Cour de cassation de Belgique
Arret
NDEG C.12.0128.N
ZEEMAR, s.a.,
Me Caroline De Baets, avocat à la Cour de cassation,
contre
1. AXA BELGIUM, s.a.,
2. HDI GERLING VERZEKERINGEN, s.a.,
Me Pierre Van Ommeslaghe, avocat à la Cour de cassation.
I. la procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 12 septembre2011 par la cour d'appel d'Anvers.
Le procureur general Jean-Franc,ois Leclercq a depose des conclusionsecrites le 17 mai 2013.
Le conseiller Alain Smetryns a fait rapport.
Le procureur general Jean-Franc,ois Leclercq a conclu.
II. le moyen de cassation
La demanderesse presente un moyen libelle dans les termes suivants :
Dispositions legales violees
- article 79, alineas 1er et 2, de la loi du 25 juin 1992 sur le contratd'assurance terrestre ;
- article 1134, alinea 3, du Code civil ;
- articles 823 et 824 du Code judiciaire ;
- principe general du droit relatif à l'execution de bonne foi desconventions ou à l'interdiction de l'abus de droit ;
- principe general du droit relatif à la renonciation à un droit.
Decisions et motifs critiques
Declarant non fonde l'appel de la demanderesse et confirmant le premierjugement, l'arret rejette la demande introduite par la demanderesse contrela defenderesse tendant à garantir le paiement des montants payes par lademanderesse à Mu:ller à titre d'indemnisation et ce aux motifssuivants :
« C. Sur la direction du litige et l'apparence (pretendue) de garantie
1. La demanderesse soutient, en outre, qu'à tout le moins, lesdefenderesses ne peuvent plus invoquer une absence de garantie par lapolice d'assurance, des lors qu'elles ont cree au moins une apparence degarantie, de sorte qu'elles sont dechues de leur droit d'invoquerl'absence de garantie. Cela ressort, selon la demanderesse, des elementssuivants :
Dans le cadre de la police de responsabilite, les defenderesses ont prisla direction du litige au sens de l'article 79 de la loi du 25 juin 1992sur le contrat d'assurance terrestre. Selon la demanderesse, la directiondu litige ne revient aux assureurs qu'à la condition que les interets del'assureur et de l'assure coincident. Selon elle, il n'est pas questiond'une direction partagee ou commune du litige, des lors que c'est leconseil habituel de la premiere defenderesse qui a ete engage, celui-ciayant à son tour fait intervenir un conseil anglais.
La reserve formulee dans des termes tres generaux dans la lettre du 31decembre 1997 des assureurs ne peut, selon la demanderesse, etreconsideree comme une reserve valable, des lors qu'il ne s'agit que d'unereserve sans contenu à laquelle aucune valeur ne peut etre accordee.
L'absence de garantie n'a pas ete invoque en temps utile selon lademanderesse, des lors que c'est le 9 novembre 2000 que la garantie a eterefusee pour la premiere fois par la premiere defenderesse et ce apres leprononce du jugement du 27 decembre 2000, alors que la declaration avaitete faite des le 26 decembre 1997. Le premier avis du 28 janvier 1998 duconseil des assureurs mentionnait dejà et avertissait qu'il etaitprobable que l'assure des defenderesses serait considere commetransporteur CMR. Ce n'est que trois ans apres la declaration d'accidentque l'absence de garantie a ete invoquee pour la premiere fois, ce qui esttardif selon la demanderesse.
La demanderesse conclut qu'en agissant de la sorte, les assureurs ont creel'apparence que la garantie etait acquise.
2. Selon la cour d'appel, il n'est question d'une apparence de garantiedans le chef des defenderesses, ni sur la base de la theorie de laconfiance, ni sur la base d'un abus de droit, ni en raison d'une violationde l'obligation d'execution de bonne foi des conventions en application del'article 1134, alinea 3, du Code civil, aux motifs suivants :
En vertu de l'article 79 de la loi du 25 juin 1992 (`direction dulitige'), l'assureur a l'obligation (legale et contractuelle) de prendrefait et cause pour l'assure à partir du moment ou la garantie del'assureur est due. C'est à juste titre que les defenderesses soutiennentque la direction du litige par l'assureur impliquait de supporter lacharge des honoraires de l'avocat non seulement en Belgique mais aussi enAngleterre. Par ailleurs, en vertu de l'article 79, alinea 2, de cetteloi, l'assureur a aussi le droit de diriger le litige et de combattre, àla place de l'assure, la reclamation de la personne lesee. Il ressort del'avis de Me Straatman du 28 janvier 1998 et de sa lettre du 19 septembre2000 qu'il n'y avait (en ordre principal) pas de conflit d'interets entreles defenderesses et la demanderesse dans la procedure menee enAngleterre, des lors que le moyen de defense principal se basait surd'eventuels motifs de responsabilite qui etaient garantis par la police.Une apparence de garantie ne peut etre invoquee sur la seule base du faitque les defenderesses avaient pris la direction du litige dans laprocedure anglaise, des lors que les assureurs avaient l'obligation deprendre la direction du litige et ce meme si en certaines circonstances eten ordre subsidiaire, une eventuelle responsabilite en tant quetransporteur CMR qui n'etait pas garantie par la police etait invoquee.
En s'acquittant de l'obligation de diriger le litige, les assureurs (lesdefenderesses) n'ont pas renonce au droit d'adopter ulterieurement (apresavoir pris connaissance d'une decision sur la responsabilite de l'assure)une position definitive sur la garantie eventuelle par la police, d'autantplus que dans la lettre du 31 decembre 1997 les defenderesses ont formuleune reserve quant à la garantie. Bien que ce fut une reserve generale,cette reserve (habituelle) suffisait, compte tenu de la specialisation dela partie adverse à laquelle elle etait adressee, à savoir Herfurth &Boutmy, preneur d'assurance et agent d'assurances de la demanderesse, quiconnaissait (ou etait cense connaitre) la portee et la signification decette reserve habituelle en tant que courtier professionnel en assurances.
Il ne peut etre reproche aux assureurs (les defenderesses) d'avoir attendude connaitre la motivation d'une decision avant de refuser la garantie,meme si un laps de temps considerable s'est ecoule entre la declaration dusinistre et le moment du refus de la garantie. Il n'est pas davantagequestion d'avoir invoque tardivement l'absence de garantie.
3. Conclusion sur C. : l'assure (la demanderesse) ne peut affirmer sur laseule base du fait que les assureurs ont dirige pendant plusieurs anneesle litige aux conditions precitees qu'il a de toute fac,on droit à lagarantie de la police, ni que les defenderesses ont cree une apparence degarantie et/ou renonce à leur droit de refuser la garantie. Lademanderesse n'est pas davantage admise, sur cette base, à reclamer auxdefenderesses la garantie de la police ».
Griefs
1. Aux termes de l'article 79, alinea 1er, de la loi du 25 juin 1992 surle contrat d'assurance terrestre, à partir du moment ou la garantie del'assureur est due, et pour autant qu'il y soit fait appel, celui-ci al'obligation de prendre fait et cause pour l'assure dans les limites de lagarantie.
Aux termes de l'article 79, alinea 2, de cette loi, en ce qui concerne lesinterets civils, et dans la mesure ou les interets de l'assureur et del'assure coincident, l'assureur a le droit de combattre, à la place del'assure, la reclamation de la personne lesee.
Il suit de la combinaison de ces dispositions que des qu'il y a un motifeventuel de non-garantie, impliquant un conflit d'interets potentiel entrel'assure et l'assureur, l'assureur non seulement n'a pas l'obligation,mais n'a pas le droit de prendre ou de poursuivre la direction du litige,à moins que l'assure y consente.
Des l'existence d'un conflit d'interets potentiel, l'assure doit etre misen mesure de prendre lui-meme la direction du litige ou de consentir enconnaissance de cause à la direction du litige par l'assureur. Cettepossibilite ne lui est pas offerte par l'assureur qui prend ou poursuit ladirection du litige sans reserve expresse, mais seulement sous une reservegenerale lors de l'ouverture du dossier d'assurance.
2. En prenant ou poursuivant la direction du litige tout en ayantconnaissance d'un motif eventuel de non-garantie et donc d'un conflitd'interets potentiel, l'assureur agit en violation de l'execution de bonnefoi des conventions lorsqu'il invoque precisement ce motif d'absence de garantie en fin de litige pour refuser la garantie (article 79, alineas1er et 2, de la loi du 25 juin 1992 combine avec l'article 1134, alinea 3,du Code civil et principe general du droit relatif à l'execution de bonnefoi des conventions ou interdiction de l'abus de droit).
A tout le moins, l'assureur qui prend ou poursuit sans l'accord del'assure la direction du litige alors qu'il a connaissance d'un motifeventuel d'absence de garantie et donc d'un conflit d'interets potentiel,cree l'apparence que le sinistre est couvert par la police et renonce audroit d'invoquer la non-garantie (article 79, alineas 1er et 2, de la loidu 25 juin 1992 combine avec les articles 823 et 824 du Code judiciaire etprincipe general du droit relatif à la renonciation à un droit).
3. Il n'etait pas conteste entre les parties et il est constate parl'arret attaque que :
- la declaration du sinistre par la demanderesse du 26 decembre 1997mentionnait dejà le fait que Mu:ller poursuivait la demanderesse en saqualite de transporteur CMR ;
- par la lettre du 31 decembre 1997, les defenderesses ont fait savoirqu'elles avaient ouvert le dossier d'assurance « sous la reservehabituelle » ;
- les defenderesses ont pris la direction du litige, d'abord en engageantMe Straatman comme conseil et ensuite en assumant la direction de laprocedure en Angleterre ;
- dans son premier avis du 28 janvier 1998 ainsi que dans sa lettre du 19septembre 2000, nonobstant la these defendue en ordre principal que lademanderesse etait intervenue en tant que commissionnaire-expediteur oudepositaire, Me Straatman avait souligne le fait qu'il existait un risqueserieux que la demanderesse soit reconnue responsable en sa qualite detransporteur CMR ;
- ce n'est que pour la premiere fois par la lettre du 9 novembre 2000 etdonc apres le jugement anglais du 27 septembre 2000, que les defenderessesont invoque que la responsabilite en tant que transporteur CMR n'etait pascouverte par la police.
L'arret considere que les defenderesses pouvaient attendre le jugementanglais avant d'invoquer une absence de garantie en raison de laresponsabilite de la demanderesse en tant que transporteur CMR, meme sielles avaient pris la direction du litige jusqu'alors sans faire dereserve autre qu'une reserve generale « habituelle » lors de l'ouverturedu dossier, alors qu'elles avaient dejà connaissance au moment de ladeclaration et certainement suite à l'avis de Me Straatman du 28 janvier1998 du risque que la demanderesse soit tenue responsable par le jugeanglais en tant que transporteur CMR.
4. L'arret fonde principalement cette decision sur le fait que ladirection du litige est une obligation pour l'assureur et subsidiairementsur le fait que la direction du litige est aussi un droit de l'assureur.
Il ressort de l'arret attaque que les juges d'appel ont considere que laseule existence de la possibilite que la demanderesse soit tenueresponsable par le juge anglais en tant que transporteur CMR (non couvertpar la police) ne faisait pas naitre de conflit d'interets entre lademanderesse et les defenderesses, des lors que la defense de lademanderesse dans la procedure anglaise se fondait principalement sur desmotifs de responsabilite qui etaient garantis par la police(commissionnaire-expediteur ou depositaire). Les defenderesses avaientainsi, suivant l'arret, conserve l'obligation (et le droit) de diriger lelitige et en le faisant, elles n'ont pas cree d'apparence de garantie.
Il ressort aussi de l'arret que les juges d'appel ont considere qu'enassurant leur obligation de prendre la direction du litige, lesdefenderesses ne pouvaient pas renoncer à leur droit de prendre positionquant à la couverture ou non par la police apres la decision sur laresponsabilite de la demanderesse. Le fait que les defenderesses n'avaientpas renonce à ce droit ressortait aussi, selon les juges d'appel, de lareserve de garantie qu'elles avaient formulee le 31 decembre 1997 (lors del'ouverture du dossier), meme s'il s'agissait d'une reserve generale(« habituelle »).
5. Par ces considerations, l'arret attaque suppose en premier lieu à tortque l'obligation de diriger le litige ne cesse d'exister que lorsque lemotif de non-garantie apparu n'est pas une simple possibilite mais unerealite et que le droit de diriger le litige ne cesse d'exister que si, enraison du motif de non-garantie apparu, le conflit d'interets n'est paspotentiel mais reel. Ainsi, l'arret attaque viole l'article 79, alineas1er et 2, de la loi du 25 juin 1992.
Par ces considerations, l'arret ignore aussi qu'il suffit que l'assureurait connaissance d'un motif de non-garantie eventuel ou d'un conflitd'interets potentiel pour qu'il n'agisse plus de bonne foi ou qu'ilcommette un abus de droit s'il prend ou poursuit la direction du litigesans l'accord de l'assure. Outre l'article 79, alineas 1er et 2, de la loidu 25 juin 1992, l'arret viole ainsi aussi l'article 1134, alinea 3, duCode civil et le principe general du droit relatif à l'execution de bonnefoi des conventions qu'il contient ou l'interdiction de l'abus de droit.
Par ces considerations, l'arret attaque suppose finalement, egalement àtort, qu'il suffit pour l'assureur de faire une reserve generale lors del'ouverture du dossier d'assurance ou au debut du litige pour qu'il necree pas d'apparence de garantie ou qu'il ne renonce pas à son droit denon-garantie en continuant à diriger le litige, meme si entre-temps unmotif de non-garantie eventuel et donc un conflit d'interets potentiel estapparu ou a ete renforce. Outre l'article 79, alineas 1er et 2, de la loidu 25 juin 1992, l'arret attaque viole ainsi les articles 823 et 824 duCode judiciaire et le principe general du droit relatif à la renonciationà un droit qu'ils contiennent.
III. la decision de la Cour
Sur le moyen :
Sur la fin de non-recevoir :
1. Les defenderesses opposent une fin de non-recevoir au moyen deduite dece que la violation de l'article 79 de la loi du 25 juin 1992 sur lecontrat d'assurance terrestre invoquee par la demanderesse, fut-ellefondee, ne saurait entrainer la cassation, vu la decision non contesteedes juges d'appel suivant laquelle le fait que les assureurs ont dirige lelitige pendant des annees n'implique nullement un droit à la garantie.
2. Cette decision des juges d'appel est bien contestee par la demanderesseet est, en outre, fondee sur la consideration egalement contestee desjuges d'appel que les assureurs avaient le droit et l'obligation dediriger le litige, meme s'il etait refere en ordre subsidiaire à uneresponsabilite eventuelle de la demanderesse en sa qualite de transporteurCMR qui n'etait pas couverte par la police.
Il y a lieu de rejeter la fin de non-recevoir.
Sur le fondement du moyen :
3. L'article 79, alinea 1er, de la loi du 25 juin 1992 sur le contratd'assurance terrestre dispose qu'à partir du moment ou la garantie del'assureur est due, et pour autant qu'il y soit fait appel, celui-ci al'obligation de prendre fait et cause pour l'assure dans les limites de lagarantie.
L'article 79, alinea 2, de la loi precitee dispose qu'en ce qui concerneles interets civils, et dans la mesure ou les interets de l'assureur et del'assure coincident, l'assureur a le droit de combattre, à la place del'assure, la reclamation de la personne lesee.
4. Lorsqu'un des motifs de la responsabilite fondant la reclamation de lapersonne lesee contre l'assure n'est pas couvert par la police, lesinterets de l'assureur et de l'assure ne coincident pas dans cette mesureet l'assureur n'a pas le droit de combattre, à la place de l'assure, lareclamation de la personne lesee.
5. En considerant qu'il n'y avait pas d'interets contraires entre lesdefenderesses et la demanderesse au motif que la reclamation de lapersonne lesee se fondait en ordre principal sur des motifs deresponsabilite eventuels qui etaient couverts par la police et qu'en tantqu'assureurs, les defenderesses avaient l'obligation de prendre ladirection du litige, meme si la personne lesee invoquait en ordresubsidiaire une responsabilite eventuelle de la demanderesse en sa qualitede transporteur CMR qui n'etait pas couverte par la police, les jugesd'appel ont viole l'article 79, alinea 2, de la loi du 25 juin 1992.
Le moyen est fonde.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l'arret attaque ;
Ordonne que mention du present arret sera faite en marge de l'arretcasse ;
Reserve les depens pour qu'il soit statue sur ceux-ci par le juge dufond ;
Renvoie la cause, ainsi limitee, devant la cour d'appel de Gand.
Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Eric Dirix, president, le president desection Albert Fettweis, les conseillers Alain Smetryns, Geert Jocque etBart Wylleman, et prononce en audience publique du sept juin deux milletreize par le president de section Eric Dirix, en presence du procureurgeneral
Jean-Franc,ois Leclercq, avec l'assistance du greffier Frank Adriaensen.
Traduction etablie sous le controle du conseiller Martine Regout ettranscrite avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.
Le greffier, Le conseiller,
7 juin 2013 C.12.0128.N/1