Cour de cassation de Belgique
Arret
2679
NDEG C.11.0684.F
AG INSURANCE, societe anonyme dont le siege social est etabli àBruxelles, boulevard Emile Jacqmain, 53,
demanderesse en cassation,
representee par Maitre Antoine De Bruyn, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, rue de la Vallee, 67, ou il estfait election de domicile,
contre
V. C. T.,
defendeur en cassation,
represente par Maitre Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est etabli à Liege, rue de Chaudfontaine, 11,ou il est fait election de domicile.
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre le jugement rendu le 26 avril2011 par le tribunal de premiere instance de Liege, statuant en degred'appel.
Le 7 decembre 2012, l'avocat general Jean Marie Genicot a depose desconclusions au greffe.
Le conseiller Michel Lemal a fait rapport et l'avocat general Jean MarieGenicot a ete entendu en ses conclusions.
II. Le moyen de cassation
La demanderesse presente un moyen libelle dans les termes suivants :
Dispositions legales violees
* articles 34, S: 2, 3DEG, et 63, S: 1er, 2DEG, de l'arrete royal du 16mars 1968 portant coordination des lois relatives à la police de lacirculation routiere ;
- principe general du droit relatif à l'autorite de la chose jugee enmatiere penale consacre notamment par l'article 4 de la loi du 17 avril1878 contenant le titre preliminaire du Code de procedure penale ;
- articles 1134, alinea 1er, 1315, alinea 2, 1319, 1320, 1322, 1349 à1352 du Code civil ;
- article 870 du Code judiciaire.
Decisions et motifs critiques
La decision condamnant la demanderesse à payer au defendeur la somme de28.625,34 euros augmentee des interets au taux legal depuis le 6 fevrier2007 et des depens d'instance et d'appel.
« La [demanderesse] invoque l'article 4.1 des conditions generalesd'assurance suivant lequel est exclue la garantie pour les sinistrescauses par un conducteur en etat d'ivresse ou d'intoxication alcooliqueavec un taux superieur à 1,5 gramme/litre de sang (soit 0,65 mg/l d'airalveolaire expire).
C'est à juste titre que [le defendeur] estime qu'il appartient à la[demanderesse] de demontrer l'etat d'ivresse ou d'intoxication alcooliquesuperieure à 1,5 gr./l.
(...)
En vertu de l'article 1315, alinea 2, du Code civil, il incombe àl'assureur de prouver l'existence de la cause de decheance.
(...)
D'une part, aucune consequence ne peut etre deduite d'un acquittement aubenefice du doute.
En effet, `l'acquittement au benefice du doute constate positivement quela faute du prevenu ou sa participation aux faits reproches ne peuventetre etablis. Quel que soit le degre de certitude sur lequel le juge fondesa decision, celle-ci a le meme effet, elle est generale et s'impose ergaomnes'.
D'autre part, il n'est pas suffisamment etabli que [le defendeur] etait enetat d'ivresse au moment des faits.
Les signes releves par les verbalisateurs ne sont pas corrobores par lesautres elements du dossier.
(...)
La [demanderesse] reste egalement en defaut de demontrer l'existence d'unetat d'intoxication alcoolique avec un taux superieur à 1,5 gr./l.
Elle impute cette carence au comportement [du defendeur] qui a refuse,selon elle, tant de subir l'ethylotest que le prelevement sanguin.
Il est etabli par le dossier que [le defendeur] a souffert d'une plaie àla muqueuse des levres superieures et une lesion de la face interne de lalevre inferieure droite ensuite du declenchement de l'airbag, ce quiaccredite sa declaration selon laquelle il a tente sans succes de soufflerdans l'alcootest.
Il est surprenant à cet egard, comme le relevait le tribunal de police,que les verbalisateurs n'ont pas pris la peine de recueillir lesdeclarations [du defendeur] au moment des faits mais seulement six moisplus tard. Or, [le defendeur] a conteste, dans cette declaration, avoirvolontairement refuse de se soumettre à la prise de sang. Il a declareavoir voulu se rendre aux toilettes au prealable, ce qui aurait ete refusepar les verbalisateurs, qui auraient quitte les lieux.
Il n'est pas suffisamment etabli, au vu de ces elements, que [ledefendeur] aurait deliberement choisi de refuser le prelevement sanguin etd'empecher ainsi son assureur d'etablir la preuve de son eventuel etatd'intoxication alcoolique superieur au taux contractuellement fixe.
[Le defendeur] a certes ete condamne pour avoir refuse le prelevement sansmotif legitime.
La preuve de l'existence d'une manoeuvre [du defendeur] pour tromper sonassureur ne peut toutefois pas se deduire de cette condamnation.
L'article 34, S: 2, 3DEG, de l'arrete royal du 16 mars 1968 portantcoordination des lois relatives à la police de la circulation routieresanctionne le refus de prelevement sanguin sans motif legitime. Le motifest considere comme legitime lorsque le medecin requis constate une raisonmedicale invoquee par la personne.
En l'espece, le motif invoque par [le defendeur] (refus momentane suivid'un depart des verbalisateurs) n'est pas legitime au sens de cettedisposition. Il ne peut toutefois etre deduit de ces seules circonstancesque [le defendeur] aurait rendu toute administration de la preuveimpossible, aurait fait preuve de mauvaise foi et aurait empechevolontairement son assureur de demontrer son etat d'intoxicationalcoolique.
Ce refus, en tant que tel, n'est pas la cause ou l'une des causes del'accident, meme s'il est exact qu'il a eu pour consequencel'impossibilite de determiner exactement le degre d'alcoolemie.
Au vu des circonstances decrites ci-dessus, il ne peut suffire àjustifier un refus de garantie, lequel n'est pas stipule expressement dansle contrat, ou etre de nature à renverser les regles relatives à lacharge de la preuve.
La [demanderesse] ne peut se contenter d'invoquer les appreciations desverbalisateurs pour demontrer que [le defendeur] aurait entravel'execution loyale du contrat d'assurance.
Il n'est en effet pas suffisamment etabli que [le defendeur] s'est abstenuvolontairement de collaborer aux devoirs d'alcoolemie pour empecher touteconstatation utile, et ce notamment en raison des carences desverbalisateurs, qui se sont abstenus de recueillir la declaration [dudefendeur] le jour des faits.
Il resulte de ce qui precede que la compagnie d'assurances doit garantirle sinistre ».
Griefs
Comme le rappelle le jugement attaque, le defendeur a ete condamne le 9avril 2008 par le tribunal de police pour avoir refuse le prelevementsanguin « sans motif legitime ».
Cette condamnation est fondee sur l'article 34, S: 2, 3DEG, des loiscoordonnees relatives à la police de la circulation routiere (arreteroyal du 16 mars 1968) qui prevoit qu'est puni d'une amende de 25 euros à500 euros quiconque s'est refuse sans motif legitime au prelevementsanguin prevu à l'article 63 (...).
L'article 63, S: 1er, 2DEG, de l'arrete royal du 16 mars 1968 precisequ'un prelevement sanguin doit etre impose au cas ou il n'a pu etreprocede ni au test de l'haleine ni à l'analyse de l'haleine et quel'interesse se trouve « apparemment » dans l'etat vise à l'article 34,S: 2 (intoxication alcoolique), ou dans l'etat vise à l'article 35(ivresse).
Il ressort de ces dispositions que l'obligation de consentir à unprelevement sanguin suppose une « apparence » d'intoxication alcooliqueet la condamnation penale pour refus du prelevement sanguin a pourconsequence que le conducteur qui a refuse sans motif legitime leprelevement est presume s'etre trouve en etat d'intoxication alcoolique etqu'il lui appartient par consequent de prouver le contraire.
La presomption etant une preuve (articles 1349 à 1352 du Code civil),c'est en effet à celui qui la conteste d'etablir eventuellement la preuvecontraire.
Autrement dit, la condamnation penale du defendeur pour refus d'unprelevement sanguin sans motif legitime implique, vu l'autorite de chosejugee attachee à cette condamnation, que le defendeur est presume avoirete en etat d'intoxication alcoolique au moment de l'accident et qu'il luiincombe de renverser cette presomption et non à la demanderesse deprouver qu'il se trouvait en etat d'intoxication alcoolique.
On ne concevrait pas qu'une condamnation penale pour refus d'unprelevement sanguin sans motif legitime puisse etre dissociee de lapresomption de s'etre trouve en etat d'intoxication alcoolique.
En l'espece, la charge de prouver l'absence d'intoxication alcooliquereposait d'autant plus certainement sur le defendeur que le jugementattaque a constate que le refus du defendeur d'un prelevement sanguin a «empeche » son assureur (la demanderesse) d'etablir la preuve de soneventuel etat d'intoxication alcoolique.
En vertu des articles 1315, alinea 2, du Code civil et 870 du Codejudiciaire, il appartient à celui qui allegue un fait le liberant, de leprouver.
Vainement le jugement objecte-t-il que le contrat d'assurance ne prevoitpas expressement une exclusion de garantie en cas de refus d'unprelevement sanguin et qu'en tout cas, le refus du defendeur d'unprelevement ne serait pas la cause ou l'une des causes de l'accident.
En vertu de l'article 4.1 des conditions generales de la policed'assurance qui liait les parties (article 1134, alinea 1er, du Codecivil), la demanderesse ne doit pas sa garantie pour les sinistres causespar un conducteur en etat d'intoxication alcoolique.
Cette disposition exclut la garantie de la demanderesse lorsque lesinistre est « cause par un conducteur en etat d'intoxication alcoolique». Elle ne subordonne pas l'exclusion de la garantie à la condition quel'accident soit en plus cause par l'etat d'intoxication alcoolique.
On ne peut pretendre que la demanderesse ne devrait pas sa garantie auxmotifs que le contrat d'assurance ne prevoyait pas
« expressement » l'exclusion de la garantie en cas de refus d'unprelevement sanguin et que la demanderesse n'etablit pas que l'accident aete cause par l'etat d'intoxication alcoolique du defendeur alors que,selon les constatations memes du jugement, le defendeur a empeche lademanderesse de prouver son etat d'intoxication alcoolique en refusant unprelevement sanguin sans motif legitime.
Comme expose ci-dessus, vu son refus d'un prelevement, il appartenait audefendeur qui contestait l'exclusion de la garantie de l'assureur fondeesur l'article 4.1 des conditions generales de la police d'assurance deprouver qu'au moment de l'accident, il ne conduisait pas le vehicule enetat d'intoxication alcoolique.
Il s'ensuit qu'en accueillant l'action du defendeur au motif qu'ilappartient à la demanderesse de demontrer que l'etat d'intoxicationalcoolique du defendeur etait superieur à 1,5 gr./l., ce qu'elle ne faitpas, le jugement viole les dispositions legales visees en tete du moyen ;plus precisement, lorsqu'il considere que la condamnation du defendeurpour refus sans motif legitime d'un prelevement sanguin n'implique pas lapreuve d'une intoxication alcoolique et qu'il laisse à la demanderesse lacharge de rapporter cette preuve, le jugement porte atteinte
1DEG à l'autorite de chose jugee du jugement du tribunal de police du 9avril 2008 (violation du principe general de l'autorite de la chose jugeeen matiere penale) ;
2DEG aux articles 34, S: 2, 3DEG, et 63, S: 1er, 2DEG, des loiscoordonnees relatives à la police de la circulation routiere qui imposentle prelevement sanguin et sanctionnent son refus ;
3DEG aux regles de la preuve par presomption (articles 1349 à 1352 duCode civil) et de la charge de la preuve et plus particulierement auxarticles 870 du Code judiciaire et 1315, alinea 2, du Code civil, en vertudesquels celui qui conteste un fait presume et en l'espece allegue ne pastomber sous le coup d'une « exclusion », doit prouver le fait qui lelibere.
4DEG enfin, en soutenant que l'application de l'article 4.1 des conditionsgenerales du contrat d'assurance entre parties qui exclut la garantie dela demanderesse ne vise pas expressement le refus d'un prelevement sanguinet que son application suppose la preuve que l'accident a ete cause parl'etat d'intoxication alcoolique du defendeur, le jugement a donne duditarticle 4 une interpretation inconciliable avec ses termes et a partantviole la foi due audit article 4.1 (violation des articles 1319, 1320 et1322 du Code civil). Il a de plus meconnu la force obligatoire entreparties des conditions generales de la police d'assurance (violation del'article 1134, alinea 1er, du Code civil).
III. La decision de la Cour
Il ne suit pas des articles 34, S: 2, 3DEG, et 63, S: 1er, 2DEG, dans saversion applicable aux faits, de l'arrete royal du 16 mars 1968 portantcoordination des lois relatives à la police de la circulation routiereque le conducteur qui est condamne pour s'etre refuse, sans motiflegitime, au prelevement sanguin prevu à l'article 63, S: 1er, 2DEG,precite est presume s'etre trouve en etat d'impregnation alcoolique.
Dans la mesure ou il repose sur le soutenement contraire, le moyen manqueen droit.
Pour le surplus, l'article 4.1 des conditions generales du contratd'assurance entre parties dispose que la demanderesse n'assure pas « lessinistres qui sont causes par un conducteur en etat d'ivresse,d'intoxication alcoolique punissable ou dans un etat analogue resultant del'utilisation de produits autres que des boissons alcoolisees, à moinsque l'assure demontre qu'il n'y a pas de lien de causalite entre ces casde faute lourde et le sinistre ».
Contrairement à ce que soutient le moyen, le jugement attaque neconsidere pas que l'application de cette disposition contractuelle supposela preuve que l'accident a ete cause par l'etat d'intoxication alcooliquedu defendeur mais qu'il appartient à la demanderesse de demontrer que ledefendeur se trouvait dans un tel etat au moment de cet accident.
Par ailleurs, le jugement attaque, qui considere que le refus deprelevement sanguin « ne peut suffire à justifier un refus de garantie,lequel n'est pas stipule expressement dans le contrat », d'une part, nedonne pas dudit article 4.1 une interpretation inconciliable avec sestermes et ne viole des lors pas la foi qui lui est due, d'autre part, nemeconnait pas la force obligatoire entre parties des conditions generalesde la police d'assurance.
Dans cette mesure, le moyen ne peut etre accueilli.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux depens.
Les depens taxes à la somme de quatre cent septante-cinq eurosquatre-vingt-cinq centimes envers la partie demanderesse et à la somme decent trente et un euros vingt-quatre centimes envers la partiedefenderesse.
Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le conseiller Didier Batsele, faisant fonction de president,les conseillers Martine Regout, Mireille Delange, Michel Lemal et SabineGeubel, et prononce en audience publique du dix-sept janvier deux milletreize par le conseiller Didier Batsele, faisant fonction de president, enpresence de l'avocat general Jean Marie Genicot, avec l'assistance dugreffier Patricia De Wadripont.
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| P. De Wadripont | S. Geubel | M. Lemal |
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| M. Delange | M. Regout | D. Batsele |
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17 JANVIER 2013 C.11.0684.F/10