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17/12/2012 | BELGIQUE | N°C.10.0591.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 17 décembre 2012, C.10.0591.F


Cour de cassation de Belgique

Arret

5642



NDEG C.10.0591.F

CLINIQUES UNIVERSITAIRES SAINT-LUC, association sans but lucratif dont lesiege est etabli à Woluwe-Saint-Lambert, avenue Hippocrate, 10,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre Franc,ois T'Kint, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Charleroi, rue de l'Athenee, 9, ou il estfait election de domicile,

contre

CENTRE PUBLIC D'ACTION SOCIALE DE SCHAERBEEK, dont les bureaux sontetablis à Schaerbeek, rue Vifquin, 2,

defendeur en cassation,



represente par Maitre Michele Gregoire, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles,...

Cour de cassation de Belgique

Arret

5642

NDEG C.10.0591.F

CLINIQUES UNIVERSITAIRES SAINT-LUC, association sans but lucratif dont lesiege est etabli à Woluwe-Saint-Lambert, avenue Hippocrate, 10,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre Franc,ois T'Kint, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Charleroi, rue de l'Athenee, 9, ou il estfait election de domicile,

contre

CENTRE PUBLIC D'ACTION SOCIALE DE SCHAERBEEK, dont les bureaux sontetablis à Schaerbeek, rue Vifquin, 2,

defendeur en cassation,

represente par Maitre Michele Gregoire, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 480, ou il estfait election de domicile.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 22 juin 2005par la cour d'appel de Bruxelles.

Par ordonnance du 27 novembre 2012, le premier president a renvoye lacause devant la troisieme chambre.

Le 22 novembre 2012, l'avocat general Jean Marie Genicot a depose desconclusions au greffe.

Le conseiller Mireille Delange a fait rapport et l'avocat general

Jean Marie Genicot a ete entendu en ses conclusions.

II. Le moyen de cassation

La demanderesse presente un moyen libelle dans les termes suivants :

Dispositions legales violees

- articles 10, 11 et 23 de la Constitution ;

- article 1382 du Code civil ;

- articles 1er, 57, specialement S: 1er, 58, 60 et 61 de la loi du 8juillet 1976 organique des centres publics d'aide sociale, dans sa versionanterieure à sa modification par la loi du 22 fevrier 1988 ;

- article 1er de la loi du 8 juillet 1964 sur l'aide medicale urgente ;

- article 3 de l'arrete royal du 22 mai 1965 determinant les modalites desinterventions du fonds d'aide medicale urgente ;

- article 26 de la loi speciale du 6 janvier 1989 sur la Courconstitutionnelle.

Decisions et motifs critiques

L'arret dit l'appel du defendeur fonde, met à neant le jugement entreprisen tant qu'il a statue sur la demande originaire de la demanderessedirigee contre le defendeur, dit cette demande non fondee, en deboute lademanderesse et la condamne aux depens des deux instances, aux motifsque :

« En l'espece, le comportement fautif du (defendeur) qui est allegue par(la demanderesse) n'est pas de ne pas avoir porte secours à l'epoque àl'epouse et à la fille de M. N. G. le 10 janvier 1988 alors qu'ellesetaient victimes d'un incendie de leur logement.

La faute alleguee consiste en realite en un refus ulterieur du (defendeur)de regler en lieu et place de M. N. G. et de son epouse les facturesrelatives aux frais d'hospitalisation des deux patientes entre le 10 et le25 janvier 1988, date à laquelle elles ont ete transferees dans unetablissement dependant d'un centre public d'aide sociale.

En ce cas particulier, (la demanderesse) ne rapporte pas la preuve que (ledefendeur) aurait commis une faute au regard de son obligation legale deporter secours à une personne necessitant des soins immediats.

Cette obligation legale decoulant de l'article 58 de la loi du 8 juillet1976 a pour objectif de preserver l'integrite physique de toute personnelorsqu'elle est menacee. Les secours immediats doivent etre dans ce casportes par le centre public d'aide sociale à toute personne qui se trouvesur le territoire de la commune qu'il dessert, quel que soit son domicileet sans enquete prealable sur ses ressources (...).

En l'espece, les secours immediats ont ete apportes aux deux victimes del'incendie à l'intervention du service d'urgence `900' de l'epoque quiles a transportees [à l'etablissement de soins de la defenderesse].

L'aide medicale urgente à laquelle doit faire face le centre publicd'aide sociale en application de l'article 58 de la loi du 8 juillet 1976n'a pas pour objectif de le contraindre à se substituer aux personnesauxquelles des secours medicaux urgents ont ete prodigues pour lereglement de leurs factures d'hospitalisation.

(Le defendeur) n'a donc pas commis de faute en refusant de payer lesfactures d'hospitalisation de l'epouse et de la fille de M. N. G. ».

Griefs

L'article 1er de la loi du 8 juillet 1976 organique des centres publicsd'aide sociale dispose que « toute personne à droit à l'aide sociale.Celle-ci a pour but de permettre à chacun de mener une vie conforme à ladignite humaine. Il est cree des centres publics d'aide sociale qui, dansles conditions determinees par la presente loi, ont pour mission d'assurercette aide » ; en vertu de l'article 57, S: 1er, de cette loi, lescentres publics d'aide sociale ont pour mission d'assurer aux personnes,notamment, l'aide curative medicale. Et, dans sa redaction applicable àl'espece, l'article 58 de cette loi precisait que « le centre publicd'aide sociale porte secours à toute personne qui se trouve sur leterritoire de la commune qu'il dessert, en dehors de la voie publique oud'un lieu public, et dont l'etat, par suite d'accident ou de maladie,requiert des soins de sante immediats ; en cas de necessite, il veille autransport et à l'admission de cette personne dans l'etablissement desoins approprie ».

Il se deduit de la combinaison de ces dispositions que toute personne,quels que soient ses ressources, sa nationalite, son age, dont l'etatnecessite des soins de sante immediats, a droit à une aide medicaleurgente, ce qui recouvre non seulement les frais de transport en ambulanceet d'admission dans un etablissement de soins mais egalement de sejour etde traitement que l'etat de sante exige. Il s'agit d'une obligationdeterminee, de resultat, qui est imposee par la loi au centre publicd'aide sociale qui, à ce propos, ne dispose d'aucun pouvoird'appreciation.

Des qu'une personne, quel que soit son etat de fortune, requiert des soinsurgents, ce qui n'etait pas conteste en l'espece, le centre publiccompetent, c'est-à-dire, notamment, celui sur le territoire duquel cettepersonne est domiciliee legalement, est tenu de lui accorder l'aidemedicale urgente que son etat de sante requiert, et qui ne peut lui etrerefusee sous aucun pretexte.

Et, si les articles 60, S: 6, alinea 1er, et 61 de la loi du 8 juillet1976 prevoient les modes d'execution de l'obligation imposee au centrepublic d'aide sociale en matiere d'aide medicale, des que celle-cipresente, comme en l'espece, un caractere urgent, le devoir d'interventiondu centre n'est pas limite au transport en ambulance du patient et à sonadmission dans un centre hospitalier, mais s'etend à la prise en chargedes soins que cet etat necessitant l'aide medicale urgente requiert et desfrais que ceux-ci entrainent, le centre public d'aide sociale ne pouvantechapper à son obligation sous le pretexte qu'il n'a pas pris de suite etpersonnellement en charge la victime et s'est decharge de son obligationsur une institution de soins privee.

Au demeurant, l'article 23, alineas 1er et 3, 2DEG, de la Constitutionprevoit que « chacun a droit de mener une vie conforme à la dignitehumaine (...). (Ce droit comprend) notamment (...) le droit à la securitesociale, à la protection de la sante et à l'aide sociale, medicale etjuridique ». Et, à cet egard, il resulte des articles 1er de la loi du 8juillet 1964 relative à l'aide medicale d'urgence et 3 de l'arrete royaldu 22 mai 1965 determinant les modalites d'intervention du fonds d'aidemedicale urgente, qui est tenu de prendre en charge les fraisd'hospitalisation et de traitement de toute personne dont la santerequiert une aide medicale urgente lorsqu'elle est trouvee sur la voiepublique ou dans un lieu public, que cette obligation est consideree commele corollaire necessaire de cette aide medicale, aucun critere objectif nepermettant raisonnablement de distinguer, et partant de soumettre à desregimes differents, les personnes necessitant l'aide medicale urgenteselon qu'elles se trouveraient dans un lieu public plutot qu'en dehors depareil endroit.

Or, la transgression materielle d'une disposition legale ou reglementaireconstitue en soi une faute qui entraine la responsabilite civile de sonauteur à la condition que cette meconnaissance soit commise librement etconsciemment. Pareille transgression entraine la responsabilite de sonauteur, de sorte que le seul manquement à la norme preetablie imposantune obligation determinee constitue en soi une faute.

Celle-ci oblige son auteur à reparer le dommage subi, en raison de laviolation de l'obligation imposee à cet auteur, par tout tiers qui peutlegitimement pretendre avoir subi un prejudice qui se trouve lie à lafaute denoncee, sauf si la victime etait, en toute hypothese, tenue, enraison d'une cause juridique propre susceptible, à elle seule, dejustifier qu'elle en conserve la charge, de subir le dommage denonce.

Tel n'est pas le cas de l'institution hospitaliere privee à laquelle esttransferee d'autorite la personne requerant une aide medicale urgente,cette institution n'assumant à cet egard aucune obligation contractuelleou legale, alors que le centre public d'aide sociale est, pour sa part,tenu inconditionnellement de pourvoir à cette aide, en vertu d'uneobligation principale de resultat qui doit etre executee en toutehypothese, fut-ce par equivalent, lors meme que les frais d'assistanceseraient exposes par un etablissement de soins prive.

Il s'ensuit que l'arret qui, s'agissant d'un cas d'aide medicale urgente,decide que les obligations, en ce domaine, du defendeur sur le territoireduquel les victimes de l'incendie du 10 janvier 1988 ont ete trouvees, sebornaient à leur prise en charge, à leur transport immediat et à leuradmission dans l'etablissement hospitalier gere par la demanderesse,institution de soins privee qui n'est tenue à aucune obligation legale oucontractuelle à ce propos, mais ne s'etendaient ni aux soins à leurprodiguer en raison de leur etat de sante necessitant une aide medicaleurgente, ni, des lors que ces soins etaient dispenses par une telleinstitution privee non conventionnee au sein de laquelle les victimesavaient ete amenees d'autorite, à la prise en charge de ces soins et desejour en milieu hospitalier, en sorte qu'en refusant d'assumer la chargefinanciere de ces soins urgents et en les delaissant à la demanderesse,le defendeur n'avait commis aucune faute, viole les articles 1er, 57, S:1er, et 58 de la loi du 8 juillet 1976 organique des centres publicsd'aide sociale, dans leur redaction applicable à l'espece, donnant del'article 58 une interpretation restrictive illegale, specialement enraison des articles 23 de la Constitution, 1er de la loi du 8 juillet 1964sur l'aide medicale urgente et 3 de l'arrete royal du 22 mai 1965determinant les modalites des interventions du fonds d'aide medicaleurgente, et meconnait les notions legales de faute et de lien de causaliteau sens de l'article 1382 du Code civil.

III. La decision de la Cour

Aux termes de l'article 58 de la loi du 8 juillet 1976 organique descentres publics d'aide sociale, tel qu'il est applicable aux faits, lecentre public d'aide sociale porte secours à toute personne qui se trouvesur le territoire de la commune ou des communes qu'il dessert, en dehorsde la voie publique ou d'un lieu public, et dont l'etat, par suited'accident ou de maladie, requiert des soins de sante immediats ; en casde necessite, il veille au transport et à l'admission de cette personnedans l'etablissement de soins approprie.

Cette disposition oblige le centre public d'aide sociale, dans lesconditions qu'elle determine, non seulement à porter secours auxpersonnes qu'elle vise et à veiller à leur transport ainsi qu'à leuradmission dans un etablissement de soins, mais aussi à prendre en chargele cout des secours, du transport et de l'admission, lorsque ces personnesne sont pas en mesure d'assumer elles-memes cette charge financiere. Lecentre public d'aide sociale n'a pas le pouvoir d'apprecier l'effectiviteet l'importance de son intervention, laquelle n'est en raison de l'urgencepas subordonnee à une demande. Le centre peut en obtenir le remboursementconformement aux dispositions de la loi du 2 avril 1965 relative à laprise en charge des secours accordes par les commissions d'assistancepublique.

L'arret constate que deux personnes blessees dans leur logement ont etesecourues à l'intervention du service d'appel unifie pour l'aide medicaleurgente et transportees jusqu'à l'etablissement de soins de lademanderesse, ou elles ont ete admises et soignees, que la demanderesse ainforme le centre public d'aide sociale defendeur que ces deux personnesn'etaient pas en mesure de supporter les frais medicaux et, enfin, qu'ellelui a demande son intervention en vertu de la loi du 8 juillet 1976.

En considerant que « l'obligation legale decoulant [pour le centre publicd'aide sociale] de l'article 58 de la loi du 8 juillet 1976 » a pour seulobjectif « de preserver l'integrite physique de toute personnelorsqu'elle est menacee », qu'il « n'a pas pour objectif de [contraindrele centre] à se substituer aux personnes auxquelles des secours medicauxurgents ont ete prodigues, pour le reglement de leurs facturesd'hospitalisation », et que, des lors que « les secours immediats[avaient] ete apportes » aux personnes blessees, cette dispositionn'imposait plus aucune obligation au demandeur, l'arret viole l'article 58precite.

Dans cette mesure, le moyen est fonde.

Par ces motifs,

La Cour

Casse l'arret attaque en tant qu'il rejette la demande formee par lademanderesse contre le defendeur et qu'il statue sur les depens ;

Ordonne que mention du present arret sera faite en marge de l'arretpartiellement casse ;

Reserve les depens pour qu'il soit statue sur ceux-ci par le juge dufond ;

Renvoie la cause, ainsi limitee, devant la cour d'appel de Liege.

Ainsi juge par la Cour de cassation, troisieme chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president Christian Storck, les conseillers Didier Batsele,Alain Simon, Mireille Delange et Michel Lemal, et prononce en audiencepublique du dix-sept decembre deux mille douze par le president ChristianStorck, en presence de l'avocat general Jean Marie Genicot, avecl'assistance du greffier Patricia De Wadripont.

+--------------------------------------------+
| P. De Wadripont | M. Lemal | M. Delange |
|-----------------+------------+-------------|
| A. Simon | D. Batsele | Chr. Storck |
+--------------------------------------------+

17 decembre 2012 C.10.0591.F/9


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.10.0591.F
Date de la décision : 17/12/2012

Origine de la décision
Date de l'import : 17/01/2013
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2012-12-17;c.10.0591.f ?
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