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04/02/2013 | BELGIQUE | N°C.10.0120.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 04 février 2013, C.10.0120.F


Cour de cassation de Belgique

Arret

8156



NDEG C.10.0120.F

AG INSURANCE, societe anonyme dont le siege social est etabli àBruxelles, boulevard Emile Jacqmain, 53,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre Isabelle Heenen, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 480, ou il estfait election de domicile,

contre

1. M. C.,

2. C. C.,

defendeurs en cassation.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 7 octo

bre 2009par la cour d'appel de Mons.

Par ordonnance du 11 janvier 2013, le premier president a renvoye la causedevant la troisi...

Cour de cassation de Belgique

Arret

8156

NDEG C.10.0120.F

AG INSURANCE, societe anonyme dont le siege social est etabli àBruxelles, boulevard Emile Jacqmain, 53,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre Isabelle Heenen, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 480, ou il estfait election de domicile,

contre

1. M. C.,

2. C. C.,

defendeurs en cassation.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 7 octobre 2009par la cour d'appel de Mons.

Par ordonnance du 11 janvier 2013, le premier president a renvoye la causedevant la troisieme chambre.

Le president Christian Storck a fait rapport.

L'avocat general delegue Michel Palumbo a conclu.

II. Les moyens de cassation

La demanderesse presente deux moyens, dont le premier est libelle dans lestermes suivants :

Dispositions legales violees

- article 149 de la Constitution ;

- article 10, S: 1er, alineas 1er et 2, de la loi du 25 juin 1992 sur lecontrat d'assurance terrestre ;

- articles 1122 et 1165 du Code civil.

Decisions et motifs critiques

L'arret, reformant la decision du premier juge, condamne lademanderesse au paiement de la somme de 19.666,38 euros, majoree desinterets au taux legal depuis le 27 octobre 2006, cette sommecorrespondant à la quote-part de l'indemnite d'assurance dont aurait du,selon les defendeurs, beneficier la defenderesse, nonobstant le fait quela demanderesse soutenait que celle-ci n'etait pas beneficiaire del'assurance souscrite en son seul nom par le defendeur, aux motifs que :

« Il est constant que [la defenderesse] n'est pas mentionnee commebeneficiaire du contrat d'assurance ;

Il est exact que le seul fait que la convention prevoit la possibilited'une stipulation pour autrui n'entraine pas que la compagnie d'assuranceait eu l'intention de conferer à un tiers le benefice de la police àdefaut pour le cocontractant d'avoir manifeste son intention à cetegard ;

[Le defendeur] affirme toutefois sans etre contredit qu'il a souscritl'assurance litigieuse en accord avec sa soeur ;

L'intention reelle du souscripteur ne doit pas etre mentionnee expressisverbis dans le contrat ; il suffit qu'elle se degage de son objet, de sesclauses, de leur ensemble ou de toute indication jugee probante [...] ;

La couverture fut prise pour la totalite du bien sans que [le defendeur] se limite à la seule part qu'il detenait dans l'immeuble ;

La convention souscrite par [le defendeur] apparait, en ce qui concerne[la defenderesse], comme un acte de gestion necessaire et utile dans lecadre de la preservation de l'immeuble litigieux qui fut approuve par [ladefenderesse] comme en temoigne sa presence dans l'actuelle cause ;

Du reste, il n'est pas soutenu par [la demanderesse] qu'elle aurait dansla phase precontractuelle verifie la question de la propriete del'immeuble, notamment par le biais du questionnaire soumis à son assure,et elle ne peut reprocher à celui-ci ce qui releve de sa proprenegligence ;

[La demanderesse] a marque son accord pour couvrir l'immeuble contre lerisque d'incendie et a encaisse les primes correspondant à la totalite del'immeuble, et son refus n'est pas justifie par une modificationquelconque du risque ;

L'objection de [la demanderesse] concernant la violation du principeindemnitaire est irrelevante des lors que [la defenderesse] est à lacause et defend les memes interets que son frere ».

Griefs

Premiere branche

Pour etre regulierement motivee, la decision du juge du fond doit repondreaux conclusions des parties.

Par aucun de ses motifs, l'arret ne repond aux conclusions additionnelleset de synthese de la demanderesse en ce qu'elles soutenaient :

« Le litige porte sur le fait de savoir si, suite à l'incendie du

20 octobre 2005, la [demanderesse] doit son intervention non seulement[au defendeur] - qui a bien ete indemnise - mais egalement à [ladefenderesse], sous pretexte que celle-ci etait egalement proprietaire del'immeuble, alors que la [demanderesse] ne s'est jamais engagee à lefaire ;

Les pretentions des [defendeurs] reposent essentiellement sur uneconception erronee selon laquelle le contrat d'assurance serait conclupropter rem, c'est-à-dire par reference au bien qui fait l'objet de lacouverture d'assurance, peu importe en definitive quel en serait lesouscripteur ;

Cette conception est systematiquement combattue par la jurisprudence et ladoctrine, lesquelles rappellent que l'assureur s'engage non pas au profitde toute personne qui serait interessee à la conservation de la chosemais envers le souscripteur ;

Il n'y a donc pas lieu de retenir la theorie de l'objectivite de l'interetassure, sous peine de violer le principe de l'effet relatif desconventions consacre par l'article 1165 du Code civil [...] ;

L'assurance garantit le patrimoine d'une personne determinee, expressementmentionnee dans le contrat ;

L'article 1er, B, de la loi du 25 juin 1992 definit d'ailleurs l'assurecomme `la personne garantie par l'assurance contre les pertespatrimoniales' et l'article 1er, G, de la loi definit les assurance dedommage - dont fait partie l'assurance contre l'incendie - comme cellesdans lesquelles `la prestation de l'assurance depend d'un evenementincertain qui cause un dommage au patrimoine d'une personne' ;

La police d'assurance a ete conclue entre [le defendeur] et la[demanderesse] ;

[Le defendeur] est d'ailleurs renseigne sur les conditions particulieresde la police en qualite de preneur d'assurance ;

C'est donc bien lui qui est le cocontractant de la [demanderesse] et c'estdonc son propre patrimoine qui est garanti par [celle-ci] ;

L'article 1165 du Code civil enonce en effet que les conventions n'ontd'effet qu'entre les parties contractantes : on parle du caractere relatif- c'est-à-dire limite aux parties - des effets [...] ;

En l'espece, la police d'assurance n'a donc d'effet qu'entre [ledefendeur] et la [demanderesse] et seul le premier est donc susceptibled'exiger de [cette derniere] l'execution de ses obligations ;

Il existe naturellement des exceptions à ce principe fondamental mais cesexceptions, parmi lesquelles on trouve la stipulation pour autrui, sont,comme telles, de stricte interpretation ;

C'est en application de ce principe que l'article 1122 du Code civilprevoit qu' `on est cense avoir stipule pour soi et pour ses heritiers etayants cause, à moins que le contraire ne soit exprime ou ne resulte dela convention' ;

Applique au cas d'espece, ce texte emporte que [le defendeur] est censeavoir stipule (c'est-à-dire avoir fait promettre quelque chose) pourlui-meme et non pour sa soeur ni pour personne d'autre ;

[...] En outre, conferer un droit à [la defenderesse] reviendrait à luiconferer un droit que le contrat ne lui confere pas et violerait ainsi nonseulement l'article 1165 du Code civil mais egalement le principe de lafoi due aux actes consacre par les articles 1319 et suivants du Codecivil, puisque le juge donnerait du contrat d'assurance une interpretationinconciliable avec ses termes ;

[...] Il en va d'autant plus ainsi que l'article 10 de la loi du

25 juin 1992 impose l'existence d'un ecrit comme preuve de l'accord desparties et que l'article 1122 du Code civil exige une stipulationexpresse ;

En l'espece, non seulement [la defenderesse] n'est mentionnee nulle partdans la police d'assurance, les [defendeurs] l'ont d'ailleurs admispuisqu'ils ont ecrit en page 7, S: 2, des conclusions de synthesedeposees devant le premier juge que [la defenderesse] n'est pasexpressement mentionnee en qualite de beneficiaire ».

L'arret n'est pas regulierement motive à defaut de repondre auxconclusions de la demanderesse selon lesquelles l'assurance contrel'incendie, comme toute assurance de dommage, n'etait pas conclue« propter rem » et que l'assureur ne s'engageait pas au profit de toutepersonne qui avait un interet à la conservation de la chose maisuniquement du beneficiaire de l'assurance et qu'en outre, en vertu del'article 10 de la loi du 25 juin 1992 et des articles 1165 et 1122 duCode civil, il ne pouvait etre considere que le defendeur aurait stipuleen faveur de la defenderesse à defaut de disposition ecrite en ce sensdans les conditions de la police d'assurance (violation de l'article 149de la Constitution). Il n'est pas non plus regulierement motive à defautde repondre aux conclusions de la demanderesse en ce qu'elles soutenaientque l'assurance etait conclue, non par reference au bien qui fait l'objetde la couverture d'assurance, mais par rapport au souscripteur ou despersonnes qui sont beneficiaires de la police et que tel n'etait pas lecas de la defenderesse (violation de l'article 149 de la Constitution).

Deuxieme branche

Comme le soutenait la demanderesse en conclusions, le contrat d'assuranceet ses modifications, sous reserve de l'aveu ou du serment, et quelle quesoit la valeur des engagements, doivent, en vertu de l'article 10 de laloi du 25 juin 1992, etre constates par ecrit et il ne peut etre rec,uaucune preuve par temoins ou par presomptions contre et outre le contenude l'acte, sauf s'il existe un commencement de preuve par ecrit (Cass., 6fevrier 2004 , Pas., 2004, I, 220).

En constatant que la police d'assurance litigieuse ne mentionnait pas ladefenderesse en qualite de beneficiaire de la police mais en lui conferantneanmoins cette qualite au motif que cette qualite pouvait se deduire,meme en l'absence d'une telle mention, de l' « intention reelle dusouscripteur », qui ne devait pas etre mentionnee expressis verbis dansle contrat, l'arret viole l'article 10, S:S: 1er et 2, de la loi du 25juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre.

Troisieme branche

Comme le soutenait la demanderesse en conclusions, l'article 1122 du Codecivil prevoit qu'on est cense avoir stipule pour soi et pour ses heritierset ayant cause, à moins que le contraire ne soit exprime ou ne resulte dela convention.

L'arret, apres avoir admis que le seul fait que la convention prevoie lapossibilite d'une stipulation pour autrui n'entraine pas que la compagnied'assurance ait eu l'intention de conferer à un tiers le benefice de lapolice à defaut pour le cocontractant d'avoir manifeste son intention àcet egard, considere que, neanmoins, la police litigieuse avait etesouscrite en faveur de la defenderesse au motif que « [le defendeur]affirme toutefois qu'il a souscrit l'assurance litigieuse en accord avecsa soeur ».

Le fait que le defendeur aurait souscrit l'assurance litigieuse en accordavec sa soeur n'est pas l'indice du fait qu'il en resulterait que laconvention entre la demanderesse et le defendeur, de l'accord des parties,comporterait une stipulation pour autrui en faveur de la defenderesse.

En decidant le contraire, l'arret viole l'article 1122 du Code civil et,pour autant que de besoin, son article 1165.

En outre la stipulation pour autrui suppose que le promettant se soitengage envers le tiers, beneficiaire de la stipulation pour autrui, et,des lors, ait eu la volonte de creer un droit direct envers ce dernier (S.Bar et C. Alter, Les effets du contrat, Kluwer, 2006, nDEG 82 ; Cass., 21octobre 1971, Pas.,1972, I, 175 ; 12 mai 1972, Pas., 1972, I, 840).

En considerant qu'il y avait en l'espece une stipulation pour autrui enfaveur de la defenderesse, au seul motif que le defendeur aurait souscritcette assurance en accord avec celle-ci, sans constater que lademanderesse aurait eu la volonte de creer un droit direct en faveur de ladefenderesse quant au benefice de l'assurance, l'arret viole egalementl'article 1122 du Code civil et, pour autant que de besoin, son article1165.

III. La decision de la Cour

Sur le premier moyen :

Quant à la troisieme branche :

En vertu de l'article 1er, B, a), de la loi du 25 juin 1992 sur le contratd'assurance terrestre, on entend par assure, dans une assurance dedommages, la personne garantie par l'assurance contre les pertespatrimoniales.

Aux termes de l'article 1165 du Code civil, les conventions n'ont d'effetqu'entre les parties contractantes ; elles ne nuisent point au tiers etelles ne lui profitent que dans le cas prevu par l'article 1121.

L'article 1122 du Code civil dispose qu'on est cense avoir stipule poursoi et pour ses heritiers et ayants cause, à moins que le contraire nesoit exprime ou ne resulte de la nature de la convention.

Il suit de ces dispositions qu'en regle, l'assurance contre le perild'incendie souscrite en son nom personnel par le coproprietaire indivis dubien assure ne couvre que sa part de propriete et ne beneficie pas auxautres coproprietaires, sauf s'il resulte de l'assurance que le preneur aagi pour leur compte.

L'arret constate que les defendeurs sont « coproprietaires indivis d'unimmeuble [...] occupe par le defendeur, lequel a souscrit une couvertured'assurance contre l'incendie aupres de la [demanderesse] », que« l'immeuble a ete la proie d'un incendie » et que la demanderesse « amarque son accord pour une intervention en faveur [du defendeur] jusqu'àconcurrence de cinquante p.c. du dommage dans la mesure ou ce dernieretait renseigne comme le seul souscripteur du contrat d'assurance sansstipulation en faveur de [la defenderesse] ».

L'arret releve que « [la defenderesse] n'est pas mentionnee commebeneficiaire du contrat d'assurance » et qu' « il est exact que le seulfait que la convention prevoie la possibilite d'une stipulation pourautrui n'entraine pas que la compagnie d'assurance ait eu l'intention deconferer à un tiers le benefice de la police à defaut pour lecontractant d'avoir manifeste son intention à cet egard ».

L'arret, qui considere que « [le defendeur] affirme [...] sans etrecontredit qu'il a souscrit l'assurance litigieuse en accord avec sasoeur » et en deduit que « [la demanderesse] doit [...] accorder [àcelle-ci] sa garantie », viole l'article 1122 du Code civil.

Le moyen, en cette branche, est fonde.

Il n'y a lieu d'examiner ni les autres branches du premier moyen ni lesecond moyen, qui ne sauraient entrainer une cassation plus etendue.

Par ces motifs,

La Cour

Casse l'arret attaque, sauf en tant qu'il statue sur la recevabilite del'appel et confirme le jugement entrepris ;

Ordonne que mention du present arret sera faite en marge de l'arretpartiellement casse ;

Reserve les depens pour qu'il soit statue sur ceux-ci par le juge dufond ;

Renvoie la cause, ainsi limitee, devant la cour d'appel de Liege.

Ainsi juge par la Cour de cassation, troisieme chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president Christian Storck, les conseillers Alain Simon,Mireille Delange, Michel Lemal et Sabine Geubel et prononce en audiencepublique du quatre fevrier deux mille treize par le president ChristianStorck, en presence de l'avocat general delegue Michel Palumbo, avecl'assistance du greffier Lutgarde Body.

+--------------------------------------+
| L. Body | S. Geubel | M. Lemal |
|------------+-----------+-------------|
| M. Delange | A. Simon | Chr. Storck |
+--------------------------------------+

4 fevrier 2013 C.10.0120.F/9


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.10.0120.F
Date de la décision : 04/02/2013

Origine de la décision
Date de l'import : 28/02/2013
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2013-02-04;c.10.0120.f ?
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