Cour de cassation de Belgique
Arret
1832
NDEG S.12.0084.F
OFFICE NATIONAL DE SECURITE SOCIALE, etablissement public dont le siegeest etabli à Saint-Gilles-lez-Bruxelles, place Victor Horta, 11,
demandeur en cassation,
represente par Maitre Antoine De Bruyn, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, rue de la Vallee, 67, ou il estfait election de domicile,
contre
J.-M. D.,
defendeur en cassation.
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 28 fevrier 2012par la cour du travail de Liege, section de Namur.
Le 25 fevrier 2013, l'avocat general Jean Marie Genicot a depose desconclusions au greffe.
Le president Christian Storck a fait rapport et l'avocat general JeanMarie Genicot a ete entendu en ses conclusions.
II. Le moyen de cassation
Le demandeur presente un moyen libelle dans les termes suivants :
Dispositions legales violees
Articles 2244, alineas 1er et 2 (cet alinea 2 insere par l'article 2 de laloi du 25 juillet 2008 modifiant le Code civil et les lois coordonnees du17 juillet 1991 sur la comptabilite de l'Etat en vue d'interrompre laprescription de l'action en dommages et interets à la suite d'un recoursen annulation devant le Conseil d'Etat), et 2262bis, S: 1er, alinea 1er,du Code civil
Decisions et motifs critiques
L'arret dit l'action du demandeur contre le defendeur « atteinte par laprescription du lien d'instance » et condamne le demandeur aux depens,aux motifs suivants :
« L'article 2262bis, S: 1er, alinea 1er, du Code civil prevoit que`toutes les actions personnelles sont prescrites par dix ans'.Precedemment, l'article 2262 prevoyait que `toutes les actions, tantreelles que personnelles, sont prescrites par trente ans, sans que celuiqui allegue cette prescription soit oblige d'en rapporter un titre ouqu'on puisse lui opposer l'exception deduite de la mauvaise foi' ;
[...] La question de l'existence d'une prescription du lien d'instance n'aapparemment jamais ete soumise telle quelle à la Cour de cassation ;
Au nom de l'impossibilite d'adherer à l'imprescriptibilite d'une action,il y a lieu d'admettre que le lien d'instance est susceptible de seprescrire. Cette theorie doctrinale rejoint celle du respect des droits dela defense des lors que, lorsqu'un delai trop important s'ecoule, lesparties risquent, non seulement de perdre les preuves dont ellesdisposaient, mais encore de ne pas pouvoir utiliser certains modes depreuve, comme les enquetes par exemple ;
Il a ete ecrit que, pour pallier l'incurie du demandeur qui agit puislaisse pendante son action sans la diligenter, la doctrine a voulu comblerun vide juridique et apporter un correctif en creant de toute piece laprescription, non de l'action, mais du lien d'instance ;
Selon cette construction doctrinale ancienne, le lien d'instance estprescriptible. Il convient d'operer une distinction entre cetteprescription, qu'aucun texte ne prevoit, et la peremption du liend'instance, qui etait fondee sur des textes depuis lors abroges (Codecivil, article 2247 ; Code de procedure civile, articles 397 etsuivants) ;
Lorsque le demandeur n'agit pas dans le delai de trente ans (devenu dixans depuis l'entree en vigueur de la loi du 10 juin 1998 modifiant lesdelais de prescription), il perd le benefice de son action. Il estconsidere par la doctrine que `l'effet du contrat judiciaire qui resultede l'ajournement se prescrit par trente ans, à partir du dernier acte deprocedure, independamment de toute peremption, mais [que] tout ce qui enresulte, c'est qu'apres ce delai, l'instance ne peut plus etre utilementreprise [et que] le demandeur perd par consequent le droit que lui donnaitl'action par lui intentee' ;
[...] Si l'effet interruptif de la citation dure aussi longtemps quel'[instance], c'est donc sous la reserve que l'instance elle-meme estprescriptible par trente ans (actuellement dix ans), independamment memede toute demande de prescription et ce, à partir du dernier acte deprocedure ;
[...] Que faut-il entendre par acte de procedure qui viendrait interromprela prescription du lien d'instance ?
Des lors que la procedure est dejà entamee, les actes interruptifs neseront pas ceux qui interrompent la prescription de l'action (vises àl'article 2244 du Code civil, la reconnaissance visee à l'article 2248 dumeme code ou les lois particulieres qui prevoient que la prescription estinterrompue par l'envoi d'une lettre recommandee) ;
Ce sont les actes de procedure qui vont interrompre le cours de laprescription. Ces actes sont vises par le Code judiciaire (quatriemepartie, qui traite de la procedure civile) et concernent notamment la miseau role, les pieces du dossier visees à l'article 721, dont lesnotifications, conclusions, proces-verbaux d'audience, mais aussi lejugement d'avant dire droit, la requete d'appel, bref toutes les piecesfigurant au dossier de la procedure ;
Il ne suffit donc pas que les parties aient echange entre elles desconclusions ; celles-ci doivent avoir ete deposees au greffe dans le delaide dix ans, faute de quoi la prescription peut etre invoquee ;
[...] En l'espece, l'action a ete introduite dans les delais. Elle estensuite restee bloquee au point mort pendant plus de vingt ans apres que[le] defendeur [eut] conclu ».
Griefs
L'article 2244, alinea 1er, du Code civil dispose qu'une citation enjustice signifiee à celui qu'on veut empecher de prescrire formel'interruption civile. L'alinea 2, insere par la loi du 25 juillet 2008,precise qu'une citation en justice interrompt la prescription jusqu'à laprononciation d'une decision definitive.
Il ressort clairement de ces dispositions que l'effet interruptif de lacitation en justice se prolonge jusqu'à la cloture du proces et qu'aucuneprescription ne peut s'accomplir au cours de l'instance.
Contrairement à ce qu'affirme l'arret, il ne peut y avoir de prescriptionou de peremption du lien d'instance par suite de l'inaction du demandeur.L'alinea 2 de l'article 2244 du Code civil, insere par la loi du 25juillet 2008, a confirme que l'effet interruptif d'une citation en justicene peut prendre fin avant que l'instance engagee par la citation ne soitterminee et ce, sans possibilite pour l'instance ou pour l'action d'etredans l'entre-temps prescrite.
La distinction que l'arret tente de faire entre « la prescription du liend'instance » et la « prescription de l'action » ou « la peremption del'instance » est sans pertinence. Suivant l'arret, la prescription dulien d'instance s'impose « au nom de l'impossibilite d'adherer àl'imprescriptibilite d'une action ». Autrement dit, pour les jugesd'appel, la prescription du lien d'instance entraine la perte du beneficede l'interruption de la prescription par la citation en justice ou, pourreprendre les termes de l'arret, aurait pour effet de « priver ledemandeur du droit que lui donnait l'action par lui intentee ».
Or, il ressort de l'article 2244 [...] du Code civil, meme avantl'insertion de l'alinea 2 precite, que la citation en justice interromptla prescription de l'action et que cette interruption se prolonge jusqu'àla prononciation d'une decision definitive. En d'autres termes, laprescription ne peut s'accomplir aussi longtemps qu'une decisiondefinitive n'a pas ete rendue.
C'est la citation, et non l'instance ouverte par celle-ci, qui interromptla prescription, de sorte qu'une « prescription » du lien d'instance nepourrait avoir pour effet d'effacer l'interruption de la prescription del'action par la citation.
A cet egard, c'est sans pertinence que l'arret fait reference à l'article2262bis du Code civil en vertu duquel toutes les actions personnelles sontprescrites par dix ans. Une instance se prolongeant au-delà de dix ans nesaurait, comme il vient d'etre dit, etre confondue avec une prescriptionde l'action ni etre assimilee à une absence d'action pendant dix ans.
A la partie qui estime que l'instance se perpetue trop longtemps et queses droits de defense sont en danger, il appartient de relancer l'instanceou de faire dire que le demandeur a renonce à son action maiscertainement pas que l'instance est prescrite et avec elle l'actionengagee par la citation.
Il s'ensuit que la decision suivant laquelle l'action du demandeur estatteinte par la prescription du lien d'instance au motif que l'action estrestee bloquee au point mort pendant plus de vingt ans viole lesdispositions legales visees en tete du moyen et principalement l'article2244, alinea 2, du Code civil.
III. La decision de la Cour
La prescription est un mode d'extinction de l'action resultant dunon-exercice de celle-ci avant l'expiration du delai fixe par la loi.
Aux termes de l'article 2244, alinea 1er, du Code civil, une citation enjustice, un commandement ou une saisie, signifies à celui qu'on veutempecher de prescrire, forment l'interruption civile.
Lorsqu'une citation en justice interrompt la prescription en vertu decette disposition, l'interruption, sauf disposition legale derogatoire quin'existe pas en l'espece, se prolonge, comme le precise actuellement ledeuxieme alinea dudit article 2244, jusqu'à la prononciation de ladecision mettant fin au litige.
En considerant que l'absence d'acte de procedure accompli par le demandeurdans le delai de la prescription de l'action que la citation en justice aeu pour effet d'interrompre entraine la prescription du lien d'instancenoue entre les parties et en disant pour ce motif « la demande atteintepar la prescription du lien d'instance », l'arret viole l'article 2244 duCode civil.
Le moyen est fonde.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l'arret attaque, sauf en tant qu'il rec,oit l'appel ;
Ordonne que mention du present arret sera faite en marge de l'arretpartiellement casse ;
Reserve les depens pour qu'il soit statue sur ceux-ci par le juge dufond ;
Renvoie la cause, ainsi limitee, devant la cour du travail de Bruxelles.
Ainsi juge par la Cour de cassation, troisieme chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president Christian Storck, les conseillers Didier Batsele,Alain Simon, Mireille Delange et Sabine Geubel, et prononce en audiencepublique du dix-huit mars deux mille treize par le president ChristianStorck, en presence de l'avocat general Jean Marie Genicot, avecl'assistance du greffier Lutgarde Body.
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| L. Body | S. Geubel | M. Delange |
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| A. Simon | D. Batsele | Chr. Storck |
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18 MARS 2013 S.12.0084.F/1