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10/01/2013 | BELGIQUE | N°F.08.0074.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 10 janvier 2013, F.08.0074.F


Cour de cassation de Belgique

Arret

4628



NDEG F.08.0074.F

SIAT, societe anonyme dont le siege social est etabli à Uccle, drevePittoresque, 81,

demanderesse en cassation,

ayant pour conseil Maitre Daniel Garabedian, avocat au barreau deBruxelles, dont le cabinet est etabli à Bruxelles, boulevard del'Empereur, 3, ou il est fait election de domicile,

contre

ETAT BELGE, represente par le ministre des Finances, dont le cabinet estetabli à Bruxelles, rue de la Loi, 12,

defendeur en cassation,

represente par Maitre Antoi

ne De Bruyn, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, rue de la Vallee, 67, ou il estfa...

Cour de cassation de Belgique

Arret

4628

NDEG F.08.0074.F

SIAT, societe anonyme dont le siege social est etabli à Uccle, drevePittoresque, 81,

demanderesse en cassation,

ayant pour conseil Maitre Daniel Garabedian, avocat au barreau deBruxelles, dont le cabinet est etabli à Bruxelles, boulevard del'Empereur, 3, ou il est fait election de domicile,

contre

ETAT BELGE, represente par le ministre des Finances, dont le cabinet estetabli à Bruxelles, rue de la Loi, 12,

defendeur en cassation,

represente par Maitre Antoine De Bruyn, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, rue de la Vallee, 67, ou il estfait election de domicile.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 12 mars 2008par la cour d'appel de Bruxelles.

Par son arret du 18 juin 2010, la Cour a pose une question prejudicielleà la Cour de justice de l'Union europeenne.

La Cour de justice s'est prononcee par un arret du 5 juillet 2012.

Le 18 decembre 2012, l'avocat general Andre Henkes a depose desconclusions au greffe.

Le conseiller Martine Regout a fait rapport et l'avocat general AndreHenkes a ete entendu en ses conclusions.

II. Les faits

Les faits de la cause, tels qu'ils ressortent des pieces auxquelles laCour peut avoir egard, peuvent etre resumes comme suit :

La demanderesse, societe belge, a constitue en 1991 une filiale communeavec un groupe nigerian, pour l'exploitation de palmeraies en vue de laproduction d'huile de palme.

Les conventions entre les parties prevoient que la demanderesse fournirades services remuneres et vendra des equipements à la filiale communemais qu'elle devra retroceder une partie du benefice qu'elle en tirera, àtitre de commission d'apport d'affaires, à la societe de tete du groupenigerian, la societe luxembourgeoise Megatrade International (MISA).

En 1997, des discussions ont eu lieu entre les parties quant au montantexact des commissions dues par la demanderesse. Ces discussions ontdebouche sur la fin du partenariat et le paiement d'une indemnite : parune premiere convention, du 3 decembre 1997, la demanderesse a rachete augroupe nigerian sa participation dans la filiale commune ; par une secondeconvention du meme jour, la demanderesse s'est engagee à verser à MISAdeux millions de dollars US pour solde de tout compte.

Constatant que MISA avait le statut de societe holding regie par la loiluxembourgeoise du 31 juillet 1929 sur le regime fiscal des societes departicipations financieres et n'etait des lors pas assujettie à un impotanalogue à l'impot des societes belges, l'administration fiscale belge afait application de l'article 54 du Code des impots sur les revenus 1992pour rejeter la deduction comme frais professionnels de la somme de28.402.251 francs que la demanderesse avait comptabilisee comme chargedans ses comptes au 31 decembre 1997, à la suite de la seconde conventiondu 3 decembre 1997.

L'arret rejette, par confirmation du jugement entrepris, le recours de lademanderesse contre cette imposition.

Meme si la commission d'apport d'affaires est liee à une relationcommerciale entre une societe belge et une filiale situee dans un paystiers, les parties considerent que cette commission constitue laremuneration d'une prestation de services entre personnes etablies dansdes Etats membres differents.

III. Les moyens de cassation

La demanderesse presente trois moyens dont le deuxieme est libelle dansles termes suivants :

Deuxieme moyen

Dispositions legales violees

- articles 43 (ex article 52), 49 (ex article 59), 56 (ex article 73 B) et58 (ex article 73 D) du Traite instituant la Communaute europeenne, signeà Rome le 25 mars 1957 et approuve par la loi du 2 decembre 1957 (versionconsolidee à Amsterdam le 2 octobre 1997 et approuvee par la loi du 10aout 1998), ci-apres « Traite CE » ;

- principe general du droit relatif à la primaute du droit communautaireayant un effet direct dans l'ordre juridique interne sur toute dispositioncontraire du droit national.

Decisions et motifs critiques

Rejetant le moyen de la demanderesse deduit de ce que l'article 54 du Codedes impots sur les revenus 1992 est contraire aux libertesd'etablissement, de prestations de services et de circulation des capitauxgarantis par les articles 43, 49 et 56 du Traite CE et est, partant,inapplicable en l'espece, l'arret decide que les commissions versees parla demanderesse à la societe anonyme Megatrade International, « societeholding luxembourgeoise », tombent dans le champ d'application del'article 54 du Code des impots sur les revenus 1992 et des lors deboutela demanderesse de sa demande et la condamne aux depens.

L'arret fonde cette decision sur les deux motifs suivants :

1. « C'est (...) à bon droit que l'(administration) rappelle les termesde l'article 58 dudit Traite qui prevoit que : `l'article 56 ne porte pasatteinte au droit qu'ont les Etats membres : a) d'appliquer lesdispositions pertinentes de leur legislation fiscale qui etablissent unedistinction entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la memesituation en ce qui concerne leur residence ou le lieu ou leurs capitauxsont investis ; b) de prendre toutes les mesures indispensables pour faireechec aux infractions à leurs lois et reglements, notamment en matierefiscale ou en matiere de controle prudentiel des etablissementsfinanciers, de prevoir des procedures de declaration des mouvements decapitaux à des fins d'information administrative ou statistique ou deprendre des mesures justifiees par des motifs lies à l'ordre public ou àla securite publique' » ; et 2. « par ailleurs, `le rapport Code deconduite (fiscalite des entreprises) Groupe Primarolo' soumis au ConseilEcofin le 29 novembre 1999 et rendu public lors de la session du 28fevrier 2000 mentionne les `societes holdings exonerees d'impots en vertude la loi de 1929 Luxembourg' parmi les mesures fiscales presentant descaracteristiques dommageables (sont notamment visees en l'espece lesmesures fiscales etablissant un niveau d'imposition effective nettementinferieur, y compris une imposition nulle, par rapport à ceux quis'appliquent normalement dans l'Etat membre concerne) ».

Griefs

Premiere branche

Dans ses conclusions additionnelles et de synthese prises devant la courd'appel, la demanderesse faisait valoir que l'article 54 du Code desimpots sur les revenus 1992 viole les libertes communautaires 1.d'etablissement, 2. de prestation de services et 3. de circulation descapitaux etablies respectivement par les articles 43, 49 et 56 du TraiteCE.

L'article 58 dudit Traite etablit une exception à la seule liberte decirculation des capitaux, etablie par l'article 56. Cette exception nes'applique ni à la liberte d'etablissement prevue par l'article 43 ni àla liberte de prestation de services prevue à l'article 49.

En se fondant sur l'article 58 du Traite CE pour rejeter le moyen de lademanderesse deduit de la violation des libertes communautairesd'etablissement et de prestation de services, la cour d'appel ne justifiepas legalement sa decision (violation des articles 43, 49 et 58 du TraiteCE et du principe general du droit vise en tete du moyen).

Deuxieme branche

Ainsi qu'il ressort de son preambule, le « Code de conduite dans ledomaine de la fiscalite des entreprises » contenu dans l'annexe auxconclusions du Conseil Ecofin du 1er decembre 1997 en matiere de politiquefiscale (J.O.C.E., 6 janvier 1998, C2, p. 1) constitue un engagement denature politique et n'affecte pas les droits et les obligations des Etatsmembres ni les competences respectives des Etats membres et de laCommunaute telles qu'elles decoulent du Traite. L'adoption du Code deconduite et la mention, dans le rapport « Groupe Primarolo » etabliconformement à ce Code de conduite, du regime fiscal luxembourgeois encause parmi les mesures fiscales nationales dommageables pour le marcheunique ne sauraient donc limiter ni a fortiori restreindre retroactivementles droits conferes par les articles 43, 49 et 56 du Traite CE.

Des lors, la cour d'appel n'a pu legalement se fonder sur la considerationque le regime fiscal luxembourgeois des « holdings 1929 » figure parmiles « mesures fiscales dommageables » dans le rapport etabliconformement à ce code de conduite, pour rejeter le moyen de defense dela demanderesse deduit de la violation des libertes communautairesd'etablissement, de prestation de services et de circulation des capitaux(violation des articles 43, 49 et 56 du Traite CE et du principe generaldu droit vise en tete du moyen).

Troisieme branche

L'article 54 du Code des impots sur les revenus 1992 interdit, enprincipe, sous reserve d'une double preuve particuliere dont la chargepese sur le contribuable, la deduction à titre de frais professionnelsdes remunerations de services payees ou attribuees à un contribuablenon-resident ou à un etablissement etranger qui, en vertu de dispositionsde la legislation du pays ou il est etabli, n'y est pas soumis à un impotsur les revenus ou y est soumis, pour les revenus de l'espece, à unregime de taxation notablement plus avantageux que celui auquel cesrevenus sont soumis en Belgique. Cette disposition introduit, en ce quiconcerne la deduction des remunerations de services, une difference detraitement selon que la societe beneficiaire de la remuneration a ou nonson siege en Belgique.

En effet, il ressort de l'article 54 du Code des impots sur les revenus1992 que les remunerations dues par une societe residente à une autresociete residente ne sont pas soumises à cette restriction meme dans lecas ou cette derniere ne serait pas soumise à un impot sur les revenus ouserait soumise, sur les revenus de l'espece, à un regime de taxationnotablement plus avantageux que le regime de droit commun. Les societesresidentes qui font appel aux services d'une societe non-residente quin'est pas soumise à un impot sur les revenus ou qui est soumise, sur lesrevenus de l'espece, à un regime de taxation notablement plus avantageuxque celui auquel ces revenus sont soumis en Belgique font, des lors,l'objet, en vertu de l'article 54 precite, d'un traitement fiscal moinsavantageux que les societes residentes qui font appel aux services d'uneautre societe residente.

Une telle difference de traitement entre des societes residentes enfonction du lieu d'etablissement de leur cocontractant constitue unerestriction à la libre prestation de services à l'interieur de laCommunaute et est des lors contraire à l'article 49 du Traite CE.

En soumettant la demanderesse à l'article 54 du Code des impots sur lesrevenus 1992 pour des remunerations de services dues à une societeluxembourgeoise, l'arret a des lors viole l'article 49 du Traite CE et ameconnu le principe general du droit de la primaute du droit communautaireayant un effet direct dans l'ordre juridique interne sur toute dispositioncontraire du droit national.

IV. La decision de la Cour

Sur le deuxieme moyen :

Quant à la troisieme branche :

Conformement à l'article 49, alinea 1er, du Code des impots sur lesrevenus 1992, tel qu'il a ete modifie par la loi du 6 juillet 1994, sontdeductibles, à titre de frais professionnels, les frais que lecontribuable a faits ou supportes pendant la periode imposable en vued'acquerir ou de conserver les revenus imposables et dont il justifie larealite et le montant au moyen de documents probants ou, quand cela n'estpas possible, par tous autres moyens de preuve admis par le droit commun,sauf le serment.

L'article 54 du Code des impots sur les revenus 1992, tel qu'il a etemodifie par la loi du 28 juillet 1992, et avant sa modification par la loidu 15 decembre 2004, enonce que notamment les interets ou lesremunerations de prestations ou de services ne sont pas consideres commedes frais professionnels lorsqu'ils sont payes ou attribues directement ouindirectement à un contribuable vise à l'article 227 ou à unetablissement etranger, qui, en vertu des dispositions de la legislationdu pays ou ils sont etablis, n'y sont pas soumis à un impot sur lesrevenus ou y sont soumis, pour les revenus de l'espece, à un regime detaxation notablement plus avantageux que celui auquel ces revenus sontsoumis en Belgique, à moins que le contribuable ne justifie par toutesvoies de droit qu'ils repondent à des operations reelles et sinceres etqu'ils ne depassent pas les limites normales.

En vertu de l'article 227 du Code des impots sur les revenus 1992, sontassujettis à l'impot des non-residents :

1DEG les non-habitants du Royaume, y compris les personnes visees àl'article 4 ;

2DEG les societes etrangeres ainsi que les associations, etablissements ouorganismes quelconques sans personnalite juridique qui sont constituessous une forme juridique analogue à celle d'une societe de droit belge etqui n'ont pas en Belgique leur siege social, leur principal etablissementou leur siege de direction ou d'administration ;

3DEG les Etats etrangers, leurs subdivisions politiques et collectiviteslocales ainsi que toutes les personnes morales qui n'ont pas en Belgiqueleur siege social, leur principal etablissement ou leur siege de directionou d'administration et qui ne se livrent pas à une exploitation ou à desoperations à caractere lucratif ou se livrent, sans but lucratif,exclusivement à des operations visees à l'article 182.

L'article 54 de ce code permet donc de deduire les commissions versees àun non-resident ou à un etablissement etranger, ci-apres « à unnon-resident », lorsque la personne qui les perc,oit reside à l'etrangeret est soumise dans son pays à un impot sur les revenus similaire àcelui auquel de tels revenus sont soumis en Belgique. Toutefois, leditarticle s'oppose à la deduction de certains droits ou remunerations commefrais professionnels s'il est etabli que ces montants ont ete payes à unnon-resident et que dans le chef de ce dernier, soit ils ne sont passoumis à l'impot, soit ils sont soumis à un regime de taxationnotablement plus avantageux, sauf au contribuable à prouver que lessommes versees repondent à des operations reelles et sinceres et qu'ellesne depassent pas les limites normales.

Apres avoir rejete le premier moyen de cassation, la Cour a, par son arretdu 18 juin 2010, pose à la Cour de justice de l'Union europeenne unequestion prejudicielle en vue de savoir si l'article 49 du Traite CE, danssa version applicable en l'espece, les faits à l'origine du litiges'etant produits avant l'entree en vigueur du Traite de Lisbonne, le 1erdecembre 2009, doit etre interprete en ce sens qu'il s'oppose à unelegislation nationale semblable à l'article 54 du Code des impots sur lesrevenus 1992 precite.

Par arret du 5 juillet 2012, la Cour de justice a dit pour droit quel'article 49 du Traite CE doit etre interprete en ce sens qu'il s'opposeà une reglementation d'un Etat membre, telle que celle en cause, en vertude laquelle les remunerations de prestations ou de services versees par uncontribuable resident à une societe non-residente ne sont pas considereescomme des frais professionnels deductibles lorsque cette derniere n'estpas soumise, dans l'Etat membre ou elle est etablie, à un impot sur lesrevenus ou est soumise, pour les revenus concernes, à un regime detaxation notablement plus avantageux que celui dont relevent ces revenusdans le premier Etat membre, à moins que le contribuable ne prouve queces remunerations correspondent à des operations reelles et sinceres etqu'elles ne depassent pas les limites normales, tandis que, selon la reglegenerale, de telles remunerations sont deductibles au titre de fraisprofessionnels, des lors qu'elles sont necessaires pour acquerir ouconserver les revenus imposables et que le contribuable justifie larealite et le montant de celles-ci.

En faisant application de l'article 54 du Code des impots sur les revenus1992 qui, dans sa version applicable au litige, viole l'article 49 duTraite CE, l'arret ne justifie pas legalement sa decision de rejeter lareclamation fiscale de la demanderesse pour l'exercice 1998.

Le moyen, en cette branche, est fonde.

Par ces motifs,

La Cour

Casse l'arret attaque ;

Ordonne que mention du present arret sera faite en marge de l'arretcasse ;

Reserve les depens pour qu'il soit statue sur ceux-ci par le juge dufond ;

Renvoie la cause devant la cour d'appel de Liege.

Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Albert Fettweis, les conseillers DidierBatsele, Martine Regout, Alain Simon et Michel Lemal, et prononce enaudience publique du dix janvier deux mille treize par le president desection Albert Fettweis, en presence de l'avocat general Thierry Werquin,avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.

+--------------------------------------------+
| P. De Wadripont | M. Lemal | A. Simon |
|-----------------+------------+-------------|
| M. Regout | D. Batsele | A. Fettweis |
+--------------------------------------------+

10 JANVIER 2013 F.08.0074.F/1


Synthèse
Numéro d'arrêt : F.08.0074.F
Date de la décision : 10/01/2013

Origine de la décision
Date de l'import : 31/01/2013
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2013-01-10;f.08.0074.f ?
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