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24/01/2013 | BELGIQUE | N°C.12.0308.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 24 janvier 2013, C.12.0308.F


Cour de cassation de Belgique

Arret

1551



NDEG C.12.0308.F

UNION EUROPEENNE, agissant par la Commission europeenne, dont le siege estetabli à Bruxelles, rue de la Loi, 200, agissant tant pour elle-memequ'en tant que mandataire de la societe anonyme Axa Belgium, dont le siegesocial est etabli à Watermael-Boitsfort, boulevard du Souverain, 25,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre Michele Gregoire, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 480, ou il estfait election de domicile,

contre

BELFIUS INSURANCE, anciennement denommee Dexia Insurance Belgium, societeanonyme dont le s...

Cour de cassation de Belgique

Arret

1551

NDEG C.12.0308.F

UNION EUROPEENNE, agissant par la Commission europeenne, dont le siege estetabli à Bruxelles, rue de la Loi, 200, agissant tant pour elle-memequ'en tant que mandataire de la societe anonyme Axa Belgium, dont le siegesocial est etabli à Watermael-Boitsfort, boulevard du Souverain, 25,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre Michele Gregoire, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 480, ou il estfait election de domicile,

contre

BELFIUS INSURANCE, anciennement denommee Dexia Insurance Belgium, societeanonyme dont le siege social est etabli à Saint-Josse-ten-Noode, avenueGalilee, 5,

defenderesse en cassation,

representee par Maitre Bruno Maes, avocat à la Cour de cassation, dont lecabinet est etabli à Bruxelles, rue de Loxum, 25, ou il est fait electionde domicile.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 15 mars 2012par la cour d'appel de Liege, statuant comme juridiction de renvoi ensuitede l'arret de la Cour du 14 juin 2001.

Le 3 decembre 2012, l'avocat general Thierry Werquin a depose desconclusions au greffe.

Le president de section Albert Fettweis a fait rapport et l'avocat generalThierry Werquin a ete entendu en ses conclusions.

II. Le moyen de cassation

La demanderesse presente un moyen libelle dans les termes suivants :

Dispositions legales violees

- article 85bis, specialement S: 4, du statut des fonctionnaires desCommunautes europeennes, ajoute par l'article 10 du reglement (CEE,Euratom, CECA) nDEG 2799/85 du Conseil du 27 septembre 1985 modifiant lestatut des fonctionnaires des Communautes europeennes ainsi que le regimeapplicable aux autres agents de ces communautes ;

- articles 1382 et 1383 du Code civil.

Decisions et motifs critiques

L'arret attaque declare non fondee l'action directe exercee par lademanderesse contre la defenderesse sur la base de l'article 85bis, S: 4,du statut des fonctionnaires des Communautes europeennes et de l'article1382 du Code civil tendant au remboursement, jusqu'à concurrence de 50p.c., des pensions d'orphelin et de survie qu'elle a du payer aux ayantsdroit de l'assure de la defenderesse à la suite du deces de celui-ci.

L'arret attaque se fonde sur les motifs suivants :

« Une personne publique qui, à la suite de la faute d'un tiers doit, envertu d'obligations legales, reglementaires ou conventionnelles, effectuerdes depenses ou octroyer des prestations en faveur de la victime ou de sesayants droit, a droit à une indemnite dans la mesure ou elle subit ainsiun dommage et pour autant qu'il ne resulte pas de la loi, du reglement oude la convention que le paiement doit rester definitivement à sa charge(Cass., 16 janvier 2006, Pas., 2006, pp. 159 et ss.).

Il convient donc de verifier si [la demanderesse] etablit qu'elle a, dufait du paiement des pensions de survie et d'orphelin non couvertes par lasubrogation, subi un dommage propre en relation causale avec la faute del'assure de la [defenderesse] et si l'economie du reglement ne fait pasapparaitre que ces depenses devraient rester definitivement à sa charge.

Le statut des fonctionnaires des Communautes europeennes instaure auprofit de l'Union europeenne un recours subrogatoire en recuperation deces depenses (article 85bis, S: 2) sans prejudice d'un recours direct(article 85bis, S: 4), de sorte qu'il est difficile d'admettre qu'ilresulterait de ce statut que ces depenses doivent rester definitivement àla charge de l'Union europeenne.

La faute de l'assure de la [defenderesse] a eu pour consequence la perte,pour [la demanderesse], des prestations de travail de son agent.

Lorsque, privees des prestations de travail d'un agent, [la demanderesse]demeure tenue de poursuivre le paiement des remunerations qui constituentla contrepartie des prestations de travail de l'agent, elle subit undommage propre, en relation causale avec la faute, la remuneration etantpayee sans la contrepartie des prestations de travail de la victime.

C'est en ce sens que s'inscrivent les arrets rendus par la Cour decassation les 19 et 20 fevrier 2001, en vertu desquels « l'autoritepublique qui, à la suite de la faute d'un tiers, se voit contrainte, envertu de ses obligations legales ou reglementaires, de poursuivre lepaiement de la remuneration ainsi que des cotisations sociales qui y sontattachees, sans beneficier de prestations de travail en contrepartie, adroit à une indemnite dans la mesure ou elle subit ainsi un dommage ».

Une des conditions d'application de cet enseignement de la Cour decassation tient en ce que le paiement des remunerations se poursuit, àcharge de l'autorite, sans la contrepartie des prestations de travail dela victime.

Le recours direct est donc limite à ce qui apparait comme la contrepartiedu travail dont l'employeur public aurait beneficie sans l'accident.

Par contre, ce qui est debourse au-delà de ce que l'employeur aurait dupayer pour des prestations de services ne peut etre recupere par le biaisdu recours direct ».

L'arret attaque en deduit que, « en l'espece, il n'apparait pas que lesversements des pensions de survie et d'orphelins aux ayants droit realisesen vertu du statut des fonctionnaires des Communautes europeennes aientete effectuees en compensation de services de l'agent dont [lademanderesse] a ete privee. Ils vont au-delà de la contrepartie desprestations de travail perdues, de sorte que [la demanderesse] n'est pasfondee à en reclamer le remboursement sur la base des articles 1382 duCode civil et 85bis, S: 4, du statut des fonctionnaires des Communauteseuropeennes ».

Griefs

1. En vertu des articles 1382 et 1383 du Code civil, celui qui cause undommage par sa faute est tenu d'indemniser integralement ce dommage, cequi implique le retablissement du prejudicie dans l'etat ou il seraitdemeure si l'acte dont il se plaint n'avait pas ete commis.

Une personne de droit public qui, à la suite de la faute d'un tiers,doit, en vertu d'obligations legales, reglementaires ou conventionnelles,effectuer des depenses ou octroyer des prestations en faveur de la victimeou de ses ayants droit, a droit à une indemnite dans la mesure ou ellesubit ainsi un dommage.

L'existence d'une telle obligation n'exclut pas qu'il y ait un dommage ausens de l'article 1382 du Code civil, sauf s'il resulte de la loi, dureglement ou de la convention que le paiement doit definitivement resterà la charge de celui qui y est oblige sur cette base.

L'article 85bis, S: 4, du statut des fonctionnaires des Communauteseuropeennes prevoit expressement que la subrogation dont la demanderessebeneficie en vertu du paragraphe 1er de la meme disposition ne saurait luietre opposee pour contester son droit d'intenter contre le tiersresponsable ou son assureur une action directe en recouvrement de sonprejudice propre en raison des debours qu'elle a effectues ou devraeffectuer en faveur d'un de ses fonctionnaires ou de ses ayants droit.

Les arrets de la Cour de cassation auxquels l'arret attaque se refere[Cass., 20 fevrier 2001, Pas., 2001, I, p. 335, 19 fevrier 2001 (quatrearrets), Pas., 2001, I, pp. 322, 327, 329 et 333), auxquels on peutajouter un arret du 9 avril 2003 (R.G. P.03.0049.F), ont ete rendus dansun contexte ou l'employeur d'une personne victime d'un accident du à lafaute d'un tiers reclamait à ce dernier les remunerations payees à lavictime en vertu d'une obligation legale, reglementaire ou contractuelle.Dans ce cas evidemment, independamment des autres conditions definies parla Cour pour qu'il y ait lieu à indemnisation, et notamment qu'ilressorte du contenu ou de l'economie de la loi, du reglement ou de laconvention que la depense effectuee en faveur de la victime ne doit pasrester definitivement à charge de celui qui s'est oblige, il faut, pourque le droit à indemnisation soit reconnu, que l'employeur n'ait pas, encontrepartie de ses paiements, beneficie des prestations de la victime.Lorsque tel est le cas, le payement des remunerations n'est en effet pasla source d'un dommage reparable.

Cette constatation n'a aucune portee generale en ce qui concerne lesconditions d'exercice de l'action directe contre le tiers responsable etnotamment ne vise pas le cas ou, comme en l'espece, l'employeur est ameneà effectuer des deboursements en faveur des ayants droit de la victime,decaissements qui ne peuvent naturellement etre compenses par laprestation de travail du travailleur decede.

Par son arret du 16 janvier 2006 (Pas., 2006, I, 159), que paradoxalementl'arret attaque cite sans tenir compte de la solution qui s'en degage, laCour de cassation a tranche cette question à propos d'un litigepratiquement identique à celui qui est actuellement soumis à la cour[d'appel], s'agissant egalement d'une action introduite par lesCommunautes europeennes à l'encontre de l'assureur du responsable del'accident dont avait ete victime son fonctionnaire. La reclamationformee, dans ce cadre, portait sur le remboursement des debours qu'ellesavaient exposes en faveur de la fille de la victime decedee. Cette actionetait notamment fondee sur l'article 85bis, S: 4, du statut desfonctionnaires des Communautes europeennes et les articles 1382 et 1383 duCode civil.

Le pourvoi reprochait à l'arret de decider que, dans le cadre de l'actiondirecte ainsi exercee, les Communautes europeennes ne pouvaient se voirallouer l'ensemble des debours ainsi effectues. La Cour de cassation acensure cette decision au motif, notamment, que « l'arret, qui neconstate pas que la demanderesse n'a pas personnellement subi un dommagedu fait du paiement des debours non couverts par la subrogation ou que cesdebours devaient rester definitivement à sa charge, ne justifie paslegalement sa decision de refuser le droit d'obtenir à charge de ladefenderesse leur remboursement ».

2. Il ne ressort pas des constatations de l'arret attaque que lademanderesse n'a pas personnellement subi un dommage du fait des deboursnon couverts par la subrogation ou que ces debours devaient resterdefinitivement à sa charge.

Certes, l'arret attaque affirme que « le recours direct est (donc) limiteà ce qui apparait comme la contrepartie du travail dont l'employeuraurait beneficie sans l'accident » et que « ce qui est debourse au-delàde ce que l'employeur aurait du payer pour des prestations de services nepeut etre recupere par le biais du recours direct ».

Mais cette constatation ne permet d'exclure le recours direct que pour lesdommages autres que ceux subis par l'employeur du fait du paiement deremunerations versees sans contrepartie de prestations de services de sonemploye ou fonctionnaire.

En realite, cette motivation de l'arret attaque est relative à unehypothese etrangere à celle qui etait soumise à la cour d'appel : cellede l'accident non mortel ou la demanderesse (ou de maniere generalel'employeur) est amenee à payer des remunerations à son fonctionnaire(ou employe) alors que celui-ci se trouve en etat d'incapacite de travailet ne peut plus effectuer de prestations de services.

En l'occurrence, la question ne se posait pas sous cet angle puisque, H.V. d. V. etant decede, il est evident qu'il ne pouvait plus fournir deprestations de travail à la demanderesse. Pour le surplus, il ressort desconstatations de l'arret attaque que la demanderesse a du indemniser lesayants droit de la victime, que ces paiements constituaient un dommagepropre qu'elle n'aurait pas subi si l'accident n'avait pas eu lieu. Si lefonctionnaire n'etait pas decede, c'est lui qui aurait contribue àsubvenir aux besoins des personnes auxquelles la demanderesse a du verserdes pensions.

C'est meme en termes expres que l'arret attaque admet l'existence d'un telcaractere propre du dommage de la demanderesse puisqu'il constate quecelle-ci a paye les pensions d'orphelins et pensions de survie en faveurdes enfants et de la veuve de son fonctionnaire decede et « qu'il estdifficile d'admettre qu'il resulterait [du statut des fonctionnaires desCommunautes europeennes] que ces depenses doivent rester definitivement àcharge de (la demanderesse) ».

C'est à tort des lors que l'arret attaque considere, pour ecarter lademande fondee sur l'action directe, que ce recours serait limite « à cequi apparait comme la contrepartie du travail dont l'employeur publicaurait beneficie sans l'accident », sans prendre en compte le recoursdestine à reparer les autres postes du dommage propre subi par lademanderesse.

3. En consequence, en refusant à la demanderesse le remboursement desdebours effectues en faveur des ayants droit de la victime au seul motifque ces debours n'avaient pas ete effectues sans la contrepartie desprestations de travail de la victime, sans constater que, du fait de cespaiements, la demanderesse n'aurait pas personnellement subi un dommage ettout en admettant, par ailleurs, qu'il ne resulte pas du contenu ou del'economie de la loi, du reglement ou de la convention que ces deboursdevaient rester definitivement à charge de la demanderesse, l'arretattaque meconnait l'article 85bis, S: 4, du statut des fonctionnaires desCommunautes europeennes (violation de cette disposition). De la mememaniere, en considerant, sur la base de ce seul motif, que le dommage dontla demanderesse poursuivait la reparation ne serait pas reparable ou neserait pas en relation causale avec la faute du responsable de l'accident,l'arret attaque meconnait en outre la notion legale de dommage reparableet la notion legale de relation causale au sens des articles 1382 et 1383du Code civil (violation de ces dispositions).

III. La decision de la Cour

L'employeur public qui, en vertu de ses obligations legales oureglementaires, est tenu de verser une remuneration à son agent sansrecevoir de prestations de travail en contrepartie a droit à uneindemnite sur la base des articles 1382 et 1383 du Code civil lorsqu'ilsubit ainsi un dommage.

Lorsque, à la suite de l'accident mortel de l'un de ses agents, l'Unioneuropeenne est tenue, en vertu du statut des fonctionnaires desCommunautes europeennes, de verser des pensions d'orphelins en faveur desenfants ou de survie en faveur de la veuve ou de la precedente epouse decet agent, le payement de ces pensions, qui ne constituent pas lacontrepartie des prestations de travail dont elle aurait beneficie enl'absence de l'accident, n'est pas un dommage reparable au sens desarticles 1382 et 1383 du Code civil.

En considerant qu' « en l'espece, il n'apparait pas que les versementsdes pensions de survie et d'orphelins aux ayants droit [de la victime]realises en vertu du statut des fonctionnaires des Communautes europeennesaient ete effectues en compensation des prestations de services de l'agentdont l'Union europeenne a ete privee » mais que ces versements « vontau-delà de la contrepartie », l'arret justifie legalement sa decisionque la demanderesse n'est pas fondee à en reclamer le remboursement parun recours direct sur la base des articles 1382 du Code civil et 85bis, S:4, du statut des fonctionnaires des Communautes europeennes.

Le moyen ne peut etre accueilli.

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi ;

Condamne la demanderesse aux depens.

Les depens taxes à la somme de cinq cent soixante-cinq euros trente-sixcentimes envers la partie demanderesse et à la somme de centquatre-vingts euros cinquante-neuf centimes envers la partie defenderesse.

Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president Christian Storck, le conseiller Didier Batsele, lepresident de section Albert Fettweis, les conseillers Marie-Claire Ernotteet Sabine Geubel, et prononce en audience publique du vingt-quatre janvierdeux mille treize par le president Christian Storck, en presence del'avocat general Thierry Werquin, avec l'assistance du greffier PatriciaDe Wadripont.

+-----------------------------------------------+
| P. De Wadripont | S. Geubel | M.-Cl. Ernotte |
|-----------------+------------+----------------|
| A. Fettweis | D. Batsele | Chr. Storck |
+-----------------------------------------------+

24 JANVIER 2013 C.12.0308.F/10


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.12.0308.F
Date de la décision : 24/01/2013

Origine de la décision
Date de l'import : 14/02/2013
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2013-01-24;c.12.0308.f ?
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