Cour de cassation de Belgique
Arret
NDEG C.12.0476.N
K. D. R.,
Me Willy van Eeckhoutte, avocat à la Cour de cassation,
contre
T. D.
I. la procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 17 avril 2012par la cour d'appel d'Anvers.
Le conseiller Bart Wylleman a fait rapport.
L'avocat general Christian Vandewal a conclu.
II. le moyen de cassation
Le demandeur presente un moyen libelle dans les termes suivants :
Dispositions legales violees
- article 149 de la Constitution ;
- articles 221, alinea 1er, 1405, 1DEG, 1432 et 1435 du Code civil ;
- principe general du droit suivant lequel nul ne peut s'enrichir sanscause au detriment d'autrui, tel que consacre notamment aux articles 1235,1376 et 1377 du Code civil.
Decisions et motifs critiques
Dans l'arret attaque, la cour d'appel declare l'appel du demandeur nonfonde et decide qu'il y a lieu de suivre la these du notaire relative àl'immeuble situe à Ramsel et que le demandeur est notamment redevableenvers la communaute d'une recompense à concurrence de la valeur actuellede la construction, deduction faite des factures anterieures au mariage.La cour d'appel fonde cette decision sur toutes les constatations et tousles motifs qui sont consideres etre integralement repris, et specialementles suivants :
« l'immeuble situe à Ramsel, (...)
1. Le notaire de la masse affirme que le demandeur doit payer unerecompense au patrimoine commun à concurrence de la valeur desconstructions telle qu'estimee par le geometre Van Dun à 162.000 euros,mais deduction faite de la valeur des factures payees avant le mariage,soit 5.387,05 euros.
2. Le demandeur a achete l'habitation le 26 septembre 1989, soit avant lemariage. L'habitation est, des lors, un bien propre. Il n'est pas contesteque les constructions erigees par la suite sont aussi des biens proprespar accession. L'habitation a ensuite ete presqu'entierement detruite,sous reserve d'un seul mur, et entierement reconstruite. (...)
Il s'ensuit qu'il est etabli que la majeure partie des travaux a eteeffectuee durant le mariage.
3. Les factures concernent principalement l'achat de materiaux deconstruction. Les efforts du demandeur, qui manifestement a choisid'effectuer une grande partie des travaux lui-meme, doivent etreconsideres, à partir de la date du mariage, comme une participation auxcharges communes, de sorte que le fruit de ces efforts est commun. (...)
5. Les factures payees au moyen de fonds communs ont trait à des travauxqui ont en tout cas servi à l'amelioration de l'immeuble. Cela vaut aussipour les travaux de l'epoux bricoleur qui a ainsi realise une plus-valueà un bien propre.
La regle de la plus-value de l'article 1435 du Code civil est, des lors,bien applicable.
6 Il y a, des lors, lieu de suivre la these du notaire, à savoir qu'unerecompense est due pour la valeur actuelle de la construction, deductionfaite des factures anterieures au mariage ».
Griefs
1. Premiere branche
Aux termes de l'article 1405, 1DEG, du Code civil, sont communs lesrevenus de l'activite professionnelle de chacun des epoux, tous revenus ouindemnites en tenant lieu ou les completant, ainsi que les revenusprovenant de l'exercice de mandats publics ou prives.
En vertu de cette disposition les fruits de la force de travail des epouxsont communs, quelle qu'en soit la manifestation.
Conformement à l'article 1432 du Code civil, il est du recompense parchaque epoux à concurrence des sommes qu'il a prises sur le patrimoinecommun pour acquitter une dette propre et, generalement, toutes les foisqu'il a tire un profit personnel du patrimoine commun.
Ce droit à recompense se fonde sur la theorie de l'enrichissement sanscause.
Un transfert patrimonial est sans cause lorsqu'il n'y a pas de fondementjuridique à l'appauvrissement d'un patrimoine et à l'enrichissement del'autre.
En vertu de l'article 1435 du Code civil, la recompense ne peut etreinferieure à l'appauvrissement du patrimoine creancier. Toutefois, si lessommes et fonds entres dans le patrimoine debiteur ont servi à acquerir,conserver ou ameliorer un bien, la recompense sera egale à la valeur ouà la plus-value acquise par ce bien à la dissolution du regime, s'il setrouve à ce moment dans le patrimoine debiteur.
Aux termes de l'article 221, alinea 1er, du Code civil, chacun des epouxcontribue aux charges du mariage selon ses facultes.
Il suit de la combinaison de ces dispositions que l'epoux qui, durant lemariage, effectue des travaux à un bien propre qui acquiert ainsi uneplus-value, ne doit pas de recompense pour cette plus-value au patrimoinecommun lorsque ses efforts doivent etre consideres comme une contributionaux charges du mariage, des lors qu'en pareil cas il y a une cause quifonde le transfert patrimonial entre le patrimoine commun et sonpatrimoine propre.
Apres avoir considere, d'une part, que les efforts du demandeur, qui amanifestement choisi d'effectuer une grande partie des travaux lui-meme,doivent etre consideres, à partir de la date du mariage, comme unecontribution aux charges communes et, d'autre part, que l'epoux bricoleurrealise par ses travaux une plus-value à une habitation propre, la courd'appel ne decide pas legalement que le demandeur doit une recompense àla communaute pour la valeur actuelle de la construction, deduction faitedes factures anterieures au mariage.
Ainsi, la cour d'appel decide illegalement qu'il y a lieu de suivre lathese du notaire, à savoir que le demandeur doit une recompense à lacommunaute pour la valeur actuelle de la construction, deduction faite desfactures anterieures au mariage et declare illegalement non fonde l'appeldu demandeur (violation des articles 221, alinea 1er, 1405, 1DEG, 1432 et1435 du Code civil et du principe general du droit que nul ne peuts'enrichir sans cause au detriment d'autrui, tel que consacre notammentaux articles 1235, 1376 et 1377 du Code civil).
2. Seconde branche
Dans son proces-verbal definitif en reponse aux dires et difficultes, lenotaire de la masse affirmait maintenir en principe son point de vuesuivant lequel le demandeur doit une recompense à la communaute pour lesconstructions s'elevant à 162.000 euros, comme note dans l'etat deliquidation, mais il acceptait une reduction à concurrence de lacontre-valeur des factures payees avant le mariage, soit 217.313 francs(5.387,05 euros).
La cour d'appel se rallie à la these du notaire, à savoir que larecompense est due pour la valeur actuelle de la construction, sousdeduction des factures qui sont anterieures au mariage.
La cour d'appel considere à cet egard que les factures payees avec lesfonds communs ont trait à des travaux qui ont en tout cas servi àl'amelioration de l'immeuble et que cela vaut aussi pour les travaux del'epoux bricoleur qui realise ainsi une plus-value à une habitationpropre, de sorte que la regle de la plus-value de l'article 1435 du Codecivil s'applique.
Ni par ces motifs ni par aucun autre motif, la cour d'appel ne repond àl'allegation du demandeur, dans ses conclusions du 14 novembre 2011regulierement deposees au greffe, qu'il est incorrect de porter en compteseulement à leur valeur nominale les factures anterieures au mariagerelatives aux travaux de gros oeuvre s'elevant à 5.387,05 euros, que cestravaux de gros oeuvre doivent aussi etre evalues à la valeur à la datede dissolution et qu'on ne peut comparer des pommes et des citrons.
Conclusion
L'arret n'est, ainsi, pas legalement motive (violation de l'article 149 dela Constitution).
III. la decision de la Cour
Quant à la premiere branche :
1. En vertu de l'article 1432 du Code civil, il est du recompense parchaque epoux à concurrence des sommes qu'il a prises sur le patrimoinecommun pour acquitter une dette propre et generalement toutes les foisqu'il a tire un profit personnel du patrimoine commun.
L'article 221, alinea 1er, du Code civil dispose que chacun des epouxcontribue aux charges du mariage selon ses facultes.
2. Il s'ensuit que l'epoux qui fournit des efforts durant le mariage auprofit d'un bien propre qui a, ainsi, acquis une plus-value, ne doit pasde recompense au patrimoine commun lorsque ces efforts constituent unecontribution aux charges du mariage.
Lorsqu'ils ne constituent pas une contribution au charges du mariage, cesefforts ne donnent lieu à une recompense que dans la mesure ou, en raisonde ceux-ci, le patrimoine commun a ete prive de revenus.
3. Le juge d'appel a constate que :
- le demandeur a acquis avant le mariage une habitation qui est, des lors,un bien propre ;
- cette habitation a presqu'entierement ete detruite et ensuitereconstruite ;
- la majeure partie des travaux faits à cette habitation a ete effectueedurant le mariage.
Il a considere que les efforts fournis par le demandeur en executantlui-meme une grande partie des travaux faits à l'habitation, doivent etreconsideres comme une contribution aux charges communes à partir de ladate de mariage.
4. En considerant que la plus-value acquise par l'habitation propre enraison des efforts du demandeur est commune, de sorte que le demandeurdoit une recompense pour la valeur actuelle de la construction, le juged'appel n'a pas legalement justifie sa decision.
Dans cette mesure, le moyen est fonde.
(...)
Par ces motifs,
La Cour
Casse l'arret attaque, dans la mesure ou il a statue sur la recompense duerelativement à l'immeuble situe à Ramsel ;
Ordonne que mention du present arret sera faite en marge de l'arretpartiellement casse ;
Reserve les depens pour qu'il soit statue sur ceux-ci par le juge dufond ;
Renvoie la cause, ainsi limitee, devant la cour d'appel de Bruxelles.
Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Eric Dirix, president, les presidentsde section Eric Stassijns et Albert Fettweis, les conseillers BeatrijsDeconinck et Bart Wylleman, et prononce en audience publique du cinqseptembre deux mille treize par le president de section Eric Dirix, enpresence de l'avocat general Christian Vandewal, avec l'assistance dugreffier Johan Pafenols.
Traduction etablie sous le controle du conseiller Marie-Claire Ernotte ettranscrite avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.
Le greffier, Le conseiller,
5 septembre 2013 C.12.0476.N/1