Cour de cassation de Belgique
Arret
86
NDEG P.11.1545.F
I. L'AGENCE FEDERALE DE CONTROLE NUCLEAIRE, etablissement public dont lesiege est etabli à Bruxelles, rue Ravenstein 36,
II. L'AGENCE FEDERALE DE CONTROLE NUCLEAIRE, mieux qualifiee ci-dessus,
III. L'AGENCE FEDERALE DE CONTROLE NUCLEAIRE, mieux qualifiee ci-dessus,
partie poursuivante,
demanderesse en cassation,
ayant pour conseils Maitres Patrick Hofstro:ssler et Sofie Hoogers,avocats au barreau de Bruxelles,
les trois pourvois contre
D. Y.
prevenu,
defendeur en cassation.
I. la procedure devant la cour
Les pourvois sont diriges contre les jugements rendus le 6 octobre 2010,le 16 fevrier 2011 et le 18 mai 2011 par le tribunal correctionnel de Huystatuant en dernier ressort sur une requete du defendeur en contestationd'une amende administrative infligee par la demanderesse.
La demanderesse invoque onze moyens dans un memoire annexe au presentarret, en copie certifiee conforme.
Le president de section chevalier Jean de Codt a fait rapport.
L'avocat general Raymond Loop a conclu.
II. les faits
Le 7 septembre 2005, un inspecteur de 1'Agence federale de controlenucleaire a constate la presence d'un paratonnerre radioactif, contenantdu radium, sur le toit de la ferme du chateau situee à Ferrieres, rue duVieux Tilleul. Le batiment appartient à Y. D. qui a ete mis en demeure,le 21 octobre 2005, d'enlever ce paratonnerre dans les six mois.
Le defendeur a laisse s'ecouler le delai imparti sans enlever leparatonnerre. Il s'en est explique notamment en invoquant le cout eleve de1'enlevement, lequel ne peut se faire que par une entreprise specialisee.Il a egalement invoque le peu de danger de l'installation.
Le 27 juin 2006, 1'agence federale a constate que 1'objet etait toujourslà. Elle a adresse un rappel au contrevenant, avec un nouveau delai d'unmois.
Pres de trois ans plus tard, le 29 mars 2009, un inspecteur de 1'agence areleve la presence persistante du paratonnerre. Cette fois, il a etedresse proces-verbal à charge du defendeur du chef d'infraction àl'article 64.1, d, de 1'arrete royal du 20 juillet 2001 portant reglementgeneral de la protection de la population, des travailleurs et de1'environnement, contre le danger des rayonnements ionisants.
Le 10 juillet suivant, le procureur du Roi a fait savoir qu'il avaitdecide de ne pas poursuivre.
Le 15 octobre 2009, apres une procedure contradictoire, la demanderesse anotifie au defendeur, par recommande avec accuse de reception, sa decisionde lui infliger une amende de deux mille euros. L'interesse a ete prevenuqu'il pouvait faire appel dans le mois, à peine de decheance.
Le defendeur a pris contact avec le mediateur federal en vue d'obtenir unediminution de 1'amende. Il a obtenu gain de cause en ce sens que, pardecision du 25 novembre 2009, 1'agence de controle a ramene le montant àmille deux cents euros.
Toutefois, le defendeur a, entre-temps, soit le 19 novembre 2009, saisi letribunal correctionnel de Huy d'une requete d'appel, sur la base del'article 59 de la loi du 15 avril 1994 relative à la protection de lapopulation et de 1'environnement contre les dangers resultant desrayonnements ionisants et relative à l'Agence federale de controlenucleaire. Cette requete, introduite plus d'un mois apres la notificationde 1'amende, tendait à obtenir une reduction de celle-ci.
Par jugement du 6 octobre 2010, le tribunal correctionnel de Huy a rejetela fin de non-recevoir opposee au recours par la demanderesse. Celle-cirelevait que l'appel avait ete introduit hors delai. Le jugement decide aucontraire que 1'appel est recevable, parce que le delai d'un mois n'a paspu prendre cours, en application de l'article 2, 4DEG, de la loi du 11avril 1994 relative à la publicite de 1'administration. L'acte par lequel1'amende avait ete notifiee au contrevenant n'indiquait pas, en effet, letribunal competent pour connaitre du recours.
Le jugement du 6 octobre 2010, statuant avant dire droit, ordonne parailleurs la production, par la demanderesse, des pieces etablissant ladelegation de la personne ayant inflige 1'amende au defendeur.
C'est le premier jugement attaque.
Par jugement du 8 decembre 2010, rendu par defaut à l'egard de lademanderesse, le tribunal a constate que la piece sollicitee n'avait pasete produite. Il a prononce la nullite de la decision du 15 octobre 2009.
L'agence federale a fait opposition le 22 decembre 2010. Cette oppositiona ete jugee recevable par le jugement du 16 fevrier 2011, lequel fixe lacause au 16 mars suivant. Ce jugement decide que la question de lacompetence du tribunal correctionnel pour connaitre du recours dudefendeur a ete implicitement mais certainement tranchee le 6 octobre2010, puisque la juridiction s'est prononcee sur la recevabilite durecours.
C'est le deuxieme jugement attaque.
Par jugement du 18 mai 2011, enfin, le tribunal a decide que la decisioninfligeant 1'amende administrative etait nulle et qu'il ne pouvait pas sesubstituer à la demanderesse, evoquer le fond et statuer lui-meme sur1'amende à prononcer. Le tribunal a considere qu'il n'avait pas cepouvoir et que le delai pour infliger l'amende etait de toute fac,ondepasse.
C'est la troisieme decision attaquee.
Le 3 juin 2011, 1'Agence federale de controle nucleaire a releve appel desjugements du 6 octobre 2010, du 16 fevrier 2011 et du 18 mai 2011.
Le meme jour, la demanderesse s'est pourvue en cassation contre lesditsjugements.
III. la decision de la cour
A. Sur le pourvoi dirige contre le jugement du 6 octobre 2010 :
Sur le premier moyen :
En vertu de l'article 59 de la loi du 15 avril 1994, 1'auteur d'uneinfraction à ladite loi ou à ses arretes d'execution peut interjeterappel, par voie de requete aupres du tribunal competent, contre ladecision de 1'Agence federale de controle nucleaire lui infligeant, duchef de ladite infraction, une amende administrative.
Etant punies, par l'article 50 de la loi, d'une amende de mille à unmillion d'euros et d'un emprisonnement de trois mois à deux ans ou d'unede ces peines seulement, les infractions visees par cette loi constituentdes delits et relevent, par consequent, de la competence des tribunauxcorrectionnels, conformement à l'article 179 du Code d'instructioncriminelle.
La decision du procureur du Roi de ne pas poursuivre et celle de 1'agencede controle d'entamer la procedure administrative n'enlevent pas aux faitsleur nature delictuelle.
Ni 1'appel interjete contre une amende administrative infligee du chefd'un delit ni les conclusions de la partie poursuivante tendant à laconfirmation de 1'amende, ne ressortissent aux demandes que l'article 568du Code judiciaire attribue au tribunal civil de premiere instance.
Il en resulte que le tribunal vise à l'article 59 de la loi precitee estle tribunal correctionnel.
Soutenant le contraire, le moyen manque en droit.
Sur le dixieme moyen :
La demanderesse fait valoir que le tribunal correctionnel etaitirregulierement saisi des lors qu'il ne 1'a pas ete selon un des modesprevus limitativement par l'article 182 du Code d'instruction criminelle.
La disposition legale invoquee ne s'applique pas au tribunal correctionnelstatuant, comme en 1'espece, en degre d'appel, auquel cas c'est l'acted'appel qui le saisit.
Le moyen ne peut etre accueilli.
Sur le onzieme moyen :
La demanderesse reproche au tribunal correctionnel d'avoir meconnu sesdroits de defense en refusant de se prononcer d'emblee sur le defautd'objet dont la requete du defendeur etait, d'apres elle, entache.
Le jugement ne se derobe pas à 1'examen demande mais le reporte à uneaudience ulterieure, en attendant la production des documents necessaires,selon le tribunal, pour verifier la legalite tant de la decision visee parla requete que de la decision qui l'aurait remplacee et dont lademanderesse a deduit le defaut d'objet.
Les juges d'appel n'ont pas, de la sorte, encouru le grief allegue.
Le moyen ne peut etre accueilli.
Le controle d'office
Les formalites substantielles ou prescrites à peine de nullite ont eteobservees et la decision est conforme à la loi.
B. Sur le pourvoi dirige contre le jugement du 16 fevrier 2011 :
Sur les deuxieme et troisieme moyens :
La demanderesse soutient que les juges d'appel n'ont pas pu legalementattribuer à leur jugement avant dire droit du 6 octobre 2010, la porteed'une decision statuant de maniere definitive, avec autorite de chosejugee et sans recours possible, sur la competence du tribunalcorrectionnel.
Le refus des juges d'appel de se prononcer à nouveau sur cette questionn'inflige pas grief à la demanderesse, des lors, ainsi qu'il ressort dela reponse au premier moyen, qu'elle n'etait pas fondee à contester lacompetence de la juridiction penale et que le tribunal correctionneln'aurait pas pu legalement la decliner.
Denues d'interet, les moyens sont irrecevables.
Le controle d'office
Les formalites substantielles ou prescrites à peine de nullite ont eteobservees et la decision est conforme à la loi.
C. Sur le pourvoi dirige contre le jugement du 18 mai 2011 :
Sur les quatrieme et cinquieme moyens :
La demanderesse soutient à nouveau que les juges d'appel n'ont pas pulegalement attribuer à leur jugement avant dire droit du 6 octobre 2010la portee d'une decision statuant definitivement et avec autorite de chosejugee sur la competence du tribunal correctionnel.
A le supposer illegal, le refus des juges d'appel de proceder à un nouvelexamen de cette question ne saurait exposer leur decision à la censurepuisque le tribunal correctionnel, comme indique ci-dessus, n'aurait paspu se declarer incompetent.
Denues d'interet, les moyens sont irrecevables.
Sur le sixieme moyen :
La demanderesse reitere 1'affirmation suivant laquelle seule la sectioncivile du tribunal de premiere instance peut connaitre de 1'appel vise à1'article 59 de la loi du 15 avril 1994.
Parce que cet appel a pour objet une infraction, qu'il ne constitue pasune demande au sens de l'article 568 du Code judiciaire et que1'infliction d'une amende administrative n'ote pas au fait son caracterede delit, le recours institue à l'article 59 susdit ressortit à lacompetence materielle du tribunal correctionnel.
Le moyen manque en droit.
Sur le septieme moyen :
La demanderesse reproche au jugement de violer l'article 1138, 2DEG, duCode judiciaire, en declarant de nul effet ses decisions des 15 octobre et25 novembre 2009, alors que la requete d'appel ne visait que la premieredecision et ne tendait qu'à obtenir une reduction du montant de 1'amende.
Si le principe dispositif regit le droit judiciaire prive, en ce compris1'action civile portee devant le juge repressif, et sous reserve desexceptions qu'appelle l'ordre public, la procedure penale n'est pas regiepar ce principe.
La disposition dont le moyen accuse la violation ne s'applique des lorspas au tribunal correctionnel qui, saisi de la connaissance d'un delitfrappe d'une amende administrative, est appele à statuer sur la legalitede celle-ci.
Le moyen manque en droit.
Sur le huitieme moyen :
Par voie de conclusions deposees à 1'audience du 16 mars 2011, lademanderesse a soutenu (pages 17 et 18) qu'en vertu de l'article 2 de1'arrete royal du 20 decembre 2007 fixant les modalites de la procedureadministrative de payement des amendes administratives instaurees par laloi du 15 avril 1994, la personne visee à l'article 56 de la loi commeayant la competence d'infliger les amendes est le directeur general ou sondelegue.
En produisant à 1'appui de ses dires l'organigramme de 1'agence ainsiqu'une instruction mise en application le 14 juillet 2008 et relative àla procedure d'imposition des amendes par ses departements operationnels(pieces 26 et 27 de son dossier), la demanderesse a fait valoir en outre,d'une part, que le signataire de la decision querellee est le directeurd'un des trois departements operationnels de 1'agence, d'autre part, quele directeur general a habilite les directeurs de ces trois departements,par une mesure d'ordre interne non sujette à publicite, à infliger desamendes administratives, chacun en ce qui concerne les activites de sondepartement, et enfin, que cette habilitation attestee par les documentsproduits est la delegation prevue à l'article 2 de 1'arrete royal susdit,en maniere telle que le delegataire est, de par la loi, investi de lacompetence de sanction qu'elle lui attribue.
L'affirmation suivant laquelle la demanderesse ne prouve pas que sondirecteur general « a valablement delegue sa competence de sanction » ausignataire de la decision du 15 octobre 2009 ne repond pas à cettedefense.
A cet egard, le moyen est fonde.
Il n'y a pas lieu d'examiner le neuvieme moyen qui ne saurait entrainerune cassation sans renvoi.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Casse le jugement attaque rendu le 18 mai 2011 ;
Rejette les pourvois pour le surplus ;
Ordonne que mention du present arret sera faite en marge du jugement casse;
Condamne la demanderesse aux deux tiers des frais de son pourvoi et ledefendeur au tiers restant ;
Renvoie la cause, ainsi limitee, au tribunal correctionnel de Liege,jugeant en dernier ressort.
Lesdits frais taxes en totalite à la somme de neuf cent cinquante-troiseuros quarante-quatre centimes dont quatre cent onze euros quarante-cinqcentimes dus et cinq cent quarante et un euros nonante-neuf centimes payespar cette demanderesse.
Ainsi juge par la Cour de cassation, deuxieme chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le chevalier Jean de Codt, president de section, president,Frederic Close, president de section, Benoit Dejemeppe, Pierre Cornelis etGustave Steffens, conseillers, et prononce en audience publique duvingt-cinq janvier deux mille douze par le chevalier Jean de Codt,president de section, en presence de Raymond Loop, avocat general, avecl'assistance de Tatiana Fenaux, greffier.
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| T. Fenaux | G. Steffens | P. Cornelis |
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| B. Dejemeppe | F. Close | J. de Codt |
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25 JANVIER 2012 P.11.1545.F/11