Cour de cassation de Belgique
Arret
2992
NDEG C.12.0249.F
Association Mutuelle Medicale d'Assurances, association d'assurancesmutuelles dont le siege est etabli à Bruxelles, avenue de laRenaissance, 12,
demanderesse en cassation,
representee par Maitre Franc,ois T'Kint, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Charleroi, rue de l'Athenee, 9, ou il estfait election de domicile,
contre
Didactu, societe civile sous forme de societe privee à responsabilitelimitee, dont le siege social est etabli à Lasne(Chapelle-Saint-Lambert), rue des Fiefs, 4, faisant election de domicileen l'etude de l'huissier de justice Luc De Cnop, etablie à Bruxelles,avenue Louise, 87,
defenderesse en cassation.
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 24 octobre 2011par la cour d'appel de Bruxelles.
Par ordonnance du 6 mai 2013, le premier president a renvoye la causedevant la troisieme chambre.
Le 10 mai 2013, l'avocat general Jean Marie Genicot a depose desconclusions ecrites au greffe.
Le conseiller Martine Regout a fait rapport et l'avocat general Jean MarieGenicot a ete entendu en ses conclusions.
II. Le moyen de cassation
La demanderesse presente un moyen libelle dans les termes suivants :
Dispositions legales violees
* articles 1134, 1165, 1321, 1984, 1997 et 1998 du Code civil ;
* articles 61, S: 1er, 78 et 80 du Code des societes ;
* articles 17 et 18 du Code judiciaire.
Decision et motifs critiques
L'arret dit l'appel de la defenderesse fonde, reforme le jugement dupremier juge, dit l'action originaire de la defenderesse recevable etpartiellement fondee, condamne la demanderesse à payer à la defenderesseles sommes de 2.500 euros en principal et de 525 euros de taxe sur lavaleur ajoutee, augmentees des interets moratoires au taux legal depuis le16 octobre 2006, la condamne aux frais et aux depens des deux instances etla deboute de sa demande reconventionnelle originaire, aux motifs que :
« (La demanderesse), qui ne conteste pas l'obligation mise à sa charge,dans le cadre des accords conclus avec Scor Vie, de payer les honorairesdus au tribunal arbitral, releve que l'acte de mission etabli le 20 avril2006 designe C. J. à titre personnel et que celui-ci a en outre signe cedocument sans preciser qu'il agissait en qualite de gerant de la(defenderesse).
Ensuite, à l'occasion des negociations relatives au paiement deshonoraires du tribunal arbitral, C. J. a precise, dans une lettreadressee le 18 octobre 2006 au conseil de (la demanderesse), qu'ilmaintenait sa demande de paiement à concurrence de 3.693 euros horstaxe sur la valeur ajoutee, nonobstant l'accord de ses collegues pourtransiger sur la somme de 2.500 euros, et, dans une lettre adressee le 18decembre 2006, qu'il chargeait son conseil de la defense de ses interetsà defaut d'accord sur le montant reclame.
S'il est exact que la convention d'arbitrage ne reprend que l'identite deC. J., sans que soit mentionnee la (defenderesse), et que celui-ci aadresse deux lettres au conseil (de la demanderesse) sur un papier àlettres ne reprenant que sa seule identite, il ne peut se deduire de cesseules circonstances que C. J. serait le titulaire personnel de lacreance invoquee par la (defenderesse).
Ni la convention d'arbitrage ni les lettres subsequentes adressees par C. J. ne permettent d'exclure le droit de la (defenderesse) de facturer lesprestations realisees par son organe, des lors que la facturation,s'agissant d'une operation à caractere essentiellement comptable, sedistingue des prestations effectuees personnellement dans le cadre del'execution de la convention d'arbitrage.
Il ressort des statuts de (la defenderesse), constituee le 13 octobre2004, que C. J., qui detient 80 p.c. du capital social, a ete designe enqualite de gerant statutaire, de sorte que cette societe apparait fondeeà reclamer les honoraires de l'arbitrage, des lors qu'elle regroupel'ensemble des activites de C. J.
S'il convient, en effet, de distinguer la personne physique de la personnemorale et que la convention d'arbitrage est en principe conclue intuitu personae, cette distinction est, en l'espece, sans pertinence des lors queC. J. est effectivement intervenu en qualite de prestataire de serviceset il importe peu, par consequent, à l'egard (de la demanderesse), quecelui-ci soit intervenu en qualite de personne physique distincte, sous lestatut social d'independant, hypothese en l'espece non retenue, ou enqualite d'organe representatif et legalement habilite à poser des actespour le compte de (la defenderesse).
Des lors que C. J. a constitue une societe pour l'exercice de sesactivites professionnelles, les prestations qu'il a effectuees enexecution de la convention d'arbitrage l'ont necessairement ete dans lecadre de la personne morale dont il est l'organe, de sorte que la creanced'honoraires est nee dans le patrimoine de la personne morale, qui est deslors en droit d'en reclamer le paiement à (la demanderesse).
Le fait que C. J. n'ait pas indique, des la signature de la conventiond'arbitrage, que les honoraires devaient etre payes à (la defenderesse)est, par consequent, sans pertinence (...).
Pour les memes motifs que ceux qui sont exposes ci-dessus, il ne peutdavantage etre soutenu que devrait s'appliquer, en l'espece, la regle que`nul ne plaide par procureur' ».
Griefs
En vertu des articles 17 et 18 du Code judiciaire, l'action en justice nepeut etre admise que si le demandeur a qualite et interet pour la former,et cet interet doit etre ne et actuel.
A seul qualite pour agir celui qui est titulaire du droit subjectifrevendique.
D'autre part, meme si celui dont le droit subjectif est conteste mais quipretend etre titulaire de ce droit a interet et qualite pour introduireune demande en justice, il reste que son action ne peut etre declareefondee si le demandeur n'est pas, à l'egard de la partie defenderesse,personnellement titulaire du droit subjectif que l'action pretend mettreen oeuvre.
Les societes dotees de la personnalite juridique ne peuvent agir que parleurs organes dont les actes sont reputes etre ceux de l'etre moral. Maisces organes sont des mandataires, en sorte que les regles qui gouvernentle mandat sont applicables aux actes qu'ils accomplissent.
Le mandat implique que le representant agisse pour le compte et au nom durepresente, le mandataire etant tenu, en vertu de l'article 1997 du Codecivil, de donner aux tiers avec lesquels il contracte en cette qualite unesuffisante connaissance de ses pouvoirs.
Si le mandataire omet de reveler l'existence du mandat, il agit en son nompropre : il y a mandat sans representation, si bien que le mandant n'a dedroit qu'à l'egard du mandataire et non du tiers. Et, il en va ainsi lorsmeme que le mandant ratifierait les actes accomplis par le mandataire, carle tiers n'est pas tenu de reconnaitre les effets juridiques de pareilleratification, celle-ci n'ayant d'effet à son egard, suivant l'article1998 du Code civil, que si le mandataire a agi comme tel mais en depassantles pouvoirs qui lui ont ete conferes.
Le tiers peut s'en tenir à l'apparence, en vertu de l'article 1321 duditcode, le mandat restant en toute hypothese sans effet en ce qui leconcerne, etant une res inter alios acta.
La regle qui veut que le mandataire revele l'existence et, s'il echet,l'etendue du mandat dont il est investi, ainsi que l'identite du mandant,sauf s'il y a election de command, est renforcee en matiere de societespar l'article 61, S: 1er, du Code des societes, lu en combinaison avec lesarticles 78 et 80 du meme code, qui imposent à celui qui intervientnotamment en qualite d'organe d'une societe de l'indiquer et de mentionnerdiverses indications sur tout acte emanant de la societe.
à defaut, les rapports de droit n'existent qu'entre la personne qui estintervenue en omettant de mentionner qu'elle agissait comme representantde la societe et le tiers, qui n'est pas lie vis-à-vis de la societe,laquelle ne peut faire valoir aucun droit contre lui.
L'arret decide que C. J. a ete designe en qualite d'arbitrepersonnellement mais que c'est en tant qu'organe de la defenderesse qu'ila accepte cette mission ; il fonde cette decision sur la considerationqu'ayant constitue la defenderesse afin de regrouper toutes ses activitesprofessionnelles et en etant le gerant statutaire, la convention, en vertude laquelle il a assume sa mission et les honoraires sont dus, a eteconclue en cette derniere qualite, en sorte que la creance d'honorairesest nee dans le chef de la defenderesse, qui est recevable et fondee à enpoursuivre le paiement à charge de la demanderesse.
Il reconnait toutefois que ni au moment ou il a ete designe et a acceptesa mission ni au cours des negociations en vue du reglement amiable deshonoraires des arbitres, il n'a revele qu'il intervenait en qualite demandataire, organe de la defenderesse.
De la sorte, il reconnait illegalement à cette derniere la qualite detitulaire du droit subjectif aux honoraires qu'elle ne revet pas et met àcharge de la demanderesse une obligation de paiement à l'egard de ladefenderesse qui ne peut lui etre imposee. Il declare illicitementl'action de la defenderesse recevable (violation des articles 17 et 18 duCode judiciaire) et fondee (violation de toutes les autres dispositionsvisees au moyen).
III. La decision de la Cour
Aux termes de l'article 61, S: 1er, du Code des societes, les societesagissent par leurs organes dont les pouvoirs sont determines par ce code,l'objet social et les clauses statutaires. Les membres de ces organes necontractent aucune responsabilite personnelle relative aux engagements dela societe.
Toutefois, en regle, l'organe d'une societe qui agit au nom et pour lecompte de celle-ci sans le faire savoir de fac,on expresse ou tacite sepresente comme agissant à titre personnel et, partant, estpersonnellement engage.
Lorsque l'organe a ainsi contracte en nom personnel, la societe ne peutfonder sur le contrat un droit à obtenir de la personne avec laquelle ila contracte l'execution des engagements que celle-ci a pris.
Le juge du fond apprecie souverainement, d'apres les elements de la cause,si une personne ayant la qualite d'organe d'une societe est intervenue ennom personnel ou au nom de cette societe et, dans ce dernier cas, en ainforme le cocontractant.
L'arret considere, d'une part, qu' « il ressort des statuts de la[societe defenderesse], constituee le 13 octobre 2004, que C. J., quidetient 80 p.c. du capital social, a ete designe en qualite de gerantstatutaire, de sorte que cette societe apparait fondee à reclamer leshonoraires de l'arbitrage, des lors qu'elle regroupe l'ensemble desactivites de C. J. », et que, « des lors que C. J. a constitue unesociete pour l'exercice de ses activites professionnelles, les prestationsqu'il a effectuees en execution de la convention d'arbitrage l'ontnecessairement ete dans le cadre de la personne morale dont il estl'organe, de sorte que la creance d'honoraires est nee dans le patrimoinede la personne morale, qui est des lors en droit d'en reclamer le paiementà [la demanderesse] » et, d'autre part, que la demanderesse « n'a pas[...] conteste la facture etablie, le 25 janvier 2005, au nom de la[defenderesse] pour des prestations cependant realisees par C. J. etn'etablit pas que, dans le cadre de ces prestations, il aurait ete precisequ'il intervenait pour la societe ».
De ces considerations de fait, dont il ressort que C. J. a contracte avecla demanderesse au nom de la defenderesse et que la demanderesse lesavait, l'arret a pu deduire que la defenderesse etait titulaire du droitau paiement de la note d'honoraires litigieuse.
Le moyen ne peut etre accueilli.
Par ces motifs,
La Cour,
Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux depens.
Les depens taxes à la somme de six cent quatre-vingt-un eurossoixante-sept centimes envers la partie demanderesse.
Ainsi juge par la Cour de cassation, troisieme chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president Christian Storck, les conseillers Martine Regout,Alain Simon, Mireille Delange et Marie-Claire Ernotte et prononce enaudience publique du vingt-sept mai deux mille treize par le presidentChristian Storck, en presence de l'avocat general Jean Marie Genicot, avecl'assistance du greffier Lutgarde Body.
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| L. Body | M.-Cl. Ernotte | M. Delange |
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| A. Simon | M. Regout | Chr. Storck |
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27 MAI 2013 C.12.0249.F/1