Cour de cassation de Belgique
Arret
1925
NDEG D.10.0007.F
V. D.,
demandeur en cassation,
represente par Maitre Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 149, ou il estfait election de domicile,
contre
INSTITUT PROFESSIONNEL DES COMPTABLES ET FISCALISTES AGREES, dont le siegeest etabli à Ixelles, avenue Legrand, 45,
defendeur en cassation,
represente par Maitre Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation, dontle cabinet est etabli à Bruxelles, rue Brederode, 13, ou il est faitelection de domicile.
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre la sentence prononcee le 17 mars2010 par la chambre d'appel francophone de l'Institut professionnel descomptables et fiscalistes agrees.
Le conseiller Christine Matray a fait rapport.
L'avocat general Thierry Werquin a conclu.
II. Le moyen de cassation
Le demandeur presente un moyen libelle dans les termes suivants :
Dispositions legales violees
- article 149 de la Constitution ;
- articles 1er, 2, 2bis et 3 du Code de commerce ;
- article 2, 5DEG, de la loi du 16 janvier 2003 portant creation d'unebanque-carrefour des entreprises, modernisation du registre du commerce,creation de guichets-entreprises agrees et portant diverses dispositions ;
- articles 61, 517, 521 et 522 du Code des societes ;
- articles 38, 49 et 50, S: 1er, 2DEG, de la loi du 22 avril 1999 relativeaux professions comptables et fiscales ;
- article 21 du code de deontologie etabli par l'Institut professionneldes comptables, rendu obligatoire par l'arrete royal du 23 decembre 1997(article 1er), et, pour autant que de besoin, article 1er dudit arreteroyal du 23 decembre 1997 portant approbation du code de deontologie del'Institut professionnel des comptables.
Decisions et motifs critiques
La decision attaquee « confirme la decision prononc,ant la sanctiondisciplinaire de blame prise par la chambre executive le 30 novembre 2009à l'encontre » du demandeur.
Elle se fonde sur les motifs suivants :
« La problematique relative à la directive du 8 mai 1998 edictee par leconseil national de l'Institut professionnel des comptables et fiscalistesagrees depassant sa loi d'habilitation qu'est l'article 21 du code dedeontologie est exposee à la chambre d'appel par Maitre Gilles Carnoy.
La chambre d'appel prend acte de cet argument et questionne plusspecifiquement (le demandeur) quant à son role aupres de la societeResidentia Management.
(Le demandeur) argue ne pas recevoir de remuneration pour le mandat derepresentant permanent de l'administrateur Anzac Real Estate aupres de lasociete Residentia Management, neanmoins il declare facturer en son nompropre les conseils apportes à cette societe.
Conformement aux conclusions de Maitre Gilles Carnoy et à sesexplications lors de l'audience du 4 mars 2010, le Code des societesassimile les fonctions d'administrateur et de representant permanent(article 61, S: 2, du Code des societes).
En suivant la motivation developpee par [le demandeur] et son conseil, lemandat detenu est frappe de l'interdiction de l'article 21 du code dedeontologie s'il en est tire un avantage economique.
En declarant facturer ses conseils de la sorte à la societe ResidentiaManagement, le comptable poursuivi reconnait à l'audience qu'il tire unavantage financier indirect du mandat detenu aupres de cette societe,outre le probleme de manque d'independance pose par cette situation,manquement non poursuivi dans le cadre de la presente procedure.
En l'espece, (le demandeur) beneficie d'un avantage economique, reconnutant par lui que par son conseil, et interdit par l'article 21 du code dedeontologie.
Des lors, et au vu des declarations [du demandeur] et de l'argumentationdeveloppee par son conseil, la chambre d'appel decide de suivre la theserestrictive developpee par ceux-ci.
La sanction de blame prononcee par la chambre executive doit egalementetre confirmee compte tenu notamment de la duree du comportementreproche ».
Griefs
1. L'article 21 du code de deontologie etabli par l'Institut professionneldes comptables et rendu obligatoire par l'article 1er de l'arrete royal du23 decembre 1997 dispose certes que « la profession de comptable I.P.C.est incompatible avec toute activite artisanale ou commerciale, qu'ellesoit exercee directement ou indirectement, individuellement ou enassociation ou societe en tant qu'independant ».
Ce texte est cependant d'interpretation restrictive. Il n'interdit aucomptable I.P.C.F. que l'exercice à titre personnel d'une activitecommerciale ou artisanale, soit directement en son nom et pour son proprecompte, soit indirectement par une personne interposee qui agit pour lecompte de ce comptable ou, à tout le moins, au moins partiellement dansson interet economique.
Par ailleurs, les notions d'activites commerciales ou artisanales au sensde l'article 21 du code de deontologie doivent, à defaut de definitionparticuliere, s'entendre au sens usuel des articles 1er à 3 du Code decommerce et de l'article 2, 5DEG, de la loi du 16 janvier 2003 portantcreation d'une banque-carrefour des entreprises, modernisation du systemedu commerce, creation de guichets-entreprises agrees et portant diversesdispositions.
2. Or, ni l'exercice d'un mandat d'administrateur d'une societe anonyme(articles 61, S: 1er, 517 et 522 du Code des societes) ni l'exercice d'unmandat de representant permanent d'une personne morale administrateurd'une societe anonyme (article 61, S: 2, du Code des societes) neconferent à celui qui l'exerce la qualite de commerc,ant. L'exercice depareils mandats ne constitue pas davantage des actes de commerce.
En effet, n'ont la qualite de commerc,ant que « ceux qui exercent desactes qualifies de commerciaux par la loi et qui en font leur professionhabituelle, soit à titre principal, soit à titre d'appoint » (article1er du Code de commerce). Or, le mandat d'administrateur de societeanonyme ou celui de representant permanent d'une personne morale,administrateur d'une societe anonyme, ne sont pas repris dansl'enumeration des articles 2, 2bis et 3 du Code de commerce definissantles actes commerciaux. Il importe peu à cet egard que les mandats soientexerces à titre onereux ou à titre gratuit.
L'administrateur d'une societe anonyme ou le representant permanent depareil administrateur, personne morale, qui agissent au nom de la societene contractent en effet aucune obligation personnelle relative auxengagements de la societe (article 61, S: 1er in fine, du Code dessocietes pour les membres du conseil d'administration et article 61, S: 2,alinea 3, du Code des societes pour les representants permanents lus encombinaison avec les articles 517, 521 et 522 du Code des societes).
3. L'exercice de pareils mandats ne confere pas davantage à celui qui lesexerce la qualite d'artisan.
Il ne constitue en effet pas en tant que telle une activite artisanale ausens de l'article 2, 5DEG, de la loi du 16 janvier 2003, soit une« entreprise creee par une personne privee qui exerce habituellement enBelgique, en vertu d'un contrat de prestations de services, principalementdes actes materiels, ne s'accompagnant d'aucune livraison de biens ouseulement à titre occasionnel, et qui est ainsi presumee avoir la qualited'artisan ». Par ailleurs, la societe en cause eut-elle meme pu avoir uneactivite artisanale, quod non, pareille activite serait propre à cettesociete et non à celle de ses administrateurs ou aux representantspermanents de ses administrateurs qui ne contractent aucune obligationpersonnelle relative aux engagements de la societe (articles 61, S:S: 1erin fine et 2, alinea 3, 517, 521 et 522 du Code des societes).
4. Enfin, d'une part, la fonction d'administrateur d'une societe anonymeou de representant permanent implique necessairement que celui quil'exerce fasse beneficier cette societe de ses conseils et de sonexperience (articles 61, 517, 521 et 522 du Code des societes). D'autrepart, un membre de l'Institut professionnel des comptables et fiscalistesagrees peut legalement donner, à titre personnel, des conseils remuneresà des clients, personnes physiques ou morales, pour autant que ceux-ci nesoient pas incompatibles avec son statut de membre de cet institut(articles 38 et 49 de la loi du 22 avril 1999 relative aux professionscomptables et fiscales).
La simple circonstance qu'un comptable-fiscaliste agree, administrateurd'une societe anonyme ou representant permanent d'un administrateur,personne morale, de pareille societe soit remunere pour les conseils qu'ildonne à cette societe n'implique des lors pas qu'il exercerait uneactivite prohibee au sens de l'article 21 du code de deontologie del'Institut professionnel des comptables. Pareil « avantage financier »n'implique en effet pas que la societe en cause ne soit qu'une personneinterposee au travers de laquelle il exercerait une activite commercialeou artisanale ou qu'il serait, meme partiellement, le beneficiaireeconomique de cette activite. Au demeurant, la recherche d'un avantageeconomique ou financier n'est pas caracteristique d'une activitecommerciale (articles 1er à 3 du Code de commerce) ou artisanale (article2, 5DEG, de la loi du 16 janvier 2003) et est compatible avec l'exerciced'une profession liberale aussi longtemps qu'elle ne tend pas à la seulemaximalisation du profit.
5. Il s'ensuit qu'en deduisant, dans le chef du demandeur, un manquementà l'article 21 du code de deontologie de l'Institut professionnel descomptables, approuve par l'article 1er de l'arrete royal du 23 decembre1997, de la seule circonstance que le demandeur exerc,ait la fonction derepresentant permanent d'un administrateur, personne morale, de la societeanonyme Residentia Management et qu'il facturait ses conseils à cettesociete, en sorte qu'il beneficiait d'un avantage economique de cettesociete, la decision attaquee meconnait la portee de l'article 21 duditcode de deontologie en lui conferant une interpretation extensive qu'il nepeut avoir (violation dudit article 21 et, pour autant que de besoin, del'article 1er de l'arrete royal du 23 decembre 1997 portant approbation ducode de deontologie de l'Institut professionnel des comptables et del'article 50, S: 1er, 2DEG, de la loi du 22 avril 1999 qui impose auxcomptables et fiscalistes agrees de se soumettre aux normesdeontologiques), meconnait à tout le moins la portee legale des fonctionsd'un administrateur de societe anonyme (violation des articles 61,S: 1er, 517, 521 et 522 du Code des societes) ou d'un representantpermanent de pareil administrateur, personne morale (violation desarticles 61, S: 2, 517, 521 et 522 du Code des societes), les notionslegales de commerc,ant (violation des articles 1er à 3 du Code decommerce), d'actes de commerce (violation des articles 2, 2bis et 3 duCode de commerce), d'artisan et d'activites artisanales (violation del'article 2, 5DEG, de la loi du 16 janvier 2003) et les dispositionslegales definissant les activites professionnelles que peuvent exercer lescomptables et fiscalistes agrees conformement à leur statut de membre del'Institut (violation des articles 38 et 49 de la loi du 22 avril 1999relative aux professions comptables et fiscales). [Elle] n'est des lorspas legalement justifie[e] (violation de toutes les dispositions visees entete du moyen, à l'exception de l'article 149 de la Constitution).
6. A tout le moins, à defaut d'indiquer dans ses motifs la nature desconseils donnes par le demandeur à la societe anonyme ResidentiaManagement et les conditions dans lesquelles ceux-ci sont donnes etremuneres, la decision attaquee ne permet pas à la Cour d'exercer soncontrole sur la legalite de celle-ci au regard de l'article 21 du code dedeontologie de l'Institut professionnel des comptables et des autresdispositions legales ou reglementaires visees en tete du moyen. Elle n'estdes lors pas regulierement motivee et viole de ce chef l'article 149 de laConstitution.
III. La decision de la Cour
En vertu de l'article 21, alinea 1er, du code de deontologie etabli parl'Institut professionnel des comptables et rendu obligatoire par l'article1er de l'arrete royal du 23 decembre 1997, la profession de comptableI.P.C. est incompatible avec toute activite artisanale ou commerciale,qu'elle soit exercee directement ou indirectement, individuellement ou enassociation ou societe en tant qu'independant.
La sentence attaquee constate que le demandeur exerce le mandat de« representant permanent de l'administrateur Anzac Real Estate aupres dela societe anonyme Residentia Management » sans « recevoir deremuneration » pour ce mandat et qu'il « declare facturer en son nompropre les conseils apportes à cette societe ».
La sentence attaquee considere que « le mandat detenu est frappe del'interdiction de l'article 21 du code de deontologie s'il en est tire unavantage economique » et qu'« en declarant facturer ses conseils de lasorte à la societe Residentia Management, le comptable poursuivi [...]tire un avantage financier indirect du mandat detenu aupres de cettesociete ».
La sentence attaquee, qui n'indique ni la nature des conseils donnes parle demandeur ni les conditions dans lesquelles ceux-ci ont ete donnes etremuneres, ne permet pas à la Cour d'exercer son controle de la legalitede sa decision de lui infliger un blame pour un manquement à l'article21, alinea 1er, precite.
La sentence attaquee n'est pas regulierement motivee.
Dans cette mesure, le moyen est fonde.
Par ces motifs,
La Cour
Casse la sentence attaquee ;
Ordonne que mention du present arret sera faite en marge de la sentencecassee ;
Condamne le defendeur aux depens ;
Renvoie la cause devant la chambre d'appel francophone de l'Institutprofessionnel des comptables et fiscalistes agrees, autrement composee,afin qu'elle rende une decision permettant à la Cour d'exercer soncontrole.
Les depens taxes à la somme de quatre cent cinquante-six eurostrente-sept centimes envers la partie demanderesse et à la somme de centsept euros quarante-deux centimes envers la partie defenderesse.
Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president Christian Storck, le conseiller Didier Batsele, lepresident de section Albert Fettweis, les conseillers Christine Matray etMireille Delange, et prononce en audience publique du quatre novembre deuxmille onze par le president Christian Storck, en presence de l'avocatgeneral Thierry Werquin, avec l'assistance du greffier Patricia DeWadripont.
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| P. De Wadripont | M. Delange | Chr. Matray |
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| A. Fettweis | D. Batsele | Chr. Storck |
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4 NOVEMBRE 2011 D.10.0007.F/1