Cour de cassation de Belgique
Arret
NDEG P.10.1836.N
I.
J. D. M.,
prevenu,
demandeur,
Me Joachim Meese, Me Walter Van Steenbrugge et Me Serge Van Eeghem,avocats au barreau de Gand,
(...)
IV et V.
KBC BANK nv,
demanderesse en tierce opposition et tiers ayant interet,
demanderesse,
Me Caroline De Baets, avocat à la Cour de cassation,
contre
1. L.P.,
2. J.-P. T.,
3. F. D.,
VI.
OCCHIOLINO sa,
demanderesse en tierce opposition et tiers ayant interet,
demanderesse,
Me Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation,
contre
1. L. P., precite,
prevenu,
(...)
4. F. D., en sa qualite de curateur de la faillite de la societe anonymeGROEP TDR,
partie civile,
defendeurs.
I. La procedure devant la Cour
Les pourvois sont diriges contre l'arret rendu le 19 octobre 2010 par lacour d'appel de Gand, chambre correctionnelle.
Le demandeur I fait valoir un moyen dans un memoire annexe au presentarret, en copie certifiee conforme.
Le demandeur II fait valoir quatre moyens dans un memoire annexe aupresent arret, en copie certifiee conforme.
Le demandeur III ne fait valoir aucun moyen.
La demanderesse IV-V fait valoir un moyen dans un memoire annexe aupresent arret, en copie certifiee conforme.
La demanderesse VI fait valoir un moyen dans un memoire annexe au presentarret, en copie certifiee conforme.
Le conseiller Filip Van Volsem a fait rapport.
L'avocat general Marc Timperman a conclu.
II. La decision de la Cour :
(...)
Sur le moyen de la demanderesse IV-V :
Quant à la premiere branche :
16. Le moyen, en cette branche, invoque la violation des articles 1er, 3,4 de la loi du 17 avril 1878 contenant le Titre preliminaire du Code deprocedure penale, 161, 179, 463 du Code d'instruction criminelle, 44, 50du Code penal, 1108, 1131, 1133 et 1304 du Code civil : l'arret decide, àtort, que la restitution peut uniquement consister en l'annulationretroactive du contrat qui n'est autre que la sanction en droit civil d'uncontrat n'ayant pas ete etabli legalement parce qu'il est entache d'unecause illicite, contraire à l'ordre public ; il n'appartient cependantpas au juge penal d'appliquer les articles 1108, 1131 et 1304 du Codecivil en declarant le contrat nul en raison de l'objet ou de la causeillicite ; la question des consequences en droit civil d'une infractionsur la validite du contrat est, en effet, etrangere à l'action publiqueet à l'action civile de la partie prejudiciee ; ainsi, les juges d'appelont outrepasse leur pouvoir juridictionnel.
17. L'article 44 du Code penal prevoit que la condamnation aux peinesetablies par la loi sera toujours prononcee sans prejudice desrestitutions et dommages-interets qui seraient dus aux parties.
L'article 161 du Code d'instruction criminelle, egalement applicable enmatiere correctionnelle, prevoit que si le prevenu est convaincud'infraction, le tribunal prononcera la peine, et statuera par le memejugement sur les demandes en restitution et en dommages-interets.
18. La restitution visee par ces dispositions implique, outre la simplerestitution des biens dont le proprietaire a ete depouille et qui sontentre les mains de la justice, toute mesure qui vise à effacer lesconsequences materielles de l'infraction declaree etablie, dans le but deretablir la situation de fait telle qu'elle existait avant la commissionde ladite infraction et donc de garantir l'interet general.
Bien qu'elle soit de nature civile, le juge penal ordonne la restitutiond'office ou sur requisition du ministere public. En effet, la restitutionest d'ordre public. Le fait que la restitution en tant que forme dereparation puisse aussi etre demandee devant le juge civil, n'y derogepas.
19. Si un contrat est obtenu à l'aide d'une infraction et qu'il ne peut,des lors, sortir aucun effet, la restitution peut consister en uneannulation de ce contrat prononcee par le juge penal, celle-ci ayant uneffet retroactif.
Le moyen qui, en cette branche, est deduit d'une autre premisse juridique,manque en droit.
Quant à la deuxieme branche :
20. Le moyen, en cette branche, invoque la violation des articles 44 et 50du Code penal, 1er, 41, 82 et 96 de la loi du 16 decembre 1851 sur larevision du regime hypothecaire : l'arret decide, à tort, quel'annulation retroactive du contrat de vente conclu avec abus de bienssociaux s'impose afin de rendre non avenues les consequences del'infraction et que le fait que des tiers aient entre-temps obtenulegalement des droits sur l'immeuble ne fait pas obstacle à cetteannulation ; il n'etait pas necessaire d'ordonner l'annulation retroactivedu contrat ; des lors que, depuis la vente, l'immeuble a ete greve dedroits reels au profit de tiers de bonne foi, il ne peut etre restituequ'avec ces droits reels ; une annulation retroactive ayant pourconsequence que l'immeuble ne soit jamais sorti du patrimoine du vendeurest inconciliable avec la restitution de l'immeuble avec les droitshypothecaires le grevant ; en statuant autrement, l'arret viole la notionlegale de restitution, ainsi que les regles en matiere de droit de suiteet d'opposabilite des droits hypothecaires.
21. Lorsque la restitution est ordonnee sur la base des articles 44 duCode penal et 161 du Code d'instruction criminelle, le juge appreciesouverainement les mesures necessaires pour annuler les consequencesmaterielles de l'infraction declaree etablie, dans le but de retablir lasituation de fait telle qu'elle existait avant la commission de laditeinfraction
Dans la mesure ou il critique cette appreciation souveraine, le moyen, encette branche, est irrecevable.
22. La circonstance que, depuis sa vente au profit de tiers de bonne foi,des droits reels tels que des droits hypothecaires ont ete etablis sur lebien immeuble dont le juge ordonne la restitution, n'empeche pas ce jugepenal d'annuler le contrat de vente et ce, avec effet retroactif.
Dans la mesure ou il est deduit d'une autre premisse juridique, le moyen,en cette branche, manque en droit.
Quant à la troisieme branche :
23. Le moyen, en cette branche, invoque la violation des articles 1122,1124 du Code judiciaire, 1er, 41, 82, 96 de la loi du 16 decembre 1851 surla revision du regime hypothecaire, 44 et 50 du Code penal : l'arretdecide, à tort, qu'afin de determiner ce qui est necessaire pour mettreun terme à la situation illegale, il n'est pas de tenu de se prononcerplus avant sur les consequences eventuelles des droits reels de tiers surles biens dont la restitution est ordonnee et il refuse ainsi, à tort,d'acceder à la demande formulee par la demanderesse visant une mesure dereparation qui n'affecterait pas ses droits ; ainsi, l'arret viole laportee de la tierce opposition qui confere au juge penal la competence detenir compte des droits legitimes de tiers dans sa decision.
24. En vertu de l'article 1122, alinea 1er, du Code judiciaire, toutepersonne qui n'a point ete dument appelee ou n'est pas intervenue à lacause en la meme qualite, peut former tierce opposition à la decision,meme provisoire, qui prejudicie à ses droits et qui a ete rendue par unejuridiction civile, ou par une juridiction repressive en tant que celle-cistatue sur les interets civils.
25. Le juge penal statuant sur tierce opposition apprecie aussisouverainement, lorsqu'il ordonne la restitution sur la base des articles44 du Code penal et 161 du Code d'instruction criminelle, les mesuresnecessaires pour rendre non avenues les consequences materielles del'infraction declaree etablie, dans le but de retablir la situation defait existant avant la commission de ladite infraction.
26. De la circonstance qu'un tiers qui s'estime lese par la decision derestitution, puisse former tierce opposition devant le juge penal, il sededuit seulement que celui-ci est tenu d'examiner dans les limites decette tierce opposition, la legalite et l'opportunite de la restitutionordonnee, mais non que le juge penal statuant sur tierce opposition nepuisse ordonner qu'une restitution ne portant pas atteinte aux droits detiers. Cela ne prive pas la tierce opposition de tout son sens.
Le moyen, en cette branche, qui est deduit d'une autre premisse juridique,manque en droit.
(...)
Par ces motifs,
La Cour
Casse l'arret attaque, en tant qu'il :
- condamne le demandeur I à une peine et à la contribution au Fondsspeciale pour l'aide aux victimes d'actes intentionnels de violence ;
- prononce à charge du demandeur II la confiscation speciale d'un montantde 21.013,19 euros ;
Ordonne que mention du present arret sera faite en marge de l'arretpartiellement casse ;
Rejette les pourvois pour le surplus ;
Condamne le demandeur I aux deux tiers des frais de son pourvoi et laissele surplus des frais à charge de l'Etat ;
Condamne le demandeur II aux trois quarts des frais de son pourvoi etlaisse le surplus des frais à charge de l'Etat ;
Condamne les demandeurs III, IV-V et VI aux frais de leur pourvoi ;
Renvoie la cause, ainsi limitee, à la cour d'appel de Bruxelles.
Ainsi juge par la Cour de cassation, deuxieme chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Paul Maffei, les conseillers LucVan hoogenbemt, Filip Van Volsem, Peter Hoet en Antoine Lievens, etprononce en audience publique du trois septembre deux mille treize par lepresident de section Paul Maffei, en presence de l'avocat general MarcTimperman, avec l'assistance du greffier Frank Adriaensen.
Traduction etablie sous le controle du conseiller Benoit Dejemeppe ettranscrite avec l'assistance du greffier Fabienne Gobert.
Le greffier, Le conseiller,
3 septembre 2013 P.10.1836.N/1