qualite d'assure selon la police responsabilitecivile familiale « Vie privee » souscrite par son pere.
Il n'est pas non plus conteste que cette police est conforme à lagarantie legale de responsabilite civile « Vie privee » telle qu'elleest organisee par l'arrete royal du 12 janvier 1984 determinant desconditions minimales de garantie des contrats d'assurance couvrant laresponsabilite civile extracontractuelle « relative à la vie privee »(cf. à ce sujet la rubrique
« Preambule » des conditions generales de la police).
L'article 2 de l'arrete royal du 12 janvier 1984 dispose que : « lecontrat d'assurance souscrit (...) en couverture de la responsabilitecivile extracontractuelle relative à la vie privee couvre les assures aumoins conformement aux conditions minimales de garanties determinees parle present arrete ».
Avant sa modification par un arrete royal du 24 decembre 1992, l'article1er de l'arrete royal du 12 janvier 1984 precisait qu'il y a lieud'exclure du concept « responsabilite civile relative à la vie privee » la responsabilite decoulant d'une activite professionnelle. Ainsi quel'admet l'arret, il ne peut se deduire de la suppression de cetteprecision que le Roi a voulu etendre le champ d'application de l'arreteroyal du 12 janvier 1984 concernant l'assurance de la responsabilite « relative à la vie privee ». Il reste ainsi acquis que la policelitigieuse, par hypothese conforme aux dispositions de l'arrete royal du12 janvier 1984, ne couvre pas la responsabilite decoulant d'une activiteprofessionnelle.
Ceci est encore confirme par la definition donnee aux mots
« vie privee » par les conditions generales de la police (cf. larubrique
« Lexique », p. 13) : « par `vie privee', il faut entendre `tousles faits, actes ou omissions, à l'exclusion de ceux qui decoulent del'exercice d'une activite professionnelle' ».
L'exclusion de tous actes decoulant de l'exercice d'une activiteprofessionnelle au sens large est indirectement confirmee par l'article 6,1DEG, de l'arrete royal precite du 12 janvier 1984 qui dispose que peuventetre exclus de la garantie « les dommages decoulant de la responsabiliteextracontractuelle soumise à une assurance legale rendue obligatoire »,ainsi que par l'article 15, 6, de la police d'assurance litigieuse envertu de laquelle la demanderesse n'assure pas « les dommages decoulantde la responsabilite civile soumise à une assurance legalementobligatoire ».
Dans la mesure ou, selon l'article 18 de la loi du 3 juillet 1978 relativeaux contrats de travail, le travailleur ne repond pas, sauf fautecaracterisee, des dommages causes à l'employeur ou à des tiers dansl'execution de son contrat de travail, sa responsabilite civile decoulantd'un acte delictueux commis dans l'execution de son contrat de travaildoit etre consideree comme couverte par une autre assurance que celle dela « vie privee » souscrite aupres de la demanderesse.
En l'occurrence, bien qu'il admette que J.-M. M. a commis l'incendie du 18avril 1997 avant la fin de ses « prestations professionnelles » auservice de l'association sans but lucratif « Abbaye de S. », l'arretjuge que, puisque ce fait ne relevait pas de « l'exercice de l'activiteprofessionnelle », il devait etre considere comme relevant de la vieprivee.
« Il resulte du texte originaire de [l'article 1er de l'arrete royal du
12 janvier 1984] que ce que l'on oppose à la vie privee n'est point lavie professionnelle mais l'exercice d'une activite professionnelle ; cestermes sont repris tels quels dans la definition de la vie privee auxconditions generales de la [demanderesse] : `tous les faits, actes ouomissions, à l'exclusion de ceux qui decoulent d'une activiteprofessionnelle' ».
Contrairement à ce qu'affirme l'arret, le fait commis « dans l'exercicede l'activite professionnelle de l'assure » ou, pour reprendre lestermes de l'arret, qui « decoulent de ladite activite professionnelle ensoi » n'est pas synonyme des termes qui excluent de la definition de lavie privee dont question dans l'arrete royal du 12 janvier 1984 et dansles conditions generales de la police litigieuse « les faits quidecoulent (de l'exercice) d'une activite professionnelle » ou d'uneresponsabilite « soumise à une assurance legalement obligatoire ».
Autrement dit, de ce qu'un fait ne rentre pas dans l'exercice del'activite professionnelle en soi de l'assure, il ne peut se deduire qu'ilest
« relatif à la vie privee » au sens de l'arrete royal du 12 janvier1984 ou, pour reprendre les termes de l'article 1er de cet arrete dans saversion initiale, qu'il ne decoule pas de l'activite professionnelle del'assure.
De meme, un acte qui n'a pas ete commis dans l'exercice de l'activiteprofessionnelle en soi de l'assure n'est pas pour autant un acte commis «dans le cadre de la vie privee » au sens de l'article 1er des conditionsgenerales de la police souscrite par E. M. ni un acte qui « ne decoulepas de l'exercice d'une activite professionnelle » comme defini à lapage 13 des conditions generales de la police ou un acte non couvert parune assurance legalement obligatoire (article 15, 6, de la police).
Selon les termes memes de la police, seuls sont couverts les dommagescauses « dans le cadre de la vie privee » et « en dehors de toutcontrat ».
En vertu de l'article 1156 du Code civil, on doit dans les conventionsrechercher quelle a ete la commune intention des parties contractantesplutot que de s'arreter au sens litteral des termes.
Concretement, l'incendie ou les incendies provoques par J.-M. M. chez sonemployeur dans le cadre de sa « vie professionnelle », selon l'arret,mais en dehors de l'exercice de l'activite professionnelle en soi, ne sontpas et ne peuvent pas etre des actes relatifs à la « vie privee » ausens de l'arrete royal du 12 janvier 1984 ou commis dans le cadre de lavie privee en dehors de tout contrat (article 1er des conditions generalesde la police).
Ils decoulent en effet de l'activite professionnelle de J.-M. M. en cesens qu'ils ont ete commis chez l'employeur, au detriment de l'employeur,pendant les heures ou J.-M. M. etait au service de l'employeur, sanscompter qu'ils sont lies aux rapports contractuels que J.-M. M. entretenaient avec son employeur (cf. à ce sujet les conclusions desynthese d'appel de la demanderesse, page 6 : « Audition de MonsieurJ.-M. M. le 4 juin 1997 à 9h52 : `J'ai mis le feu car j'avais demande depouvoir travailler à temps plein mais cela m'avait ete refuse malgreplusieurs demandes' »).
Premiere branche
Il s'ensuit qu'en decidant que la demanderesse doit en vertu de l'arreteroyal du 12 janvier 1984 precite indemniser les defenderesses pour lesdommages causes par les incendies boutes par monsieur J.-M. M., l'arretviole l'arrete royal du 12 janvier 1984, ses articles 1er, 2 et 6, 1DEG,plus specialement, determinant les conditions d'application des contratsd'assurance de la responsabilite civile extracontractuelle « relative àla vie privee » et excluant de la garantie « vie privee » lesdommages « decoulant d'une activite professionnelle » (article 1erdans sa version initiale) ou soumis à une assurance legalementobligatoire (article 6, 1DEG).
Deuxieme branche
En considerant qu'il se deduit de la definition donnee au concept de« vie privee » à la page 13 des conditions generales de la policelitigieuse que les termes « tous les faits, actes ou omissions, àl'exclusion de ceux qui decoulent de l'exercice d'une activiteprofessionnelle », englobent les actes commis dans le cadre de la vieprofessionnelle à la seule exception de ceux relevant de l'exercice del'activite professionnelle en soi, l'arret donne de cette clause ainsi quede l'article 1er des conditions generales de la police stipulant quel'assurance couvre les dommages causes à un tiers « dans le cadre de lavie privee » de l'assure une interpretation qui ne tient pas compte dela volonte clairement exprimee par les parties au contrat d'exclure de lagarantie les dommages causes par l'assure en dehors du « cadre de la vieprivee » et couverts par une assurance de la responsabilite civilelegale (violation de l'article 1156 du Code civil) et qui, au surplus,confere aux mots « dans le cadre de la vie privee » et qui « decoule» de l'exercice d'une activite professionnelle une significationincompatible avec le sens usuel de ces mots, en violation de la foi quileur est due (violation des articles 1319, 1320 et 1322 du Code civil).
Troisieme branche
Enfin, en condamnant la demanderesse à indemniser les defenderesses pourles dommages causes chez son employeur par J.-M. M. bien qu'en vertu ducontrat conclu avec E. M., la demanderesse ne doive couvrir que lesdommages causes « dans le cadre de la vie privee » de J.-M. M.,l'arret viole la force obligatoire de ce contrat, plus specialement del'article 1er des conditions generales stipulant que l'assurance couvre ledommage cause à un tiers « dans le cadre de la vie privee et en dehorsde tout contrat » (violation des articles 1134 et 1135 du Code civil).
Troisieme moyen
Dispositions legales violees
Article 18, alineas 1er et 2, de la loi du 3 juillet 1978 relative auxcontrats de travail
Decisions et motifs critiques
L'arret, sans rejeter 1'applicabilite de l'article 18 de la loi du 3juillet 1978 exonerant le travailleur de sa responsabilite en cas dedommages causes à l'employeur, refuse neanmoins d'exonerer monsieurJ.-M. M. et condamne la demanderesse à verser aux defenderesses la sommede 434.264,32 euros, soit les indemnites qu'elles ont payees àl'employeur de J.-M. M. pour ces dommages, aux motifs suivants :
« A supposer que 1'article 18 de la loi du 3 juillet 1978 sur le contratde travail puisse trouver à s'appliquer ici en raison de l'existenced'un contrat de travail, la question se pose precisement de savoir sicette immunite civile du travailleur (hormis les cas de fautescaracterisees) couvre egalement un travailleur dont il est reconnu, envertu de l'article 1386bis du Code civil, qu'il n'a pu commettre defaute.
S'il n'a pu commettre de faute, l'employeur ne pourrait demontrer le casde faute caracterisee (c'est-à-dire faute lourde ou fautes legereshabituelles) dans 1'execution de son contrat de travail afin de s'exonerer de sa responsabilite.
Monsieur J.-M. M. n'a pas commis de faute au sens de l'article 1382 duCode civil, l'element intentionnel, à savoir le controle de ses actions,faisant ici defaut.
Toutefois, l'article 1386bis concerne sans aucun doute la responsabilite personnelle des dements et anormaux, à savoir tous les cas ou ils seseraient vu opposer les articles 1382 et 1383 du Code civil s'ils avaientete capables de discernement [...].
L'acte commis par Monsieur J.-M. M. doit donc etre qualified'objectivement illicite, c'est-à-dire qu'il serait considere commefautif si l'auteur de cet acte etait doue de discernement.
Rien n'empeche des lors, par analogie, d'examiner si l'acte objectivementillicite n'est pas un acte objectivement illicite caracterise et de leconsiderer comme un acte objectivement illicite `lourd' au sens de l'article 18 de la loi du 3 juillet 1978 sur le contrat de travail.
En l'espece, l'acte objectivement illicite commis par Monsieur J.-M. M.constitue donc un acte objectivement illicite `lourd' qui, au regard de 1'article 18 de la loi du 3 juillet 1978, maintient la responsabilitecivile du travailleur.
Par consequent, la [demanderesse] n'est pas fondee à refuser sonintervention sur la base de cette disposition legale ».
Griefs
L'article 18 de la loi du 3 juillet 1978 dispose, en son alinea 1er,
« qu'en cas de dommages causes par le travailleur à l'employeur ou àdes tiers dans l'execution de son contrat, le travailleur ne repond quede son dol ou de sa faute lourde » et, en son alinea 2, « qu'il nerepond de sa faute legere que si celle-ci presente dans son chef un caractere habituel plutot qu'accidentel ».
En bref, comme le dit 1'arret, hormis les cas de fautes caracterisees, letravailleur ne repond pas des dommages causes à son employeur.
Il s'ensuit qu'en condamnant la demanderesse à indemniser lesdefenderesses pour les dommages causes par les incendies à l'abbaye deS., bien qu'il ait constate que ces incendies n'etaient pas dus à des fautes caracterisees de Monsieur J.-M. M. mais à un acte objectivementillicite lourd, l'arret viole l'article 18 de la loi du 3 juillet 1978precite.
Quatrieme moyen
Dispositions legales violees
Articles 1134, 1135, 1319, 1320, 1322 et 1386bis du Code civil
Decisions et motifs critiques
L'arret declare les demandes des defenderesses fondees et condamne lademanderesse à leur payer la somme de 434.264,32 euros, augmentee desinterets moratoires depuis le 18 avril 1997 et des depens, aux motifsque :
« Le caractere intentionnel du sinistre est une clause d'exclusion de lagarantie dont la charge de la preuve repose sur l'assureur.
Il appartient donc à [la demanderesse] de demontrer qu'au moment dusinistre, monsieur J.-M. M. disposait de son libre arbitre.
Une partie de la jurisprudence estime que l'etat de desequilibre mentaldans lequel se trouvait l'auteur au moment des faits n'exclut pas qu'ilait commis une faute intentionnelle justifiant le refus de la couvertured'assurance, au sens de l'article 8, alinea 1er, de la loi du 25 juin1992 sur le contrat d'assurance terrestre. Bien que, chez le dement, lavolonte ne soit pas toujours libre, la resolution de commettre un actepeut s'etre formee dans l'esprit de l'auteur pour determiner son acte etetre decelee par les circonstances dans lesquelles l'acte a ete accompli.Le grave desequilibre mental n'exclut donc pas necessairement l'intentionou la volonte de commettre un acte dommageable. (...).
Cette solution parait bien discutable quand on la rapporte aux enseignements du droit penal. Elle parait en effet confondre dans un meme elan intention et libre arbitre, dol et imputabilite. La fauteintentionnelle suppose, comme toute faute, qu'elle ait ete commiselibrement et consciemment. Cet element doit cependant etre distingue dela resolution criminelle ou delictueuse. L'existence de la resolution decommettre un acte n'efface pas l'exigence du discernement sans lequel ilne saurait y avoir d'imputabilite ni de faute. A defaut de demontrer quele dement a commis l'acte dommageable dans un intervalle de lucidite, ilne saurait donc etre question de faute intentionnelle.
La Cour de cassation a confirme ce point de vue dans un arret du
12 fevrier 2008. Lorsqu'il est etabli au penal que l'inculpe se trouvait,au moment des faits, dans un etat grave de desequilibre mental le rendantincapable de controler ses actes, de sorte que le juge l'acquitte sur labase de la cause d'excuse prevue à l'article 71 du Code penal, ceciexclut absolument que l'auteur acquitte a cause le sinistreintentionnellement au sens de l'article 8, alinea 1er, de la loi du 25juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre (B. Dubuisson et autres,'La responsabilite civile - Chronique de jurisprudence 1996-2007 - VolumeI : Le fait generateur et le lien causal', Les dossiers du J.T., nDEG74, pp. 79 et 80).
Il y a lieu de distinguer entre le caractere volontaire de la commissionde l'acte objectivement illicite et le caractere intentionnel. Sil'auteur qui se trouvait au moment des faits en etat grave dedesequilibre mental a exerce sa volonte de commettre de tels faits et amis en oeuvre certains moyens pour y parvenir, il n'a pu, s'il setrouvait en cet etat de desequilibre mental grave, avoir sciemment voulules commettre : il n'avait pas la capacite de controler ses actions. Unindice de ce defaut de capacite se trouvera dans les mobiles farfelus del'auteur.
L'article 1386bis du Code civil prevoit trois cas d'alteration desfacultes mentales : la demence, l'etat grave de desequilibre mental et ladebilite mentale, qui rendent la personne concernee incapable du controlede ses actions ».
Griefs
Ainsi que le rappelle l'arret, l'article 15.1 des conditions generalesde la police souscrite par le pere de monsieur J.-M. M. exclut de lagarantie les dommages decoulant de la responsabilite civileextracontractuelle de l'assure en tant qu'auteur d'un fait intentionnel.
Contrairement à ce que decide l'arret, le fait intentionnel, qui ne seconfond pas avec la faute intentionnelle, ne suppose pas un fait commislibrement et consciemment.
En effet, le fait commis lorsque son auteur est dans un etat de demenceou dans un etat grave de desequilibre mental au sens de l'article 1386bisdu Code civil n'exclut pas l'intention ou la volonte de commettre cefait.
Autrement dit, un tel fait reste un fait intentionnel. Si la volonte demonsieur J.-M. M. n'etait pas libre en raison de son etat mental et esten consequence elusive de toute responsabilite penale, il ne peutneanmoins etre conteste que monsieur J.-M. M. a agi avec l'intention debouter le feu aux batiments de son employeur et qu'il a donc commis unfait intentionnel au sens de l'article 15.1 precite des conditionsgenerales du contrat d'assurance litigieux.
Il s'ensuit qu'en decidant le contraire, l'arret, tout à la fois, donnede la clause qui exclut de la garantie le fait intentionnel vise àl'article 15.1. des conditions generales de la police un sensincompatible avec son sens normal et sa portee (violation des articles 1319, 1320 et 1322 du Code civil), ne respecte pas la force obligatoirede cette clause (violation des articles 1134 et 1135 du Code civil) etfait une application non legalement justifiee de l'article 1386bis duCode civil (violation de cette disposition).
III. La decision de la Cour
Sur le premier moyen :
Par les considerations reproduites dans le moyen, l'arret repond, en lescontredisant, aux conclusions de la demanderesse soutenant qu'un acte dontla cause se trouve dans l'activite professionnelle de son auteur ne peutetre considere comme un acte de la vie privee.
Le moyen manque en fait.
Sur le deuxieme moyen :
Quant à la premiere branche :
L'article 1er de l'arrete royal du 12 janvier 1984 determinant lesconditions minimales des contrats d'assurance couvrant la responsabilitecivile extracontractuelle relative à la vie privee, dans sa versionapplicable aux faits, dispose que, pour l'application dudit arrete, onentend par responsabilite civile extracontractuelle relative à la vieprivee la responsabilite resultant des articles 1382 jusque et y compris1386bis du Code civil et de dispositions analogues de droit etranger.
Il suit de cette disposition que le risque assure est la responsabiliteextracontractuelle que l'assure peut encourir en dehors de l'exercice deson activite professionnelle.
L'arret constate que les conditions generales de la police d'assurancelitigieuse definissent les actes de la vie privee comme etant « tous lesfaits, actes ou omissions, à l'exclusion de ceux qui decoulent del'exercice d'une activite professionnelle ».
Il considere qu'il se deduit des termes de cette definition que« l'interpretation de la notion de vie privee doit etre entendue demaniere large » et que « les restrictions à son application ne visentque `les activites professionnelles' et non `la vie professionnelle' ».
Il considere qu'il en decoule « que la vie privee doit etre entendue dansun sens large et qu'elle peut s'inserer dans le cadre meme des activitesprofessionnelles, des lors que les faits soumis à l'examen ne decoulentpas de ladite activite professionnelle en soi », et qu'« il s'ensuit quetoute interpretation extensive que [la demanderesse] voudrait donner à lanotion de vie professionnelle doit etre ecartee et que le fait de bouterle feu à un batiment à l'aide d'allumettes et de papier ne peut etreconsidere comme decoulant de l'activite professionnelle ».
Sur la base de ces enonciations, l'arret a pu legalement decider que « lefait litigieux qui est reproche à monsieur J.-M. M. entre donc dans lechamp d'application de la police d'assurance ».
Le moyen, en cette branche, ne peut etre accueilli.
Quant aux deuxieme et troisieme branches reunies :
Le juge apprecie souverainement la portee d'une convention en tenantcompte de l'intention commune des parties.
Il ne suit pas de la circonstance qu'elle interprete la convention demaniere litterale que la cour d'appel n'a pas recherche quelle etaitl'intention commune des parties.
Pour le surplus, par les enonciations reproduites dans la reponse à lapremiere branche du moyen, l'arret considere qu'il se deduit de la clausedes conditions generales de la police d'assurance litigieuse definissantla notion de vie privee que la notion de vie privee doit etre entendue demaniere large et que seuls les actes qui decoulent de l'activiteprofessionnelle sont exclus du champ d'application de la policed'assurance.
Ainsi, l'arret donne de cette clause une interpretation qui n'est pasinconciliable avec ses termes et, dans cette interpretation, lui reconnaitles effets qu'elle a legalement entre les parties.
Le moyen, en ces branches, ne peut etre accueilli.
Sur le troisieme moyen :
La limitation de responsabilite de l'article 18, alinea 1er, de la loi du
3 juillet 1978 relative au contrat de travail ne s'applique qu'auxdommages causes par le travailleur dans l'execution de son contrat.
Par les motifs vainement critiques par le deuxieme moyen, l'arretconsidere que les faits commis par l'assure de la demanderesse n'ont pasete commis dans l'exercice de son activite professionnelle.
Il s'ensuit que l'article 18, alinea 1er, precite n'est pas applicable àl'espece.
Le moyen, qui, fut-il fonde, ne saurait entrainer la cassation, estirrecevable.
Sur le quatrieme moyen :
L'arret considere que « le caractere intentionnel du sinistre est uneclause d'exclusion de la garantie dont la charge de la preuve repose surl'assureur » et qu'il appartient à la demanderesse, qui « soutientqu'au moment des faits et nonobstant la decision d'internement prononceepar la chambre du conseil de Charleroi le 11 juillet 1997, monsieur J.-M.M. disposait de son libre arbitre et d'une volonte suffisante pour donnerà son acte un caractere intentionnel », « de demontrer qu'au moment dusinistre, monsieur J.-M. M. disposait de son libre arbitre ».
Il considere egalement, par une appreciation qui git en fait, qu' « ildecoule bien des analyses que 1'etat dont souffre monsieur J.-M. M. estune debilite, c'est-à-dire un retard mental, plutot qu'une affectionpathologique du psychisme », que « les declarations de monsieur M. sontnettement plus confuses [que ce qu'en dit l'expert de la demanderesse] »,qu' « en effet, s'il parle bien de vengeance à plusieurs reprises, ilrelate egalement d'autres motivations et qu'il n'est pas evident dedeterminer laquelle a prevalu au moment de la realisation de l'acte, sitoutefois une motivation a prevalu », que « monsieur J.-M. M. n'aclairement pas une relation normale à la realite, qu'il ne se rend pascompte des consequences de ses actes et que ses motivations sontnebuleuses, qu'il parle tantot de vengeance, tantot de donner du travailà tout le monde et de mission divine » et que, « bien que volontaire,le fait dommageable ne peut etre considere comme ayant ete commisintentionnellement ».
Ainsi, l'arret donne de la clause des conditions generales de la policed'assurance, selon laquelle elle n'assure pas les dommages decoulant de laresponsabilite civile extracontractuelle de l'assure en tant qu'auteurd'un fait intentionnel, une interpretation qui n'est pas inconciliableavec ses termes et, dans cette interpretation, lui reconnait les effetsqu'elle a legalement entre les parties.
Pour le surplus, le moyen fait grief à l'arret de considerer qu'en raisonde l'alteration de ses facultes mentales, le fait commis par l'assure dela demanderesse n'a pas un caractere intentionnel.
Ce grief est etranger à l'article 1386bis du Code civil dont la violationest invoquee.
Le moyen ne peut etre accueilli.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux depens.
Les depens taxes à la somme de mille vingt-six euros quatre-vingt-septcentimes envers la partie demanderesse et à la somme de cent trente et uneuros vingt-quatre centimes envers les parties defenderesses.
Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Albert Fettweis, les conseillers DidierBatsele, Martine Regout, Michel Lemal et Marie-Claire Ernotte, et prononceen audience publique du six septembre deux mille treize par le presidentde section Albert Fettweis, en presence de l'avocat general Andre Henkes,avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.
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| P. De Wadripont | M.-Cl. Ernotte | M. Lemal |
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| M. Regout | D. Batsele | A. Fettweis |
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6 SEPTEMBRE 2013 C.12.0360.F/4