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27/05/2013 | BELGIQUE | N°S.12.0081.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 27 mai 2013, S.12.0081.F


Cour de cassation de Belgique

Arret

4405



NDEG S.12.0081.F

OFFICE NATIONAL DES PENSIONS, etablissement public dont le siege estetabli à Saint-Gilles-lez-Bruxelles, Tour du Midi, place Bara, 3,

demandeur en cassation,

represente par Maitre Michel Mahieu, avocat à la Cour de cassation, dontle cabinet est etabli à Watermael-Boitsfort, boulevard du Souverain, 36,ou il est fait election de domicile,

contre

A. R.,

defendeur en cassation.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'a

rret rendu le 21 mars 2012par la cour du travail de Bruxelles.

Le president Christian Storck a fait rapport.

L'avocat ge...

Cour de cassation de Belgique

Arret

4405

NDEG S.12.0081.F

OFFICE NATIONAL DES PENSIONS, etablissement public dont le siege estetabli à Saint-Gilles-lez-Bruxelles, Tour du Midi, place Bara, 3,

demandeur en cassation,

represente par Maitre Michel Mahieu, avocat à la Cour de cassation, dontle cabinet est etabli à Watermael-Boitsfort, boulevard du Souverain, 36,ou il est fait election de domicile,

contre

A. R.,

defendeur en cassation.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 21 mars 2012par la cour du travail de Bruxelles.

Le president Christian Storck a fait rapport.

L'avocat general Jean Marie Genicot conclu.

II. Le moyen de cassation

Le demandeur presente un moyen libelle dans les termes suivants :

Dispositions legales violees

- article 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et deslibertes fondamentales, signee à Rome le 4 novembre 1950 et approuvee parla loi du 13 mai 1955 ;

- article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention desauvegarde des droits de l'homme et des libertes fondamentales, signe àParis le 20 mars 1952 et approuve par la loi du 13 mai 1955 ;

- articles 10, 11, 142, alinea 2, 2DEG, et 159 de la Constitution ;

- article 26, S:S: 1er et 2, de la loi speciale du 6 janvier 1989 sur laCour constitutionnelle ;

- article 27 de l'arrete royal nDEG 50 du 24 octobre 1967 relatif à lapension de retraite et de survie des travailleurs salaries, tel qu'iletait en vigueur posterieurement à sa modification par l'article 9 de laloi du 5 juin 1970 modifiant certaines dispositions relatives aux regimesde pensions des travailleurs salaries, des ouvriers, des employes, desouvriers mineurs et des assures libres et au revenu garanti aux personnesagees ;

- article 65, S: 1er, de l'arrete royal du 21 decembre 1967 portantreglement general du regime de pension de retraite et de survie destravailleurs salaries, tel qu'il etait en vigueur posterieurement à samodification par l'arrete royal du 8 aout 1997 portant execution del'arrete royal du 23 decembre 1996 portant execution des articles 15, 16et 17 de la loi du 26 juillet 1996 portant modernisation de la securitesociale et assurant la viabilite des regimes legaux des pensions, etmodifiant certaines dispositions en matiere de pensions pour travailleurssalaries.

Decisions et motifs critiques

Apres qu'il eut ete constate, par l'arret du 17 fevrier 2011, que « ladiscrimination evoquee par [le defendeur] trouve sa source dans l'article27, alinea 3, de l'arrete royal nDEG 50 et dans l'article 65, S: 1er, del'arrete royal du 21 decembre 1967 portant reglement general du regime depension de retraite et de survie des travailleurs salaries, qui precise :`L'obligation de resider en Belgique n'est pas requise des ressortissantsbelges, des apatrides et des refugies reconnus au sens de la loi du 15decembre 1980 sur l'acces au territoire, le sejour, l'etablissement etl'eloignement des etrangers, beneficiaires des prestations prevues parl'arrete royal nDEG 50 ou par la loi du 20 juillet 1990 ou par l'arreteroyal du 23 decembre 1996. L'obligation de resider en Belgique n'est pasnon plus requise des personnes visees à l'article 4, 2DEG, de l'arreteroyal du 6 decembre 1955 relatif au sejour en Belgique de certainsetrangers privilegies, beneficiaires des prestations prevues par l'arreteroyal nDEG 50 ou par la loi du 20 juillet 1990 ou par l'arrete royal du 23decembre 1996' » ; que « l'arrete royal nDEG 50 du 24 octobre 1967 a etepris sur la base de la loi du 31 mars 1967 attribuant certains pouvoirs auRoi en vue d'assurer la relance economique, l'acceleration de lareconversion regionale et la stabilisation de l'equilibre budgetaire, plusprecisement sur la base de l'article 1er, 9DEG, de l'article 3, alinea 2,et de l'article 4 de ladite loi, et que cet arrete de pouvoirs speciauxn'a, en tant que tel, pas ete approuve par le legislateur » ; qu' « ilne semble pas qu'à la difference de l'alinea 1er, l'alinea 3 de l'article27 ait ulterieurement ete modifie par le legislateur », et qu'« ilappartiendrait donc à la cour du travail, et non à la Courconstitutionnelle, de se prononcer sur la conformite de l'article 27,alinea 3, de l'arrete royal nDEG 50 (et de l'article 65 du reglementgeneral) aux articles 10 et 11 de la Constitution »,

l'arret attaque decide, pour condamner le demandeur à retablir lepaiement de la pension de retraite du defendeur à dater de sa suspensionet à lui payer les arrieres restant dus, d'ecarter, en application del'article 159 de la Constitution, l'article 27, alinea 3, de l'arreteroyal nDEG 50 du 24 octobre 1967 et l'article 65, S: 1er, de l'arreteroyal du 21 decembre 1967, en ce qu'ils instituent une difference detraitement injustifiee entre certaines categories d'etrangers et lesetrangers ordinaires, par tous ses motifs reputes ici integralementreproduits, et specialement par les motifs suivants :

« 6. Comme indique dans l'arret du 17 fevrier 2011, l'article

27, alinea 3, de l'arrete royal nDEG 50 du 24 octobre 1967 donne au Roi lepouvoir de `determiner pour quels beneficiaires de nationalite etrangereet dans quels cas l'obligation de resider en Belgique n'est pas requise'.Cet article 27, alinea 3, pris en vertu d'une loi de pouvoirs speciaux,n'a pas ete approuve par le legislateur ;

L'article 65, S: 1er, de l'arrete royal du 21 decembre 1967 portantreglement general du regime de pension de retraite et de survie destravailleurs salaries precise que :

`L'obligation de resider en Belgique n'est pas requise des ressortissantsbelges, des apatrides et des refugies reconnus au sens de la loi du 15decembre 1980 sur l'acces au territoire, le sejour, l'etablissement etl'eloignement des etrangers, beneficiaires des prestations prevues parl'arrete royal nDEG 50 ou par la loi du 20 juillet 1990 ou par l'arreteroyal du 23 decembre 1996' ;

L'obligation de resider en Belgique n'est pas non plus requise despersonnes visees à l'article 4, 2DEG, de l'arrete royal du 6 decembre1955 relatif au sejour en Belgique de certains etrangers privilegies,beneficiaires des prestations prevues par l'arrete royal nDEG 50 ou par laloi du 20 juillet 1990 ou par l'arrete royal du 23 decembre 1996' ;

Cette disposition etablit donc une difference de traitement entredifferentes categories d'etrangers beneficiaires d'une pension de retraiteaccordee sur la base d'une activite salariee ayant ete exercee enBelgique ;

L'etranger privilegie, le refugie et l'apatride conservent le benefice deleur pension meme s'ils resident à l'etranger (y compris s'ils residentdans un pays n'ayant pas conclu de convention de securite sociale avec laBelgique), alors que l'etranger ordinaire perd le benefice de sa pensions'il quitte la Belgique ;

7. Les categories d'etrangers concernees par cette difference detraitement sont comparables. Il s'agit indifferemment de personnes qui nesont pas de nationalite belge, qui ont exerce une activite salariee enBelgique leur ouvrant le droit à une pension de retraite et qui residentà l'etranger ;

La difference de traitement repose sur un critere objectif : l'etrangerordinaire peut etre distingue des autres categories d'etrangers ;

Par contre, la difference de traitement n'est pas raisonnablementjustifiee ;

[Le demandeur] n'a pas indique quels etaient l'objectif et la raisond'etre de la difference de traitement ;

Si l'on peut concevoir que la condition de residence procede du souci defaciliter le controle du respect des conditions de paiement de la pension,il ne resulte ni des explications donnees par [le demandeur] ni d'aucunautre element auquel la cour [du travail] pourrait avoir egard que lecontrole des conditions de paiement de la pension se presente de manieredifferente selon que l'etranger qui reside en dehors du royaume (dans lesconditions precisees ci-dessus) est un etranger privilegie ou un etrangerordinaire ;

Aucun lien ne peut etre raisonnablement etabli entre le statut privilegiede certaines categories d'etrangers et la condition de residence ;

Par ailleurs, sur le plan de l'adequation entre les moyens utilises etl'objectif poursuivi, la mesure consistant à suspendre purement etsimplement la pension, y compris lorsque, comme en l'espece, la personneest isolee et a atteint un age qui ne lui permet pas d'envisager lareprise d'une activite professionnelle, a des effets disproportionnes ;

L'arrete royal etablit donc une difference de traitement qui meconnait lesarticles 10 et 11 de la Constitution ;

8. Surabondamment, la difference de traitement meconnait l'article 14 dela Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertesfondamentales ;

Dans son arret du 17 fevrier 2011, la cour [du travail] a rappele lajurisprudence de la Cour europeenne des droits de l'homme selon laquellele droit à la pension de retraite est un droit patrimonial au sens del'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention, de sorteque, meme si cette disposition n'impose pas aux etats d'accorder desprestations d'un niveau determine, une fois qu'une prestation estinstauree, le principe de non-discrimination depose à l'article 14 de laConvention doit etre respecte. Il en resulte, selon la Cour europeenne desdroits de l'homme, que seules des considerations tres fortes peuventjustifier que l'octroi de cette prestation fasse l'objet d'une differencede traitement fondee sur la nationalite ;

En l'espece, la preuve de considerations tres fortes n'est pas rapportee ;

La circonstance que la Belgique n'a pas signe de convention bilaterale desecurite sociale avec Madagascar est sans incidence des lors que rienn'indique que, si une telle convention avait ete signee, le controle durespect des conditions de paiement de la pension aurait pu etre different.L'absence de signature d'une convention bilaterale n'est donc pas denature à justifier la difference de traitement ;

Pour le reste, la Cour europeenne des droits de l'homme a dejà eul'occasion de preciser que l'etat lie par la convention doit, meme s'iln'est pas lie par `des accords de reciprocite', reconnaitre `à toutepersonne relevant de sa juridiction', ce qui, selon la Cour, est sansaucun doute possible le cas de celui qui sollicite une prestation sociale,les droits et libertes definis au titre Ier de la Convention ;

9. Les conclusions [du demandeur], auxquelles se rallie le ministerepublic, appellent les observations suivantes :

Dans la mesure ou il a travaille en Belgique et a droit à une prestationprevue par la reglementation belge sur les pensions de retraite pourtravailleurs salaries, [le defendeur] peut se prevaloir des articles 10,11 ou 191 de la Constitution pour s'opposer à la suspension du paiementde cette prestation ; c'est donc de maniere quelque peu surprenante que[le demandeur] ecrit que `la Constitution n'est pas applicable [audefendeur]' ;

De meme, en tant que beneficiaire d'une pension de retraite en vertu de lareglementation belge, [le defendeur] releve `de la juridiction' de l'etatbelge au sens de l'article 1er de la Convention de sauvegarde des droitsde l'homme et des libertes fondamentales et peut revendiquer la protectionofferte par celle-ci ;

De ce que la condition de residence n'est pas necessairement contraire àcertains instruments internationaux cites par [le demandeur] en sesconclusions, il ne resulte pas que la reglementation en matiere de pensionpeut, lorsqu'elle fait usage de cette condition, etablir des differencesde traitement sans justification objective et raisonnable ;

Limiter l'applicabilite de la jurisprudence de la Cour europeenne desdroits de l'homme, comme le suggere [le demandeur], à l'hypothese desregimes de retraite fondes sur un principe de capitalisation ne correspondpas à l'etat actuel de cette jurisprudence ;

Depuis, à tout le moins, la decision sur la recevabilite intervenue dansl'affaire Stec (aff. Stec et autres c. Royaume-Uni, req. nDEG 65731/01 etnDEG 65900/01, decision du 6 juillet 1995), il est acquis que meme lesprestations non contributives sont concernees (voir A. Simon, `Lesprestations sociales non contributives dans la jurisprudence de la Coureuropeenne des droits de l'homme', Rev. trim. dr. h., 2006, 647). Afortiori est-il devenu sans interet de faire, parmi les prestationscontributives, une distinction selon que le financement repose sur unprincipe de capitalisation ou de repartition ;

Pour autant que de besoin, la cour [du travail] se refere aux tresnombreux arrets prononces ces dernieres annees par la Cour europeenne desdroits de l'homme en matiere de pension de retraite ou de survie ainsiqu'à la jurisprudence de la Cour de cassation de France ;

10. En conclusion, l'article 27, alinea 3, de l'arrete royal nDEG 50 du 24octobre 1967 et l'article 65, S: 1er, de l'arrete royal du 21 decembre1967 doivent donc, sur la base de l'article 159 de la Constitution, etreecartes en ce qu'ils prevoient une difference de traitement injustifieeentre certaines categories d'etrangers privilegies et les etrangersordinaires ;

Il y a donc lieu de biffer à l'article 65, S: 1er, alinea 2, de l'arreteroyal du 21 decembre 1967 la reference aux etrangers privilegies ;

Ainsi, l'alinea 2 de cette disposition doit-il etre lu comme autorisantl'exportation des prestations prevues par l'arrete royal nDEG 50, enparticulier lorsque, comme le releve l'arret du 17 fevrier 2011, lebeneficiaire de la pension est age de plus de 76 ans et a droit à unepension au taux d'isole ;

11. Le paiement de la pension ne pouvait etre suspendu. [Le demandeur]doit retablir le paiement de la pension de retraite [du defendeur] àdater de sa suspension, soit à dater du 13 juillet 2007 ;

Le jugement doit etre reforme en ce sens ».

Griefs

Premiere branche

En vertu de l'article 159 de la Constitution, les cours et tribunauxdoivent refuser d'appliquer les actes et reglements qui ne sont pasconformes aux normes superieures, y compris la Constitution. En revanche,les cours et tribunaux n'ont pas le pouvoir, en regle, de controler laconformite des normes legislatives à la Constitution. Pour ce quiconcerne les articles 10 et 11 de la Constitution, consacrant le principed'egalite et de non-discrimination, ce controle appartient à la Courconstitutionnelle en vertu de l'article 142, alinea 2, 2DEG, de laConstitution et de l'article 26 de la loi speciale du 6 janvier 1989 surla Cour constitutionnelle.

L'article 26 precite dispose en effet que la Cour constitutionnellestatue, à titre prejudiciel, par voie d'arrets, sur les questionsrelatives à la violation par une loi, un decret ou une regle visee àl'article 134 de la Constitution des articles du titre II, « Des Belgeset de leurs droits », et des articles 170, 172 et 191 de la Constitution(S: 1er, 3DEG) et que, lorsqu'une telle question est soulevee devant unejuridiction, celle-ci doit demander à la Cour constitutionnelle destatuer sur cette question, sauf dans certains cas bien determines (S: 2).

L'arrete royal nDEG 50 du 24 octobre 1967 relatif à la pension deretraite et de survie des travailleurs salaries a ete pris sur la base dela loi du 31 mars 1967 attribuant certains pouvoirs au Roi en vued'assurer la relance economique, l'acceleration de la reconversionregionale et la stabilisation de l'equilibre budgetaire.

Dans sa version originaire, l'article 27 de l'arrete royal nDEG 50 du 24octobre 1967, qui comportait deux alineas, disposait :

« Sous reserve des dispositions de l'article 24, les prestations, hormiscelles qui sont accordees en raison d'une occupation comme ouvrier mineur,ne sont fournies qu'aux beneficiaires residant effectivement en Belgique.

Le Roi determine ce qu'il faut entendre par residence effective et les casdans lesquels l'obligation de resider en Belgique n'est pas requise ».

Cet article a ete remplace par l'article 9 de la loi du 5 juin 1970modifiant certaines dispositions relatives aux regimes de pensions destravailleurs salaries, des ouvriers, des employes, des ouvriers mineurs etdes assures libres et au revenu garanti aux personnes agees. Apres ceremplacement, l'article 27 de l'arrete royal nDEG 50 du 24 octobre 1967comporte trois alineas et dispose :

« Sous reserve des dispositions de l'article 24, les prestations, hormiscelles qui sont accordees en raison d'une occupation comme ouvrier mineur,ne sont pas fournies aux beneficiaires de nationalite etrangere qui neresident pas effectivement en Belgique.

Les refugies reconnus au sens de la loi du 28 mars 1952 sur la police desetrangers sont, pour l'application de l'alinea precedent, supposes ne pasetre de nationalite etrangere.

Le Roi determine ce qu'il faut entendre par residence effective. Parderogation à l'alinea 1er, Il peut determiner pour quels beneficiaires denationalite etrangere et dans quels cas l'obligation de resider enBelgique n'est pas requise ».

Pris en execution de l'article 27, alinea 3, de l'arrete royal nDEG 50 du24 octobre 1967, l'article 65 de l'arrete royal du 21 decembre 1967 viseen tete du moyen dispose :

« S: 1er. L'obligation de resider en Belgique n'est pas requise desressortissants belges, des apatrides et des refugies reconnus au sens dela loi du 15 decembre 1980 sur l'acces au territoire, le sejour,l'etablissement et l'eloignement des etrangers, beneficiaires desprestations prevues par l'arrete royal nDEG 50 ou par la loi du 20 juillet1990 ou par l'arrete royal du 23 decembre 1996.

L'obligation de resider en Belgique n'est pas non plus requise despersonnes visees à l'article 4, 2DEG, de l'arrete royal du 6 decembre1955 relatif au sejour en Belgique de certains etrangers privilegies,beneficiaires des prestations prevues par l'arrete royal nDEG 50 ou par laloi du 20 juillet 1990 ou par l'arrete royal du 23 decembre 1996.

S: 2. Est consideree comme residant effectivement en Belgique, la personneautre que celles qui sont visees au paragraphe 1er qui a sa residenceprincipale et qui sejourne habituellement sur le territoire du royaume.

Sejourne habituellement sur le territoire du royaume celui qui n'effectueà l'etranger que des sejours inferieurs à un mois, sans que ceux-cidepassent une duree totale de trois mois par an.

Est considere egalement comme sejournant habituellement sur le territoiredu royaume, celui qui sejourne occasionnellement à l'etranger, meme plusd'un mois :

* soit parce qu'il est momentanement admis en traitement dans un hopitalou autre etablissement public ou prive destine à recevoir desmalades,

* soit parce qu'il est colloque dans un asile ou dans une colonied'alienes ou dans une maison de sante,

* soit parce qu'il reside avec un parent ou allie qui est tenu ou dontle conjoint est tenu de sejourner temporairement à l'etranger pour yeffectuer une mission ou y exercer des fonctions pour le service del'etat belge.

Le beneficiaire de prestations qui s'absente du royaume est tenu d'enaviser, dans le mois de son depart, le ministre qui a les pensions dansses attributions, en indiquant la duree prevue de son deplacement et, sicelle-ci est superieure à un mois, le motif du deplacement.

Le ministre qui a les pensions dans ses attributions peut autoriser unbeneficiaire des prestations prevues par l'arrete royal nDEG 50 et par laloi du 20 juillet 1990 et par l'arrete royal du 23 decembre 1996 àsejourner à l'etranger pour une periode superieure à un mois lorsque descirconstances particulieres justifient un sejour d'une telle duree ».

La discrimination retenue par l'arret attaque entre les etrangersprivilegies, les refugies et les apatrides, d'une part, et les etrangersordinaires, d'autre part, en ce que ces derniers perdent le benefice deleur pension de retraite s'ils ne resident pas en Belgique, au contrairedes premiers, trouve son origine dans l'article 27 de l'arrete royal nDEG50 du 24 octobre 1967. En son alinea 1er, l'article 27 pose le principeselon lequel les prestations de pension ne sont pas fournies auxbeneficiaires de nationalite etrangere qui ne resident pas effectivementen Belgique, sauf s'il existe, conformement à l'article 24 de l'arreteroyal nDEG 50, une convention internationale de securite sociale. En sonalinea 2, l'article 27 dispose que, contrairement aux autres etrangers,les refugies reconnus ne doivent pas, pour beneficier de la pension deretraite, resider effectivement en Belgique. En son alinea 3, l'article 27prevoit que d'autres categories d'etrangers peuvent egalement etreexonerees de cette condition et delegue au Roi le pouvoir de determinerces hypotheses. Tel est l'objet de l'article 65 de l'arrete royal du 21decembre 1967.

Il s'ensuit que la discrimination retenue par l'arret attaque ne git pasdans l'article 65 de l'arrete royal du 21 decembre 1967 mais dansl'article 27 de l'arrete royal nDEG 50 du 24 octobre 1967.

L'article 27 de l'arrete royal nDEG 50 du 24 octobre 1967 revet, depuisson remplacement par l'article 9 de la loi du 5 juin 1970, le caractered'une norme legislative. La circonstance que le legislateur n'aurait pas,à l'occasion de l'adoption de l'alinea 3 nouveau de l'article 27, modifiefondamentalement le contenu de l'alinea 2 ancien du meme article estindifferente à cet egard. Le remplacement de l'ancien article 27 par unenouvelle disposition constitue une nouvelle manifestation de volonteemanant du pouvoir legislatif, en sorte que la disposition nouvelle aforce de loi.

En decidant de reformer le jugement entrepris et de dire l'appel fonde,par tous ses motifs reproduits au moyen, et en ecartant sur la base del'article 159 de la Constitution l'article 27, alinea 3, de l'arrete royalnDEG 50 du 24 octobre 1967, lequel a la valeur d'une norme legislative,l'arret meconnait l'article 159 de la Constitution.

En controlant la conformite d'une norme legislative, en l'occurrencel'article 27, alinea 3, de l'arrete royal nDEG 50 du 24 octobre 1967, auxarticles 10 et 11 de la Constitution, alors que ce controle releve descompetences de la Cour constitutionnelle, l'arret meconnait egalementl'article 142, alinea 2, 2DEG, de la Constitution et l'article 26, S:S:1er et 2, de la loi speciale du 6 janvier 1989 sur la Courconstitutionnelle.

Enfin, en condamnant le demandeur à retablir le paiement de la pension deretraite du defendeur à dater de sa suspension et à lui payer lesarrieres restant dus, en depit de la circonstance qu'il ne reside pluseffectivement en Belgique, alors qu'il ne peut se prevaloir ni du statutde refugie, ni du statut d'apatride, ni de l'assujettissement à uneconvention internationale de securite sociale, l'arret meconnait l'article27 de l'arrete royal nDEG 50 du 24 octobre 1967 et l'article 65, S: 1er,de l'arrete royal du 21 decembre 1967.

Seconde branche

Aux termes de l'article 14 de la Convention de sauvegarde des droits del'homme et des libertes fondamentales, la jouissance des droits etlibertes reconnus dans ladite convention doit etre assuree, sansdistinction aucune, fondee notamment sur l'origine nationale ou sociale.Cette disposition s'applique aux droits reconnus par le Premier Protocoleadditionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et deslibertes fondamentales, et notamment son article 1er, alinea 1er, quidispose que toute personne physique ou morale a droit au respect de sesbiens et que nul ne peut etre prive de sa propriete que pour caused'utilite publique et dans les conditions prevues par la loi et lesprincipes generaux du droit international.

Il suit de la combinaison de ces dispositions que le respect des biensdoit etre assure sans discrimination. Une difference de traitement estdiscriminatoire si elle affecte des situations analogues ou comparables etsi elle est denuee de justification objective et raisonnable. Si les etatscontractants jouissent d'une certaine marge d'appreciation pour determinersi et dans quelle mesure des differences entre des situations à d'autresegards analogues justifient ces distinctions, seules des considerationstres fortes peuvent justifier une difference de traitement exclusivementfondee sur la nationalite.

Les regles constitutionnelles de l'egalite et de la non-discrimination,consacrees par les articles 10 et 11 de la Constitution, n'excluent pasqu'une difference de traitement soit etablie entre des categories depersonnes qui se trouvent dans des situations comparables, pour autantqu'elle repose sur un critere objectif et qu'elle soit raisonnablementjustifiee.

Les etrangers privilegies, les refugies et les apatrides qui sollicitentl'octroi d'une pension de retraite de l'etat belge ne sont pas, au regardde cette demande, dans une situation comparable à celle des etrangersordinaires qui sollicitent les memes prestations sociales. Les premiersjouissent d'un statut particulier qui leur est reconnu par des normes dedroit international auxquelles la Belgique a librement decide d'adherer,alors que les seconds ne peuvent pas se prevaloir d'un tel statut.

La difference de traitement, relevee par l'arret attaque, entre, d'unepart, les etrangers privilegies, les refugies et les apatrides, quiconservent le benefice de leur pension meme s'ils resident à l'etrangeret, d'autre part, les etrangers ordinaires, qui perdent le benefice deleur pension s'ils quittent la Belgique n'est pas fondee exclusivement surla nationalite. Elle se fonde sur l'existence, ou non, de normes de droitinternational qui imposent de reconnaitre auxdits etrangers les memesdroits qu'aux nationaux. Tel est le cas, pour les refugies, de laConvention relative au statut des refugies, signee à Geneve le 28 juillet1951 ; pour les apatrides, de la Convention relative au statut desapatrides, signee à New York le 28 septembre 1954 ; enfin, pour lesetrangers privilegies, des conventions internationales liant la Belgiqueet prevoyant un accord de reciprocite en matiere de securite sociale,telles qu'elles sont visees à l'article 24 de l'arrete royal nDEG 50 du24 octobre 1967.

Meme à supposer la difference de traitement fondee sur le critere de lanationalite, l'existence d'une obligation de traiter l'etranger au memetitre que le national, consacree par une norme de droit international,constitue, eu egard à l'importante marge d'appreciation dont doiventdisposer les etats contractants en matiere de securite sociale, uneconsideration tres forte justifiant ladite difference de traitement.

En decidant d'ecarter l'article 27, alinea 3, de l'arrete royal nDEG 50 du24 octobre 1967 et l'article 65, S: 1er, de l'arrete royal du 21 decembre1967 au motif que ces dispositions instituent une discrimination contraireaux articles 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme etdes libertes fondamentales et 1er de son premier protocole additionnel etaux articles 10 et 11 de la Constitution entre certaines categoriesd'etrangers et les etrangers ordinaires, par toutes les considerationsreprises au moyen, alors que la difference de traitement qu'il releve estfondee sur une justification objective et raisonnable, laquelle constituepar ailleurs une consideration tres forte, etant l'existence d'uneobligation de traiter l'etranger comme le national, consacree par unenorme de droit international, l'arret attaque viole l'article 14 de laConvention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertesfondamentales, l'article 1er du Premier Protocole additionnel à laConvention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertesfondamentales et les articles 10 et 11 de la Constitution.

III. La decision de la Cour

Quant à la seconde branche :

Tel qu'il s'applique au litige, l'article 27 de l'arrete royal nDEG 50 du24 octobre 1967 relatif à la pension de retraite et de survie destravailleurs salaries dispose, à l'alinea 1er, que, sous reserve desdispositions de l'article 24, qui reserve l'application des dispositions,en vigueur en Belgique, des conventions internationales de securitesociale, les prestations prevues à cet arrete, hormis celles, etrangeresà l'espece, qui sont accordees en raison d'une occupation comme ouvriermineur, ne sont pas fournies aux beneficiaires de nationalite etrangerequi ne resident pas effectivement en Belgique ; à l'alinea 2, que lesrefugies reconnus au sens de la loi du 28 mars 1952 sur la police desetrangers sont, pour l'application de l'alinea precedent, supposes ne pasetre de nationalite etrangere, et, à l'alinea 3, que le Roi determine cequ'il faut entendre par residence effective et que, par derogation àl'alinea 1er, il peut determiner pour quels beneficiaires de nationaliteetrangere et dans quel cas l'obligation de residence en Belgique n'est pasrequise.

Pris en execution de cette derniere disposition, l'article 65, S: 1er, del'arrete royal du 21 decembre 1967 portant reglement general du regime depension de retraite et de survie des travailleurs salaries dispense del'obligation de resider en Belgique les ressortissants belges, lesapatrides, les refugies reconnus au sens de la loi du 15 decembre 1980 surl'acces au territoire, le sejour, l'etablissement et l'eloignement desetrangers et les personnes visees à l'article 4, 2DEG, de l'arrete royaldu 6 decembre 1955 relatif au sejour en Belgique de certains etrangersprivilegies.

L'arret attaque, qui considere, sans etre critique, que le droit à lapension de retraite est un bien protege par l'article 1er du PremierProtocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'hommeet des libertes fondamentales, decide, par les motifs que critique lemoyen, en cette branche, que la difference de traitement que lesditsarticles 27 et 65 instaurent entre differentes categories de beneficiairesde nationalite etrangere n'est pas justifiee par de tres fortesconsiderations, de sorte que l'application de ces dispositions doit etreecartee en raison de leur contrariete à l'article 14 de la Convention desauvegarde des droits de l'homme et des libertes fondamentales, quiprescrit que la jouissance des droits et libertes reconnus dans cetteconvention doit etre assuree sans distinction aucune fondee sur l'originenationale.

Aux termes de l'article 26, S: 4, de la loi speciale du 6 janvier 1989 surla Cour constitutionnelle, lorsqu'il est invoque devant une juridictionqu'une loi, un decret ou une regle vise à l'article 134 de laConstitution viole un droit fondamental garanti de maniere totalement oupartiellement analogue par une disposition du titre II de la Constitutionainsi que par une disposition de droit europeen ou de droit international,la juridiction est tenue de poser d'abord à la Cour constitutionnelle laquestion prejudicielle sur la compatibilite avec la disposition du titreII de la Constitution.

Si, d'une part, les cours et tribunaux de l'ordre judiciaire sont juges dela conformite de toute norme de droit interne à une norme de droitinternational qui a des effets directs dans l'ordre interne et que,d'autre part, il n'est, en matiere civile, pas au pouvoir de la Cour desoulever de moyen d'office, celle-ci est tenue, avant de statuer sur laconformite aux articles 1er du Premier Protocole additionnel à laConvention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertesfondamentales et 14 de cette convention des dispositions dont l'arretecarte l'application, de poser à la Cour constitutionnelle la questionlibellee au dispositif du present arret.

Par ces motifs,

La Cour

Sursoit à statuer jusqu'à ce que la Cour constitutionnelle ait reponduà la question suivante :

L'article 27 de l'arrete royal nDEG 50 du 24 octobre 1967 relatif à lapension de retraite et de survie des travailleurs salaries, remplace parl'article 9 de la loi du 5 juin 1970 modifiant certaines dispositionsrelatives aux regimes de pensions des travailleurs salaries, des ouvriers,des employes, des ouvriers mineurs et des assures libres et au revenugaranti aux personnes agees et modifie par l'article 10 de l'arrete royalnDEG 415 du 16 juillet 1986 modifiant certaines dispositions en matiere depensions pour travailleurs salaries, qui n'astreint à l'obligation deresidence prevue à l'alinea 1er de cette disposition que certainsetrangers, à l'exclusion des etrangers qui peuvent se prevaloir d'unedisposition, en vigueur en Belgique, d'une convention internationale desecurite sociale, des apatrides, des refugies reconnus et de certainsetrangers privilegies, et qui permet au Roi de determiner pour quelsbeneficiaires de nationalite etrangere et dans quels cas cette obligationn'est pas requise, viole-t-il les articles 10, 11, 16 et 191 de laConstitution ?

Ainsi juge par la Cour de cassation, troisieme chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president Christian Storck, les conseillers Martine Regout,Alain Simon, Mireille Delange et Marie-Claire Ernotte et prononce enaudience publique du vingt-sept mai deux mille treize par le presidentChristian Storck, en presence de l'avocat general Jean Marie Genicot, avecl'assistance du greffier Lutgarde Body.

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| L. Body | M.-Cl. Ernotte | M. Delange |
|----------+----------------+-------------|
| A. Simon | M. Regout | Chr. Storck |
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27 MAI 2013 S.12.0081.F/7


Synthèse
Numéro d'arrêt : S.12.0081.F
Date de la décision : 27/05/2013

Origine de la décision
Date de l'import : 12/06/2013
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2013-05-27;s.12.0081.f ?
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