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29/06/2012 | BELGIQUE | N°C.11.0522.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 29 juin 2012, C.11.0522.F


Cour de cassation de Belgique

Arret

1435



NDEG C.11.0522.F

K.C.T., societe privee à responsabilite limitee dont le siege social estetabli à Saint-Trond, Naamsesteenweg, 229,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre Bruno Maes, avocat à la Cour de cassation, dont lecabinet est etabli à Bruxelles, rue de Loxum, 25, ou il est fait electionde domicile,

contre

1. UNIBOX GAMES, societe anonyme dont le siege social est etabli à Herve(Chaineux), avenue du Parc, 22,

defenderesse en cassation,

representee par Mait

re Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 149, ou il...

Cour de cassation de Belgique

Arret

1435

NDEG C.11.0522.F

K.C.T., societe privee à responsabilite limitee dont le siege social estetabli à Saint-Trond, Naamsesteenweg, 229,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre Bruno Maes, avocat à la Cour de cassation, dont lecabinet est etabli à Bruxelles, rue de Loxum, 25, ou il est fait electionde domicile,

contre

1. UNIBOX GAMES, societe anonyme dont le siege social est etabli à Herve(Chaineux), avenue du Parc, 22,

defenderesse en cassation,

representee par Maitre Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 149, ou il estfait election de domicile,

2. B. A.,

3. CONNECT CONCEPT, societe privee à responsabilite limitee dont le siegesocial est etabli à Seraing, rue du Pairay, 11,

defendeurs en cassation.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 28 fevrier 2011par la cour d'appel de Liege.

Le conseiller Martine Regout a fait rapport.

L'avocat general Thierry Werquin a conclu.

II. Les moyens de cassation

La demanderesse presente deux moyens, dont le premier est libelle dans lestermes suivants :

Dispositions legales violees

Articles 1382 et 1383 du Code civil

Decisions et motifs critiques

L'arret confirme le jugement entrepris qui a condamne la demanderesse insolidum avec les deuxieme et troisieme defendeurs à verser à la premieredefenderesse une somme de 51.562,19 euros, à majorer des interets au tauxlegal depuis le 28 fevrier 2008, sur la base des motifs suivants :

« 5. La tierce complicite

De son cote, la [troisieme defenderesse] n'ignorait pas et ne pouvait pasignorer l'existence du contrat liant [le deuxieme defendeur] à [lapremiere defenderesse] comme aussi la clause habituelle dans pareilcontrat obligeant l'exploitant à imposer son respect par un eventuelrepreneur de l'etablissement. Son gerant, N. O., etait frequemment surplace et prenait une part active à l'exploitation avant le retrait de soncedant. C'est encore sous le benefice de la licence accordee à ce dernierqu'il a commence à exploiter les jeux places par [la demanderesse].

En contractant avec [la demanderesse] un contrat permettant à celle-ci deplacer ses jeux, ce qui a du se negocier avant meme l'enlevement des jeuxde [la premiere defenderesse] remises à l'ecart, [la troisiemedefenderesse] a participe à la violation par [le deuxieme defendeur] deses obligations contractuelles et est tiers complice tenu d'indemniser [lapremiere defenderesse].

Les conditions de la responsabilite du tiers complice sont connues (voirWery, Theorie generale du contrat, Rep. not., tome IV, livre 1/1, 2010, p.700, nDEG 655). Le tiers doit avoir connaissance ou du avoir connaissanceau moment ou le second contrat est conclu (meme auteur, p. 701, nDEG 656).Il y a faute du tiers des qu'il y a atteinte consciente aux droitsd'autrui, meme si ce tiers n'a pas ete en contact avec le debiteur de laconvention violee (I. Banmeyer, L'action paulienne et la tiercecomplicite, points de contact, CUP, decembre 1988, vol. XXVII, pp. 261 etss., specialement p. 267). `Il ne s'agit pas d'exiger du tiers qu'avant decontracter il fasse des recherches poussees pour savoir s'il ne se rendpas complice de la violation d'une obligation contractuelle d'autrui. Parcontre, il n'est pas tolerable que le tiers se refuse à voir ce quechacun à sa place eut vu. « Devait savoir » vise les cas ou lescirconstances sont telles que, sans examen particulier, le tiers eut duarriver à la conclusion que l'acte juridique qu'il se propose d'accomplirle sera en violation de l'obligation d'autrui' (Y. Merchiers, `La tiercecomplicite de la violation d'une obligation contractuelle : fin d'uneincertitude', R.C.J.B., 1984, 379). `Le tiers commet egalement une fautelorsque son ignorance de l'obligation contractuelle meconnue procede d'unenegligence inexcusable' (S. Bar et C. Haltert, Les effets du contrat,Kluwer, 2006, pp. 124 et 125).

La [demanderesse] est aussi un tiers par rapport au contrat fautivementmeconnu. La circonstance que la [troisieme defenderesse] est elle-memetiers complice n'exclut pas que [la demanderesse] qui conclut avec elle nele soit pas. Il suffit qu'elle ait eu connaissance ou du avoirconnaissance de l'existence du contrat en vertu duquel [la premieredefenderesse] plac,ait des jeux dans cet etablissement pour pouvoir etreegalement tiers complice de la violation du contrat.

[La premiere defenderesse] apporte la preuve d'un contact telephonique le15 janvier et le 8 fevrier 2008 entre un de ses responsables et un preposede [la demanderesse] mais le contenu de ces conversations telephoniquesreste inconnu, meme si le fait rend plausible l'information donnee à [lademanderesse].

Cette societe de placement de jeux intervient dans un cafe existant et enetat de fonctionner dans lequel elle devait savoir que l'exploitantanterieur avait des jeux de hasard pour lesquels il etait tenu parl'obligation habituelle d'en imposer le respect à son successeur. Lademande de licence finalement obtenue par la [troisieme defenderesse] le10 mars 2008 a du etre introduite en janvier 2008 puisque, lors du constatdu 24 janvier 2008, il a ete declare à l'huissier qu'elle serait traiteele 28 du meme mois, soit donc avant que les jeux de [la premieredefenderesse] ne soient retires, d'ou il est permis de deduire que lerepresentant de [la demanderesse], venu offrir un contrat assortid'avantages financiers legerement superieurs à ceux consentis par [lapremiere defenderesse], a du voir les jeux de cette derniere remises àl'ecart. L'on imagine mal en effet qu'il n'ait pas visite entierement leslieux et, s'il a ete trompe par l'exploitant qui lui affirmait que le cafeetait libre de jeux, il devait, en professionnel prudent et diligent,s'inquieter de verifier l'information. Un simple coup de telephone, commecelui du 15 janvier 2008 ci-dessus evoque, aurait suffi. Le nouveau bailne sera signe par [la troisieme defenderesse] que le 8 fevrier 2008 alorsque le contrat de [la demanderesse] est intervenu le 4 fevrier et lasignature d'un nouveau bail avec le proprietaire ne signifie pasnecessairement qu'il n'y a eu aucune cession du fonds de commerce, lecedant ayant simplement interet à ce nouveau bail pour etre degage de lasolidarite avec le cessionnaire.

La circonstance que la [demanderesse] refusera de donner suite à la miseen demeure du conseil de [la premiere defenderesse] du 28 fevrier 2008visant « au replacement des jeux de [la premiere defenderesse] dansl'etablissement » ne constitue pas un indice de l'ignorance par elle del'existence d'un contrat anterieur toujours en cours bien qu'ellel'invoque pour se justifier, principalement parce qu'elle avait dejàdebourse les sommes sans lesquelles elle n'aurait pas pu s'introduire dansles lieux.

La rupture du contrat par [le deuxieme defendeur] est sanctionnee dedommages-interets contractuels qui sont d'autant moins excessifs quel'interesse reconnait l'exploitation des jeux tres rentable. Meme s'iletait libre de se retirer du commerce, [le deuxieme defendeur] avaitl'obligation conventionnelle d'imposer à celui à qui il remettait lemateriel d'exploitation la poursuite du contrat le liant à [la premieredefenderesse], laquelle est evincee de l'emplacement pour une longue dureepuisque le contrat obtenu par [la demanderesse] porte sur cinq ans et estrenouvelable par tacite reconduction, ce qui peut justifier le decalageentre le pourcentage de partage des recettes et celui de l'indemnite derupture.

Le dommage consecutif à la faute des tiers complices est equivalent, lesinteresses etant tous tenus in solidum, ainsi que les premiers juges ledecident à bon droit ».

Griefs

En vertu des articles 1382 et 1383 du Code civil, la tierce complicitesuppose que le tiers ait « coopere » sciemment et en pleine connaissancede cause à la violation par la partie de son obligation contractuelle ouqu'il y ait eu une « participation » du tiers, en connaissance de cause,à la commission de la faute contractuelle.

Cette condition de cooperation ou de participation du tiers à lacommission de la faute contractuelle implique que le debiteur« contracte » avec le tiers complice.

La demanderesse avait invoque à titre subsidiaire, dans ses conclusionsadditionnelles d'appel, l'absence des conditions de la tierce complicite,notamment parce qu'elle « n'a nullement contracte avec le debiteur del'obligation à l'egard [de la premiere defenderesse] mais bien avec untiers auquel l'obligation initiale n'a pas ete imposee par son proprecontractant alors qu'elle aurait du l'etre ».

L'arret considere toutefois qu' « il y a faute du tiers des qu'il y aatteinte consciente aux droits d'autrui, meme si ce tiers n'a pas ete encontact avec le debiteur de la convention violee », et que « lacirconstance que [la troisieme defenderesse] est elle-meme tiers complicen'exclut pas que [la demanderesse] qui conclut avec elle ne le soitpas ».

En ayant constate que la demanderesse n'a pas contracte avec le debiteurde la convention violee (soit la convention du 18 octobre 2006 conclueentre la premiere defenderesse et le deuxieme defendeur) mais avec letiers complice qu'est la troisieme defenderesse, l'arret n'a pu legalementdecider que les conditions de la tierce complicite etaient reunies dans lechef de la demanderesse ni, partant, qu'elle a commis une faute en liencausal avec le dommage de la premiere defenderesse.

L'arret n'a pu, en consequence, legalement decider que la demanderesse esttenue in solidum avec le deuxieme defendeur et la troisieme defenderesseà la reparation du dommage de la premiere defenderesse.

En decidant que la demanderesse est tenue in solidum avec le deuxiemedefendeur et la troisieme defenderesse à la reparation du dommage de lapremiere defenderesse, alors qu'il constate que la demanderesse n'a pascontracte avec le deuxieme defendeur, l'arret viole les dispositionslegales visees au moyen.

III. La decision de la Cour

Sur le premier moyen :

La tierce complicite suppose la participation du tiers à l'acte juridiquequi est à l'origine de la violation de l'obligation contractuelle.

Par les motifs du jugement entrepris qu'il adopte et par ses motifspropres, l'arret constate que la premiere defenderesse a conclu avec ledeuxieme defendeur un contrat relatif au placement de jeux dans le cafe dece dernier ; que ce contrat comprenait une clause d'exclusivite etprevoyait qu'en cas de cession du fonds de commerce, le deuxieme defendeuretait tenu d'en avertir la premiere defenderesse et d'imposer au repreneurla poursuite et la reprise du contrat ; que monsieur O., qui participaitactivement à l'exploitation de ce cafe, a constitue la societe troisiemedefenderesse qui a repris l'exploitation du cafe, sans que le deuxiemedefendeur lui impose la poursuite du contrat conclu avec la premieredefenderesse, et que la troisieme defenderesse a conclu avec lademanderesse un nouveau contrat permettant à celle-ci de placer ses jeuxdans les lieux.

Apres avoir decide que la troisieme defenderesse « a participe à laviolation par [le deuxieme defendeur] de ses obligations contractuelles etest tiers complice tenu d'indemniser [la premiere defenderesse] »,l'arret considere qu'« il y a faute du tiers des qu'il y a atteinteconsciente aux droits d'autrui, meme si ce tiers n'a pas ete en contactavec le debiteur de la convention violee [...] ; [la demanderesse] estaussi un tiers par rapport au contrat fautivement meconnu ; lacirconstance que [la troisieme defenderesse] est elle-meme tiers complicen'exclut pas que [la demanderesse] qui conclut avec elle ne le soit pas[lire : le soit] ; il suffit qu'elle ait eu connaissance ou du avoirconnaissance de l'existence du contrat en vertu duquel [la premieredefenderesse] plac,ait des jeux dans cet etablissement pour pouvoir etreegalement tiers complice de la violation du contrat », et que lademanderesse est intervenue « dans un cafe existant et en etat defonctionner dans lequel elle devait savoir que l'exploitant anterieuravait des jeux de hasard pour lesquels il etait tenu par l'obligationhabituelle d'en imposer le respect à son successeur ».

Par ces enonciations, dont il ressort que la demanderesse etait lieecontractuellement à la troisieme defenderesse, libre de toute obligationcontractuelle envers la premiere defenderesse, et non au deuxiemedefendeur, l'arret ne justifie pas legalement sa decision que lademanderesse s'est rendue tiers complice de la violation par le deuxiemedefendeur de ses obligations contractuelles envers la premieredefenderesse ni, partant, qu'elle a commis une faute en relation causaleavec le dommage subi par la premiere defenderesse.

Le moyen est fonde.

Il n'y a pas lieu d'examiner le second moyen, qui ne saurait entrainer unecassation plus etendue.

Par ces motifs,

La Cour

Casse l'arret attaque en tant qu'il condamne la demanderesse, in solidumavec le defendeur et la seconde defenderesse, à payer à la premieredefenderesse la somme de 51.562,19 euros à majorer des interets au tauxlegal depuis le 28 fevrier 2008, et qu'il statue sur la demande engarantie de la demanderesse et sur les depens à l'egard de celle-ci ;

Ordonne que mention du present arret sera faite en marge de l'arretpartiellement casse ;

Reserve les depens pour qu'il soit statue sur ceux-ci par le juge dufond ;

Renvoie la cause, ainsi limitee, devant la cour d'appel de Mons.

Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president Christian Storck, le conseiller Didier Batsele, lepresident de section Albert Fettweis, les conseillers Martine Regout etAlain Simon, et prononce en audience publique du vingt-neuf juin deuxmille douze par le president Christian Storck, en presence de l'avocatgeneral Thierry Werquin, avec l'assistance du greffier Patricia DeWadripont.

+--------------------------------------------+
| P. De Wadripont | A. Simon | M. Regout |
|-----------------+------------+-------------|
| A. Fettweis | D. Batsele | Chr. Storck |
+--------------------------------------------+

29 JUIN 2012 C.11.0522.F/9


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.11.0522.F
Date de la décision : 29/06/2012

Origine de la décision
Date de l'import : 05/10/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2012-06-29;c.11.0522.f ?
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