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06/09/2012 | BELGIQUE | N°F.11.0134.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 06 septembre 2012, F.11.0134.F


Cour de cassation de Belgique

Arret

4708



NDEG F.11.0134.F

1. L. P. F. et

2. B. M.,

demandeurs en cassation,

representes par Maitre John Kirkpatrick, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 3, ou ilest fait election de domicile,

contre,

ETAT BELGE, represente par le ministre des Finances, dont le cabinet estetabli à Bruxelles, rue de la Loi, 12,

defendeur en cassation.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arre

t rendu le 17 novembre2010 par la cour d'appel de Bruxelles.

Le 7 aout 2012, l'avocat general Andre Henkes a depose des conclus...

Cour de cassation de Belgique

Arret

4708

NDEG F.11.0134.F

1. L. P. F. et

2. B. M.,

demandeurs en cassation,

representes par Maitre John Kirkpatrick, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 3, ou ilest fait election de domicile,

contre,

ETAT BELGE, represente par le ministre des Finances, dont le cabinet estetabli à Bruxelles, rue de la Loi, 12,

defendeur en cassation.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 17 novembre2010 par la cour d'appel de Bruxelles.

Le 7 aout 2012, l'avocat general Andre Henkes a depose des conclusions augreffe.

Le conseiller Michel Lemal a fait rapport et l'avocat general Andre Henkesa ete entendu en ses conclusions.

II. Le moyen de cassation

Les demandeurs presentent un moyen libelle dans les termes suivants :

Dispositions legales violees

- article 7 du Code judiciaire ;

- article 272 du Code des impots sur les revenus 1992, tel qu'il estapplicable à l'exercice d'imposition 1999 ;

- article 296 du Code des impots sur les revenus 1992, tel qu'il a eteinterprete par l'article 400 de la loi-programme (I) du 24 decembre 2002 ;

- article 400 de ladite loi-programme.

Decisions et motifs critiques

Apres avoir constate que les demandeurs etaient employes de l'Institut ...jusqu'à la liquidation de cette association sans but lucratif en aout1982 ; que, selon les decomptes non contestes des liquidateurs, chacun desdemandeurs avait droit à une indemnite de dedit dont le montant bruts'elevait à 1.262.898 francs pour le demandeur et à 2.375.575 francspour la demanderesse, outre quelques arrieres de remuneration et primesd'un montant tres modique ; qu'apres deduction, sur le montant brut àpayer, de la retenue à la securite sociale, du precompte professionnel de27,25 p.c. et des montants nets dejà payes en 1990 et 1991, lesliquidateurs ont attribue à chacun des demandeurs le « solde net finalà payer », soit 567.370 francs pour le demandeur et 1.064.357 francspour la demanderesse ; qu'apres distribution du dividende de liquidationaux anciens travailleurs, l'actif de la liquidation n'a pas permis auxliquidateurs de verser au Tresor le precompte professionnel afferentauxdites sommes et qu'aucune declaration au precompte professionnel n'aete faite ; que les decomptes des liquidateurs faisaient etat d'une« retenue » de precompte professionnel alors que les fiches fiscalesnDEG 281.10 emises au nom de chacun des demandeurs comportaient sous larubrique relative au precompte professionnel la mention « non retenu -zero » ; que l'impot des personnes physiques de l'exercice 1999 a eteenrole sans tenir compte du precompte professionnel non verse au Tresor ;qu'à l'appui de leur reclamation contre cette imposition, les demandeursont soutenu que les precomptes doivent etre ajoutes à la base imposablepuis imputes sur l'impot ; que cette these a ete rejetee par le directeur,puis par le premier juge,

l'arret, confirmant la decision du premier juge, decide que les precompteslitigieux ne sont pas imputables sur l'impot des personnes physiques desdemandeurs et ne doivent des lors pas etre ajoutes aux revenus declares.

L'arret fonde cette decision sur des motifs propres et par reference àceux du premier juge, à savoir :

(1) « Depuis la loi-programme (I) du 24 decembre 2002, l'article 296 duCode des impots sur les revenus 1992 precise, en un nouvel alinea 2,que `le precompte professionnel perc,u est le precompte professionnelretenu en execution de l'article 272' (1er tiret), mais cette disposition,qui deroge au droit commun et n'a des lors pas valeur de loiinterpretative (voy. l'avis du Conseil d'Etat nDEG 34.238/1/2/3/4, Doc.parl., Chambre, session 2002-2003,nDEG 2124/002, p. 473 ; justification de l'amendement nDEG 184 dugouvernement, Doc. parl., Chambre, nDEG 2124/008, p. 41 ; contra : lesdeclarations du ministre devant la commission des Finances et du Budget dela Chambre, Doc. parl., rapport à la Chambre, nDEG 2124/04, spec. p. 18),n'est entree en vigueur que le 10 janvier 2003 ».

(2) « Du reste, pas plus qu'ils n'ont ete verses au Tresor, lesprecomptes concernes n'ont ete retenus sur des remunerations imposables enexecution de l'article 272 du Code des impots sur les revenus 1992 puisqueles liquidateurs n'avaient plus rien sur quoi retenir lesdits precomptes.Dans leurs decomptes, les liquidateurs ont, il est vrai, fait etat d'une`retenue' de precompte professionnel au taux de 27,25 p.c. mais c'etaitmanifestement pour determiner, conformement à la jurisprudence de la Courde cassation sur l'assiette du privilege des travailleurs, le montant dela remuneration privilegiee des [demandeurs] au sens de l'article 19,3DEGbis, de la loi hypothecaire.

La meilleure preuve en est qu'aucune declaration au precompteprofessionnel n'a ete faite par l'Institut ... en liquidation, outre queles fiches fiscales nDEG 281.10 emises au nom de chacun des [demandeurs]comportaient une mention `non retenue-zero' corroboree par le relevenDEG 325.10.

Ce n'est pas parce que le decompte du solde de l'indemnite de dedit a etecalcule par le college des liquidateurs en tenant compte du precompteprofessionnel forfaitaire que ce precompte a necessairement ete retenu ».

Griefs

Premiere branche

En vertu de l'article 296 du Code des impots sur les revenus 1992, « lemontant des precomptes professionnels perc,us » est imputable surl'impot.

Alors que le litige etait pendant devant le premier juge, l'article 400 dela loi-programme (I) du 24 decembre 2002 a complete l'article 296 precitepour preciser que « le precompte professionnel perc,u est le precompteprofessionnel retenu en execution de l'article 272 » (qui permet àl'employeur de retenir le precompte professionnel sur la remuneration dutravailleur).

Aux termes de l'article 7 du Code judiciaire, « les juges sont tenus dese conformer aux lois interpretatives dans toutes les affaires ou le pointde droit n'est pas definitivement juge au moment ou ces lois deviennentobligatoires ». Est interpretative la loi qui, sur un point ou la reglede droit est incertaine ou controversee, consacre une solution qui auraitpu etre adoptee par la jurisprudence (voir, entre autres, Cass., 20 juin2005, Pas., nDEG 357, et 24 avril 2008, Pas., nDEG 252).

L'article 400 de la loi-programme est interpretatif de l'article 296 duCode des impots sur les revenus 1992 puisqu'il en clarifie la portee pourle cas ou le debiteur a retenu le precompte professionnel à charge dutravailleur mais ne l'a pas verse au Tresor. Il consacre uneinterpretation de l'article 296 qui avait ete adoptee par plusieurs courset tribunaux, d'une part (voir Bruxelles, 22 fevrier 2001, FJF, 2001/143 ;Gand, 11 decembre 1956, Revue fiscale, 1957, p. 500 ; trib. Namur, 8fevrier 2006, disponible sur www.fiscalnet.be), et qui etait en outreconforme aux instructions administratives (commentaire administratif duCode des impots sur les revenus 1992, nDEG 312/42).

Le caractere interpretatif de l'article 400 de la loi-programme (1) du 24decembre 2002 est confirme par certains passages des travaux preparatoiresde la loi : ainsi, le ministre des Finances a declare devant la commissiondes Finances de la Chambre : « le fait que le precompte reellement retenusur la remuneration est considere comme perc,u constitue une applicationnormale de l'article 296 du Code des impots sur les revenus 1992 »(rapport de la commission des Finances, Doc. parl., Ch., 2002-2003,nDEG 50-2124/4, p. 18) ; le rapport de la commission des Finances de laChambre souligne que « la legislation fiscale actuelle ne contient pas dedispositions claires et precises en la matiere, ce qui est sourced'insecurite juridique » (rapport precite, p. 17).

L'avis de la section de legislation du Conseil d'Etat sur l'avant-projetde loi-programme (Doc. parl., Ch., 2002-2003, nDEG50-2124/2, p. 473),auquel se refere l'arret, n'est pas relatif au texte de l'article 400 dela loi, qui est issu d'un amendement du gouvernement au projet initial(amendement nDEG 184 du gouvernement, Doc. parl., Ch., 2002-2003,nDEG2124/8, p. 41) mais concerne une disposition de l'avant-projet qui n'apas ete maintenue et qui edictait une regle similaire à celle del'article 400 mais limitee aux remunerations attribuees aux chercheursscientifiques, ce qui explique que le Conseil d'Etat ait considere cetteregle comme une derogation au droit commun.

Enfin, contrairement aux autres dispositions modifiant le Code des impotssur les revenus qu'elle contient (voir le chapitre 6 du titre VI de laloi-programme), la loi-programme (I) du 24 decembre 2002 ne fixe pas dedate pour l'entree en vigueur de l'article 400, car ce n'etait pasnecessaire pour une disposition interpretative.

En decidant, par les motifs reproduits supra (1), que l'article 400 de laloi-programme (I) du 24 decembre 2002 n'a pas le caractere d'unedisposition interpretative de l'article 296 du Code des impots sur lesrevenus 1992, l'arret viole des lors cet article 296, tel qu'il estinterprete par l'article 400 de la loi-programme (I) du 24 decembre 2002,et les autres dispositions visees au moyen, à l'exception de l'article272 du Code des impots sur les revenus 1992.

Seconde branche

En vertu de l'article 272 du Code des impots sur les revenus 1992, leliquidateur a le droit de retenir le precompte professionnel sur lesremunerations imposables qu'il attribue.

Lorsqu'une loi emploie un terme sans en donner de definition, ce termedoit etre pris dans son sens usuel. « Retenir » signifie, dans lelangage commun, « garder par devers soi ce qui est à un autre » (Lenouveau petit Littre, 2e acception du mot « retenir »).

Il y a donc « retenue » du precompte professionnel, au sens des articles272 et 296 du Code des impots sur les revenus 1992, lorsque l'employeurverse au travailleur la remuneration à laquelle il a droit sous deductiondu precompte professionnel.

Ayant constate que les demandeurs n'ont pas rec,u le montant del'indemnite de dedit dans sa totalite mais ce montant diminue du precompteprofessionnel, l'arret n'a pu legalement decider par les motifs reproduitssupra (2) que ce precompte n'avait pas ete retenu au sens des dispositionsprecitees (violation de l'article 272 du Code des impots sur les revenus1992, applicable à l'exercice d'imposition 1999, et de l'article 296 duCode des impots sur les revenus 1992, interprete par l'article 400 de laloi-programme (I) du 24 decembre 2002).

III. La decision de la Cour

Quant à la premiere branche :

En vertu de l'article 296 du Code des impots sur les revenus 1992, lemontant des precomptes professionnels perc,us est imputable sur l'impot.

L'article 400 de la loi-programme (I) du 24 decembre 2002, entre envigueur, en l'absence d'une disposition transitoire speciale de cette loi,le10 janvier 2003, a complete l'article 296 precite par un second alineaselon lequel le precompte professionnel perc,u est celui qui est retenu enexecution de l'article 272 dudit code ou celui qui, n'etant pas retenu,est verse reellement au Tresor.

L'article 400 de la loi du 24 decembre 2002 precise ce que recouvre lanotion de precompte professionnel au sens de l'article 296 du Code desimpots sur les revenus 1992 et tend à mettre fin à l'insecuritejuridique resultant d'interpretations divergentes de cette disposition.

Il resulte tant des termes et de l'objectif de l'article 400 de la loi du24 decembre 2002 que des travaux preparatoires de cette disposition que lelegislateur a entendu imprimer à celle-ci une portee interpretative.

Est interpretative la loi qui, sur un point ou la regle de droit estincertaine ou controversee, consacre une solution qui aurait pu etreadoptee par la jurisprudence.

En vertu de l'article 7 du Code judiciaire, les juges sont tenus de seconformer aux lois interpretatives dans toutes les affaires ou le point dedroit n'est pas definitivement juge au moment ou ces lois deviennentobligatoires.

En decidant que l'article 400 de la loi du 24 decembre 2002 n'a pas lecaractere d'une disposition interpretative de l'article 296 du Code desimpots sur les revenus 1992, l'arret viole ces dispositions legales.

Le moyen, en cette branche, est fonde.

Quant à la seconde branche :

Il resulte de la reponse à la premiere branche du moyen qu'en vertu del'article 296 du Code des impots sur les revenus 1992, tel qu'interpretepar l'article 400 de la loi-programme (I) du 24 decembre 2002, le montantdes precomptes professionnels retenus en execution de l'article 272 duditcode est imputable sur l'impot.

Suivant l'article 272 precite, les liquidateurs de societes ont le droitde retenir sur les revenus imposables le precompte professionnel yafferent.

Le precompte professionnel est retenu lorsque le liquidateur ne paye autravailleur que le montant net de sa remuneration, apres avoir deduitledit precompte du montant brut, ou, en cas d'insuffisance d'actif,lorsqu'il ne lui paye qu'un dividende de liquidation calcule au prorata dece montant net, que ce precompte ait ete ou non verse au Tresor.

Apres avoir constate que, « selon les decomptes des liquidateurs, qui nesont pas contestes en tant que tels, l'Institut ... en liquidation devaità chacun [des demandeurs] une indemnite de dedit dont le montant bruts'elevait à 1.262.898 francs pour [le demandeur] et à 2.375.575 francspour [la demanderesse], outre quelques arrieres de remuneration et primesd'un montant tres modique », et qu' « apres deduction, sur le montantbrut à devoir (...) d'une `retenue [à titre de] precompte professionnel[de] 27,25 p.c.' et des `montants nets dejà payes' en 1990 et 1991, lesliquidateurs ont degage le `solde net final à payer' en 1998, au stade dutroisieme et dernier dividende de liquidation, à savoir 567.370 francspour [le demandeur] et 1.064.357 francs pour [la demanderesse] », la courd'appel n'a pu, sans violer les dispositions precitees, decider que leprecompte professionnel n'avait pas ete retenu sur les revenus attribuesaux demandeurs pour en refuser l'imputation sur l'impot du par cesderniers.

Le moyen, en cette branche, est fonde.

Par ces motifs,

La Cour

Casse l'arret attaque ;

Ordonne que mention du present arret sera faite en marge de l'arret casse;

Reserve les depens pour qu'il soit statue sur ceux-ci par le juge dufond ;

Renvoie la cause devant la cour d'appel de Mons.

Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Albert Fettweis, les conseillersMartine Regout, Alain Simon, Mireille Delange et Michel Lemal, et prononceen audience publique du six septembre deux mille douze par le president desection Albert Fettweis, en presence de l'avocat general Andre Henkes,avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.

+-------------------------------------------+
| P. De Wadripont | M. Lemal | M. Delange |
|-----------------+-----------+-------------|
| A. Simon | M. Regout | A. Fettweis |
+-------------------------------------------+

6 septembre 2012 F.11.0134.F/1


Synthèse
Numéro d'arrêt : F.11.0134.F
Date de la décision : 06/09/2012

Origine de la décision
Date de l'import : 05/10/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2012-09-06;f.11.0134.f ?
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