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14/06/2012 | BELGIQUE | N°C.10.0500.N

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 14 juin 2012, C.10.0500.N


Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.10.0500.N

GEMEENTELIJK AUTONOOM HAVENBEDRIJF ANTWERPEN,

Me Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation,

contre

GELDENER STAHLHANDEL GmbH, societe de droit allemand,

Me Willy van Eeckhoutte, avocat à la Cour de cassation.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre un arret rendu le 4 mai 2009 parla cour d'appel d'Anvers.

L'avocat general Guy Dubrulle a depose des conclusions ecrites le 2 mai2012.



Le conseiller Alain Smetryns a fait rapp

ort.

L'avocat general Guy Dubrulle a conclu.

II. Le moyen de cassation

Le demandeur presente un moyen libelle dans les...

Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.10.0500.N

GEMEENTELIJK AUTONOOM HAVENBEDRIJF ANTWERPEN,

Me Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation,

contre

GELDENER STAHLHANDEL GmbH, societe de droit allemand,

Me Willy van Eeckhoutte, avocat à la Cour de cassation.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre un arret rendu le 4 mai 2009 parla cour d'appel d'Anvers.

L'avocat general Guy Dubrulle a depose des conclusions ecrites le 2 mai2012.

Le conseiller Alain Smetryns a fait rapport.

L'avocat general Guy Dubrulle a conclu.

II. Le moyen de cassation

Le demandeur presente un moyen libelle dans les termes suivants :

Dispositions legales violees

- article 149 de la Constitution ;

- article 780 du Code judiciaire ;

- articles 108 à 117, et specialement article 109, de l'Acte final duCongres de Vienne du 9 juin 1815 ainsi que Annexe 16 B à cet Acte finalet article 1er de l'Annexe 16 C de ce meme acte ;

- articles 9, S:S: 1er et 3, et 10 du Traite de separation entre laBelgique et la Hollande conclu à Londres le 19 avril 1839, publie auMoniteur belge du 21 juin 1839 à la conclusion et à la signature duquelle Roi a ete autorise par la loi du 4 avril 1839 ;

- article 17 du Traite conclu entre la Belgique et les Pays-Bas, signe àLa Haye le 5 novembre 1842, approuve par la loi du 3 fevrier 1843 etpublie au Moniteur belge du 9 fevrier 1843 ;

- articles 1er et 3 du Traite conclu entre la Belgique et les Pays-Bas, le12 mai 1863, pour le rachat du peage de l'Escaut, approuve par la loi du21 juillet 1863, publie au Moniteur belge des 20-21 juillet 1863 ;

- article 31, S: 3, a) et b), de la Convention de Vienne sur le droit destraites, faite à Vienne le 23 mai 1969 approuvee par la loi du 10 juin1992 (M.B. du 25 decembre 1993);

- article 50 du Traite du 20 juin 1960 entre le Royaume de Belgique et leRoyaume des Pays-Bas, au sujet de l'amelioration du canal de Terneuzen àGand et du reglement de quelques questions connexes, approuve par la loidu 4 mars 1961 (M.B. du 30 decembre 1961) ;

- articles 4.1.1.1. et 4.1.1.4. du `Tariefverordening op debinnenscheepvaart van het Gemeentelijk Havenbedrijf Antwerpen', etabli parle Comite de direction le 17 janvier 2002 et approuve par le Conseild'administration le 29 janvier 2002, entre en vigueur le 1er fevrier 2002;

- articles 4.1.1. et 4.1.1.4. du `Tariefverordening op debinnenscheepvaart van het Gemeentelijk Havenbedrijf Antwerpen', etabli parle Comite de direction le 30 octobre 2002 et approuve par le Conseild'administration le 12 novembre 2002, entre en vigueur le 1er janvier2003;

- articles 4.1.1.1. et 4.1.1.4. du `Tariefverordening op debinnenscheepvaart van het Gemeentelijk Havenbedrijf Antwerpen', etabli parle Comite de direction le 22 novembre 2004 et approuve par le Comite dedirection le 30 novembre 2004, entre en vigueur le 1er janvier 2005.

Decisions et motifs critiques

La cour d'appel declare recevable et partiellement fonde l'appel de ladefenderesse, considere que le principe conventionnel de la liberte denavigation n'est pas compatible avec et prime sur les reglementstarifaires contraires du Havenbedrijf Antwerpen et decide sur cette baseque, dans la mesure ou elle concerne les droits de passage à concurrencede 1.092,28 euros, ceux-ci ne sont pas dus, reforme le jugement dont appelet dit pour droit que la demande originaire du demandeur n'est fondee quejusqu' à concurrence de 6.367,42 euros majores des interets judiciairesau taux conventionnel de 6 p.c. par an sur 5.655,80 euros, jusqu'au jourdu paiement et condamne chacune des parties aux frais exposes et compenseles indemnites de procedure des deux instances. Les juges d'appel ontrejete les moyens invoques par le demandeur soutenant en ordre principalque, lorsque les bassins portuaires à Anvers sont utilises pour lepassage vers le canal Albert, ils servent de canaux et que ceux-ci ne sontpas soumis à la liberte de navigation des lors que la liberte denavigation sur les voies d'eau internationales, particulierement l'Escaut,ne s'etend pas aux affluents nationaux, aux embranchements et aux autresvoies d'eau situees le long d'une riviere internationale, et ce, sur labase des considerations suivantes :

« S'il est exact que les voies d'eau creusees dans le complexe desbassins du port d'Anvers sont artificielles (canaux) et se trouventexclusivement sur le territoire national, il est, selon la cour dàppel,tout à fait artificiel de soutenir qu'un port cesse d'etre un portlorsqu'un navire fait usage d'une partie de son infrastructure lors d'unpassage et que dans ce cas ce port, ou cette partie du port, doit etreconsidere comme une voie navigable nationale. En outre, les bassins/canauxn'existaient pas au moment ou les actes de base relatifs au statut del'Escaut ont vu le jour.

L'economie des traites qui reglent le statut de l'Escaut est de garantirl'accessibilite permanente (securisee) et libre à un port d'Anvers qui seprofile à juste titre comme un port de mer et de transit international(voir E. Van Hooydonk, Het juridisch statuut van de Belgisch-Nederlandseverkeersverbindingen in actueel en Europees perspectief, in DeBelgisch-Nederlandse Verkeersverbindingen, De Schelde in de XXIste Eeuw,p. 106). Selon la cour d'appel, cela vaut non seulement pour les grandsbatiments de mer mais aussi pour les batiments de navigation interieuretant venant du fleuve que de l'hinterland et/ou allant au fleuve ou àl'hinterland, comme sur l'axe AK (Kreekraksluizen) vers AK (canal Albertet inversement).

Selon la cour d'appel, le passage de ou vers le fleuve parl'infrastructure portuaire d'Anvers releve de la liberte de navigation,dont les principes ont ete historiquement fixes dans l'Acte final duCongres de Vienne et les traites de separation precites ».

Les moyens invoques par le demandeur en ordre subsidiaire et soutenant queles droits de passage ne sont pas contraires à la liberte de navigationont ete rejetes par les juges d'appel pour les motifs suivants :

« En ordre subsidiaire, le demandeur soutient que cette liberte denavigation ne fait pas obstacle à l'imposition de droits de navigationinterieure.

L'article 9, S: 3, du Traite du 19 Avril 1839 prevoyait la levee desdroits de navigation par les Pays-Bas, sur la partie neerlandaise del'Escaut. Ce fut annule ulterieurement par une convention internationale.Le passage sur le canal Gand-Terneuzen a ensuite ete proclame libre detous droits par convention.

Le demandeur invoque comme motif principal que les droits de passage sontdes indemnites compensant l'usage du port et constituent un paiement pourles services fournis.

Cet argument n'est pas convaincant. Aucun droit de passage n'est ou nepeut etre leve sur l'Escaut et donc sur le passage dans le port de transitouvert situe le long de cette riviere.

Le region flamande est l'administrateur de la voie navigable sur la partiede l'Escaut se trouvant en Belgique. Le demandeur ne peut lever des droitsde passage de et vers la riviere de maniere detournee, ce qui seraitcontraire au principe constant de la liberte de navigation ».

Les juges d'appel ont, en outre, fonde leur decision sur lesconsiderations suivantes :

« La cour d'appel ne voit pas comment la pratique d'un administrateurd'une infrastructure de bassins et de ports comme le demandeur pourraitderoger aux obligations conventionnelles de la Belgique ou de la regionflamande concernant le principe constant de la liberte de navigation. »

Griefs

Premiere branche

L'article 109 de l'Acte final du Congres de Vienne consacre le principe dela liberte de navigation dans tout le cours navigable des rivieresinternationales. Un reglement pour la navigation rhenane a ete adopte dansl'annexe 16B de cet Acte final et l'article 1er de l'Annexe 16C declare laliberte de navigation telle qu'elle a ete edictee pour la navigationrhenane applicable notamment à l'Escaut. Ces dispositions de l'Acte finaldu Congres de Vienne sont considerees comme faisant partie du droit publiceuropeen. Elles sont generalement considerees comme etant des dispositionspermanentes, obligatoires et minimales qui sont applicables meme à defautde regime specifique de la riviere et qui priment sur des actesparticuliers contraires. L'article 9, S: 1er, du Traite de Londres du 19avril 1839 a declare les articles 108 à 117 de l'Acte final du Congres deVienne definitivement applicable notamment à l'Escaut. La liberte denavigation qui, en vertu de l'Acte final du Congres de Vienne et du Traitedu 19 avril 1839 est applicable à l'Escaut, comprend la liberte decirculation, tant en ce qui concerne les navires que le transport depersonnes et de marchandises. Cela comprend la liberte de passage et laliberte d'entrer dans les ports et de faire usage des installationsportuaires. Bien que l'Acte final ne le mentionne pas explicitement, ladoctrine admet de maniere generale que la notion de « liberte decirculation » comprend, outre le deplacement sans limite dans tout lecours de la riviere navigable, les operations necessaires au transport,comme le chargement, le dechargement, l'entreposage et le transbordement,ainsi que le droit d'avoir librement acces aux ports et installationsportuaires et d'en faire usage. Le droit d'acces au port et d'en faireusage constitue ainsi un element de la liberte de circulation. La libertede navigation ne s'applique donc qu'au port d'Anvers en sa qualite de portde l'Escaut. La liberte de navigation requiert que le droit d'acces auxports et le droit d'en faire usage sont accordes en combinaison avecl'exercice de la libre circulation sur l'Escaut. Le fait que la liberte denavigation sur l'Escaut comprend necessairement le droit d'acces aux portset le droit de faire usage de ces ports le long de l'Escaut n'impliquetoutefois nullement que la liberte conventionnelle de navigation estapplicable, sous tous ses aspects, à la navigation qui passe par le portd'Anvers. Ni l'Acte final, ni le Traite du 19 avril 1839, ni aucune autreconvention internationale prise en execution de ceux-ci ne reglent lanavigation dans le port d'Anvers en dehors de la navigation sur l'Escaut.Lorsque les bassins du port d'Anvers sont utilises pour le passage vers lecanal Albert, ils servent aussi de voie de navigation et non de port auservice de la navigation sur l'Escaut. La libre navigation telle quedecretee dans l'Acte final du Congres de Vienne ne s'applique « qu'auxrivieres internationales à partir de l'endroit ou elles sontnaturellement navigables ». Ceci est aussi conforme à la resolution deHeidelberg de 1887 de l'Institute of International Law qui definit laliberte de circulation de la maniere suivante :

« Any sailing vessel or steamer, without distinction of nationality isfree to carry passengers or goods, or to tow other vessels between allports situated along international rivers ."

Traduction libre

"Tout voilier ou bateau à vapeur, sans distinction de nationalite estlibre de transporter des passagers ou des marchandises et de remorquerd'autres navires entre les ports situes le long des rivieresinternationales. »

Il s'ensuit que le principe du droit des gens de la libre circulation surune riviere internationale s'applique entre les differents ports le longd'une riviere internationale et pas lors de la traversee des portsindividuels memes. Il peut s'en deduire que les canaux et les voies d'eauartificielles, qu'ils soient nationaux ou internationaux, ne sont passoumis au principe du droit des gens de la libre navigation. Si on veutles y soumettre, l'autorisation de l'etat ou des etats souverain(s) qu'ilstraversent est necessaire. Lorsque les bassins portuaires à Anvers sontutilises pour le passage vers le canal Albert, ils servent de canaux. Ilsforment, en effet, une voie d'eau creusee et donc construiteartificiellement dont le niveau d'eau est pratiquement constant.

L'article 10 du Traite du 19 avril 1839 dispose que l'usage des canaux quitraversent à la fois la Belgique et les Pays-Bas sera libre. Les bassinsportuaires à Anvers se trouvent toutefois integralement sur le territoirebelge et ne peuvent donc etre qualifies d'internationaux. Les bassins duport d'Anvers doivent, des lors, etre consideres comme canal national.Savoir si et dans quelle mesure la liberte de navigation y est applicableconstitue une decision souveraine de l'Etat belge sur le territoire duquelces bassins sont situes. En l'espece, la cour d'appel d'Anvers a decide àtort que la liberte de navigation sur l'Escaut s'etend pleinement au portd'Anvers alors que cette liberte ne comprend qu'un droit d'acces oud'usage limite du port. Comme le remarque la cour d'appel dans l'arretattaque, l'economie des conventions reglant le statut de l'Escaut est degarantir le libre acces permanent au port d'Anvers. L'interpretationdonnee par la cour d'appel d'Anvers de ces traites en ce sens qu'ilscomprendraient le libre passage du port d'Anvers de et vers le canalAlbert vise en realite davantage à garantir le libre acces au canalAlbert et au canal Escaut-Rhin que le libre passage sur l'Escaut meme.

La portee ainsi donnee par la cour d'appel à ces traites, à savoirqu'ils comprennent le libre passage du port d'Anvers de et vers le canalAlbert viole l'article 109 de l'Acte final du Congres de Vienne ainsi quel'annexe 16B et l'article 1er de l'annexe C de cet Acte final ainsi quel'article 9, S: 1er, du Traite du 19 avril 1839. En refusant, par cesmotifs, l'application du `Tariefverordening' elle viole aussi lesdispositions de ce tarif visees au moyen.

(...)

III. La decision de la Cour

Sur le moyen :

Quant à la premiere branche :

1. En vertu de l'article 109 de l'Acte final du Congres de Vienne du 9juin 1815, la navigation dans tout le cours des rivieres coulant dans lesetats concernes, du point ou chacune d'elles devient navigable jusqu'àson embouchure, sera entierement libre et ne pourra, sous le rapport ducommerce, etre interdite à personne.

2. La liberte de navigation commerciale visee par cet article concernetant le transport de personnes que le transport de marchandises etcomprend les operations necessaires au transport, comme le chargement, ledechargement, l'entreposage et le transbordement, ainsi que le droitd'avoir librement acces aux ports et installations portuaires et d'enfaire usage.

Ce regime de libre navigation vise à l'Acte final du Congres de Viennes'applique à l'Escaut en tant que riviere internationale, mais pas auxcanaux

Le droit de libre navigation sur l'Escaut, ainsi que le droit de libreacces aux port et installations portuaires d'Anvers et le droit d'en faireusage qui en decoulent, n'impliquent pas le droit de libre traversee de ceport au depart et en direction d'un canal interieur en empruntant lesparties du port qui doivent aussi etre considerees comme des canaux.

3. Les juges d'appel ont constate que :

- le litige concerne les droits de passage portes en compte qui ont etefactures par le demandeur à la defenderesse pour le passage du msCheyenne et du ms Gelder, « dans le port de et/ou vers le canalAlbert » ;

- « les voies d'eau creusees dans le complexe des bassins du portd'Anvers sont artificielles (canaux) et se trouvent exclusivement sur leterritoire national propre ».

4. Les juges d'appel, qui ont decide ensuite que la traversee du portd'Anvers de et vers le canal Albert par les parties du port qui doiventetre considerees comme etant des canaux entre dans le champ d'applicationde l'article 109 de l'Acte final du Congres de vienne, n'ont paslegalement justifie leur decision.

Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, est fonde.

Par ces motifs,

La Cour

Casse l'arret attaque, sauf en tant qu'il declare l'appel recevable ;

Ordonne que mention du present arret sera faite en marge de l'arretpartiellement casse ;

Reserve les depens pour qu'il soit statue sur ceux-ci par le juge dufond ;

Renvoie la cause, ainsi limitee, devant la cour d'appel de Gand.

Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Eric Dirix, les conseillers EricStassijns, Beatrijs Deconinck, Alain Smetryns et Koen Mestdagh, etprononce en audience publique du quatorze juin deux mille douze par lepresident de section Eric Dirix, en presence de l'avocat general GuyDubrulle, avec l'assistance du greffier Frank Adriaensen.

Traduction etablie sous le controle du conseiller Martine Regout ettranscrite avec l'assistance du greffier Fabienne Gobert.

Le greffier, Le conseiller,

14 juin 2012 C.10.0500.N/1


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.10.0500.N
Date de la décision : 14/06/2012

Origine de la décision
Date de l'import : 11/11/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2012-06-14;c.10.0500.n ?
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