Cour de cassation de Belgique
Arret
5313
NDEG C.10.0747.F
A. D.,
demanderesse en cassation,
representee par Maitre Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 149, ou il estfait election de domicile,
contre
COMMUNAUTE FRANC,AISE DE BELGIQUE, representee par son gouvernement, en lapersonne du ministre de l'Enseignement obligatoire, dont le cabinet estetabli à Bruxelles, place Surlet de Chokier, 15-17,
defenderesse en cassation,
representee par Maitre Michel Mahieu, avocat à la Cour de cassation, dontle cabinet est etabli à Watermael-Boitsfort, boulevard du Souverain, 36,ou il est fait election de domicile.
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 4 mars 2010 parla cour d'appel de Bruxelles.
Le 14 mars 2013, l'avocat general Thierry Werquin a depose des conclusionsau greffe.
Le conseiller Didier Batsele a fait rapport et l'avocat general ThierryWerquin a ete entendu en ses conclusions.
II. Le moyen de cassation
La demanderesse presente un moyen libelle dans les termes suivants :
Dispositions legales violees
- principe general du droit suivant lequel les arrets d'annulation duConseil d'Etat ont une autorite de chose jugee erga omnes, consacrenotamment par les articles 23 à 28 du Code judiciaire ;
* articles 23 à 28 du Code judiciaire ;
* article 1350, 3DEG, du Code civil ;
* article 14, S: 1er, des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnees le
12 janvier 1973, tant avant qu'apres sa modification par la loi du 15 mai2007 ;
* article 7, specialement S: 1er, de la loi du 6 fevrier 1970 relativeà la prescription des creances à charge ou au profit de l'Etat oudes provinces ;
* article 106, specialement S: 1er, des lois sur la comptabilite del'Etat, coordonnees par l'arrete royal du 17 juillet 1991 ;
* article 71, S: 1er, de la loi speciale du 16 janvier 1989 relative aufinancement des communautes et des regions ;
* article 16, S: 1er, de la loi du 16 mai 2003 fixant les dispositionsgenerales applicables aux budgets, au controle des subventions et àla comptabilite des communautes et des regions ainsi qu'àl'organisation du controle de la Cour des comptes ;
* articles 1er à 3 de la loi du 29 juillet 1991 relative à lamotivation formelle des actes administratifs ;
* articles 144, 145, 149 et 159 de la Constitution.
Decisions et motifs critiques
L'arret attaque decide que :
« L'arret d'annulation prononce en la cause par le Conseil d'Etat estprive de tout effet, le Conseil d'Etat s'etant prononce dans une matierequi relevait exclusivement du ressort des tribunaux (voy., notamment,Cass.,
12 mars 1942, Pas., 1942, I, 62, conclusions Hayoit de Termicourt ; Cass.,
21 decembre 1956, Pas., 1957, I , 439, conclusions W.J. Ganshof van derMeersch) ;
C'est donc à tort que le premier juge a dit pour droit que la lettre du
28 fevrier 1995 par laquelle [la defenderesse] reclamait la restitution del'indu litigieux est un acte inexistant car reposant sur des decisions quiont ete annulees par le Conseil d'Etat ;
Ces decisions subsistent nonobstant l'arret du Conseil d'Etat ».
L'arret attaque en deduit que la creance de la defenderesse n'est paseteinte, sa prescription ayant ete valablement interrompue par la mise endemeure du 28 fevrier 1995.
Griefs
La demanderesse avait soutenu, dans ses conclusions de synthese, que ladefenderesse meconnaissait l'autorite de chose jugee de l'arretd'annulation du 27 septembre 1999 du Conseil d'Etat et ne pouvait seprevaloir de l'avis d'indu du 28 fevrier 1995, cet acte administratifetant denue de motivation en raison des annulations intervenues.
Premiere branche
L'autorite de chose jugee qui est attachee aux decisions d'annulation desjuridictions administratives est un principe general du droitadministratif.
Les arrets du Conseil d'Etat qui annulent un acte administratif ontautorite de chose jugee erga omnes, avec effet retroactif (principegeneral du droit vise au moyen, articles 23 à 28 du Code judiciaire,article 1350, 3DEG, du Code civil, article 14, S: 1er, des loiscoordonnees sur le Conseil d'Etat, vise au moyen).
Cette regle n'est pas affectee par le fait que le Conseil d'Etat auraitstatue en dehors de sa competence, des lors que son arret d'annulation estpasse en force de chose jugee.
Tel etait le cas de l'arret d'annulation du 27 septembre 1999 dont seprevalait la demanderesse, le pourvoi forme contre cet arret par ladefenderesse ayant ete rejete pour tardivete par l'arret de la Cour du 31mai 2001 (Pas., 2001, nDEG 325).
Il suit de là que :
1DEG en meconnaissant l'autorite de chose jugee de l'arret d'annulation du27 septembre 2009 pour le motif illegal que le Conseil d'Etat etaitincompetent pour le rendre, l'arret attaque viole le principe general dudroit, les articles 23 et 28 du Code judiciaire, 1350, 3DEG, du Code civilet 14, S: 1er, des lois coordonnees sur le Conseil d'Etat vises au moyen ;
2DEG le controle de legalite prevu par l'article 159 de la Constitution setrouvant epuise par la decision passee en force de chose jugee du Conseild'Etat elle-meme, l'arret attaque, en decidant que « l'arret d'annulationprononce en la cause par le Conseil d'Etat est prive de tout effet, leConseil d'Etat s'etant prononce dans une matiere qui relevaitexclusivement du ressort du tribunal », viole l'article 159 de laConstitution et, en tant que de besoin, les articles 144 et 145 de laConstitution.
Deuxieme branche
Le document joint à la lettre du 28 fevrier 1995 par laquelle ladefenderesse reclamait à la demanderesse la restitution de l'indulitigieux motivait cette reclamation comme suit : « Disponibilite pourcause de maladie du 1er decembre 1990 au 30 novembre 1992 = traitementreduit à 73 p.c. (article 165) au 1er decembre 1990 ».
Cette reclamation etait ainsi fondee, comme le relevait le jugemententrepris, sur la decision du 6 fevrier 1995 de mise en disponibilite etde mise à la pension de la demanderesse et sur les arretes dugouvernement de la defenderesse des 8 janvier et 26 fevrier 1996.
Ces arretes ayant ete annules par l'arret du Conseil d'Etat nDEG 82.420 du27 septembre 1999, passe en force de chose jugee, ils sont censes n'avoirjamais existe (principe general du droit vise au moyen).
L'acte administratif que constitue ladite lettre du 28 fevrier 1995 estdes lors depourvu de la motivation formelle et adequate requise par lesarticles 1er à 3 de la loi du 29 juillet 1991 vises au moyen.
Il suit de là que, en reconnaissant un effet interruptif de laprescription à un acte administratif ne comportant pas la motivationformelle et adequate requise par la loi, l'arret attaque ne justifie paslegalement le rejet du moyen de prescription invoque par la demanderesse(violation des articles 1er à 3 de la loi du 29 juillet 1991 vises aumoyen) et que, en faisant application de cet acte administratif, nonconforme à la loi, il viole l'article 159 de la Constitution.
Troisieme branche
Aux termes de l'article 7, S: 1er, de la loi du 6 fevrier 1970, qui formel'article 106, S: 1er, des lois sur la comptabilite de l'Etat, coordonneepar l'arrete royal du 17 juillet 1991, et qui est applicable aux creancesde la defenderesse en vertu de l'article 71, S: 1er, de la loi speciale du16 janvier 1989 vise au moyen et, en tant que de besoin, aux termes del'article 16, S: 1er, de la loi du 16 mars 2003 vise au moyen, sontdefinitivement acquises à ceux qui les ont rec,ues les sommes payeesindument, notamment par la Communaute franc,aise, en matiere detraitements, d'avantages sur ceux-ci ainsi que d'indemnites oud'allocations accessoires ou similaires aux traitements, lorsque leremboursement n'en a pas ete reclame dans un delai de cinq ans à partirdu premier janvier de l'annee du paiement.
L'arret attaque admet l'interruption de cette prescription par lareclamation de la defenderesse du 28 fevier 1995.
Or, ainsi qu'il resulte des deux premieres branches du moyen, la courd'appel n'a pu faire application de cet acte administratif des lors quecelui-ci etait depourvu de la motivation requise par la loi en raison del'annulation des arretes sur lesquels il se fondait par l'arret du Conseild'Etat nDEG 82.420 du
27 septembre 1999, passe en force de chose jugee.
Il suit de là que l'arret attaque, en faisant application d'unereclamation non conforme à la loi pour rejeter le moyen de prescriptioninvoque par la demanderesse, viole l'article 159 de la Constitution et nejustifie pas legalement le rejet dudit moyen de prescription (violationdes articles 7, S: 1er, de la loi du 6 fevrier 1970, 106, S: 1er, des loiscoordonnees du 17 juillet 1991 sur la comptabilite de l'Etat, 71, S: 1er,de la loi speciale du
16 janvier 1989 et, en tant que de besoin, 16, S: 1er, de la loi du 16mars 2003).
Quatrieme branche
A tout le moins, l'arret attaque ne contient pas les constatations de faitqui devraient permettre à la Cour de controler la legalite de sesdecisions rejetant les defenses que la demanderesse deduisait, d'une part,de la meconnaissance de l'autorite de chose jugee de l'arret du Conseild'Etat du
29 septembre 1999 et, d'autre part, de ce que la reclamation du 28 fevrier1995 ne repose sur aucun motif legalement admissible.
Il s'ensuit que l'arret attaque n'est pas regulierement motive (violationde l'article 149 de la Constitution).
III. La decision de la Cour
Quant à la premiere branche :
En vertu d'un principe general du droit administratif, les arrets duConseil d'Etat qui annulent un acte administratif ont l'autorite absoluede la chose jugee.
Il ressort des articles 33, alinea 1er, et 34 des lois sur le Conseild'Etat, coordonnees le 12 janvier 1973, qu'il appartient à la Cour decassation de statuer sur les recours contre les arrets par lesquels lasection du contentieux administratif decide de ne pas pouvoir connaitre dela demande par le motif que la connaissance de celle-ci rentre dans lesattributions des autorites judiciaires ou rejette un declinatoire fondesur le motif que la demande releve des attributions de ces autorites ainsique sur les reglements d'attributions nes de conflits resultant de ce quela section du contentieux administratif et une cour ou un tribunal del'ordre judiciaire se sont declares l'un et l'autre, soit competents, soitincompetents pour connaitre de la meme demande.
En dehors de ces cas, il n'appartient pas aux cours et tribunaux destatuer sur la competence du Conseil d'Etat qui a annule un acteadministratif.
Il s'ensuit que le juge judiciaire ne peut refuser d'avoir egard à unarret d'annulation du Conseil d'Etat au motif que ce dernier n'aurait pasete competent pour prononcer cette annulation.
L'arret attaque, qui decide que l'arret d'annulation du 27 septembre 1999« est prive de tout effet, le Conseil d'Etat s'etant prononce dans unematiere qui relevait exclusivement du ressort des tribunaux », meconnaitle principe general du droit precite.
Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, est fonde.
Et il n'y a pas lieu d'examiner les autres branches du moyen, qui nesauraient entrainer une cassation plus etendue.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l'arret attaque, sauf en tant qu'il rec,oit les appels ;
Ordonne que mention du present arret sera faite en marge de l'arretpartiellement casse ;
Reserve les depens pour qu'il soit statue sur ceux-ci par le juge dufond ;
Renvoie la cause, ainsi limitee, devant la cour d'appel de Mons.
Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president Christian Storck, les conseillers Didier Batsele,Mireille Delange, Michel Lemal et Marie-Claire Ernotte, et prononce enaudience publique du vingt-cinq avril deux mille treize par le presidentChristian Storck, en presence de l'avocat general Andre Henkes, avecl'assistance du greffier Patricia De Wadripont.
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| P. De Wadripont | M.-Cl. Ernotte | M. Lemal |
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| M. Delange | D. Batsele | Chr. Storck |
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25 AVRIL 2013 C.10.0747.F/9