Cour de cassation de Belgique
Arret
4628
NDEG F.11.0153.F
ETAT BELGE, represente par le ministre des Finances, dont le cabinet estetabli à Bruxelles, rue de la Loi, 12, en la personne du directeurregional des contributions directes à Mons, dont les bureaux sont etablisà Mons, digue des Peupliers, 71,
demandeur en cassation,
contre
P. L.,
defendeur en cassation,
ayant pour conseil Maitre Nicolas Divry, avocat au barreau de Tournai,dont le cabinet est etabli à Ath, rue Isidore Hoton, 37.
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre les arrets rendus les 10 mars2010 et 8 decembre 2010 par la cour d'appel de Mons.
Le 9 janvier 2013, l'avocat general Andre Henkes a depose des conclusionsau greffe.
Le conseiller Gustave Steffens a fait rapport et l'avocat general AndreHenkes a ete entendu en ses conclusions.
II. Le moyen de cassation
Le demandeur presente un moyen libelle dans les termes suivants :
Dispositions legales violees
Articles 23, S: 2, 24, alineas 1er, 2DEG, et 3, 27, alineas 2, 3DEG, et 3,31 et 66 du Code des impots sur les revenus 1992, applicables àl'exercice d'imposition 1997
Decisions et motifs critiques
Apres avoir constate dans l'arret attaque du 10 mars 2010 que :
« [Le defendeur] est fonctionnaire au service public federal desFinances ;
Dans sa declaration à l'impot des personnes physiques relative àl'exercice d'imposition 1997, il a entendu deduire ses chargesprofessionnelles reelles pour un montant de 177.296 francs comprenant desfrais de deplacement entre son domicile et son lieu de travail suivant leforfait prevu à l'article 66, S: 4, du Code des impots sur les revenus1992 (158.400 francs), des interets de financement (8.896 francs)et desfrais de bureau evalues forfaitairement à 10.000 francs [...] ;
Le 3 decembre 1997, la cotisation litigieuse fut enrolee par le premierbureau de la recette des contributions directes à Mons, conformement auxrevenus et autres elements regulierement declares ;
Par lettre datee du 3 juin 1998, mais rec,ue le 5 juin 1998 par ladirection regionale des contributions directes à Mons, [le defendeur] aintroduit une reclamation tendant à admettre une moins-value de 99.750francs resultant de la destruction de son vehicule retrouve à l'etatd'epave à la suite d'un vol, sans l'intervention d'une compagnied'assurances [...] ;
Le ministere des Finances estime que le forfait de 6 francs par kilometreenglobe tous les frais professionnels directs et indirects afferents auxdeplacements entre le domicile et le lieu fixe de travail effectues aumoyen d'une voiture, à l'exception toutefois des seuls frais definancement et des frais d'un mobilophone et que, par consequent, lesfrais ou la diminution de la valeur du vehicule consecutifs auxdegradations subies à l'occasion d'un vol du vehicule ne peuvent donnerlieu à une deduction supplementaire à titre de frais professionnels ;
Par decision rendue le 18 juillet 2000, le fonctionnaire delegue par ledirecteur regional des contributions directes à Mons rejeta lareclamation [...] ;
[Le defendeur] introduisit un recours fiscal par requete contradictoiredeposee le 17 octobre 2000 au greffe fiscal du tribunal de premiereinstance de Mons ;
Par jugement prononce contradictoirement le 20 novembre 2003, ce tribunaldeclara la demande recevable et fondee et, partant, ordonna l'annulationde la cotisation à l'impot des personnes physiques litigieuse, dans lamesure ou cette imposition a omis de prendre en compte la deduction de 75p.c. de la moins-value realisee sur la perte economique du vehicule vole»,
la cour d'appel a considere dans l'arret attaque du 8 decembre 2010 que :
« C'est à bon droit que le premier juge a decide que les moins-valuessubies sur une voiture utilisee pour les deplacements entre le domicile etle lieu de travail ne sont pas comprises dans le forfait prevu àl'article 66, S: 4, du Code des impots sur les revenus 1992 ;
Le quatrieme paragraphe de l'article 66 du Code des impots sur les revenus1992 prevoit une exception à la regle generale prevue au paragraphe 1eret doit des lors etre interprete de maniere restrictive ;
La derogation prevue à l'article 66, S: 4, du Code des impots sur lesrevenus 1992 ne s'applique qu'aux frais professionnels relatifs auxvoitures, voitures mixtes et minibus et non aux moins-values [...] ;
Il peut des lors etre admis qu'il ne s'agit pas d'une chargeprofessionnelle, mais bien d'une perte professionnelle, c'est-à-dired'une depreciation accidentelle d'un element d'actif (voir l'article 23,S: 2, du Code des impots sur les revenus 1992) ;
Le texte de l'article 66, S:S: 1er et 4, est clair et ne doit pas etreinterprete »,
et a decide « que c'est par consequent à bon droit que le premier juge aordonne l'annulation de la cotisation à l'impot des personnes physiqueset à la taxe communale additionnelle enrolee le 3 decembre 1997 au nom
[du defendeur] sous l'article 779.348.859 du role de l'exerciced'imposition 1997 forme pour la recette des contributions à Mons 1, dansla mesure ou cette imposition a omis de prendre en compte la deduction de75 p.c. de la moins-value realisee suite au sinistre total de son vehiculeautomobile ».
Griefs
L'article 66 du Code des impots sur les revenus 1992 prevoit, en sonparagraphe 1er, que « les frais professionnels afferents àl'utilisation des voitures, voitures mixtes et minibus, tels que cesvehicules sont definis par la reglementation relative à l'immatriculationdes vehicules à moteur, à l'exception des frais de carburant, et lesmoins-values sur ces vehicules ne sont deductibles qu'à concurrence de 75p.c. » et dispose, en son paragraphe 4, que, « par derogation auparagraphe 1er, les frais professionnels afferents aux deplacements entrele domicile et le lieu de travail au moyen d'un vehicule vise dans cettedisposition sont fixes forfaitairement à 6 francs (0,148736 euros) parkilometre parcouru » et que « [cette] derogation n'est pas applicableaux vehicules qui sont exoneres de la taxe de circulation conformement àl'article 5, S: 1er, 3DEG, du Code des taxes assimilees aux impots sur lesrevenus ».
Si l'arret attaque du 8 decembre 2010 considere à juste titre, d'unepart, que l'article 66, S: 1er, du Code des impots sur les revenus 1992 distingue les notions de « frais professionnels afferents àl'utilisation des voitures » de celle de « moins-values sur cesvehicules », lesquelles consistent en une perte professionnelle au sensd'une depreciation accidentelle d'un element d'actif, et, d'autre part,que « la derogation prevue à l'article 66, S: 4, du Code des impots surles revenus 1992 ne s'applique qu'aux frais professionnels [afferents àl'utilisation des] voitures [...] et non aux moins-values », il resultetoutefois de la disposition legale qui est à l'origine dudit article 66,à savoir l'article 22 de la loi du 7 decembre 1988 portant reforme del'impot sur les revenus et modification des taxes assimilees au timbre,que les vehicules pour lesquels la deduction fiscale d'une moins-value estainsi legalement prevue sont ceux pour lesquels une plus-value seraitlegalement constitutive d'un revenu professionnel imposable.
Ledit article 22 prevoit en effet, en son paragraphe 1er, que « lesdepenses et charges professionnelles afferentes à l'utilisation desvoitures, voitures mixtes et minibus, tels que ces vehicules sont definispar la reglementation relative à l'immatriculation des vehicules àmoteur, autres que celles afferentes à la consommation de carburant, nesont considerees comme charges professionnelles que jusqu'à concurrencede 75 p.c. » et il dispose, en son paragraphe 4, que « les plus-valuesou moins-values ulterieures sur des vehicules vises au paragraphe 1er nesont prises en consideration que jusqu'à concurrence de 75 p.c. ».
Cet article 22, S: 4, met ainsi en regard les notions de plus-values et demoins-values sur des vehicules ; il est du reste egalement à l'origine del'alinea 3 des articles 24 (benefices) et 27 (profits) du Code des impotssur les revenus 1992, redige comme suit : « les plus-values sur desvehicules vises à l'article 66 ne sont prises en consideration quejusqu'à concurrence de 75 p.c. » ; à cet egard, on observera qu'aucunedisposition analogue ne figure à l'article 31 du Code des impots sur lesrevenus 1992, qui determine la categorie de revenus professionnels formeepar les « remunerations des travailleurs ».
Il est vrai que les benefices imposables sur la base de l'article 24,alinea 1er, du Code des impots sur les revenus 1992 sont notamment « ceuxqui proviennent [...] 2DEG de tout accroissement de la valeur des elementsde l'actif affectes à l'exercice de l'activite professionnelle [...],lorsque ces plus-values [...] ont ete realisees ou exprimees dans lacomptabilite ou les comptes annuels », et que, de la meme maniere, lesprofits imposables sur la base de l'article 27, alinea 2, « comprennent[...] 3DEG toutes les plus-values realisees sur des elements de l'actifaffectes à l'exercice de la profession » ; à nouveau, on peut observerqu'aucune disposition analogue ne figure à l'article 31 du Code desimpots sur les revenus 1992 relatif aux « remunerations des travailleurs».
A l'appui de ce constat, il y a lieu d'encore relever qu'il resulte tantde la lettre que de l'esprit de l'article 41 du Code des impots sur lesrevenus 1992 que le regime des plus-values à l'impot sur les revenus neconcerne que les contribuables qui recueillent des benefices ou desprofits, à l'exclusion de ceux qui recueillent des remunerations detravailleurs.
En effet, cet article 41, qui determine les conditions auxquelles un avoirpeut etre considere comme affecte à l'exercice de l'activiteprofessionnelle, reserve expressis verbis son application aux « articles24, alinea 1er, 2DEG, 27, alinea 2, 3DEG, et 28 », lesquels concernentexclusivement les benefices ou profits ; en outre, les travauxpreparatoires de la disposition legale à l'origine dudit article 41precisent qu'il « enonce les principes du regime des plus-values endeterminant les contribuables et les biens vises [...]. Le nouveau regimeest applicable [...] aux exploitants personnes physiques et aux societesmais est etendu integralement aux professions liberales » (Doc. parl.,Senat, session 1989-1990, nDEG 806-1, pp. 57 et 58). Il n'est donc icinullement question de salaries, fonctionnaires, administrateurs ou autrescontribuables recueillant des remunerations.
En l'espece, il est constant que le defendeur est fonctionnaire au servicepublic federal des Finances et que, partant, les revenus professionnelsqu'il recueille sont constitues par des remunerations de travailleur, àl'exclusion de benefices ou de profits.
De ce qui precede, il resulte qu'une moins-value au sens d'une perte devaleur d'un element d'actif constitue le contrepoint des articles 24,alinea 1er, 2DEG, et 27, alinea 2, 3DEG, ou toute augmentation de lavaleur de l'actif est assumee comme benefice ou profit imposable au titrede plus-value et que, par voie de consequence, un contribuable qui, commele defendeur, recueille des remunerations de travailleur, à l'exclusionde benefices ou de profits, est en dehors du champ d'application desdispositions legales relatives aux plus-values et aux moins-values sur deselements de l'actif affectes à l'exercice de l'activite professionnelle.
Ainsi, plus particulierement, dans la mesure ou il considere que lamoins-value litigieuse constitue « une perte professionnelle,c'est-à-dire une depreciation accidentelle d'un element d'actif (voirl'article 23, S: 2) », l'arret attaque se fonde à tort sur ledit article23, S: 2, pour justifier la deduction d'une telle perte professionnelle.
En effet, l'article 23, S: 2, du Code des impots sur les revenus 1992prevoit, en son point 1DEG, la deduction de frais professionnels et, enses points 2DEG et 3DEG, la deduction de pertes professionnellesrepresentant le solde negatif d'une activite professionnelle au coursd'une periode imposable determinee.
Or, des lors qu'il denie à la moins-value litigieuse le caractere de« frais professionnels » dont l'article 23, S: 2, 1DEG, prevoit ladeduction, et qu'il determine ladite moins-value comme une « depreciationaccidentelle d'un element d'actif » et non comme le solde negatif d'uneactivite professionnelle au cours d'une periode imposable determinee viseeà l'article 23, S: 2, 2DEG et 3DEG, l'arret attaque n'a pu legalementjustifier la deduction de la moins-value litigieuse sur la base de cetarticle 23, S: 2.
De ce qui precede, il resulte que, si l'arret attaque du 8 decembre 2010decide à juste titre « que c'est à bon droit que le premier juge adecide que les moins-values subies sur une voiture utilisee pour lesdeplacements entre le domicile et le lieu de travail ne sont pas comprisesdans le forfait prevu à l'article 66, S: 4, du Code des impots sur lesrevenus 1992 » et « qu'il peut des lors etre admis qu'il ne s'agit pasd'une charge professionnelle mais bien d'une perte professionnelle,c'est-à-dire d'une depreciation accidentelle d'un element d'actif », iln'a pu legalement decider, apres avoir constate que le defendeur etait unfonctionnaire du service public federal des Finances et, partant, que sesrevenus professionnels avaient la nature de remunerations de travailleur(article 31), à l'exclusion de celles de benefices (article 24) ou deprofits (article 27), que l'interesse etait en droit de deduire de sesremunerations imposables la moins-value subie sur le vehicule qu'ilutilisait pour se rendre sur son lieu de travail, mais au contraire, enconfirmant l'annulation de la cotisation litigieuse « dans la mesure oucette imposition a omis de prendre en compte la deduction de 75 p.c. de lamoins-value realisee suite au sinistre total de son vehicule », meconnaitle lien que le legislateur a etabli de maniere indissociable entre lesplus-values imposables sur des vehicules vises à l'article 66 et lesmoins-values deductibles sur ces memes vehicules (violation des articles24, alinea 1er, 2DEG et 3DEG, 27, alineas 2, 3DEG, et 3, et 66, S: 1er, duCode des impots sur les revenus 1992) ainsi que la notion de remunerationdes travailleurs, laquelle ne comporte aucune plus-value (violation del'article 31 du Code des impots sur les revenus 1992), et invoque à tortl'article 23, S: 2, à l'appui de la deduction de la moins-valuelitigieuse qu'il ordonne des lors qu'il precise que cette moins-value n'apas le caractere de frais professionnels et qu'il resulte de la definitionqu'il en donne (à savoir, une « depreciation accidentelle d'un elementd'actif ») qu'elle n'a pas la nature d'une perte professionnelle au sensde « solde negatif d'une activite professionnelle au cours d'une periodeimposable determinee » (violation de l'article 23, S: 2, du Code desimpots sur les revenus 1992).
III. La decision de la Cour
La decision que critique le moyen est contenue dans l'arret attaque du
8 decembre 2010.
En vertu de l'article 66, S:S: 1er et 4, du Code des impots sur lesrevenus 1992, dans sa version applicable au litige, les fraisprofessionnels afferents à l'utilisation des voitures, voitures mixtes etminibus, et les moins-values sur ces vehicules ne sont deductibles quejusqu'à concurrence de 75 p.c., à l'exception des frais professionnelsafferents aux deplacements entre le domicile et le lieu de travail, quisont fixes forfaitairement à 6 francs par kilometre parcouru.
Les moins-values sur les voitures ne sont toutefois susceptibles d'etrededuites fiscalement que si lesdites voitures constituent, pour lecontribuable concerne, un actif affecte à l'exercice de son activiteprofessionnelle, au sens de l'article 41 du meme code.
L'arret qui, apres que la cour d'appel eut constate que le demandeur aperc,u, en tant que fonctionnaire, des remunerations de travailleur, qu'ildisposait d'une voiture personnelle, qu'il utilisait celle-ci pour sesdeplacements entre le domicile et le lieu du travail et qu'il a subi unsinistre total, considere comme reguliere la deduction de sesremunerations, à titre de « perte professionnelle », d'une moins-valuerelative à un « element d'actif », ne justifie pas legalement sadecision.
Le moyen est fonde.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l'arret attaque du 8 decembre 2010 ;
Ordonne que mention du present arret sera faite en marge de l'arretcasse ;
Reserve les depens pour qu'il soit statue sur ceux-ci par le juge dufond ;
Renvoie la cause devant la cour d'appel de Liege.
Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president Christian Storck, les conseillers Alain Simon,Gustave Steffens, Michel Lemal et Sabine Geubel, et prononce en audiencepublique du trente et un janvier deux mille treize par le presidentChristian Storck, en presence de l'avocat general Andre Henkes, avecl'assistance du greffier Patricia De Wadripont.
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| P. De Wadripont | S. Geubel | M. Lemal |
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| G. Steffens | A. Simon | Chr. Storck |
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31 JANVIER 2013 F.11.0153.F/1