Cour de cassation de Belgique
Arret
589
37
NDEG C .12.0448.F
FONDS COMMUN DE GARANTIE AUTOMOBILE, association d'assurances mutuelles,dont le siege social est etabli à Saint-Josse-ten-Noode, rue de laCharite, 33/1,
demandeur en cassation,
represente par Maitre Michel Mahieu, avocat à la Cour de cassation, dontle cabinet est etabli à Watermael-Boitsfort, boulevard du Souverain, 36,ou il est fait election de domicile,
contre
1. NATEUS, societe anonyme dont le siege social est etabli à Anvers,Frankrijklei, 79,
2. ETHIAS, societe anonyme dont le siege social est etabli à Liege, ruedes Croisiers, 24,
3. CHARTIS EUROPE, societe anonyme dont le siege social est etabli àIxelles, boulevard de la Plaine, 11,
defenderesses en cassation.
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre le jugement rendu le 6 avril2011 par le tribunal de premiere instance de Verviers, statuant en degred'appel.
Par ordonnance du 4 avril 2013, le premier president a renvoye la causedevant la troisieme chambre.
Le president de section Albert Fettweis a fait rapport.
L'avocat general Jean Marie Genicot a conclu.
II. Le moyen de cassation
Le demandeur presente un moyen libelle dans les termes suivants :
Dispositions legales violees
- principe general du droit relatif à l'autorite de la chose jugee enmatiere repressive sur l'action civile ;
- article 29bis de la loi du 21 novembre 1989 relative à l'assuranceobligatoire de la responsabilite en matiere de vehicules automoteurs ;
- article 80 de la loi du 9 juillet 1975 relative au controle desentreprises d'assurances ;
- article 1251,3DEG, du Code civil.
Decisions et motifs critiques :
Le jugement attaque declare irrecevable la demande du demandeur pour lesmotifs suivants :
« que, par jugement prononce le 24 juin 2003, (...) le tribunal de policede Verviers a dit pour droit que l'accident resultait d'un cas de forcemajeure elisif de toute responsabilite dans le chef de la prevenue H. et,pour ce qui concerne la demande de la partie civile, AIG Europe,actuellement Chartis, contre H., a dit la demande recevable et fondee entant que dirigee à l'encontre [du demandeur] et ce pour le motif quecelui-ci a l'obligation d'indemniser la victime lorsque, comme enl'espece, aucune entreprise d'assurances n'est obligee à la reparation enraison d'un cas fortuit exonerant le conducteur du vehicule qui a causel'accident ;
(...)
que l'autorite de la chose jugee s'impose non seulement aux parties à ladecision judiciaire mais egalement à ceux qui sont subroges dans leursdroits ;
(...)
que de ce qu'il n'y a pas d'identite entre l'objet et la cause d'uneaction definitivement jugee et ceux d'une autre action ulterieurementexercee entre les memes parties, il ne se deduit pas necessairement quepareille identite n'existe à l'egard d'aucune pretention ou contestationelevee par une partie dans l'une ou l'autre instance, ni partant que lejuge puisse accueillir une pretention dont le fondement est inconciliableavec la chose anterieurement jugee (Cass., 27 mars 1998, Bull., nDEG174) ;
que pour ces motifs, la demande originaire n'apparait pas recevable. »
Griefs
L'action civile formee par le [demandeur] contre les compagnies[d'assurances premiere et troisieme defenderesses] etait fondee surl'article 29bis de la loi du 21 novembre 1989, lequel dispose, en sonparagraphe 1er, alinea 4, que « l'article 80 de la loi du 9 juillet 1975relative au controle des entreprises d'assurances s'applique à cetteindemnisation. Toutefois, si l'accident resulte d'un cas fortuit,l'assureur reste tenu ». L'article 80 de la loi du 9 juillet 1975 prevoitque le [demandeur] n'est tenu à la reparation d'un accident qui resulted'un cas fortuit qu'à la condition qu'aucune autre entreprised'assurances ne soit obligee de proceder à cette reparation.
Le recours [du demandeur] contre les [defenderesses] etait fonde surl'article 1251, 3DEG, du Code civil, en vertu duquel « la subrogation alieu de plein droit, (...) au profit de celui qui, etant tenu avecd'autres ou pour d'autres au payement de la dette, avait interet del'acquitter ».
Dans un arret du 2 avril 2007, la Cour de cassation a confirme que« lorsque l'accident resulte d'un cas fortuit, seuls les assureurs desvehicules automoteurs impliques dans l'accident, et non le Fonds commun degarantie automobile, sont tenus à la reparation en application del'article 29bis de la loi du 21 novembre 1989 et que ces assureurs nepeuvent reclamer le remboursement des indemnites payees à l'egard duFonds commun de garantie » (Cass., 2 avril 2007, R.G. C.05.0564.N).Mutatis mutandis, le Fonds commun de garantie automobile, qui auraitindemnise une victime en application de l'article 29bis de la loi du 21novembre 1989 est fonde, sur cette base, à agir contre les assureurs desvehicules automoteurs impliques dans l'accident, seuls tenus à lareparation en vertu de cette disposition legale.
L'autorite de la chose jugee au penal eteint l'action publique et s'opposeà ce qu'une personne soit poursuivie et condamnee deux fois pour le memefait, quelle qu'ait ete son intention et la qualification legale retenue.Elle s'etend à ce qui a ete certainement et necessairement juge par lejuge penal, à savoir non seulement le dispositif mais egalement lesmotifs qui en sont le soutien necessaire (voyez notamment : Cass., 22septembre 1999, Pas., I, nDEG 478). L'adverbe « certainement » vise ceque le juge a reellement decide. L'adverbe « necessairement » vise lesconstatations que devait faire le juge repressif pour justifier legalementsa decision.
La Cour de cassation a decide que la decision rendue par le juge penal surl'action civile qui est portee devant lui, en application de l'article 4du titre preliminaire du Code de procedure penale, n'a autorite de lachose jugee que dans les limites de l'article 23 du Code judiciaire. Enapplication de cette disposition, l'autorite de la chose jugee nes'attache qu'à ce que le juge a decide sur un point litigieux et à cequi, en raison de la contestation portee devant lui et dont les partiesont pu debattre, constitue, fut-ce implicitement, le fondement necessairede sa decision (Cass., 12 decembre 2007, R.G. P.07.0979.F).
La Cour admet que l'autorite de la chose jugee au penal ne fait pasobstacle à ce que, lors d'un proces civil ulterieur, une des parties aitla possibilite de contester les elements deduits du proces penal, dans lamesure ou elle n'etait pas partie à l'instance penale ou dans la mesureou elle n'a pu librement y faire valoir ses interets (voyez notamment :Cass., 16 septembre 2011, R.G. C.10.0234.F).
Dans le meme sens, la Cour a decide que l'autorite de la chose jugee nes'etend pas à un point qui n'a pas ete soumis au debat et sur lequel, parconsequent, le juge n'a pu statuer definitivement (Cass. (1ere ch), 8octobre 2001, RCJB, 2002, p. 231 et note G. Closset-Marchal « L'autoritede la chose jugee, le principe dispositif et le principe ducontradictoire », pp. 236 - 254).
En l'espece, le tribunal de police de Verviers statuant au penal (jugementdu 24 juin 2003) a certainement et necessairement juge que :
- l'accident litigieux avait pour cause exclusive un cas fortuit ;
* madame H., prevenue, devait des lors etre exoneree de touteresponsabilite et donc etre acquittee ;
* le [demandeur] avait l'obligation d'indemniser la victime, aucuneentreprise d'assurances n'etant obligee à la reparation vul'existence d'un cas fortuit.
Si le tribunal de police de Verviers, statuant au penal, a tranche laquestion de l'obligation à la dette, il n'en va pas de meme de laquestion de la contribution à la dette. Le tribunal de police de Verviersstatuant en matiere penale a condamne le demandeur à indemniser lavictime. Ce tribunal n'a toutefois pas statue sur la question du recourseventuel du demandeur contre les compagnies d'assurances sur la base de lasubrogation legale prevue par l'article 1251,3DEG, du Code civil. Dans lamesure ou le tribunal de police de Verviers, statuant en matiere penale,n'etait pas saisi du recours subrogatoire du demandeur, aucune autorite dechose jugee ne peut etre opposee au demandeur sur ce point.
En decidant, pour les motifs enonces ci-dessus, que le demandeur nepouvait plus, en raison du jugement prononce le 24 juin 2003 par letribunal de police statuant en matiere penale, exercer un recourssubrogatoire contre les defenderesses, le jugement attaque viole leprincipe general de l'autorite de la chose jugee. Il viole, par consequentet pour les memes motifs, les articles 1251, 3DEG du Code civil, 29bis, S:1er, alinea 4, de la loi du 21 novembre 1989 et 80 de la loi du 9 juillet1975 relative au controle des entreprises d'assurances.
En considerant que l'action du demandeur est irrecevable compte tenu del'autorite de chose jugee du jugement prononce le 24 juin 2003 par letribunal de police de Verviers.
III. La decision de la Cour
Sur le moyen :
Les decisions rendues par le juge penal sur les actions civiles porteesdevant lui ont autorite de la chose jugee en vertu de l'article 23 duCode judiciaire et non en vertu du principe general du droit relatif àl'autorite de la chose jugee en matiere penale sur l'action civile.
Contrairement à ce que le moyen soutient, le jugement du 24 juin 2003 dutribunal de police de Verviers, qui decide que les actions des partiesciviles, dont celle de la troisieme defenderesse, sont fondees contre ledemandeur « qui a l'obligation d'indemniser la victime lorsque, comme enl'espece, aucune entreprise d'assurance n'est obligee à la reparation enraison d'un cas fortuit exonerant le conducteur du vehicule qui a causel'accident », ne statue pas au penal mais sur les actions civiles.
Le moyen, qui reproche au jugement attaque de violer l'autorite de lachose jugee qui s'attache aux dispositions civiles du jugement du 24 juin2003 du tribunal de police de Verviers, invoque uniquement lameconnaissance du principe general du droit relatif à l'autorite de lachose jugee en matiere repressive, qui est etranger au grief allegue.
Pour le surplus, les violations invoquees des articles 29bis de la loi du21 novembre 1989 relative à l'assurance obligatoire de la responsabiliteen matiere de vehicules automoteurs, 80 de la loi du 9 juillet 1975relative au controle des entreprises d'assurances et 1251, 3DEG, du Codecivil, sont entierement deduites de la meconnaissance vainement allegueedu principe general du droit precite.
Le moyen est irrecevable.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux depens.
Les depens taxes à la somme de mille deux cent cinquante-cinq eurosvingt-deux centimes envers la partie demanderesse.
Ainsi juge par la Cour de cassation, troisieme chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Albert Fettweis, les conseillersMartine Regout, Alain Simon, Mireille Delange et Marie-Claire Ernotte etprononce en audience publique du vingt-deux avril deux mille treize par lepresident de section Albert Fettweis, en presence de l'avocat general JeanMarie Genicot, avec l'assistance du greffier Lutgarde Body.
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| L. Body | M.-Cl. Ernotte | M. Delange |
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| A. Simon | M. Regout | A. Fettweis |
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22 AVRIL 2013 C.12.0448.F/2