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11/10/2012 | BELGIQUE | N°C.10.0711.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 11 octobre 2012, C.10.0711.F


Cour de cassation de Belgique

Arret

7417



NDEG C.10.0711.F

SERVICE CENTER NDEG 1, societe anonyme en liquidation, dont le siegesocial est etabli à Anderlecht, avenue Franc,ois Malherbe, 66-68,representee par son liquidateur, Maitre Thierry Bindelle, avocat aubarreau de Bruxelles, dont le cabinet est etabli à Bruxelles, rue VanEyck, 44,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre Isabelle Heenen, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 480, ou il estfait election de domicile,

contre>
HONDA BELGIUM FACTORY, anciennement denommee Honda Belgium, societeanonyme dont le siege social est ...

Cour de cassation de Belgique

Arret

7417

NDEG C.10.0711.F

SERVICE CENTER NDEG 1, societe anonyme en liquidation, dont le siegesocial est etabli à Anderlecht, avenue Franc,ois Malherbe, 66-68,representee par son liquidateur, Maitre Thierry Bindelle, avocat aubarreau de Bruxelles, dont le cabinet est etabli à Bruxelles, rue VanEyck, 44,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre Isabelle Heenen, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 480, ou il estfait election de domicile,

contre

HONDA BELGIUM FACTORY, anciennement denommee Honda Belgium, societeanonyme dont le siege social est etabli à Alost, Wijngaardveld, 1,

defenderesse en cassation,

representee par Maitre Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est etabli à Liege, rue de Chaudfontaine, 11,ou il est fait election de domicile.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 21 avril 2010par la cour d'appel de Mons, statuant comme juridiction de renvoi ensuitede l'arret de la Cour du 2 octobre 2008.

Le 20 septembre 2012, l'avocat general Jean Marie Genicot a depose desconclusions au greffe.

Le conseiller Alain Simon a fait rapport et l'avocat general Jean MarieGenicot a ete entendu en ses conclusions.

II. Les moyens de cassation

La demanderesse presente deux moyens libelles dans les termes suivants :

Premier moyen

Dispositions legales violees

- article 149 de la Constitution ;

- articles 1153, 1319, 1320, 1322, 1349 et 1353 du Code civil ;

- articles 19 et 23 à 28 du Code judiciaire ;

- principe general du droit relatif à l'exception d'inexecution enmatiere de contrats et de rapports synallagmatiques.

Decisions et motifs critiques

L'arret attaque dit que les interets moratoires sont dus par lademanderesse sur la somme de 611.028,55 euros à dater du 20 octobre 1992,date de la rupture du contrat de concession par la defenderesse, condamnela demanderesse pour autant que de besoin au paiement de ces interets etrejette le moyen par lequel la demanderesse faisait valoir qu'elle n'etaitpas redevable d'interets moratoires sur les factures dues à ladefenderesse dans la mesure ou il avait ete definitivement juge qu'elleavait invoque à bon droit l'exception d'inexecution pour s'opposer aupaiement de ces factures. L'arret attaque motive sa decision à ce proposde la maniere suivante :

« L'exception d'inexecution, mode de suspension de l'execution desobligations, constitue à la fois un moyen de pression contre le debiteurdefaillant, une garantie contre les consequences de son inexecution quipeut devenir definitive et joue parfois une fonction de prevention [...] ;

Lorsque les parties sont liees, comme en l'espece, par un contrat soumisà la loi du 27 juillet 1961 relative à la resiliation unilaterale desconcessions de vente exclusive à duree indeterminee et que cetteexception est invoquee par le concessionnaire pour justifier le defaut depoursuite du respect du plan d'apurement de ses dettes vis-à-vis duconcedant alors qu'il n'est plus approvisionne par lui, elle ne peut jouerqu'un role de garantie de paiement des condamnations aux indemniteslegales qu'il sollicite, voire de prevention contre son insolvabilite, desle moment ou le concedant a signifie la rupture definitive du contrat,soit en l'espece le 20 octobre 1992. Aucun element n'est avance par la[demanderesse] à ce propos : elle se contente d'affirmations de principesans distinguer l'etat de ses relations avec la [defenderesse] avant ouapres la rupture du contrat et le role de l'exception d'inexecution aprescette rupture ; il s'en deduit que, des ce moment, elle n'est plus fondeeà soulever, de bonne foi, l'exception d'inexecution et de differer pluslongtemps l'execution de ses obligations ».

Griefs

Premiere branche

La demanderesse soutenait en conclusions de synthese d'appel aprescassation :

« Il est [en effet] constant que les interets judiciaires, qu'ils soientcompensatoires ou moratoires, n'ont [...] pour objet que de reparer unprejudice qui est imputable à la faute de l'autre partie. Les interetsmoratoires, plus precisement, sanctionnent le retard fautif d'un debiteurà s'acquitter d'une obligation de sommes liquides et exigibles. Celaresulte directement de l'application du texte de l'article 1153 du Codecivil. La Cour de cassation a decide que n'etait pas legalement justifieela decision qui condamne une partie au paiement d'interets moratoires sansrechercher si son retard à s'executer lui etait imputable (Cass., 17octobre 2002, Pas., 2002, nDEG 549). Autrement dit, le debiteur ne pouvaitetre condamne au paiement d'interets moratoires s'il n'etait demontrequ'il etait fautivement en defaut de payer une dette exigible. Or, tel nepouvait etre le cas de [la demanderesse], dont le refus de payer etaitcouvert par l'exception d'inexecution invoquee legitimement. L'exceptiond'inexecution est, en effet, un moyen de defense qui permet au creancierinsatisfait de suspendre l'execution de ses obligations jusqu'à ce queson cocontractant s'execute ou offre de s'executer. L'exception a ainsipour effet de suspendre l'execution des obligations de celui qui l'oppose.Ces obligations ne sont par consequent `pas exigibles' dans le chef decelui-ci pendant la duree de ces suspensions. Il en resulte necessairementque celui qui invoque legitimement l'exception d'inexecution ne peut sevoir reprocher un retard de paiement et etre condamne à des interetsmoratoires pour la periode durant laquelle il a pu suspendre l'executionde ses obligations. Dans son arret, la cour d'appel de Liege decidait, àbon droit, que, par l'effet de l'exception d'inexecution, [ladefenderesse] ne pouvait se voir allouer ni la clause penale figurant dansle contrat de concession litigieux ni les interets au taux conventionneldepuis l'echeance des factures. Ces montants ne pouvaient etre dus qu'encas de retard fautif dans l'execution. Or, la cour d'appel de Liege avaitestime que le `defaut de paiements des interets est la consequence' desfautes de [la defenderesse]. En realite, la cour d'appel de Liege auraitdu appliquer ce raisonnement juridiquement exact pour les raisonsprecitees aux interets judiciaires reclames, en outre, par [ladefenderesse] puisque ceux-ci, egalement, ne pouvaient etre dus qu'en casde retard fautif à s'executer. Les interets dits `judiciaires' sont, parnature, des interets moratoires, s'ils portent sur des dettes de sommes,et ne different des interets conventionnels que par leur taux (qui estfixe par la loi et non par les parties) et par leur date de prise de cours(qui est fixee par le juge et non par les parties). Ils sont par contretributaires d'une condition essentielle : la faute du debiteur. Enl'espece, il est definitivement juge que cette faute n'etait pas etablie.La cour d'appel de Liege avait vainement tente de justifier sonraisonnement par le fait que `la charge d'interets produits par lesfactures impayees se compense avec les interets alloues par la courd'appel [...] sur les indemnites allouees à [la demanderesse] enapplication de la loi du 27 juillet 1961 relative à la resiliationunilaterale des concessions exclusives de vente'. C'etait perdre de vueque les parties n'etaient pas dans la meme situation : l'une est coupable[la defenderesse] et l'autre victime [la demanderesse] et, des lors, lapremiere n 'a pas droit à des interets moratoires tandis que la seconde adroit à des interets compensatoires. La base et la nature des deux typesd'interets ne sont pas les memes. Cette motivation de l'arret, qui n'etaitque de fallacieuse equite, n'etait pas de nature à permettre de derogeraux principes juridiques bien etablis resultant de la nature des interetsjudiciaires et de l'effet de l'exception d'inexecution sur leur debition.En outre, le raisonnement de la cour d'appel de Liege aboutissait, enrealite, à des consequences tout à fait inequitables. En effet, parl'effet de la compensation, le beneficiaire des indemnites de rupture,meme si celles-ci sont augmentees d'interets compensatoires, voit ainsi lareparation de son prejudice et les indemnites que la loi lui accordeamputees en tout ou en partie jusqu'à concurrence d'interets de retardsans objet ni justification (en vertu de l'exception d'inexecution). Enmettant ainsi à charge de [la demanderesse] des interets judiciairesdepuis la date de la citation, l'arret meconnaissait le principe generaldu droit relatif à l'exception d'inexecution et l'article 1153 du Codecivil ; [...] [la demanderesse] soutient (au contraire) que le montant desfactures dues à [la defenderesse] pour les livraisons anterieures à larupture de la concession, telles qu'elles ont ete liquidees par la courd'appel de Liege, ne peut etre legalement majore de quelque interetmoratoire, legal ou judiciaire, que ce soit au motif que leur exigibiliteetait suspendue en raison de l'exception d'inexecution. [La demanderesse]soutient que cette inexigibilite subsiste à ce jour et subsistera aussilongtemps que [la defenderesse] n'aura pas rempli toutes ses obligationset leve par là-meme l'exception d'inexecution ;

[...] On rappellera [seulement] qu'il est etabli de fac,on definitive que[la defenderesse] est jugee responsable et que [la demanderesse] n'est pasà l'origine de l'inexecution par [la defenderesse] de ses obligations, etque, des lors, l'exception d'inexecution trouvait à s'appliquer. La bonnefoi de [la demanderesse] dans l'exercice de son exception d'inexecution adonc ete etablie au moins jusqu'à la date de l'arret de la cour d'appelde Liege, et il n'y a aucune raison pour qu'il n'en soit pas juge de memepar la cour d'appel de Mons, ni au jour de l'arret à intervenir, ni afortiori avec effet retroactif. [...] [La defenderesse] estime quel'exception d'inexecution n'aurait qu'un effet provisoire et aurait prisfin en meme temps que le contrat, c'est-à-dire du jour de la resiliationou, a fortiori, depuis la citation du 3 novembre 1992 ou, au plus tard,lors de la mise en liquidation de [la demanderesse]. Selon elle, l'effetsuspensif aurait cesse une fois qu'il fut constant que [la demanderesse]ne livrerait plus jamais les produits commandes eu egard à la resiliationde la concession. D'une part, [la defenderesse] tient donc qu'il est debonne foi de pretendre s'exonerer des consequences de sa faute encommettant l'irreparable [...]. D'autre part, [la defenderesse] meconnaitla jurisprudence de la Cour de cassation qui a notamment precise dans sonarret du 13 septembre 1973 [...] que `la circonstance que la defaillancedu cocontractant est devenue definitive [...] ne prive pas l'autre partiedu benefice de l'exception d'inexecution'. La circonstance dont questiondans cette espece etait la faillite, cas extreme, mais la regle doits'appliquer a fortiori lorsque c'est le cocontractant defaillant qui prendlui-meme, en violation de la loi, la decision de rendre sa defaillancedefinitive [...]. Enfin, contrairement à ce que le phrase des conclusionsde [la defenderesse] pourrait faire croire, la cour d'appel de Liege n'anullement soutenu que, si [la demanderesse] avait à bon droit retenul'execution de ses obligations, elle n'aurait pu le faire sans abusau-delà de la resiliation formelle du contrat ou la mise en liquidationde la [demanderesse] ;

[...] La cour d'appel de Liege a pu rendre la creance de [la defenderesse]liquide mais n'a pu la rendre exigible, faute d'execution complete etparfaite par [la defenderesse] de toutes les obligations auxquelles elle aete condamnee, selon le decompte produit. Seul l'arret à intervenir de lacour d'appel de Mons pourra en terminer, rendre les dernieres creancesexigibles et ordonner la compensation à la date du complet paiement ;

[...] Autrement dit, on se demande comment [la defenderesse] peutcontinuer à soutenir que l'obligation de bonne foi s'oppose àl'application de l'exception d'inexecution et que des interets seraientdus alors que la Cour de cassation a tres clairement etabli, dans sonarret du 2 octobre 2008, que sa creance n'etait pas exigible et que ce quin'est pas exigible ne porte pas d'interet par son principe [...]. Ilressort donc de ce qui precede qu'il est etabli que le non-paiement de cesfactures, dont il est, actuellement, demande le paiement, etaitlegitimement motive, l'exception d'inexecution ayant eu pour effet desuspendre la debition des sommes tant que la cause justifiant cettesuspension persisterait, raison pour laquelle des interets niconventionnels ni legaux ou judiciaires ne peuvent etre dus, pas plus, paridentite de motifs, que n'etait due la clause penale ».

La demanderesse concluait ainsi, en ce qui concerne les interetsmoratoires sur les factures dues à la defenderesse, qu'aucun interet nepouvait lui etre reclame, en tous cas jusqu'à l'arret à intervenir,puisqu'il avait ete decide par les jugements et arrets anterieurs, revetusde l'autorite de chose jugee, qu'elle avait invoque, à bon droit et debonne foi, l'exception non adimpleti contractus pour s'opposer au paiementde ses factures et que la Cour, par son arret du 2 octobre 2008, en avaitdeduit qu'à tort la cour d'appel de Liege avait alloue la defenderessedes interets moratoires depuis la date de la citation alors quel'exigibilite de la dette etait et demeurait suspendue.

L'arret attaque decide que l'exception d'inexecution invoquee par la[demanderesse] pour contester la debition d'interets moratoires avait prisfin à la date de la rupture du contrat de concession sans repondre auxconclusions precitees en ce qu'elles soutenaient, notamment, quel'exception d'inexecution pouvait prendre un caractere definitif et que lacirconstance que la defaillance du cocontractant soit devenue definitive,en l'occurrence du fait de la resiliation de la concession, ne privait pasle beneficiaire de l'exception du droit de l'invoquer.

A tout le moins, la motivation de l'arret attaque est sur ce pointtellement confuse qu'elle ne peut etre consideree comme une reponse à cesconclusions

Partant, l'arret attaque viole l'article 149 de la Constitution.

Deuxieme branche

En considerant que les conclusions de la demanderesse ne contenaientaucune explication quant au role de l'exception d'inexecution apres larupture du contrat de concession, l'arret attaque viole la foi due auxconclusions de la demanderesse reproduites à la premiere branche. Par cesconclusions, la demanderesse soutenait en effet, de manierecirconstanciee, que l'exception d'inexecution pouvait avoir un effetdefinitif et pouvait, en consequence, s'etre poursuivie apres la rupturedu contrat de concession meme si, à cette date, la non-execution de sesobligations par la defenderesse etait devenue definitive. Elle endeduisait que, de ce fait, aucun interet de retard ne pouvait lui etrereclame. Contrairement à ce que decide l'arret attaque, la demanderesses'expliquait ainsi sur le role de l'exception d'inexecution apres larupture du contrat de concession (violation des articles 1319, 1320 et1322 du Code civil).

Troisieme branche

Le juge denature la notion legale de presomption lorsqu'il deduit desfaits constates par lui des consequences sans aucun lien avec eux ou quine seraient susceptibles, sur leur fondement, d'aucune justification (P.van Ommeslaghe, Les obligations, t. III, nDEG 1793, et les nombreusesreferences citees).

Par les motifs reproduits au moyen, l'arret attaque considere qu'à defautpour la demanderesse de conclure sur l'etat de ses relations avec ladefenderesse avant et apres la rupture du contrat de concession, il s'endeduirait qu'elle n'etait plus, à partir de celle-ci, fondee à invoquerl'exception d'inexecution.

L'arret attaque viole ainsi les regles relatives à la preuve parpresomptions.

De l'absence de conclusions de la part de la demanderesse sur l'etat desrelations entre les parties avant et apres la rupture du contrat deconcession (affirmation par ailleurs inexacte, comme il est dit à ladeuxieme branche), il ne peut en effet se deduire que la demanderessen'etait plus fondee, apres cette rupture, à se prevaloir de l'exceptiond'inexecution (violation des articles 1349 et 1353 du Code civil).

Quatrieme branche

La renonciation à un droit peut etre tacite mais doit etre certaine et nepeut se deduire que d'un comportement qui n'est susceptible d'aucune autreinterpretation (P. van Ommeslaghe, Droit des obligations, t. III, nDEG1612, et les nombreuses references citees).

Du seul fait que la demanderesse n'aurait pas conclu sur l'etat desrelations entre les parties apres la rupture du contrat de concession,l'arret attaque n'a pu legalement deduire que la demanderesse auraitrenonce à se prevaloir de l'exception d'inexecution à cette date et que,des lors, elle ne pouvait plus invoquer cette exception de bonne foi,l'absence de conclusions (constatee à tort, comme le souleve la deuxiemebranche) etant susceptible d'autres interpretations que celle qui auraitainsi ete retenue par l'arret attaque (violation du principe general dudroit selon lequel la renonciation à un droit ne se presume pas et nepeut se deduire que de faits non susceptibles d'une autre interpretation).

Cinquieme branche

Selon la jurisprudence de la Cour, que la demanderesse invoquait dans lesconclusions reproduites à la premiere branche, l'exception d'inexecutionpeut trouver à s'appliquer meme s'il est etabli que le debiteurn'executera jamais ses obligations. La doctrine souligne que, dans ce cas,l'exception devient un moyen de defense permanent (P. van Ommeslaghe,Droit des obligations, t. I, nDEG 576 ; B. Dubuisson et J.M. Trigaux,« L'exception d'inexecution en droit belge », in Les sanctions del'inexecution des obligations contractuelles, Bruylant, 2001, p. 107, nDEG65 ; M. Gregoire, « L'exception d'inexecution et le droit deretention », inLes obligations contractuelles, ed. J.B., 2000, p. 552, nDEG 25 ; Cass.,13 septembre 1973, Pas., 1974, I, 30, et R.C.J.B., 1974, note M.-L.Stengers ; voy. egalement Cass., 28 janvier 2005, Pas., 2005, I, 240 ; 13mai 2004, Pas., 2004, I, 816).

C'est par consequent en meconnaissance du principe general relatif àl'exception d'inexecution que l'arret attaque decide que la rupture ducontrat par la defenderesse a mis fin à l'effet suspensif de l'exceptiond'inexecution au motif qu'à partir de cette rupture, l'exception n'auraitplus eu qu'un role de garantie du paiement des condamnations reclamees.C'est precisement ce role de garantie qui explique que l'exceptiond'inexecution subsiste, meme s'il est acquis, en fait, que le debiteurn'executera jamais ses propres obligations (P. van Ommeslaghe, Droit desobligations, t. Ier, nDEG 571).

L'arret attaque viole par consequent le principe general du droit relatifà l'exception d'inexecution vise au moyen.

Sixieme branche

L'arret de la cour d'appel de Liege du 12 juin 2006 a decide qu'il estjuge que [la demanderesse] « s'est prevalue à bon droit de l'exceptiond'inexecution » et a rejete la these de la defenderesse selon laquellel'exception aurait cesse de produire ses effets au moment de laresiliation du contrat « des lors qu'à compter de cette [date], lalivraison des vehicules a ete definitivement interrompue ».

Cet arret avait releve à ce propos que l'exception d'inexecution peutrevetir un caractere permanent « lorsque la defaillance du cocontractantdevient definitive parce que celui-ci a resilie unilateralement etfautivement le contrat qui liait les parties ».

La cour d'appel de Liege avait ainsi admis que, du fait de la resiliationdu contrat, l'exception d'inexecution revetait un caractere permanent etla cassation prononcee à l'encontre de cet arret n'affecte pas cettedecision.

Partant, en considerant que la demanderesse ne pouvait se prevaloir ducaractere permanent de l'exception d'inexecution des le moment ou il etaitacquis que la defenderesse n'executerait pas ses obligations, du fait dela resiliation du contrat de concession, l'arret attaque viole l'autoritede chose jugee attachee à l'arret de la cour d'appel de Liege du 12 juin2006 (violation des articles 23 à 28 du Code judiciaire). A tout le moinsviole-t-il les regles relatives au dessaisissement (violation de l'article19 du Code judiciaire).

Second moyen

Dispositions legales violees

Articles 1082, alinea 1er, 1095 et 1110 du Code judiciaire

Decisions et motifs critiques

L'arret attaque rejette la demande de la demanderesse de capitalisationdes interets sur les sommes qui lui sont allouees au motif que :

« L 'arret du 2 octobre 2008 enonce, pour justifier la cassation limiteede l'arret attaque rappelee ci-dessus, que celui-ci ne justifie paslegalement sa decision d'accorder à la [defenderesse] des interetsmoratoires à partir de la citation introductive d'instance sur lesfactures en souffrance apres avoir considere que la [demanderesse] s'etaitprevalue à bon droit de l'exception d'inexecution et avait des lors pu endifferer le paiement ;

La cour [d'appel] est donc saisie, outre de la taxation des depens,uniquement de la question si des interets sur le montant des factures sontdus à la [defenderesse] par la [demanderesse] et, dans l'affirmative, àpartir de quelle date ;

[...] Le debat opposant les parties quant à la compensation retroactivede leurs dette et creance n'a donc pas à etre tranche par la cour[d'appel], qui n'en est pas saisie, pas plus que de la demande de la[demanderesse] relative à la capitalisation des interets produits par lessommes qui lui ont ete allouees à titre definitif ;

[...] La demande de capitalisation des interets echus en faveur de la[demanderesse] au 19 octobre 2009 sur les sommes qui lui ont ete alloueespar les diverses decisions intervenues est irrecevable, la cour [d'appel]n'etant saisie, comme dit ci-dessus, que de la question des interetsmoratoires dus par la [demanderesse] sur les factures emises par la[defenderesse] ».

Griefs

Lorsque la cassation est prononcee et dans la mesure ou elle l'est, lesparties sont remises devant le juge de renvoi dans la situation ou ellesse trouvaient devant le juge dont la decision est cassee. Tout ce quepouvait faire ce dernier juge, le juge de renvoi pourra aussi le faire (A.Meeus, « L'etendue de la cassation en matiere civile », R.C.J.B., 1986,p. 262,nDEG 9. ; Closset-Marchal, J.-Fr. van Drooghenbroeck, S. Uhlig et A. DeCroes, « Examen de jurisprudence : Droit judiciaire prive. Les voies derecours », R.C.J.B., 2006, p. 271, nDEG 451.).

Certes, les parties ne peuvent plus remettre en cause les decisions quin'ont pas ete cassees. Mais rien ne les empeche de formuler des demandesnouvelles (Chr. Storck, Le renvoi au juge du fond dans la procedure encassation en matiere civile, in Imperat Lex. Liber Amicorum PierreMarchal, p. 209, nDEG 13), telle une demande de capitalisation desinterets sur les sommes auxquelles une partie est condamnee.

En rejetant la demande de capitalisation des interets formulee par lademanderesse sur les sommes qui lui sont allouees au motif que la courd'appel ne serait pas saisie de cette question, l'arret attaque violel'ensemble des dispositions legales visees au moyen.

III. La decision de la Cour

Sur le premier moyen :

Quant à la premiere branche :

En enonc,ant que « l'exception d'inexecution, mode de suspension del'execution des obligations, constitue à la fois un moyen de pressioncontre le debiteur defaillant, une garantie contre les consequences de soninexecution qui peut devenir definitive et joue parfois une fonction deprevention » mais que, « lorsque les parties sont liees, comme enl'espece, par un contrat soumis à la loi du 27 juillet 1961 relative àla resiliation unilaterale des concessions de vente exclusive à dureeindeterminee et que cette exception est invoquee par le concessionnairepour justifier le defaut de poursuite du respect du plan d'apurement deses dettes vis-à-vis du concedant alors qu'il n'est plus approvisionnepar lui, elle ne peut jouer qu'un role de garantie de paiement descondamnations aux indemnites legales qu'il sollicite, voire de preventioncontre son insolvabilite, des le moment ou le concedant a signifie larupture definitive du contrat, soit en l'espece le 20 octobre 1992 », et« qu'aucun element n'est avance par la [demanderesse] à ce propos : ellese contente d'affirmations de principe sans distinguer l'etat de sesrelations avec la [defenderesse] avant ou apres la rupture du contrat etle role de l'exception d'inexecution apres cette rupture ; qu'il s'endeduit que, des ce moment, elle n'est plus fondee à soulever, de bonnefoi, l'exception d'inexecution et à differer plus longtemps l'executionde ses obligations », l'arret repond, sans la confusion denoncee, auxconclusions du demandeur que le moyen, en cette branche, reproduit.

Le moyen, en cette branche, manque en fait.

Quant à la deuxieme branche :

Contrairement à ce que soutient le moyen, en cette branche, l'arret neconsidere pas que les conclusions de la demanderesse ne contiennent aucuneexplication quant au role de l'exception d'inexecution apres la rupture ducontrat de concession mais que, « lorsque les parties sont liees, commeen l'espece, par un contrat soumis à la loi du 27 juillet 1961 relativeà la resiliation unilaterale des concessions de vente exclusive à dureeindeterminee et que cette exception est invoquee par le concessionnairepour justifier le defaut de poursuite du respect du plan d'apurement deses dettes vis-à-vis du concedant alors qu'il n'est plus approvisionnepar lui, elle ne peut jouer qu'un role de garantie de paiement descondamnations aux indemnites legales qu'il sollicite, voire de preventioncontre son insolvabilite, des le moment ou le concedant a signifie larupture definitive du contrat, soit en l'espece le 20 octobre 1992 », et« qu'aucun element n'est avance par la [demanderesse] à ce propos ».

Le moyen, en cette branche, manque en fait.

Quant à la troisieme branche :

Les presomptions constituent un mode de preuve d'un fait inconnu.

Le moyen, qui, en cette branche, critique l'appreciation que la courd'appel a portee sur les faits qui lui etaient soumis, est etranger auxarticles 1349 et 1353 du Code civil, qui reglent ce mode de preuve.

Le moyen, en cette branche, est irrecevable.

Quant à la quatrieme branche :

Contrairement à ce que soutient le moyen, en cette branche, l'arret neconsidere pas que la demanderesse aurait renonce à se prevaloir del'exception d'inexecution mais qu'elle n'avance aucun element à propos durole de garantie ou de prevention de l'insolvabilite de la defenderesseque peut seul jouer cette exception apres la resiliation et qu'elle n'estplus, des ce moment, fondee à la soulever de bonne foi.

Le moyen, en cette branche, manque en fait.

Quant à la cinquieme branche :

Il appartient au juge du fond d'apprecier si une partie peut se prevaloirde l'exception d'inexecution à la lumiere de toutes les circonstances dela cause.

Par les considerations vainement critiquees par les deuxieme, troisieme etquatrieme branches du moyen, l'arret a pu legalement decider que, des lemoment de la resiliation de la concession, la demanderesse n'etait plusfondee à soulever, de bonne foi, l'exception d'inexecution.

Le moyen, en cette branche, ne peut etre accueilli.

Quant à la sixieme branche :

La cassation de l'arret rendu par la cour d'appel de Liege, le 12 juin2006, en tant qu'il majorait la condamnation prononcee à charge de lademanderesse des interets judiciaires au taux legal depuis le 3 novembre1992, a entraine la cassation des motifs qui la soutenaient, que le moyenreproduit.

Le moyen, en cette branche, ne peut etre accueilli.

Sur le second moyen :

En vertu de l'article 1110, alinea 1er, du Code judiciaire, la cassationavec renvoi remet les parties, dans les limites de la cassation, dansl'etat ou elles se trouvaient devant le juge dont la decision a etecassee.

Il appartient au juge de renvoi de determiner lui-meme, sous le controlede la Cour en cas de pourvoi, les limites de sa saisine.

En regle, la cassation est limitee à la portee du moyen qui en est lefondement.

La demande de capitalisation actualisee des interets sur les sommes duesà la demanderesse constitue une demande nouvelle afferente à undispositif distinct non atteint par la cassation partielle prononcee parl'arret du 2 octobre 2008.

En decidant que la cour d'appel n'est saisie « que de la question desinterets moratoires dus par la [demanderesse] sur les factures emises parla [defenderesse] », l'arret attaque determine exactement les limites desa saisine en tant que juge de renvoi et rejette legalement la demandedistincte formulee par la demanderesse de capitalisation des interets surles sommes lui revenant.

Le moyen ne peut etre accueilli.

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi ;

Condamne la demanderesse aux depens.

Les depens taxes à la somme de cinq cent cinquante-sept eurostrente-quatre centimes envers la partie demanderesse et à la somme detrois cent vingt et un euros dix-sept centimes envers la partiedefenderesse.

Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president Christian Storck, le conseiller Didier Batsele, lepresident de section Albert Fettweis, les conseillers Alain Simon etMichel Lemal, et prononce en audience publique du onze octobre deux milledouze par le president Christian Storck, en presence de l'avocat generalJean Marie Genicot, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.

+--------------------------------------------+
| P. De Wadripont | M. Lemal | A. Simon |
|-----------------+------------+-------------|
| A. Fettweis | D. Batsele | Chr. Storck |
+--------------------------------------------+

11 octobre 2012 C.10.0711.F/1


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.10.0711.F
Date de la décision : 11/10/2012

Origine de la décision
Date de l'import : 01/11/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2012-10-11;c.10.0711.f ?
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