Cour de cassation de Belgique
Arret
590
NDEG C.12.0129.F
J. L.,
demandeur en cassation,
represente par Maitre Michel Mahieu, avocat à la Cour de cassation, dontle cabinet est etabli à Watermael-Boitsfort, boulevard du Souverain, 36,ou il est fait election de domicile,
contre
J.-N. B., avocat, agissant en qualite de curateur à la faillite de lasociete anonyme Omega Print,
defendeur en cassation.
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 13 octobre 2011par la cour d'appel de Bruxelles.
Le 15 janvier 2013, l'avocat general Jean Marie Genicot a depose desconclusions au greffe.
Le conseiller Michel Lemal a fait rapport et l'avocat general Jean MarieGenicot a ete entendu en ses conclusions.
II. Le moyen de cassation
Le demandeur presente un moyen libelle dans les termes suivants :
Dispositions legales violees
Articles 1134, 1168, 1175, 1177, 1181, 1319, 1320 et 1322 du Code civil
Decisions et motifs critiques
Apres avoir rappele en ces termes le libelle de l'article 9.8 du compromisde vente, relatif à l'assainissement des sols pollues :
« Les parties declarent avoir ete informees des prescriptions du decretwallon du 1er avril 2004 relatif à l'assainissement des sols pollues etaux sites d'activites economiques à rehabiliter, paru au Moniteur belgedu 7 juin 2004, et plus particulierement des obligations en matiered'environnement concernant un terrain identifie comme pollue ou pourlequel existent de fortes presomptions de pollution ou sur un terrain surlequel s'est exerce ou s'exerce une activite à risque necessitant unereconnaissance de l'etat [du sol], le cas echeant, une etude de risque,avec pour consequence eventuelle la prise de mesures conservatoires, decontrole, de garantie et de traitement ou de mesures d'assainissement. Enapplication du decret wallon, le vendeur
declare : (...).
Neanmoins, les parties conviennent qu'une etude du sol sera effectuee paret aux frais du vendeur aupres de la societe Ageco ; en cas de decouvertede pollution sur le bien vendu, toute pollution ayant trait à l'activited'imprimerie sera assainie par et aux frais des vendeurs pour autant queles frais d'assainissement ne depassent pas une somme totale de 10.000euros hors frais d'etude. La presente vente est en outre faite sous lacondition suspensive de la decouverte de tous autres types de pollutionque la pollution ayant trait à l'imprimerie ainsi que de l'absence d'unepollution engendrant un cout d'assainissement superieur à 10.000 euros»,
L'arret reforme le jugement du premier juge et dit pour droit qu'à ladate du 9 octobre 2008, le compromis intervenu entre la societe anonymeOmega Print et le demandeur n'etait pas frappe de caducite et que lecompromis est resolu aux torts de ce dernier qui a fautivement refuse depasser l'acte authentique de vente, et condamne le demandeur à payer audefendeur la somme de 50.000 euros, augmentee des interets aux taux legauxsuccessifs depuis le 17 octobre 2008 et des depens, par tous ses motifsreputes integralement reproduits, et notamment par les motifs suivants :
« Comme l'a justement releve le premier juge, le litige porte sur laquestion de savoir si la condition suspensive que les parties ont inclusedans le compromis de vente litigieux s'est ou non realisee.
Pour apprecier cette question, il convient de se situer à la date du
9 octobre 2008, date à laquelle, par lettre de son conseil, (ledemandeur) faisait valoir que le compromis de vente etait caduc etmarquait implicitement mais certainement sa volonte de ne pas passerl'acte authentique de vente.
Or - à supposer meme que les parties aient, lors de la signature ducompromis, entendu se referer à la reglementation à intervenir enexecution du decret wallon du 1er avril 2004 relatif à l'assainissementdes sols pollues et aux sites d'activites economiques à rehabiliter, paruau Moniteur belge du
7 juin 2004 -, il est constant qu'à la date du 9 octobre 2008, aucunarrete d'execution n'avait ete publie.
Il convient, des lors, de rechercher quelle etait exactement l'intentiondes parties à propos du probleme de la pollution eventuelle du sol del'immeuble litigieux lorsqu'elles ont signe le compromis du 10 mars 2008.
Les parties sont contraires à cet egard.
(Le demandeur) soutient en substance que le bien devait etre absolumentsain (et donc ne pas comprendre la moindre trace de pollution generalementquelconque) quitte à ce que la societe Omega Print procede à sonassainissement à concurrence de maximum 10.000 euros etant entendu que sitel n'etait pas le cas, la vente etait caduque.
En revanche, la societe Omega Print - et maintenant (le defendeur) -soutient en substance que la vente ne devenait caduque que si, apresqu'elle eut communique son rapport, la societe Ageco concluait que le bienetait pollue à un point tel que des travaux à concurrence de 10.000euros ne permettaient pas de l'assainir à suffisance.
La these (du demandeur) ne peut etre suivie.
En effet, s'il n'est pas douteux que (le demandeur) s'est montre soucieuxde la question de la pollution du sol de l'immeuble dont il envisageaitl'acquisition, la question ayant ete discutee prealablement à lasignature du compromis, (il) ne peut raisonnablement soutenir qu'il devaitrecevoir un bien dont le sol etait exempt de toute pollution car, si telavait ete le cas, il aurait denonce la caducite du compromis des qu'il aeu connaissance du rapport principal de la societe Ageco, ce qu'il n'a pasfait. Au contraire, il a sollicite - ou pour le moins accepte - que lasociete Ageco procede à un complement d'analyse.
(Le demandeur) ne peut se prevaloir d'un pretendu `vide juridique' aumotif que le decret wallon du 1er avril 2004 n'aurait pas ete suivid'arretes d'execution car cette situation etait connue au moment de lasignature du compromis et, si les parties avaient voulu se referer auxcriteres qui viendraient à etre definis par les arretes d'execution,elles l'auraient formule dans le cadre de la condition suspensive, cequ'elles n'ont pas fait.
En outre, il ressort des conclusions de la societe Ageco - societe quiavait la confiance (du demandeur) ainsi qu'il ressort du fait qu'auxtermes du compromis, c'est à cette societe que les parties ont confie lamission d'analyser le terrain - que les elements polluants qui ont etereleves ne proviennent pas de l'activite d'imprimerie qui a ete exerceemais bien des terres de remblais trouvees dans le sol.
Enfin, la cour [d'appel] doit relever qu'en conclusion de son rapport etde son rapport complementaire, la societe Ageco a donne au candidatacquereur toutes les garanties de ce qu'il ne serait pas inquiete enraison des traces de pollution relevees dans le sol du bien vendu, ce qui,en definitive, est la finalite recherchee par la condition litigieuseinscrite dans le compromis. Or, à cet egard, (le demandeur) n'apporteaucun element de nature à demontrer - meme en se situant au jourd'aujourd'hui - que la conclusion de la societe Ageco est mal fondee.
Il decoule des constatations et considerations qui precedent que c'est àtort que (le demandeur) a fait valoir que le compromis etait caduc en seprevalant de ce qu'une pollution du sol avait ete constatee et, partant,qu'il a refuse de finaliser le transfert de propriete en ne signant pasl'acte authentique de vente.
Il s'en deduit que c'est à bon droit que la societe Omega Print - etmaintenant (le defendeur) - reclame le paiement de 50.000 euros, etant lemontant de la penalite prevue dans ce cas par l'article 11.1 du compromiset que, partant, (le demandeur) doit etre condamne à payer ce montantaugmente des interets, ainsi qu'il est dit ci-apres ».
Griefs
Premiere branche
En vertu des articles 1319, 1320 et 1322 du Code civil, le juge est tenude respecter la foi due aux actes. Il ne peut attribuer à un acte, pourjustifier sa decision, une signification qui est inconciliable avec sestermes, en lui pretant une enonciation ou une affirmation qu'il necontient pas ou en lui deniant une enonciation ou une affirmation qu'ilcontient.
Le demandeur et la societe anonyme Omega Print, en faillite, ont signe le10 mars 2008 un compromis de vente portant sur un terrain industriel sisrue ... à Nivelles. Ils ont assorti ladite vente d'une conditionsuspensive libellee en ces termes (article 9.8) : « La presente vente esten outre faite sous la condition suspensive de l'absence de decouverte detous autres types de pollution que la pollution ayant trait àl'imprimerie ainsi que de l'absence d'une pollution d'imprimerieengendrant un cout d'assainissement superieur à dix mille euros (10.000euros) ».
Il s'ensuit que, pour que la condition se realise et que les obligationsdes parties deviennent exigibles, il etait necessaire de demontrerl'absence de decouverte de tous autres types de pollution que la pollutionayant trait à l'imprimerie ainsi que l'absence de pollution ayant traità l'imprimerie engendrant un cout d'assainissement superieur à10.000 euros.
L'arret decide que la condition suspensive ne peut etre interpretee commeexigeant que le bien vendu soit absolument sain et donc ne comprenne pasla moindre trace de pollution quelconque, quitte à ce que la societeOmega Print procede à son assainissement jusqu'à concurrence de 10.000euros maximum.
Implicitement mais certainement, l'arret decide que la decouverte, sur leterrain vendu, d'une pollution qui ne provient pas del'activite d'imprimerie, la provenance etant liee à la presence de terresde remblais trouvees dans le sol, n'empeche pas la condition suspensiveprecitee de s'etre realisee.
Ce faisant, l'arret donne de l'article 9.8 du compromis de vente uneinterpretation qui est inconciliable avec ses termes et, pour y parvenir,retranscrit de fac,on erronee le libelle de l'article 9.8 precite en luideniant l'existence de mentions determinantes qu'il contient, etant lesmots « l'absence de » avant le mot « decouverte » et le mot« imprimerie » entre les mots « pollution » et « engendrant ».
L'arret decide en effet que l'article 9.8 du compromis de vente estlibelle en ces termes :
« La vente est en outre faite sous la condition suspensive de ladecouverte de tous autres types de pollution que la pollution ayant traità l'imprimerie ainsi que de l'absence d'une pollution engendrant un coutd'assainissement superieur à 10.000 euros »,
alors que le libelle exact de cette disposition est le suivant :
« La vente est en outre faite sous la condition suspensive de l'absencede decouverte de toutes autres types de pollution que la pollution ayanttrait à l'imprimerie ainsi que de l'absence d'une pollution imprimerieengendrant un cout d'assainissement superieur à dix mille euros (10.000euros) ».
L'arret viole, partant, la foi qui est due au compromis de vente et lesarticles 1319, 1320 et 1322 du Code civil.
Seconde branche
Aux termes de l'article 1134, alinea 1er, du Code civil, les conventionslegalement formees tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
L'article 1168 du Code civil dispose que l'obligation est conditionnellelorsqu'on la fait dependre d'un evenement futur et incertain, soit en lasuspendant jusqu'à ce que l'evenement arrive, soit en la resiliant, selonque l'evenement arrivera ou n'arrivera pas.
L'article 1181, alineas 1er à 3, du meme code dispose que l'obligationcontractee sous une condition suspensive est celle qui depend, ou d'unevenement futur et incertain, ou d'un evenement actuellement arrive, maisencore inconnu des parties, et que, dans le premier cas, l'obligation nepeut etre executee qu'apres l'evenement tandis que, dans le second cas,l'obligation a son effet du jour ou elle a ete contractee.
L'article 1175 du Code civil dispose que toute condition doit etreaccomplie de la maniere que les parties ont vraisemblablement voulu etentendu qu'elle le fut.
En vertu de l'article 1177 du Code civil, si une obligation est contracteesous la condition qu'un evenement n'arrivera pas, sans qu'un terme ait etedetermine, la condition n'est accomplie que lorsqu'il est certain quel'evenement n'arrivera pas.
En l'espece, le demandeur et la societe Omega Print, en faillite, ontsigne le 10 mars 2008 un compromis de vente portant sur un terrainindustriel sis rue ... à Nivelles. Ils ont assorti ladite vente d'unecondition suspensive libellee en ces termes (article 9.8) : « La presentevente est en outre faite sous la condition suspensive de l'absence dedecouverte de toutes autres types de pollution que la pollution ayanttrait à l'imprimerie ainsi que de l'absence d'une pollution imprimerieengendrant un cout d'assainissement superieur à dix mille euros (10.000 euros) ».
Il s'ensuit que, pour que la condition se realise et que les obligationsdes parties deviennent exigibles, il etait necessaire de demontrerl'absence de decouverte de tous autres types de pollution que la pollutionayant trait à l'imprimerie ainsi que l'absence de pollution ayant traità l'imprimerie engendrant un cout d'assainissement superieur à10.000 euros.
La circonstance, relevee par l'arret, que la societe Ageco a donne audemandeur toutes les garanties de ce qu'il ne serait pas inquiete enraison des traces de pollution relevees dans le sol du bien vendu nepermet en aucune maniere de considerer que la condition suspensive seraitaccomplie.
L'arret enonce la decision que la condition suspensive s'est realisee enl'espece, en sorte que le demandeur ne pouvait se prevaloir, le 9 octobre2008, de la caducite du compromis de vente et qu'en refusant de passerl'acte authentique de vente, il etait à l'origine de la resolution decelui-ci, alors que des traces de pollution ont ete decouvertes sur leterrain vendu et que celles-ci ne proviennent pas del'activite d'imprimerie. L'arret ne justifie ainsi pas legalement sadecision et viole l'ensemble des dispositions legales visees au moyen, àl'exception des articles 1319, 1320 et 1322 du Code civil.
III. La decision de la Cour
Quant à la premiere branche :
Sur la fin de non-recevoir opposee au moyen, en cette branche, par leministere public et deduite de ce que l'acte dont la foi aurait ete violeeest joint à la requete en cassation sans attestation de sa conformite àla piece produite devant le juge du fond :
Le moyen, en cette branche, reproche à l'arret de violer la foi due àune clause de l'article 9.8 du compromis de vente litigieux, stipulant quela vente est conclue sous condition suspensive.
Le texte de la clause contenu dans la copie du compromis, jointe à larequete en cassation, est identique à celui reproduit dans lesconclusions d'appel, tant par le demandeur que par la societe Omega dontle defendeur est le curateur. Il ressort des pieces auxquelles la Courpeut avoir egard que les parties n'ont pas invoque l'existence deplusieurs versions de ce compromis.
Il est des lors etabli que le texte cite au moyen est bien celui ducompromis produit devant la cour d'appel.
Dans ces circonstances, la mention certifiant la conformite de la piecejointe à la requete en cassation à la piece produite devant la courd'appel n'est pas indispensable.
La fin de non-recevoir ne peut etre accueillie.
Sur le fondement du moyen, en cette branche :
L'arret constate que, par compromis de vente du 10 mars 2008, la societedont le defendeur est le curateur a vendu au demandeur un terrainindustriel situe à Nivelles et que l'article 9.8 de ce compromis, relatifà l'assainissement des sols pollues, stipule que la vente « est en outrefaite sous la condition suspensive de la decouverte de tous autres typesde pollution que la pollution ayant trait à l'imprimerie ainsi que del'absence d'une pollution engendrant un cout d'assainissement superieur à10.000 euros ».
Il ressort du compromis du 10 mars 2008 que, selon la condition suspensivestipulee en son article 9.8, « la vente est en outre faite sous lacondition suspensive de l'absence de decouverte de tous autres types depollution que la pollution ayant trait à l'imprimerie ainsi que del'absence d'une pollution imprimerie engendrant un cout d'assainissementsuperieur à 10.000 euros ».
L'arret retranscrit donc de fac,on erronee la clause precitee, en omettantles mots « l'absence de » avant le mot « decouverte » et le mot« imprimerie » entre les mots « pollution » et « engendrant ».
L'arret, qui denie ainsi à l'article 9.8 du compromis de vente uneenonciation qu'il contient, viole la foi qui lui est due.
Le moyen, en cette branche, est fonde.
Sur les autres griefs :
Il n'y a pas lieu d'examiner la seconde branche du moyen, qui ne sauraitentrainer une cassation plus etendue.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l'arret attaque, sauf en tant qu'il rec,oit l'appel ;
Ordonne que mention du present arret sera faite en marge de l'arretpartiellement casse ;
Reserve les depens pour qu'il soit statue sur ceux-ci par le juge du
fond ;
Renvoie la cause, ainsi limitee, devant la cour d'appel de Liege.
Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Albert Fettweis, les conseillersMartine Regout, Michel Lemal, Marie-Claire Ernotte et Sabine Geubel, etprononce en audience publique du sept mars deux mille treize par lepresident de section Albert Fettweis, en presence de l'avocat general JeanMarie Genicot, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.
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| P. De Wadripont | S. Geubel | M.-Cl. Ernotte |
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| M. Lemal | M. Regout | A. Fettweis |
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7 MARS 2013 C.12.0129.F/11