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08/06/2012 | BELGIQUE | N°C.11.0080.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 08 juin 2012, C.11.0080.F


Cour de cassation de Belgique

Arret

3928



NDEG C.11.0080.F

CENTEA, societe anonyme dont le siege social est etabli à Anvers,Mechelsesteenweg, 180,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, rue des Quatre Bras, 6, ou il estfait election de domicile,

contre

1.a) R. P., agissant en qualite d'heritier de M. P.,

defendeur en cassation ou, à tout le moins, partie appelee en declarationd'arret commun,

1.b) M. B., agissant en

qualite d'heritiere de M. P.,

defenderesse en cassation ou, à tout le moins, partie appelee endeclaration d'arret co...

Cour de cassation de Belgique

Arret

3928

NDEG C.11.0080.F

CENTEA, societe anonyme dont le siege social est etabli à Anvers,Mechelsesteenweg, 180,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, rue des Quatre Bras, 6, ou il estfait election de domicile,

contre

1.a) R. P., agissant en qualite d'heritier de M. P.,

defendeur en cassation ou, à tout le moins, partie appelee en declarationd'arret commun,

1.b) M. B., agissant en qualite d'heritiere de M. P.,

defenderesse en cassation ou, à tout le moins, partie appelee endeclaration d'arret commun,

2. M. B., agissant en nom personnel,

defenderesse en cassation,

representee par Maitre Bruno Maes, avocat à la Cour de cassation, dont lecabinet est etabli à Bruxelles, rue de Loxum, 25, ou il est fait electionde domicile.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 10 septembre2009 par la cour d'appel de Liege.

Le conseiller Sylviane Velu a fait rapport.

L'avocat general Thierry Werquin a conclu.

II. Le moyen de cassation

La demanderesse presente un moyen libelle dans les termes suivants :

Dispositions legales violees

- articles 10, 11 et 159 de la Constitution ;

- article 26, S: 2, de la loi speciale du 6 janvier 1989 sur la Courconstitutionnelle ;

- articles 16, 80, alinea 3, 82, modifie par les lois des 2 fevrier 2005et 20 juillet 2005, 96 et 98 de la loi du 8 aout 1997 sur les faillites ;

- articles 1200, 1201, 1210, 1213, 1216, 1234, 1399, 1400, 1408, 1413,1414, 1432 et 2036 du Code civil ;

- articles 7, 8, 41, 80, 87 et 108, 1DEG, de la loi hypothecaire du 16decembre 1851, constituant le titre XVIII du livre III du Code civil.

Decisions et motifs critiques

L'arret rec,oit l'appel, reforme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il ajoint les causes et declare les demandes principales et nouvellesrecevables, dit sans objet l'opposition à la sommation intervenue le 9novembre 2000 dans le cadre de la saisie-execution immobiliere du 26novembre 1998, dit l'opposition au commandement du 2 octobre 2008 fondee,dit qu'en sa qualite de conjoint de M. P., failli declare excusable, ladefenderesse est liberee de ses engagements resultant de l'acteauthentique du 24 juin 1996 à l'egard de la demanderesse, en consequence,dit que la demanderesse ne peut poursuivre la defenderesse pour larecuperation de la creance precitee et la condamne aux depens de premiereinstance et d'appel, aux motifs que :

« Pour le surplus, [la defenderesse] pretend au benefice de la dechargede toute dette à l'egard de [la demanderesse], en tant que conjoint d'unfailli declare excusable.

L'article 82, alinea 2, de la loi sur les faillites dispose que `leconjoint du failli qui est personnellement oblige à la dette de son epouxest libere de cette obligation par l'effet de l'excusabilite'.

[La demanderesse] insiste sur ce que le credit souscrit solidairement parles epoux P.-B. en 1996 etait destine à l'acquisition par [ladefenderesse] de la part indivise de sa soeur C. dans l'immeuble communqu'elles avaient recueilli de la succession de leurs parents, soit unimmeuble propre à [cette defenderesse], de sorte qu' `il ne s'agit doncnullement d'une dette de monsieur P. dont [la defenderesse] seraitpersonnellement obligee'.

Le raisonnement defendu par [la demanderesse] quant à la destination ducredit ne peut etre suivi : selon les termes memes de la loi, seuleimporte la question si la dette est ou non une dette du failli. Or, `lasolidarite, nonobstant la pluralite de debiteurs tenus chacun pour letout, laisse subsister le principe de l'unite d'obligation. Il n'y aqu'une seule dette, dont plusieurs sont tenus au meme titre, et chacun dela totalite' (H. De Page, Traite elementaire de droit civil belge, t. III,nDEGs 341 et 318). Il en resulte d'ailleurs que, `de ce que la dette pese,pour le tout, sur chaque debiteur, (...) le creancier peut poursuivrecelui des debiteurs qu'il lui plait de choisir' (H. De Page, op. cit.,nDEG 342). En cas d'engagements solidaires, il est incontestable qu'ilexiste une seule dette à laquelle les codebiteurs sont l'un et l'autreobliges.

[La demanderesse] a d'ailleurs produit une declaration de creance à lafaillite de M. P. pour 57.955,47 euros.

[La defenderesse] est donc personnellement obligee à la dette de M. P.,tout comme ce dernier l'est egalement à la dette de son epouse.

Meme si le credit n'avait pas ete souscrit solidairement, [lademanderesse] aurait d'ailleurs ete en droit d'en poursuivre lerecouvrement à charge des epoux P.-B. maries sous le regime legal tantsur le patrimoine propre de chacun des epoux que sur le patrimoine commun,par application de l'article 1413 du Code civil, puisqu'il s'agissait`d'une dette contractee par les deux epoux'.

La doctrine invoquee par [la demanderesse], selon laquelle ne pourraitbeneficier de la decharge `par ricochet' le conjoint `concerne par ladette en ce sens qu'il est appele à en supporter tout ou partie du poidsau stade du recours contributoire' (Ch. Biquet-Mathieu et S. Notarnicola,`La protection des suretes personnelles dites faibles - le point apres laloi du 3 juin 2007 sur le cautionnement à titre gratuit', C.U.P., vol.100, p. 85, nDEG 73), ne peut etre suivie : elle introduit une exigencenon prevue par la loi et ne tient par ailleurs pas compte de l'absence detout recours contributoire entre conjoints ainsi que, en cas dedissolution du mariage, des regles specifiques qui gouvernent les comptesde recompense dans le cadre du regime legal applicable en l'espece.

La crainte denoncee par [la demanderesse] quant à des derives quipermettraient au failli de mettre artificiellement son patrimoine àl'abri en le faisant acquerir au nom de son conjoint n'est pas fondee, detelles constructions pouvant adequatement etre sanctionnees tant dans lecadre de l'octroi meme de l'excusabilite que des institutions de droitcommun telles l'action en declaration de simulation, l'action paulienne ouencore l'invocation d'une organisation frauduleuse d'insolvabilite.

Il ne peut davantage etre fait droit à la demande de questionprejudicielle à la Cour constitutionnelle, le libelle meme de la questionne mettant pas en evidence une eventuelle discrimination entre le conjointdu failli et une autre categorie de personnes par ailleurs non identifiee.

En sa qualite de conjoint du failli excuse, [la defenderesse] estdechargee de ses obligations resultant du pret et [la demanderesse] nepeut plus la poursuivre, ce qui fait obstacle à la mise en oeuvre de lagarantie hypothecaire donnee par elle.

A cet egard, la situation de [la defenderesse], conjoint qui a consentiune hypotheque sur un bien propre, ne peut etre assimilee à celle d'untiers affectant hypothecaire.

`Certes, il est acquis qu'un tiers affectant hypothecaire ne peutpretendre au benefice de la decharge prevue par l'article 80, alinea 3, dela loi sur les faillites au profit de la personne physique qui « à titregratuit s'est constituee surete personnelle du failli » puisqu'il n'estpas une surete personnelle et qu'il ne peut davantage pretendre àl'extinction de l'hypotheque ensuite de l'excusabilite accordee au failli,laquelle ne prevoit qu'une suspension du droit de poursuite à l'egard dece dernier (Liege, 15 octobre 2007, RG 2006/778), la Courconstitutionnelle ayant par ailleurs decide que ce regime n'etait pasdiscriminatoire (arrets nDEGs 12/2006 du 25 janvier 2006 et 42/2006 du 15mars 2006).

Mais, en l'espece, la situation du conjoint du failli est reglee par unedisposition specifique, l'article 82, alinea 2, de la loi sur lesfaillites, sans qu'elle doive etre examinee au regard de l'article 80,alinea 3, relatif aux suretes personnelles à titre gratuit. Precisement,l'article 82, alinea 2, place le conjoint sur le meme pied que le failliexcuse en sorte que, tout comme ce dernier, il ne peut plus etrepoursuivi, ce qui exclut toute mesure d'execution forcee à son egard, ycompris l'intentement de l'action hypothecaire par la saisie-execution del'immeuble' (Liege, 24 fevrier 2009, RG 2008/1069).

Il ne peut enfin rien etre deduit de ce que des paiements ont eteeffectues apres la declaration d'excusabilite de M. P. Il ne s'agit eneffet pas d'un probleme de reconnaissance de la creance de [lademanderesse], cette creance n'etant pas contestee dans son principe, maisde la possibilite pour le conjoint de beneficier de la decharge parapplication de l'article 82, alinea 2, de la loi sur les faillites, àlaquelle [la defenderesse] n'a pas - et n'aurait pu - renoncer.

Si [la demanderesse] doit etre condamnee à arreter les poursuitesentamees à l'egard de [la defenderesse] sur la base de l'acte authentiquedu 24 juin 1996, il ne peut en revanche etre fait droit en l'etat à lademande, non motivee, de mainlevee de l'hypotheque litigieuse dans lamesure ou cette hypotheque a ete consentie pour toutes sommes et que lacour [d'appel] ignore si [la defenderesse] a souscrit d'autres creditspersonnellement ».

Griefs

Premiere branche

L'article 82, alinea 1er, de la loi du 8 aout 1997 sur les faillites,modifie par la loi du 20 juillet 2005, dispose que, si le failli estdeclare excusable, il ne peut plus etre poursuivi par ses creanciers.

Cette disposition vise les dettes propres au failli, à savoir celles quise rapportent à son activite et à ses biens vises par les articles 7 et8 de la loi hypothecaire, dont le paiement a ete suspendu en raison de lafaillite en application de l'article 16 de la loi du 8 aout 1997 sur lesfaillites et au paiement desquelles, sans un engagement personnel duconjoint, seul le produit de la vente des biens meubles et immeublesdependant tant du patrimoine propre de l'epoux failli que du patrimoinecommun, à l'exception du patrimoine propre du conjoint du failli, auraitete affecte, ainsi qu'il ressort des articles 96 et 98 de la loi du 8 aout1997 sur les faillites.

Ce dernier article dispose notamment que le paiement des dettes communes,contractees par le failli dans l'exercice de sa profession et qui ne sontpas reglees par la liquidation de la faillite, ne peut etre poursuivi surle patrimoine propre du conjoint du failli.

L'article 96 de la loi precitee consacre, quant à lui, le droit descurateurs de proceder à la vente des biens meubles et immeubles,dependant tant du patrimoine propre de l'epoux failli que du patrimoinecommun, sans devoir disposer du consentement du conjoint.

Il ressort, en outre, de l'article 1414, alinea 2, point 3, du Code civilque ne peut etre poursuivi sur le patrimoine propre de l'epoux noncontractant le paiement des dettes contractees par un des epoux dansl'exercice de sa profession.

Le paiement d'une dette du failli ne pourra etre poursuivi sur lepatrimoine propre de chacun des epoux ainsi que sur le patrimoine communque si elle a ete contractee par les deux epoux, meme à des titresdifferents.

Aux termes du second alinea de l'article 82 de la loi du 8 aout 1997 surles faillites, modifie par la loi du 20 juillet 2005, le conjoint dufailli qui est personnellement oblige à la dette de son epoux est liberede cette obligation par l'effet de l'excusabilite.

Ainsi qu'il ressort du texte dudit article, lu à la lumiere des articlesprecites, cette liberation vise les dettes du failli, pour lesquelles leconjoint s'est engage, contractuellement ou legalement, en qualite detiers garant, et dont, en l'absence d'engagement en son chef, le paiementn'aurait pas pu etre poursuivi sur le patrimoine du conjoint, non concernepar la dette, à l'exclusion des dettes du conjoint.

Elle ne vise point les dettes contractees personnellement par le conjointen qualite de debiteur principal, serait-ce conjointement ou solidairementavec le failli, au benefice de son propre patrimoine ou se rapportant àson activite professionnelle.

Partant, il ne suffit pas de constater que les epoux ont pris tous deux unengagement vis-à-vis du creancier, encore faut-il examiner la nature decet engagement et notamment en determiner la cause.

S'il s'avere que la dette se rapporte, en fait, à l'activiteprofessionnelle du conjoint ou à son patrimoine propre, ou qu'elle n'aete contractee par le failli qu'en qualite de tiers garant de la dette deson conjoint, alors la condition que pose l'article 82, alinea 2, de laloi du 8 aout 1997, modifie par la loi du 2 fevrier 2005, pour la dechargedu conjoint du paiement de la dette ne sera pas remplie, la detteconcernee etant en fait la sienne. A tout le moins, il n'en sera libereque dans la proportion ou cette dette etait appelee à resterdefinitivement à charge du failli.

Aux termes de l'article 1200 du Code civil, il y a solidarite de la partdes debiteurs lorsqu'ils sont obliges à une meme chose, de maniere quechacun puisse etre contraint pour la totalite et que le paiement par unseul libere les autres envers le creancier.

L'article 1201 du Code civil dispose en outre que l'obligation peut etresolidaire quoique l'un des debiteurs soit oblige differemment de l'autreau paiement de la meme chose.

L'article 1210 du Code civil enonce en outre que le creancier peutconsentir à la division de la dette à l'egard d'un codebiteur, auquelcas il conserve son action solidaire contre les autres, mais sousdeduction de la part du debiteur qu'il a decharge de la solidarite.

Aux termes de l'article 1213 du Code civil, l'obligation contracteesolidairement envers le creancier se divise en effet de plein droit entreles debiteurs, qui n'en sont tenus entre eux que chacun pour sa part etportion.

L'article 1216 du Code civil dispose, en outre, que, si l'affaire pourlaquelle la dette a ete contractee solidairement ne concerne qu'un descoobliges solidaires, celui-ci sera tenu de toute la dette vis-à-vis desautres codebiteurs qui ne sont consideres par rapport à lui que comme sescautions.

En cette derniere hypothese, le cooblige ne figure à l'acte que commecodebiteur non concerne par la dette.

Il resulte de l'ensemble de ces dispositions legales que, si les debiteurssolidaires sont tenus à la meme chose, il n'empeche qu'il s'agit dans lechef de chacun d'eux d'une dette personnelle jusqu'à concurrence de sapart, à moins qu'un des codebiteurs ne se soit engage comme codebiteurnon concerne, auquel cas il n'intervient qu'en tant que tiers garant de ladette.

Partant, l'excusabilite du failli ne liberera point le conjoint, obligesolidairement, de son engagement, à tout le moins pas dans la mesure oucelui-ci est appele à rester definitivement à sa charge.

En l'espece, la demanderesse faisait valoir devant la cour d'appel que lecredit souscrit solidairement par les epoux P., maries sous le regimelegal, etait destine à l'acquisition par la defenderesse de la partindivise de sa soeur dans l'immeuble commun qu'elles avaient recueilli dela succession de leurs parents, soit un immeuble propre à cettedefenderesse conformement aux articles 1399 et 1400 du Code civil, ce quin'est pas mis en doute par la cour d'appel.

Partant, la dette se rapportait à un bien propre de la defenderesse et laconcernait personnellement.

Si, aux termes de l'article 1408 du Code civil, les dettes contracteesconjointement ou solidairement par les deux epoux sont communes et si, auxtermes de l'article 1413 du Code civil, le paiement d'une dette contracteepar les deux epoux, meme à des titres differents, peut etre poursuivitant sur le patrimoine propre de chacun des conjoints que sur lepatrimoine commun, il ressort de l'article 1432 du Code civil que l'epouxqui acquiert un bien propre au moyen de fonds communs est redevable d'unerecompense jusqu'à concurrence des sommes qu'il a prises sur lepatrimoine commun pour acquitter une dette.

Il s'ensuit que la dette, dont la demanderesse poursuivait le paiement àcharge de la defenderesse, etait pour cette derniere une dette qui etaitappelee à grever definitivement son patrimoine propre en son entierete,le failli ne s'etant engage solidairement avec cette defenderesse qu'entant que codebiteur non concerne de la dette, dont l'excusabilite de sonconjoint ne pouvait la liberer.

L'arret admet d'ailleurs explicitement que la dette à laquelle le faillis'etait engage etait la dette de son epouse.

A tout le moins, cette dette, souscrite par les deux epoux, qui enapplication de l'article 1213 du Code civil se divisait de plein droitentre eux, etait pour la moitie une dette personnelle de la defenderesse,dont l'excusabilite de son conjoint, et la decharge des dettes du failliqui en resultait, ne la liberait point.

Partant, au vu des constatations de l'arret, dont il ressort que la detteetait destinee au rachat par la defenderesse de la part indivise de sasoeur dans un immeuble dependant de la succession de leurs parents, soità l'acquisition d'un bien propre par celle-ci, et, partant, etaitetrangere à l'activite ou au patrimoine du failli, qui, selon les proprestermes de l'arret, s'etait engage à la dette de son epouse, n'a pudecider legalement qu'il s'agissait neanmoins d'une dette du failli, àtout le moins en sa totalite, au sens de l'article 82, alinea 2, de la loidu 8 aout 1997 sur les faillites, du paiement de laquelle la defenderesseetait totalement liberee en tant que conjoint (violation des articles 16,82, modifie par les lois du 2 fevrier 2005 et 20 juillet 2005, 96, 98 dela loi du 8 aout 1997 sur les faillites, 1200, 1201, 1210, 1213, 1216,1399, 1400, 1408, 1413, 1414, 1432 du Code civil, 7 et 8 de la loihypothecaire du 16 decembre 1851). A tout le moins, l'arret n'a-t-il pudecider legalement que la defenderesse etait, en sa qualite de conjoint dufailli excuse, dechargee de ses obligations resultant du pret, au seulmotif qu'il s'agissait d'un engagement solidaire, sans constaterprealablement que la defenderesse n'etait pas personnellement concerneepar la dette (violation des articles precites).

Deuxieme branche

Aux termes de l'article 159 de la Constitution, les cours et tribunauxn'appliqueront les arretes et reglements generaux, provinciaux et locaux,qu'autant qu'ils seront conformes aux lois.

De meme, il ne leur appartient pas de faire application d'une loiqualifiee d'inconstitutionnelle.

Aux termes de l'article 10 de la Constitution, les Belges sont egauxdevant la loi.

L'article 11 de la Constitution dispose, quant à lui, que la jouissancedes droits et libertes reconnus aux Belges doit etre assuree sansdiscrimination.

Si ces regles constitutionnelles ne font pas obstacle à ce qu'untraitement different soit etabli à l'egard de certaines categories depersonnes, un tel traitement distinct ne se justifie toutefois que pourautant que cette difference soit objectivement et raisonnablementjustifiee.

L'existence d'une telle justification est controlee à la lumiere du butet des effets de la disposition, ainsi qu'à celle de la justeproportionnalite entre les moyens utilises et le but vise.

L'article 82, alinea 1er, de la loi du 8 aout 1997 sur les faillites,modifie par la loi du 20 juillet 2005, dispose que, si le failli estdeclare excusable, il ne peut plus etre poursuivi par ses creanciers.Selon le deuxieme alinea dudit article, modifie par la loi du 2 fevrier2005, le conjoint du failli qui est personnellement oblige à la dette deson epoux est libere de cette obligation par l'effet de l'excusabilite.

Il ressort de l'article 82, alinea 2, de la loi du 8 aout 1997 sur lesfaillites, tel qu'il est interprete par l'arret, qu'il suffirait que lesdeux epoux aient contracte solidairement une meme dette pour quel'excusabilite du failli entraine la decharge du conjoint de cette detteet, partant, la disparition de la garantie hypothecaire, peu importe quecette dette ait pour objet l'acquisition par le conjoint d'un bien propre.

Il s'ensuit que, tout comme le conjoint, qui a souscrit comme codebiteurdu failli un emprunt, contracte par ce dernier dans le cadre de sonactivite professionnelle ou en vue d'acquerir un bien commun ou un bienpropre au failli, lequel constituera le gage commun des creanciers dufailli, le conjoint qui a contracte un emprunt, auquel a souscrit lefailli, en vue d'acquerir un bien propre, lequel echappera, quant à lui,au concours des creanciers du failli, pourrait opposer l'excusabilite deson epoux declare failli au creancier afin d'echapper à toute poursuitede la part de ce creancier sur ses biens propres.

Interpretee de la sorte, la loi traite de maniere identique le conjointqui s'est uniquement engage comme tiers garant du failli et celui quis'est engage conjointement ou solidairement avec le failli en vue del'enrichissement de son propre patrimoine, privant de la sorte lecreancier de ses droits de poursuite contre le conjoint, sans que cetraitement identique ne soit objectivement et raisonnablement justifie.

Partant, l'arret, qui estime qu'en application de l'article 82 de la loidu 8 aout 1997 sur les faillites, la defenderesse est liberee de la dettecontractee solidairement avec le failli aux fins de racheter la partindivise de sa soeur dans l'immeuble herite de leurs parents, faitapplication d'une disposition inconstitutionnelle (violation des articles10, 11, 159 de la Constitution et 82 de la loi du 8 aout 1997 sur lesfaillites, modifie par les lois des 2 fevrier 2005 et 20 juillet 2005).Des lors, la demanderesse invite la Cour, avant dire droit, à soumettre,en application de l'article 26, S: 2, de la loi speciale du 6 janvier 1989sur la Cour constitutionnelle, à cette cour la question prejudiciellesuivante : l'article 82, alinea 2, de la loi du 8 aout 1997 sur lesfaillites, modifie par la loi du 2 fevrier 2005, interprete en ce que leconjoint du failli est automatiquement libere relativement à une dettecontractee conjointement ou solidairement avec le failli, meme si celle-ciest contractee au profit du patrimoine propre du conjoint, viole-t-il lesarticles 10 et 11 de la Constitution, en ce qu'il traite de la sorte demaniere identique le conjoint qui s'est borne à se porter garant desengagements personnels du failli, sans en retirer un benefice pour sonpatrimoine propre, et celui qui a contracte cette dette, conjointement ousolidairement avec le failli, au profit de son patrimoine propre, privantdans les deux hypotheses le creancier de ses droits de poursuite contre leconjoint ?

Troisieme branche

Aux termes de l'article 41 de la loi hypothecaire, l'hypotheque est undroit reel sur les immeubles affectes à l'acquittement d'une obligation.Elle est, de sa nature, indivisible et subsiste en entier sur tous lesimmeubles affectes, sur chacun et sur chaque portion de ces immeubles.Elle les suit dans quelques mains qu'ils passent.

L'article 80 de la loi hypothecaire dispose que l'hypothequeconventionnelle n'est valable qu'autant que la somme pour laquelle elleest consentie est determinee dans l'acte (alinea 1er). L'hypothequeconsentie pour surete d'un credit ouvert est valable ; elle prend rang àla date de son inscription, sans egard aux epoques de l'execution desengagements pris par le crediteur, laquelle pourra etre etablie par tousmoyens legaux (alinea 3).

En vertu de l'article 87 de la loi hypothecaire, le creancier privilegieou hypothecaire, inscrit pour un capital produisant interets ou arrerages,a droit d'etre colloque, pour trois annees seulement, au meme rang quepour son capital, sans prejudice des inscriptions particulieres àprendre, portant hypotheque à compter de leur date, pour les autresinterets ou arrerages.

En vertu de l'article 108, 1DEG, de la loi hypothecaire, les privileges ethypotheques s'eteignent par l'extinction de l'obligation principale.

Il suit de l'ensemble de ces dispositions que le tiers affectanthypothecaire est tenu de la dette du debiteur, tant que cette dette n'apas ete satisfaite.

Aux termes de l'article 1234 du Code civil, les obligations s'eteignent :

- par le payement,

- par la novation,

- par la remise volontaire,

- par la compensation,

- par la confusion,

- par la perte de la chose,

- par la nullite ou la rescision,

- par l'effet de la condition resolutoire,

- par la prescription.

Enfin, il ressort de l'article 2036 du Code civil que la caution(personnelle ou reelle) ne peut opposer au creancier les exceptions quisont purement personnelles au debiteur.

Aux termes de l'article 82 de la loi du 8 aout 1997 sur les faillites,modifie par la loi du 20 juillet 2005, le failli qui est declare excusablene peut plus etre poursuivi par ses creanciers. L'excusabilite n'eteinttoutefois pas la dette qui continue d'exister.

Si l'article 82, alinea 2, de la loi du 8 aout 1997, modifie par la loi du2 fevrier 2005, dispose que le conjoint du failli qui est personnellementoblige à la dette de son epoux ou l'ex-conjoint qui est personnellementoblige à la dette de son epoux, contractee du temps du mariage, estlibere de cette obligation par l'effet de l'excusabilite et si, aux termesde l'article 80, alinea 3, de la loi du 8 aout 1997 sur les faillites,sauf lorsqu'elle a frauduleusement organise son insolvabilite, le tribunaldecharge en tout ou en partie la personne physique qui, à titre gratuit,s'est constituee surete personnelle du failli lorsqu'il constate que sonobligation est disproportionnee à ses revenus et à son patrimoine,aucune disposition ne prevoit la liberation de la caution reelle, peuimporte que cette caution reelle ait ete fournie par le conjoint.

En effet, la decharge du conjoint ne concerne que son engagement personnelau paiement de la dette du failli. Elle entraine la liberation du conjointde cet engagement ainsi que, le cas echeant, l'extinction de l'hypothequeaffectee à la garantie de l'obligation personnelle du conjoint.

Par contre, l'excusabilite laisse intacte la caution reelle en tantqu'elle garantit la dette du failli, laquelle n'est pas eteinte parl'excusabilite et, partant, n'a pas pu entrainer l'extinction del'hypotheque.

Il s'ensuit que, dans la mesure ou l'hypotheque fournie par le conjointgarantit non seulement son propre engagement, mais aussi celui du failli,cette hypotheque sera maintenue.

Partant, l'arret, qui constate que l'hypotheque etait affectee auremboursement du credit souscrit solidairement par les defendeurs et,partant, garantissait, non seulement l'obligation de la defenderesse, maisaussi celle du failli declare excusable, n'a pu legalement decider que lademanderesse ne pouvait plus poursuivre aucun paiement sur le bienhypotheque en raison de la decharge de la defenderesse (violation desarticles 41, 80, 87, 108, 1DEG, de la loi hypothecaire du 16 decembre1851, 1234, 2036 du Code civil, 80, alinea 3, et 82, modifie par les loisdu 2 fevrier 2005 et 20 juillet 2005, de la loi du 8 aout 1997 sur lesfaillites).

III. La decision de la Cour

Quant à la premiere branche :

En vertu de l'article 82, alinea 2, de la loi du 8 aout 1997 sur lesfaillites, le conjoint du failli qui est personnellement oblige à ladette de son epoux est libere de cette obligation par l'effet del'excusabilite.

L'application de cette disposition s'etend à l'hypothese ou le conjointdu failli est codebiteur avec celui-ci d'une dette contractee avant lafaillite par les deux epoux et dont le conjoint du failli est des lorspersonnellement tenu, meme si cette dette a ete souscrite au profit dupatrimoine propre du conjoint.

Le moyen, qui, en cette branche, repose sur le soutenement contraire,manque en droit.

Quant à la deuxieme branche :

L'arret attaque constate que :

- le 24 juin 1996, la defenderesse et feu M. P., son epoux, ont souscritsolidairement aupres de la societe anonyme HSA, dont la demanderesse arepris les droits et les obligations, un credit destine à permettrel'acquisition par la defenderesse d'un immeuble propre, etant la partindivise de sa soeur dans un immeuble dont elles avaient herite de leursparents, et que ce credit etait garanti par des hypotheques sur une maisonet un pre appartenant à la defenderesse seule ;

- la faillite de M. P. a ete declaree le 17 janvier 2002 et cloturee parun jugement du 20 octobre 2005, le failli etant reconnu excusable ;

- la demanderesse a fait proceder, le 28 octobre 2008, à unesaisie-execution immobiliere à charge de la defenderesse sur la base d'unjugement de condamnation de la defenderesse et de M. P.

L'arret considere qu' « en sa qualite de conjoint du failli excuse, [ladefenderesse] est dechargee de ses obligations resultant du pret » envertu de l'article 82, alinea 2, de la loi du 8 aout 1997 sur lesfaillites et que la demanderesse « ne peut plus la poursuivre ».

La demanderesse soutient qu'interprete en ce sens que le conjoint dufailli est automatiquement libere de toute dette qu'il a contracteeconjointement ou solidairement avec le failli, meme si cette dette a etesouscrite au profit du patrimoine propre de ce conjoint, l'article 82,alinea 2, de la loi du 8 aout 1997 sur les faillites traite d'une maniereidentique le conjoint qui s'est borne à se porter garant des engagementspersonnels du failli, sans en retirer un benefice pour son patrimoinepropre, et le conjoint qui a contracte cette dette, conjointement ousolidairement avec le failli, au profit de son patrimoine propre, privantdans les deux hypotheses le creancier de ses droits de poursuite contre leconjoint sans que ce traitement identique soit objectivement etraisonnablement justifie, en sorte qu'en faisant application de cetarticle 82, alinea 2, ainsi interprete, l'arret viole les articles 10 et11 de la Constitution.

Conformement à l'article 26, S: 1er, 3DEG, de la loi speciale du 6janvier 1989, la Cour constitutionnelle statue, à titre prejudiciel, parvoie d'arret, sur les questions relatives à la violation par une loi desarticles 10 et 11 de la Constitution.

En vertu de l'article 26, S: 2, de cette loi speciale, la Cour est tenuede poser à la Cour constitutionnelle la question libellee au dispositifdu present arret.

Par ces motifs,

La Cour

Sursoit à statuer jusqu'à ce que la Cour constitutionnelle ait reponduà la question prejudicielle suivante :

Interprete en ce sens que le conjoint du failli est libere de toute dettequ'il a contractee conjointement ou solidairement avec le failli, meme sicette dette a ete souscrite au profit du patrimoine propre de ce conjoint,l'article 82, alinea 2, de la loi du 8 aout 1997 sur les faillitesviole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'il traited'une maniere identique le creancier du conjoint qui s'est borne à seporter garant des engagements personnels du failli, sans en retirer unbenefice pour son patrimoine propre, et le creancier du conjoint qui acontracte cette dette, conjointement ou solidairement avec le failli, auprofit de son patrimoine propre, privant dans les deux hypotheses lecreancier de ses droits de poursuite contre le conjoint ?

Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president Christian Storck, le president de section AlbertFettweis, les conseillers Sylviane Velu, Martine Regout et MireilleDelange, et prononce en audience publique du huit juin deux mille douzepar le president Christian Storck, en presence de l'avocat general ThierryWerquin, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.

+---------------------------------------------+
| P. De Wadripont | M. Delange | M. Regout |
|-----------------+-------------+-------------|
| S. Velu | A. Fettweis | Chr. Storck |
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8 JUIN 2012 C.11.0080.F/1


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.11.0080.F
Date de la décision : 08/06/2012

Origine de la décision
Date de l'import : 05/10/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2012-06-08;c.11.0080.f ?
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