Cour de cassation de Belgique
Arret
1358
NDEG C.12.0079.F
1. W. Z.,
2. D. Z.,
demandeurs en cassation,
representes par Maitre Franc,ois T'Kint, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Charleroi, rue de l'Athenee, 9, ou il estfait election de domicile,
contre
INDUSTRIEBOUW VERELST, societe anonyme dont le siege social est etabli àPutte, KMO zone Klein Boom, 15,
defenderesse en cassation,
representee par Maitre Paul Wouters, avocat à la Cour de cassation, dontle cabinet est etabli à Ixelles, rue Vilain XIIII, 17, ou il est faitelection de domicile.
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 27 septembre2011 par la cour d'appel de Mons.
Le president de section Albert Fettweis a fait rapport.
L'avocat general Thierry Werquin a conclu.
II. Le moyen de cassation
Les demandeurs presentent un moyen libelle dans les termes suivants :
Dispositions legales violees
Articles 1147, 1165, 1382 et 1383 du Code civil
Decisions et motifs critiques
La cour d'appel etant saisie, d'une part, de l'action de Sport auto,societe anonyme, dont le siege est à Saint-Ghislain, zoning artisanal dela Rivierette, 1, maitre de l'ouvrage, en reparation du prejudice subi parelle à la suite de graves problemes de stabilite du batiment (une salled'exposition pour voitures et un atelier à Saint-Ghislain) construit parla defenderesse, entrepreneur, en execution d'un contrat conclu entreSport auto et la defenderesse le 19 fevrier 1997, d'autre part, del'action des demandeurs, respectivement gerant et administrateur de Sportauto - et donc tiers au contrat liant celle-ci à la defenderesse -,demandant reparation du prejudice personnel subi par eux à la suite desdesordres affectant l'immeuble, l'arret la declare sans juridiction pourconnaitre de la demande de Sport auto en raison de l'existence d'uneconvention d'arbitrage liant celle-ci et la defenderesse et dit recevablemais non fondee l'action des demandeurs.
L'arret justifie sa decision de debouter les demandeurs par les motifssuivants :
« [Les demandeurs], respectivement gerant et administrateur de la societeSport auto, sollicitent la condamnation de [la defenderesse] à lesdedommager du prejudice par repercussion dont ils se declarentpersonnellement victimes au motif qu'ils tiraient leurs ressources del'activite de leur societe ;
Ils declarent expressement fonder leur action sur les articles 1382 et1383 du Code civil ;
`Lorsqu'une personne manque à une obligation contractuelle envers uneautre, cette faute peut engager sa responsabilite extracontractuelleenvers un tiers si elle constitue aussi un manquement à l'obligationgenerale de prudence et cause à ce tiers un dommage autre que celuiresultant de la mauvaise execution du contrat' (...) ;
A supposer que les [demandeurs] puissent se pretendre tiers au contratd'entreprise et ainsi faire admettre que la clause d'arbitrage ne leur estpas opposable, et à supposer que la faute reprochee à la [defenderesse]- qui selon eux `reside [...] dans les vices et malfac,ons denonces parl'expert judiciaire et son abstention d'y remedier' - constitue, outre unefaute contractuelle, un manquement à l'obligation generale de prudence,le dommage allegue n'est, quant à lui, en rien different de celui quiresulte de la mauvaise execution pretendue du contrat ;
Pour cette raison, l'action [des demandeurs] ne peut se fonder sur lesdispositions qu'ils invoquent ».
Griefs
La partie qui commet une faute dans l'execution d'un contrat et, enconsequence, engage sa responsabilite contractuelle à l'egard de soncontractant peut aussi engager sa responsabilite aquilienne à l'egardd'un tiers au contrat lorsque le manquement à ses obligationscontractuelles constitue, simultanement et independamment du contrat, uneviolation de l'obligation generale de prudence s'imposant à tous.
L'arret ne denie pas cette regle.
Statuant sur l'action des demandeurs, il reconnait en effet, dato nonconcesso (« à supposer que ... »), d'une part, que la conventiond'arbitrage liant les parties au contrat - la defenderesse et Sport auto -ne peut etre opposee aux demandeurs, d'autre part, que « la fautereprochee à la [defenderesse] - qui selon [les demandeurs] `reside [...]dans les vices et malfac,ons denonces par l'expert judiciaire et sonabstention d'y remedier' - constitue, outre une faute contractuelle, unmanquement à l'obligation generale de prudence ».
Mais l'arret dit l'action des demandeurs non fondee au motif que « ledommage allegue [par eux] n'est, quant à lui, en rien different de celuiqui resulte de la mauvaise execution pretendue du contrat ».
Or, il suffit, pour que la responsabilite du contractant soit engagee surle plan aquilien à l'egard d'un tiers, que la faute commise, et qui estde nature à engager la responsabilite contractuelle de son auteur enversson contractant, soit en meme temps un manquement à une obligationextracontractuelle, sans qu'il faille que le dommage subi par ce tierssoit necessairement etranger à l'execution du contrat.
L'arret, qui affirme le contraire, ne justifie donc pas legalement sadecision.
III. La decision de la Cour
Celui qui commet une faute contractuelle engageant sa responsabilitecontractuelle à l'egard de son cocontractant peut aussi engager saresponsabilite extracontractuelle à l'egard d'un tiers lorsque sonmanquement à ses obligations contractuelles constitue, simultanement etindependamment du contrat, une violation de l'obligation generale deprudence s'imposant à tous.
La coexistence de ces deux responsabilites ne requiert pas que le dommagesubi par le tiers soit etranger à l'execution du contrat.
L'arret, qui, sans denier que les demandeurs puissent se pretendre tiersau contrat d'entreprise liant la defenderesse à la societe Sport Auto etque la faute reprochee à la defenderesse puisse constituer, outre unefaute contractuelle, un manquement à l'obligation generale de prudence,declare non fondees les actions dirigees par les demandeurs contre ladefenderesse sur la base des articles 1382 et 1383 du Code civil au motifque « le dommage allegue n'est, quant à lui, en rien different de celuiqui resulte de la mauvaise execution pretendue du contrat », viole cesdispositions.
Dans cette mesure, le moyen est fonde.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l'arret attaque en tant qu'il statue sur les demandes incidentes desdemandeurs contre la defenderesse, y compris quant aux depens entre cesparties ;
Ordonne que mention du present arret sera faite en marge de l'arretpartiellement casse ;
Reserve les depens pour qu'il soit statue sur ceux-ci par le juge dufond ;
Renvoie la cause, ainsi limitee, devant la cour d'appel de Liege.
Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Albert Fettweis, les conseillers DidierBatsele, Martine Regout, Mireille Delange et Michel Lemal, et prononce enaudience publique du vingt-cinq octobre deux mille douze par le presidentde section Albert Fettweis, en presence de l'avocat general ThierryWerquin, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.
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| P. De Wadripont | M. Lemal | M. Delange |
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| M. Regout | D. Batsele | A. Fettweis |
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25 OCTOBRE 2012 C.12.0079.F/6