Cour de cassation de Belgique
Arret
7827
NDEG C.11.0745.F
BUREAU BELGE DES ASSUREURS AUTOMOBILES, dont le siege est etabli àSaint-Josse-ten-Noode, rue de la Charite, 33,
demandeur en cassation,
represente par Maitre Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation, dontle cabinet est etabli à Bruxelles, rue Brederode, 13, ou il est faitelection de domicile,
contre
1. H. S. et
2. F. S.,
defendeurs en cassation.
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre le jugement rendu le 31 janvier2011 par le tribunal de premiere instance d'Eupen, statuant en degred'appel.
Le conseiller Michel Lemal a fait rapport.
L'avocat general Thierry Werquin a conclu.
II. Le moyen de cassation
Le demandeur presente un moyen libelle dans les termes suivants :
Dispositions legales violees
* articles 774, alinea 2, et 1138, 2DEG, du Code judiciaire ;
* articles 2, S: 2, et 19bis-1 de la loi du 21 novembre 1989 relative àl'assurance obligatoire de la responsabilite en matiere de vehiculesautomoteurs ;
* article 1er de l'arrete royal du 14 decembre 1992 relatif aucontrat-type d'assurance obligatoire de la responsabilite en matierede vehicules automoteurs ;
* articles 1er, 24 et 25 du contrat-type d'assurance obligatoire de laresponsabilite en matiere de vehicules automoteurs, annexe à l'arreteroyal du 14 decembre 1992 relatif au contrat-type d'assuranceobligatoire de la responsabilite civile en matiere de vehiculesautomoteurs ;
* principes generaux du droit relatifs à l'autonomie des parties auproces civil (principe dispositif) et au respect des droits de ladefense.
Decisions et motifs critiques
Le jugement attaque declare l'appel interjete par [le demandeur]recevable mais non fonde et confirme en toutes ses dispositions lejugement du premier juge en tant qu'il a dit la demande recevable maisnon fondee en ce qu'elle est dirigee contre le second defendeur etrecevable et partiellement fondee en ce qu'elle est dirigee contre lepremier defendeur, et a condamne le premier defendeur à payer [audemandeur] une somme de 11.262,98 euros, à augmenter des interets au tauxlegal à partir de la date de paiement, et aux depens, aux motifssuivants :
« Le 16 juillet 2007, [le second defendeur] a, au volant de la voiture deson pere, [le premier defendeur], cause un accident à Aix-la-Chapelle. Lavoiture etait immatriculee en Belgique.
Il n'est pas conteste que [le second defendeur] est seul responsable del'accident.
[Le demandeur] a regle les dommages causes à hauteur de 22.525,97 euroset reclame la restitution de ce montant à charge des deux [defendeurs].
Le jugement du premier juge n'a que partiellement fait droit à cettedemande, dans la mesure ou il a, conformement aux articles 24 et 25 del'arrete royal du 14 decembre 1992, rejete la demande contre [le seconddefendeur] au motif qu'il n'est pas le preneur d'assurance, et a acceptepour moitie la demande à l'encontre [du premier defendeur] sur la base del'article 24 du meme arrete royal.
[Le demandeur] a interjete appel de ce jugement dans la mesure ou ilconsidere qu'il ne fait pas valoir une action recursoire à l'egard des[defendeurs] mais qu'il s'est substitue directement aux droits de lapartie lesee.
Le tribunal ne peut suivre ce raisonnement.
Il s'avere des documents produits qu'une police d'assurance a ete concluepour la voiture aupres de la societe Winterthur mais que les primesd'assurance n'ont pas ete payees.
L'intervention [du demandeur] est due au fait que l'accident s'estproduit en Allemagne mais que la voiture est immatriculee en Belgique.
Partant, conformement à l'article 2, S: 2, de la loi du 21 novembre1989, [le demandeur] intervient dans ce cas comme une compagnied'assurances, avec tous les droits et obligations dont dispose pareillecompagnie dans le cadre du reglement d'un sinistre.
Dans ce contexte, [le demandeur] ne se substitue pas aux droits de lapartie lesee mais exerce à l'egard des [defendeurs] une action recursoiredont l'etendue est determinee par les dispositions legales.
Partant, le premier juge a, à juste titre, declare non fondee la demandeoriginaire à l'encontre [du second defendeur], dans la mesure ou l'actionrecursoire ne peut etre introduite que contre le preneur d'assurance etque [le second defendeur] ne peut pas etre considere comme ayant cettequalite.
Puisque l'article 24 de l'arrete royal du 14 decembre 1992 est applicable,le premier juge a, egalement à juste titre, decide que la demande àl'encontre [du premier defendeur] n'est fondee que jusqu'à concurrencede la moitie du montant reclame ».
Griefs
Premiere branche
En vertu de l'article 2, S: 2, de la loi du 21 novembre 1989 relative àl'assurance obligatoire de la responsabilite en matiere de vehiculesautomoteurs, les vehicules automoteurs ayant leur stationnement habituelà l'etranger sont egalement admis à la circulation en Belgique, à lacondition que le bureau agree ou cree à cette fin en application de laloi du 9 juillet 1975 relative au controle des entreprises d'assurancesassume lui-meme à l'egard des personnes lesees la charge de reparerconformement aux dispositions de cette loi les dommages causes en Belgiquepar ces vehicules. Pour l'application de cette loi, ce bureau estassimile à un assureur.
L'article 19bis-1 de cette loi dispose que le Roi agree, aux conditionsqu'il determine, un bureau national d'assurance, ci-apres denomme lebureau belge, qui a pour mission de reparer, conformement à lalegislation relative à l'assurance obligatoire de la responsabilite enmatiere de vehicules automoteurs, les dommages causes en Belgique par lesvehicules ayant leur stationnement habituel à l'etranger.
Ces dispositions ont pour but de garantir que la personne lesee seraindemnisee pour le dommage cause en Belgique par des vehicules automoteursayant leur stationnement habituel à l'etranger.
L'assimilation du bureau belge à un assureur implique que la personnelesee est en droit d'invoquer les dispositions de la loi à l'encontre dubureau belge, comme si le bureau belge etait un assureur au sens de cetteloi. De meme, le bureau belge peut invoquer les dispositions de cette loià l'encontre de la personne lesee, comme s'il etait un assureur au sensde cette loi.
D'une part, l'article 2, S: 2, de la loi du 21 novembre 1989 n'assimile lebureau belge à un assureur que dans le cas ou un accident a ete commis enBelgique par un vehicule etranger et lorsque le bureau est donc charge, àl'egard des personnes lesees, de reparer, conformement aux dispositions dela loi du 21 novembre 1989, les dommages causes en Belgique par lesvehicules ayant leur stationnement habituel à l'etranger.
D'autre part, l'assimilation à un assureur ne joue qu'à l'egard despersonnes lesees et n'implique pas que le bureau belge doit etre considereà l'egard des personnes responsables comme l'assureur du vehicule qui acause le dommage.
En vertu de l'article 1er de l'arrete royal du 14 decembre 1992 relatif aucontrat-type d'assurance obligatoire de la responsabilite en matiere devehicules automoteurs, les contrats d'assurance obligatoire de laresponsabilite en matiere de vehicules automoteurs doivent repondre auxdispositions du contrat-type joint à cet arrete. En vertu de l'article1er du contrat-type, annexe à l'arrete royal du 14 decembre 1992 relatifau contrat- type d'assurance obligatoire de la responsabilite en matierede vehicules automoteurs, la compagnie couvre, par ce contrat,conformement à la loi du
21 novembre 1989 et aux conditions qui suivent, la responsabilite civileencourue par les assures à la suite d'un sinistre cause en Belgique parle vehicule designe. Il suit de ces dispositions que le contrat-type, ycompris les articles 24 et 25 de celui-ci, qui reglent le recours de lacompagnie d'assurance avec laquelle le contrat est conclu, ne s'appliquepas lorsqu'il n'y pas d'assurance.
En l'espece, il apparait des constatations du jugement attaque qu'unaccident a ete commis en Allemagne par un vehicule ayant sonstationnement habituel en Belgique.
En outre, il n'etait pas conteste par les parties que le vehicule n'etaitpas assure et que, plus particulierement, aucun contrat d'assurancen'avait ete conclu entre [le demandeur] et les defendeurs, de sorte que lecontrat-type d'assurance obligatoire de la responsabilite en matiere devehicules automoteurs ne s'applique pas dans la relation entre [ledemandeur] et les defendeurs.
En decidant que [le demandeur], qui a repare le dommage, doit etreconsidere comme l'assureur du vehicule belge qui a cause le dommage àl'etranger et qu'[il] ne peut exercer un recours contre les responsablesque dans les limites des articles 24 et 25 du contrat-type, le jugementattaque viole les articles 2, S: 2, et 19bis-1 de la loi du 21 novembre1989 relative à l'assurance obligatoire de la responsabilite en matierede vehicules automoteurs, l'article 1er de l'arrete royal du 14 decembre1992 relatif au contrat-type d'assurance obligatoire de la responsabiliteen matiere de vehicules automoteurs et les articles 1er, 24 et 25 ducontrat-type annexe à cet arrete royal.
Seconde branche
Le juge peut suppleer d'office aux motifs invoques par les parties deslors qu'il n'eleve aucune contestation dont celles-ci ont exclul'existence, qu'il se fonde uniquement sur des faits regulierement soumisà son appreciation et qu'il ne modifie pas l'objet de la demande. Ildoit, ce faisant, respecter les droits de la defense.
Dans leurs conclusions, les parties avaient soutenu que le vehiculen'etait pas assure (conclusions des defendeurs : « Considerant que levehicule n'etait, à ce moment, pas assure » ; conclusions [du demandeur]: « Il est alors apparu que le vehicule n'etait pas assure »).
Le jugement attaque enonce qu'il ressort des pieces qu'une policed'assurance avait ete souscrite chez Winterthur mais que les primesn'avaient pas ete payees.
Dans la mesure ou il decide par cette consideration que le vehicule etaitassure au moment de l'accident et que c'est pour cette raison que lesarticles 24 et 25 du contrat-type, annexe à l'arrete royal du 14 decembre1992 relatif au contrat-type d'assurance obligatoire de la responsabiliteen matiere de vehicules automoteurs s'appliquent, le jugement attaqueeleve une contestation dont les parties ont exclu l'existence, et cecisans rouvrir les debats afin de leur permettre de conclure et de plaidersur ce point, et viole donc le principe general du droit relatif àl'autonomie des parties au proces civil, consacre par l'article 1138,2DEG, du Code judiciaire (principe dispositif), ainsi que le droit dedefense [du demandeur] (violation du principe general du droit relatif aurespect des droits de la defense et de l'article 774, alinea 2, du Codejudiciaire, qui en fait application).
III. La decision de la Cour
Quant à la premiere branche :
Selon l'article 2, S: 2, alinea 2, de la loi du 21 novembre 1989 relativeà l'assurance obligatoire de la responsabilite en matiere de vehiculesautomoteurs, pour l'application de cette loi, le bureau agree ou cree auxfins de reparer les dommages causes en Belgique par les vehiculesautomoteurs ayant leur stationnement habituel à l'etranger est assimileà un assureur.
Cette disposition transpose l'article 2, alinea 2, de la directive72/166/CEE du Conseil du 24 avril 1972 concernant le rapprochement deslegislations des Etats membres relatives à l'assurance de laresponsabilite civile resultant de la circulation de vehicules automoteurset au controle de l'obligation d'assurer cette responsabilite, en vertuduquel tout vehicule automoteur communautaire circulant sur le territoirede la Communaute est presume couvert par une assurance et, pour toutvehicule auquel la directive est applicable, le bureau national de l'Etatmembre ou le sinistre est survenu se porte garant pour les reglements dessinistres qui doivent etre couverts par l'assurance obligatoire de cepays, dans les limites et les conditions fixees par sa propre legislationnationale, que le conducteur soit ou non couvert par une assurance.
Il s'ensuit que l'assimilation du bureau belge à un assureur ne peut etreinvoquee que par les victimes de sinistres survenus sur le territoirebelge et provoques par la circulation de vehicules ayant leurstationnement habituel à l'etranger et qu'elle ne s'applique pas aurecours exerce par ce bureau en remboursement des decaissements effectuesen faveur des victimes d'un sinistre survenu sur le territoire d'un autreEtat et provoque par un vehicule ayant son stationnement habituel sur leterritoire belge.
Le jugement attaque constate que le demandeur poursuit le recouvrement dessommes qu'il a du payer aux victimes d'un accident de la circulationsurvenu sur le territoire allemand et provoque par le vehicule du premierdefendeur, qui avait son stationnement habituel sur le territoire belge etetait conduit au moment de l'accident par le second defendeur.
Le jugement attaque, qui considere que, pour l'exercice d'un tel recours,le demandeur « est assimile dans ce cas à une compagnie d'assurances,avec tous les droits et obligations dont dispose une telle compagnie dansle cadre du dedommagement d'un sinistre », que cette action n'est pasfondee en tant qu'elle est dirigee contre le second defendeur au motifqu'elle « ne peut etre introduite qu'à l'encontre du preneurd'assurance », qualite que n'a pas ce defendeur, et qu'en vertu del'article 24 de l'arrete royal relatif au contrat-type d'assuranceobligatoire de la responsabilite en matiere de vehicules automoteurs,« l'action n'est fondee que jusqu'à concurrence de la moitie de la sommereclamee », viole l'article 2, S: 2, alinea 2, de la loi du 21 novembre1989.
Le moyen, en cette branche, est fonde.
Il n'y a pas lieu d'examiner la seconde branche du moyen, qui ne sauraitentrainer une cassation plus etendue.
Par ces motifs,
La Cour
Casse le jugement attaque, sauf en tant qu'il rec,oit l'appel et condamnele premier defendeur à la somme de 11.262,98 euros ;
Ordonne que mention du present arret sera faite en marge du jugementpartiellement casse ;
Reserve les depens pour qu'il soit statue sur ceux-ci par le juge du
fond ;
Renvoie la cause, ainsi limitee, devant le tribunal de premiere instanced'Eupen, siegeant en degre d'appel, autrement compose.
Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president Christian Storck, le conseiller Didier Batsele, lepresident de section Albert Fettweis, les conseillers Michel Lemal etSabine Geubel, et prononce en audience publique du vingt-cinq avril deuxmille treize par le president Christian Storck, en presence de l'avocatgeneral Andre Henkes, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.
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| P. De Wadripont | S. Geubel | M. Lemal |
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| A. Fettweis | D. Batsele | Chr. Storck |
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25 AVRIL 2013 C.11.0745.F/10