Cour de cassation de Belgique
Arret
NDEG P.11.1061.N
I
D.J.V.,
prevenu,
demandeur,
Me Katia Bouve, avocat au barreau de Bruges.
II
AUTOBEDRIJF VIAENE sa,
prevenue,
demanderesse.
I. La procedure devant la Cour
Les pourvois sont diriges contre l'arret rendu le 6 mai 2011 par la courd'appel de Gand, chambre correctionnelle.
Les demandeurs invoquent chacun deux moyens dans un memoire identiqueannexe au present arret, en copie certifiee conforme.
Le president de section Etienne Goethals a fait rapport.
Le premier avocat general Marc De Swaef a conclu.
II. La decision de la Cour
Sur le premier moyen :
1. Le moyen invoque la violation des articles 6.1 de la Convention desauvegarde des droits de l'homme et des libertes fondamentales et14.1 du Pacte international relatif aux droits civils etpolitiques : il resulte de la jurisprudence de la Cour europeennedes Droits de l'homme qu'une mesure de demolition peut etreconsideree comme une "peine" au sens de l'article 6 de laConvention ; le droit à un proces equitable, tel qu'il estconsacre aux articles 6.1 de la Convention et 14.1 du Pacteimplique qu'un prevenu doit pouvoir employer tous les moyenspossibles pour eviter cette "peine", notamment afin de critiquer lademande de reparation de l'administration et d'en contester lajustesse, sans etre en aucune maniere tenu par cette demande del'administration; le droit à un proces equitable est viole lorsquele demandeur ne serait plus en mesure de contester certains aspectsmateriels utiles à sa defense; par consequent, l'arret considere,à tort, qu'il peut uniquement apprecier la legalite, mais nonl'opportunite de la mesure de reparation choisie parl'administration.
2. En vertu de l'article 159 de la Constitution, le juge doitcontroler si la decision de l'inspecteur urbaniste de demander unemesure de reparation determinee a ete prise exclusivement en vued'un bon amenagement du territoire. Lorsque la legalite de lademande de reparation est contestee, le juge doit particulierementverifier si cette demande n'est pas manifestement deraisonnable,plus precisement si l'avantage de la mesure de reparation demandeeen faveur d'un bon amenagement du territoire est proportionnel àla charge qui en resulte pour le contrevenant. Le juge ne peutdeterminer lui-meme la mesure de reparation raisonnable, maisuniquement decider si l'administration a pu raisonnablement deciderde demander un mode de reparation determine. Compte tenu du pouvoird'appreciation et de politique de l'administration, le juge ne peutcontroler cette decision qu'à titre marginal. Ainsi, il ne rejettela demande de reparation que si celle-ci est manifestementderaisonnable. La notion de `caractere manifestement deraisonnable'n'est, en outre, pas le critere qui fonde l'appreciation de lamesure de reparation demandee. Par contre, il suggere la maniere dujuge d'exprimer son appreciation quant au caractere raisonnable dela decision administrative, à savoir avec la reserve que requiertla competence discretionnaire de l'administration.
3. Le juge qui, conformement au principe de proportionnalite del'article 1er du Protocole additionnel nDEG 1 à la Convention desauvegarde des droits de l'homme et des libertes fondamentales,constate que la reparation demandee par les autorites repond à lacondition d'equilibre legitime entre un bon amenagement duterritoire et le droit du contrevenant à une jouissance paisiblede la propriete, ne peut, sur la base de l'article 6.1 de laConvention, s'immiscer dans la politique de l'administration enrejetant neanmoins sa demande de reparation raisonnablement motiveeau seul motif qu'une autre mesure lui semble personnellement plusappropriee.
Le moyen manque en droit.
Sur le second moyen :
Quant à la premiere branche :
4. Le moyen, en cette branche, invoque la violation des articles 6.2 de laConvention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertesfondamentales, 14.2 du Pacte international relatif aux droits civils etpolitiques, 149, S: 1er, du decret du 18 mai 1999 portant organisation del'amenagement du territoire, 6.1.41, S: 1er, du Code flamand del'Amenagement du territoire, 1382 et 1383 du Code civil, ainsi que duprincipe general du droit de la personnalite des peines : les demandeurssont à tort condamnes à eliminer le revetement en gravillons et àapporter du terreau afin de rendre au terrain une destination agricole ;le revetement existait dejà en partie avant l'acte punissable desdemandeurs et l'apport de terreau aux fins d'un usage agricole n'etaitplus possible; les demandeurs sont ainsi punis au sens de l'article 6.1 dela Convention du fait d'autrui, ce qui est contraire au principe generaldu droit, consacre à l'article 6.2 de ladite Convention, de lapersonnalite des peines, qui interdit de prononcer une peine, à moinsd'un lien entre la personne à punir et l'agissement punissable.
5. La constatation que la remise des lieux en leur pristin etat est une« peine » au sens de l'article 6.1 de la Convention de sauvegarde desdroits de l'homme et des libertes fondamentales n'implique pas la naturepenale de cette mesure dans la legislation belge au point d'entrainerl'application des dispositions generales du droit penal et du droit de laprocedure penale belges, notamment du principe general de la personnalitedes peines.
6. Pour la fixation de la peine au sens du Code penal, la gravite del'infraction declaree etablie et la culpabilite du prevenu constituent lefondement sur lequel le juge fixe le taux de la peine et le type de peinedans les limites definies par la loi. Eu egard à cette marge demanoeuvre, la peine à prononcer sera fonction de la part du prevenu dansla situation illegalement creee.
7. Par contre, la necessite de maintenir le bon amenagement du territoireet de le restaurer là ou cela s'avere necessaire, ne laisse aucune place,du chef de la nature meme de la demande de reparation tendant à annulerles effets de l'infraction, à la fixation de la peine sur la base demotifs ne concernant que la personnalite de l'auteur et incompatibles avecl'objectif poursuivi par la loi.
8. Le trouble en partie preexistant cause au bon amenagement du territoirepar le fait d'autrui ne fait pas obstacle à l'obligation pour le prevenude reparer integralement la situation à laquelle il a lui-meme contribuepar ses travaux illegaux.
Le moyen, en cette branche, manque en droit.
Quant à la deuxieme branche :
9. Le moyen, en cette branche, invoque la violation des articles 6.2 de laConvention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertesfondamentales, 14.2 du Pacte international relatif aux droits civils etpolitiques, 149, S: 1er, du decret de la Region flamande du 18 mai 1999portant organisation de l'amenagement du territoire, 6.1.41, S: 1er, duCode flamand de l'Amenagement du territoire, 1319, 1320, 1322, 1382 et1383 du Code civil, ainsi que du principe general du droit de lapersonnalite des peines: les demandeurs sont à tort condamnes à eliminerle revetement en gravillons et à apporter du terreau afin de rendre auterrain une destination agricole ; l'arret ne tient pas compte del'obligation imposee par le ministre competent à un tiers, consistant àdonner un nouveau revetement à une partie de la parcelle concernee apresl'execution de certains travaux d'excavation d'utilite publique, l'arreteministeriel devant etre considere comme une regularisation; les jugesd'appel ont meconnu la foi due à cet arrete ; les demandeurs ne peuventpas etre tenus pour responsables du reamenagement d'une partie durevetement, ce travail n'ayant pas ete effectue par leurs soins.
10. Il appartient au juge, lorsqu'il apprecie la reparation demandee,d'examiner dans quelle mesure il a ete mis fin à la situation illegaleresultant de l'infraction urbanistique, et de tenir compte, à cet egard,des autorisations urbanistiques entre-temps octroyees.
11. La decision ministerielle d'etablissement d'une servitude d'utilitepublique n'est pas un permis de regularisation mettant fin au troublecause à l'amenagement du territoire par l'infraction urbanistique.
Le moyen, en cette branche, manque en droit.
12. En considerant que la servitude octroyee ne comprend que la demolitiontemporaire et, apres l'execution des travaux de terrassement, leretablissement du revetement realise par les demandeurs pour lestationnement des vehicules, de meme que les clauses de la conventiond'etablissement de la servitude ne font pas obstacle au retablissement del'utilisation du bien en conformite avec la destination agricole, lesjuges d'appel ont confere à l'arrete ministeriel du 6 fevrier 2007, envertu duquel « l'entrepreneur a pour tache de remettre les terrains enleur pristin etat apres les travaux, la cloture devant etre replacee dansun bon etat », une interpretation qui n'est pas inconciliable avec sestermes. (p. 4)
Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, manque en fait.
Controle d'office :
13. Les formalites substantielles ou prescrites à peine de nullite ontete observees et les decisions sont conformes à la loi.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette les pourvois ;
Condamne les demandeurs aux frais de leur pourvoi.
Ainsi juge par la Cour de cassation, deuxieme chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Etienne Goethals, les conseillers LucVan hoogenbemt, Filip Van Volsem, Alain Bloch et Antoine Lievens, etprononce en audience publique du vingt-quatre avril deux mille douze parle president de section Etienne Goethals, en presence du premier avocatgeneral Marc De Swaef, avec l'assistance du greffier Kristel VandenBossche.
Traduction etablie sous le controle du president de section chevalier Jeande Codt et transcrite avec l'assistance du greffier Fabienne Gobert.
Le greffier, Le president de section,
24 avril 2012 P.11.1061.N/1