Cour de cassation de Belgique
Arret
5500
NDEG C.11.0586.F
Region de Bruxelles-Capitale, representee par son
gouvernement, en la personne du ministre-president, dont le cabinet estetabli à Bruxelles, rue Ducale, 7-9,
demanderesse en cassation,
representee par Maitre Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, rue des Quatre Bras, 6, ou il estfait election de domicile,
contre
1. Immo Fond'Roy, societe anonyme dont le siege social est etabli àWaterloo, dreve du Moulin, 46 A,
2. Min, societe civile ayant adopte la forme de la societe anonyme, dontle siege social est etabli à Wezembeek-Oppem, Bergenblokstraat, 48,
3. C. D.,
4. M. S.,
5. W. S.,
6. F. S.,
7.a) E. A. S.,
7.b) N. G.,
7.c) P. G.,
en leur qualite d'heritiers de P. G,
8. P. G.,
9. du Vallon, societe anonyme dont le siege social est etabli à Uccle,Vallon d'Ohain, 7,
10.a) D. d. B.,
10.b) A. R.,
10.c) D. R.,
en leur qualite d'heritiers de J.-J. R.,
11. E. W.,
12. M. W.,
13. D. W.,
defendeurs en cassation,
representes par Maitre Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 149, ou il estfait election de domicile.
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 28 janvier 2011par la cour d'appel de Bruxelles.
Le conseiller Didier Batsele a fait rapport.
L'avocat general Thierry Werquin a conclu.
II. Les moyens de cassation
La demanderesse presente deux moyens, dont le premier est libelle dans lestermes suivants :
Dispositions legales violees
* article 16 de la Constitution ;
* article 764, 11DEG, du Code judiciaire ;
* articles 240, S: 3, et 242 du Code bruxellois de l'amenagement duterritoire (CobAT), arrete le 9 avril 2004 par le gouvernement de laRegion de Bruxelles-Capitale et ratifie par ordonnance de la Region deBruxelles-Capitale du 13 mai 2004 ;
* articles 32 et 34 de l'ordonnance du 4 mars 1993 relative à laconservation du patrimoine immobilier ;
* article 17 de la loi du 17 avril 1835 sur l'expropriation pour caused'utilite publique.
Decisions et motifs critiques
L'arret dit les appels principal et incident fondes, met à neant lejugement dont appel, sauf en tant qu'il liquide les depens, statuant ànouveau et faisant application de l'article 240, S: 3, du CobAT, sursoità statuer sur la demande des sieurs P. et P. G., coproprietaires indivisde certaines parcelles, constate la transmission de propriete à la Regionde Bruxelles-Capitale des autres parcelles, dit pour droit que l'arrettient lieu d'acte authentique de transfert de propriete et qu'il peut etretranscrit comme tel au bureau de la conservation des hypotheques, avantdire droit quant au prix, designe trois experts et reserve le surplus, ycompris les depens.
Cette decision repose notamment sur les considerations suivantes :
« 9. Suivant le paragraphe 3 de l'article 240 du CobAT (ancien article 32de l'ordonnance bruxelloise du 4 mars 1993 relative à la conservationdu patrimoine immobilier ), `lorsque le bien [classe] relevant dupatrimoine immobilier appartient à une personne physique ou morale dedroit prive, celle-ci peut, au lieu d'executer les travaux qui sontindispensables au maintien de l'integrite du bien, exiger que la Regionprocede à l'expropriation de son bien. Sauf convention contraireintervenue entre les parties interessees, l'expropriation porte sur lebien relevant du patrimoine immobilier tout entier, meme s'il n'estinscrit sur la liste de sauvegarde ou classe que pour partie, à lacondition que la partie inscrite sur la liste de sauvegarde ou classeeconstitue un element essentiel du patrimoine immobilier et sur le terrainqui en est l'accessoire indispensable' ;
Les travaux preparatoires du projet d'ordonnance relative à laconservation du patrimoine immobilier indiquent que cette disposition`s'inspire' des articles 6 et 16 (lire : 7 et 8) de la loi du 7 aout1931 sur la conservation des monuments et sites, ainsi que de l'article 37de la loi du
29 mars 1962 organique de l'amenagement du territoire et de l'urbanisme.
[...] Ni l'une ni l'autre de ces `inspirations' legislatives ne suggerentque l'acquisition forcee organisee par l'article 240, S: 3, du CobATs'entend d'une expropriation pour cause d'utilite publique au sens de laloi du 17 avril 1835. La loi du 7 aout 1931 precitee se borne, en effet,à renvoyer à cette legislation en ce qui concerne `le paiement du prixpar l'Etat et l'envoi de celui-ci en possession du bien', tandis que celledu 29 mars 1962 n'y fait aucune allusion ;
L'achat force par l'autorite publique du bien classe doit s'analyser commeun mode d'indemnisation de la servitude d'utilite publique que constitueson classement, aux conditions que la loi determine ;
Il s'ensuit que les jugements et arrets qui interviennent dansl'instruction de la procedure visee par l'article 240, S: 3, du CobATpeuvent etre prononces sans avoir entendu prealablement le ministerepublic ».
Griefs
Aux termes de l'article 764, 11DEG, du Code judiciaire, sauf devant lejuge de paix, le juge des referes et le juge des saisies, sont, à peinede nullite, communiquees au ministere public, toutes les demandes dont lacommunication au ministere public est prevue par les lois speciales.
L'article 240, S: 3, alinea 1er, du Code bruxellois de l'amenagement duterritoire (CobAT), arrete le 9 avril 2004 par le gouvernement de laRegion de Bruxelles-Capitale et ratifie par l'ordonnance de la Region deBruxelles-Capitale du 13 mai 2004, ancien article 32 de l'ordonnance du 4mars 1993 relative à la conservation du patrimoine immobilier, disposeque, lorsque le bien relevant du patrimoine immobilier appartient à unepersonne physique ou morale de droit prive, celle-ci peut, au lieud'executer les travaux qui sont indispensables au maintien de l'integritedu bien, exiger que la Region procede à l'expropriation de son bien.
Selon l'article 240, S: 3, alinea 2, dudit code (ancien article 32 del'ordonnance du 4 mars 1993), sauf convention contraire intervenue entreles parties interessees, l'expropriation porte sur le bien relevant dupatrimoine immobilier tout entier, meme s'il n'est inscrit sur la liste desauvegarde ou classe que pour partie, à la condition que la partieinscrite sur la liste de
sauvegarde ou classee constitue un element essentiel du patrimoineimmobilier et sur le terrain qui en est l'accessoire indispensable.
L'article 242 du CobAT, ancien article 34 de l'ordonnance du 4 mars 1993,dispose quant à lui que le gouvernement peut, soit d'initiative, soit surla proposition de la commission royale des monuments et des sites ou ducollege des bourgmestre et echevins de la commune ou le bien est situe,decider l'expropriation pour cause d'utilite publique d'un bien relevantdu patrimoine immobilier, inscrit sur la liste de sauvegarde ou classe,qui risque d'etre detruit ou gravement deteriore. A la demande du collegedes bourgmestre et echevins de la commune concernee, le gouvernement peutautoriser cette commune à exproprier pour cause d'utilite publique untel bien et dans les memes conditions.
Il ressort desdites dispositions que le CobAT fait explicitement etatd'expropriation, soit à la demande du proprietaire, soit à l'initiativedes autorites concernees.
Aux termes de l'article 16 de la Constitution, nul ne peut etre prive desa propriete que pour cause d'utilite publique, dans les cas et de lamaniere etablis par la loi, et moyennant une juste et prealable indemnite.
Il s'ensuit que l'expropriation ne peut avoir lieu que de la maniereetablie par la loi.
L'article 240 du CobAT, ancien article 32 de l'ordonnance du 4 mars 1993,omettant de preciser la procedure à respecter afin de proceder àl'expropriation, il s'ensuit que celle-ci se fait selon le droit commun,soit la loi du 17 avril 1835 sur l'expropriation pour cause d'utilitepublique, qui constitue le droit commun en matiere d'expropriation.
Aux termes de l'article 17 de la loi du 17 avril 1835, tous les jugementsqui interviendront dans l'instruction de la procedure, telle qu'elle estreglee par les articles precedents, ne seront rendus qu'apres avoirentendu le ministere public ; ils seront executoires provisoirementnonobstant opposition, appel et sans caution.
Il s'ensuit que la demande d'expropriation forcee est communicable auministere public.
Partant, l'arret, qui considere que la demande en expropriation forcee,qu'il appelle de maniere erronee une acquisition forcee, n'est pointcommunicable au ministere public, ne justifie pas legalement en droit sadecision (violation des articles 16 de la Constitution, 764, 11DEG, duCode judiciaire, 240, S: 3, et 242 du Code bruxellois de l'amenagement duterritoire (CobAT), arrete le 9 avril 2004 par le gouvernement de laRegion de Bruxelles-Capitale et ratifie par l'ordonnance de la Region deBruxelles-Capitale du 13 mai 2004, 32 et 34 de l'ordonnance du 4 mars1993 relative à la conservation du patrimoine immobilier et 17 de la loidu 17 avril 1835 sur l'expropriation pour cause d'utilite publique).
III. La decision de la Cour
Sur le premier moyen :
Aux termes de l'article 764, 11DEG, du Code judiciaire, sauf devant lejuge de paix, le juge des referes et le juge des saisies, sont, à peinede nullite, communiquees au ministere public, toutes les demandes dont la
communication au ministere public est prevue par les lois speciales.
L'article 240, S: 3, du Code bruxellois de l'amenagement du territoire du9 avril 2004 (ci-dessous le CobAT), ratifie par l'ordonnance de la Regionde Bruxelles-Capitale du 13 mai 2004, ancien article 32 de l'ordonnance du
4 mars 1993 relative à la conservation du patrimoine immobilier, disposeque, lorsque le bien relevant du patrimoine immobilier appartient à unepersonne physique ou morale de droit prive, celle-ci peut, au lieud'executer les travaux qui sont indispensables au maintien de l'integritedu bien, exiger que la Region procede à l'expropriation de son bien etque, sauf convention contraire intervenue entre les parties interessees,l'expropriation porte sur le bien relevant du patrimoine immobilier toutentier, meme s'il n'est inscrit sur la liste de sauvegarde ou classe quepour partie, à la condition que la partie inscrite sur la liste desauvegarde ou classee constitue un element essentiel du patrimoineimmobilier et sur le terrain qui en est l'accessoire indispensable.
L'article 242 du CobAT, ancien article 34 de l'ordonnance du 4 mars 1993,dispose quant à lui que le gouvernement peut, soit d'initiative, soit surla proposition de la Commission royale des monuments et des sites ou ducollege des bourgmestre et echevins de la commune ou le bien est situe,decider l'expropriation pour cause d'utilite publique d'un bien relevantdu patrimoine immobilier, inscrit sur la liste de sauvegarde ou classe,qui risque d'etre detruit ou gravement deteriore. A la demande du collegedes bourgmestre et echevins de la commune concernee, le gouvernement peutautoriser cette commune à exproprier pour cause d'utilite publique un telbien et dans les memes conditions.
Suivant l'article 16 de la Constitution, nul ne peut etre prive de sapropriete que pour cause d'utilite publique, dans les cas et de la maniereetablis par la loi, et moyennant une juste et prealable indemnite.
L'article 240 du CobAT ne precise pas la loi applicable à la procedured'expropriation. Il s'ensuit que celle-ci est reglee par la loi du 17avril 1835 sur l'expropriation pour cause d'utilite publique, quiconstitue le droit commun en matiere d'expropriation.
En vertu de l'article 17 de cette loi, tous les jugements quiinterviendront dans l'instruction de la procedure, telle qu'elle estreglee par les articles precedents, ne seront rendus qu'apres avoirentendu le ministere
public.
L'arret, qui considere que « l'achat force par l'autorite publique dubien classe doit s'analyser comme un mode d'indemnisation de la servituded'utilite publique que constitue son classement, aux conditions que la loidetermine », et decide « que les jugements et arrets qui interviennentdans l'instruction de la procedure visee par l'article 240, S: 3, du CobATpeuvent etre prononces sans avoir entendu prealablement le ministerepublic », viole l'ensemble des dispositions visees au moyen.
Le moyen est fonde.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l'arret attaque ;
Ordonne que mention du present arret sera faite en marge de l'arretcasse ;
Reserve les depens pour qu'il soit statue sur ceux-ci par le juge defond ;
Renvoie la cause devant la cour d'appel de Liege.
Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Albert Fettweis, les conseillers DidierBatsele, Martine Regout, Michel Lemal et Marie-Claire Ernotte, et prononceen audience publique du seize mai deux mille treize par le president desection Albert Fettweis, en presence de l'avocat general Jean MarieGenicot, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.
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| P. De Wadripont | M.-Cl. Ernotte | M. Lemal |
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| M. Regout | D. Batsele | A. Fettweis |
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16 MAI 2013 C.11.0586.F/10