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21/03/2013 | BELGIQUE | N°C.12.0118.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 21 mars 2013, C.12.0118.F


Cour de cassation de Belgique

Arret

1238



NDEG C.12.0118.F

1. R. L.,

2. J. V.,

demandeurs en cassation,

representes par Maitre Franc,ois T'Kint, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Charleroi, rue de l'Athenee, 9, ou il estfait election de domicile,

contre

M. M.,

defendeur en cassation.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre le jugement rendu le 31 mai 2011par le tribunal de premiere instance de Charleroi, statuant en degred'appel.

Le c

onseiller Alain Simon a fait rapport.

L'avocat general Thierry Werquin a conclu.

II. Le moyen de cassation

Les demandeurs presente...

Cour de cassation de Belgique

Arret

1238

NDEG C.12.0118.F

1. R. L.,

2. J. V.,

demandeurs en cassation,

representes par Maitre Franc,ois T'Kint, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Charleroi, rue de l'Athenee, 9, ou il estfait election de domicile,

contre

M. M.,

defendeur en cassation.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre le jugement rendu le 31 mai 2011par le tribunal de premiere instance de Charleroi, statuant en degred'appel.

Le conseiller Alain Simon a fait rapport.

L'avocat general Thierry Werquin a conclu.

II. Le moyen de cassation

Les demandeurs presentent un moyen libelle dans les termes suivants :

Dispositions legales violees

* articles 688, specialement alineas 2 et 3, 692, 1382 et 1383 du Codecivil ;

* article 149 de la Constitution ;

* principe general du droit aux termes duquel nul ne peut abuser de sondroit.

Decisions et motifs critiques

Le jugement attaque constate :

« Le litige concerne deux proprietes voisines, contigues, sises à ...,dans la rue de ... :

- la premiere, sise au numero 27, cadastree section A, nDEG 498 C,propriete (du defendeur) pour l'avoir acquise de sa mere, madame C. H.,l'habitation etant occupee, au cours de l'instance, par madame H.,locataire ;

- la seconde, sise au numero 29, propriete, pour moitie en pleinepropriete et pour moitie en usufruit, de (la demanderesse) et, pour moitieen usufruit et pour moitie en nue-propriete, de son fils, (le demandeur).

Le probleme - principal et originaire - dans le present litige se situe auniveau de l'obstruction de la canalisation d'eaux usees qui passe dansl'immeuble (des demandeurs) et dont il n'est pas conteste qu'elle sert àevacuer les eaux usees provenant du fonds (du defendeur).

A l'origine, les deux proprietes litigieuses etaient reunies en un seullot. Celles-ci appartenaient aux grands-parents et ensuite à la mere (dudefendeur), soit precisement madame C. H., pour les avoir (soit le bienen entier constitue de deux lots) acquises selon un acte notarie decession-partage, le 3 mars 1952.

Par acte notarie du 23 avril 1953, madame C. H. vend l'immeuble nDEG 29à monsieur G. M. et à madame M. F.

Dans ledit acte, il est precise : `le bien est vendu tel et ainsi que cebien existe et se comporte à ce jour, avec toutes les servitudes activeset passives qui peuvent l'avantager ou le grever, mais sans garantie de lacontenance enoncee ni de l'etat des constructions'.

L'immeuble portant le nDEG 29 est, au debut de l'instance, propriete de(la demanderesse) et (du demandeur).

(Le defendeur) acquiert, quant à lui, l'immeuble portant le nDEG 27 paracte du notaire D. le 7 mai 1998.

Par citation signifiee le 30 mars 2009, (le defendeur) sollicite devant lejuge de paix la condamnation de (la demanderesse) à autoriser l'acces àla canalisation litigieuse situee sur son fonds afin de permettrel'exploration et le degagement de celle-ci et ce, sous peine d'uneastreinte journaliere de 500 euros, ainsi que la condamnation de celle-cià prendre en charge la moitie du cout de la rehabilitation de lacanalisation.

Par jugement rendu contradictoirement le 28 avril 2009, le premier juge,avant dire droit, ordonne une visite des lieux litigieux. (...)

La visite sur les lieux se deroule le 22 juin 2009.

Par requete deposee le 3 juillet 2009, (le demandeur) fait interventionvolontaire à la cause.

Par conclusions deposees le 31 aout 2009, (le demandeur) et (lademanderesse) forment une demande reconventionnelle et sollicitent :

- qu'il soit dit pour droit que l'immeuble (du defendeur) ne beneficied'aucune servitude d'egouttage à charge de leur immeuble,

- la suppression de la canalisation litigieuse ou, à titre subsidiaire etsi besoin en est, l'autorisation de supprimer eux-memes celle-ci.

Par conclusions deposees le 29 octobre 2009, (le defendeur) forme unepremiere demande incidente et sollicite la reconnaissance au profit de sonfonds d'une servitude d'evacuation des eaux etablie pas destination dupere de famille.

(...) Par le jugement entrepris, rendu contradictoirement le 27 avril2010, le premier juge rec,oit les demandes. Il dit la demande principalenon fondee, la demande reconventionnelle fondee (...).

En consequence, il dit pour droit que l'immeuble appartenant (audefendeur) ne beneficie d'aucune servitude d'egouttage à charge del'immeuble voisin et condamne celui-ci à supprimer la canalisationd'egouttage litigieuse.

(...) Par requete deposee le 8 juillet 2010, (le defendeur) interjetteappel du jugement rendu le 27 avril 2010. L'appel est dirige contre (lademanderesse) et contre (le demandeur).

En degre d'appel, (le defendeur) sollicite que :

- sa demande initiale en autorisation d'exploration et de degagement de lacanalisation soit dite recevable et fondee,

- qu'il soit constate, au profit de son fonds, l'existence d'une servitudepar destination du bon pere de famille,

- subsidiairement, qu'il soit dit que la demande des parties adverses ensuppression de la canalisation litigieuse est constitutive d'un abus dedroit.

(Les demandeurs) sollicitent, quant à eux, la confirmation du jugementdont appel ».

Le jugement attaque decide ensuite qu'est non fondee la demandereconventionnelle des demandeurs (qui tendait à obtenir la suppressiond'une partie de la canalisation litigieuse) et qu'est fondee la demandeincidente du defendeur. Et il constate l'existence d'une « servituded'egouttage » par destination du pere de famille au profit du fonds dudefendeur et à charge des demandeurs.

La decision se fonde sur les motifs suivants :

« Sur la demande reconventionnelle et sur la premiere demande incidente

Que, pour trancher ces deux demandes, il convient d'examiner s'il existeau profit du fonds nDEG 27 une servitude grevant le fonds nDEG 29 et, lecas echeant, determiner la nature de celle-ci ;

Qu'une servitude du fait de l'homme peut etre etablie de trois manieres :

* etablissement par titre (articles 690 à 692 du Code civil) ;

* etablissement par usucapion (articles 690 et 691 du Code civil) ;

* etablissement par destination du pere de famille (articles 692 et 693du Code civil) ;

Que les servitudes continues et apparentes s'acquierent par titre ou parla possession de trente ans (article 690 du Code civil) ;

Que les autres servitudes ne s'acquierent que par titre (article 691 duCode civil) ;

Que, par ailleurs, la destination du pere de famille vaut titre à l'egarddes servitudes continues et apparentes (article 692 du Code civil) ;

Que la servitude litigieuse (dont l'existence est revendiquee) est uneservitude continue conformement à la definition donnee à l'article 688du Code civil, soit une servitude dont l'usage est continuel sans avoirbesoin du fait actuel de l'homme, ledit article precisant expressement quesont consideres comme des servitudes continues les egouts et lescanalisations d'eau ;

Que celle-ci est apparente car elle repond à la definition donnee àl'article 689, alinea 2, du Code civil, à savoir qu'une servitudeapparente est celle qui s'annonce par des ouvrages exterieurs ;

Qu'en l'espece, la canalisation est visible (meme si celle-ci estrecouverte de beton) le long du mur du fonds nDEG 27 et ce, à travers unlong tuyau (v. le proces-verbal de vue des lieux) ; qu'elle est en outreannoncee par un ouvrage exterieur, à savoir le sterfput qui se trouvedans la cour du fonds nDEG 27 ;

Qu'en outre, une prise d'eau qui s'annonce par des ouvrages exterieurs etdont l'usage est ou peut etre continu, sans avoir besoin du fait actuel del'homme, constitue une servitude continue et apparente (Cass., 25 mars1847, Pas., 384) ;

Qu'au vu de ces considerations, la `servitude' litigieuse est biencontinue et apparente ; qu'elle peut des lors etre etablie par titre, parusucapion ou par destination du pere de famille ;

Qu'au vu des elements produits aux debats, il faut constater qu'iln'existe aucun titre qui consacre expressement l'existence de la servitudelitigieuse ;

Qu'en ce qui concerne la servitude par destination du pere de famille, iln'y a destination que lorsqu'il est prouve que les deux fonds actuellementdivises ont appartenu au meme proprietaire et que c'est par lui que leschoses ont ete mises dans l'etat duquel resulte la servitude (article 693du Code civil) ;

Que cette preuve est rapportee en l'espece ; qu'en effet, la canalisationlitigieuse a necessairement et ce, par la force des choses, ete creee parl'un des uniques anciens proprietaires des deux fonds (alors reunis)puisque, lorsque le fonds a ete divise en 1953, la canalisationlitigieuse, se prolongeant sur les deux fonds, existait dejà, ce que necontestent pas les [demandeurs] et ce que [ceux-ci] admettent d'ailleursen invoquant que le probleme git dans `une conception defectueuse dusysteme d'egouttage' ;

Que la canalisation litigieuse visible sur les photographies produites auxdebats est d'ailleurs ancienne et que si celle-ci `passe' à travers lesdeux habitations, c'est parce qu'à l'origine, les deux fonds ne formaientqu'un seul lot ;

Qu'il s'ensuit que la canalisation litigieuse constitue bien une servitudepar destination du pere de famille existant au profit du fonds nDEG 27 etgrevant le fonds nDEG 29 »

et

« Que, surabondamment, il est precise qu'exiger la suppression de lacanalisation litigieuse aurait constitue, dans le chef des (demandeurs),lesquels de leur propre aveu n'utilisent plus la canalisation, ce quiallege, par la force des choses, la charge de celle-ci, un abus de droit,l'avantage retire par (ceux)-ci etant disproportionne par rapport àl'inconvenient qu'une telle suppression aurait cause (au defendeur) ;

Qu'au vu de ces considerations, la demande reconventionnelle tendant à lasuppression de la canalisation doit etre dite non fondee et le jugement entrepris sera reforme quant à ce ;

Que, par contre, la premiere demande incidente tenant à voir reconnaitrel'existence d'une servitude par destination du pere de famille estfondee ».

Griefs

Premiere branche

S'il est vrai que la servitude continue et apparente peut etre acquise pardestination du pere de famille, encore resulte-t-il des constatations dujugement que la servitude litigieuse n'est pas une servitude continue.

Une servitude continue est une servitude, ainsi que le releve le jugementattaque, « dont l'usage est ou peut etre continuel sans avoir besoin dufait actuel de l'homme », ainsi que l'enonce l'article 688, alinea 2, duCode civil.

Or, le jugement attaque releve que « le probleme - principal etoriginaire - dans le present litige se situe au niveau de l'obstruction dela canalisation d'eaux usees qui passe dans l'immeuble (des demandeurs) etdont il n'est pas conteste qu'elle sert à evacuer les eaux useesprovenant du fonds (du defendeur) ».

Il s'en deduit que la servitude litigieuse est une servitude « d'evier »ou « d'ecoulement des eaux menageres » et une telle servitude estdiscontinue, au sens de l'article 688, alinea 2, du meme code.

Il s'ensuit que le jugement n'a pu legalement decider que le defendeuravait acquis la servitude litigieuse par destination du pere de famille(violation des articles 688 et 692 du Code civil).

Seconde branche

L'abus de droit consiste à exercer un droit d'une maniere qui excedemanifestement les limites de l'exercice normal de ce droit par unepersonne prudente et diligente.

Certaines situations peuvent reveler un tel abus. Tel est notamment le caslorsque le prejudice cause par le titulaire du droit est sans communemesure avec l'avantage recherche ou obtenu par lui.

Pour le jugement attaque, dans l'hypothese examinee ici de l'absence deservitude litigieuse, c'est une pareille disproportion qui feraitapparaitre l'abus du droit des demandeurs au cas ou ils supprimeraient,comme ils le demandent, la canalisation sous ou sur leur fonds. Pour eux,fait valoir le jugement, l'avantage serait minime et il en indique laraison : ils ne se servent plus de la canalisation.

Mais le jugement attaque ne contient aucune indication en ce qui concernele prejudice subi par le defendeur. Celui-ci avait avance des chiffres enconclusions. Le jugement est muet sur ceux-ci.

En consequence, il n'est pas possible de determiner quel est, pour lesjuges d'appel, l'ordre de grandeur du prejudice eventuel du defendeur etde verifier par consequent s'il est ou non disproportionne par rapport àl'avantage recherche par les demandeurs.

Pour l'appreciation des interets en cause, le juge doit en effet tenircompte de toutes les circonstances de fait de la cause.

En l'espece, cette regle n'a pas ete respectee : le jugement attaquemeconnait donc le principe general du droit vise et les articles 1382 et1383 du Code civil.

A tout le moins, le jugement attaque met la Cour dans l'impossibilite deverifier la legalite de sa decision (violation de l'article 149 de laConstitution).

III. La decision de la Cour

Quant à la premiere branche :

Aux termes de l'article 688, alinea 3, du Code civil, les servitudesdiscontinues sont celles qui ont besoin du fait actuel de l'homme pouretre exercees.

Le jugement attaque constate que « le probleme principal et originairedans le present litige se situe au niveau de l'obstruction de lacanalisation d'eaux usees qui passe dans l'immeuble de [la demanderesse]et dont il n'est pas conteste qu'elle sert à evacuer les eaux useesprovenant du fonds [du defendeur] ».

Une telle servitude d'ecoulement des eaux menageres requiertl'intervention actuelle de l'homme pour etre exercee et est discontinue.

Le jugement attaque, qui decide que la servitude litigieuse est uneservitude continue, viole l'article 688, alinea 3, du Code civil.

Quant à la seconde branche :

L'abus de droit consiste à exercer un droit d'une maniere qui excedemanifestement les limites de l'exercice normal de ce droit par unepersonne prudente et diligente. Tel est le cas specialement lorsque leprejudice cause est sans proportion avec l'avantage recherche ou obtenupar le titulaire du droit. Dans l'appreciation des interets en presence,le juge doit tenir compte de toutes les circonstances de la cause.

Le jugement attaque considere qu' « exiger la suppression de lacanalisation litigieuse aurait constitue, dans le chef des [demandeurs],lesquels de leur propre aveu n'utilisent plus la canalisation, ce quiallege, par la force des choses, la charge de celle-ci, un abus de droit,l'avantage retire par [ceux-ci] etant disproportionne par rapport àl'inconvenient qu'une telle suppression aurait cause [au defendeur] ».

Le jugement attaque, qui ne precise pas en quoi consiste l'inconvenientresultant pour le defendeur de la suppression de la canalisationpermettant d'apprecier s'il etait sans proportion avec l'avantage qu'enaurait retire les demandeurs, ne justifie pas legalement sa decision que« la demande reconventionnelle tendant à la suppression de lacanalisation doit etre dite non fondee ».

Le moyen, en chacune de ses branches, est fonde.

Par ces motifs,

La Cour

Casse le jugement attaque, sauf en ce qu'il rec,oit l'appel et, le disantpartiellement fonde, dit sans objet la demande principale du defendeur ;

Ordonne que mention du present arret sera faite en marge du jugementpartiellement casse ;

Reserve les depens pour qu'il soit statue sur ceux-ci par le juge dufond ;

Renvoie la cause, ainsi limitee, devant le tribunal de premiere instancede Mons, siegeant en degre d'appel.

Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president Christian Storck, les conseillers Alain Simon,Michel Lemal, Marie-Claire Ernotte et Sabine Geubel, et prononce enaudience publique du vingt et un mars deux mille treize par le presidentChristian Storck, en presence de l'avocat general Thierry Werquin, avecl'assistance du greffier Patricia De Wadripont.

+----------------------------------------------+
| P. De Wadripont | S. Geubel | M.-Cl. Ernotte |
|-----------------+-----------+----------------|
| M. Lemal | A. Simon | Chr. Storck |
+----------------------------------------------+

21 MARS 2013 C.12.0118.F/12


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.12.0118.F
Date de la décision : 21/03/2013

Origine de la décision
Date de l'import : 19/04/2013
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2013-03-21;c.12.0118.f ?
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