La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

10/10/2011 | BELGIQUE | N°S.10.0054.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 10 octobre 2011, S.10.0054.F


Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG S.10.0054.F

P&V ASSURANCES, caisse commune d'assurances contre les accidents dutravail, dont le siege social est etabli à Saint-Josse-ten-Noode, rueRoyale, 151,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, rue des Quatre Bras, 6, ou il estfait election de domicile,

contre

B. H.,

defendeur en cassation.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le

5 octobre 2009par la cour du travail de Bruxelles.

Le 23 septembre 2011, l'avocat general Jean Marie Genicot...

Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG S.10.0054.F

P&V ASSURANCES, caisse commune d'assurances contre les accidents dutravail, dont le siege social est etabli à Saint-Josse-ten-Noode, rueRoyale, 151,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, rue des Quatre Bras, 6, ou il estfait election de domicile,

contre

B. H.,

defendeur en cassation.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 5 octobre 2009par la cour du travail de Bruxelles.

Le 23 septembre 2011, l'avocat general Jean Marie Genicot a depose desconclusions au greffe.

Le conseiller Mireille Delange a fait rapport et l'avocat generalJean Marie Genicot a ete entendu en ses conclusions.

II. Le moyen de cassation

La demanderesse presente un moyen libelle dans les termes suivants :

Dispositions legales violees

- articles 7 et 9 de la loi du 10 avril 1971 sur les accidents dutravail ;

- articles 1316, 1341, 1349 et 1353 du Code civil ;

- article 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et deslibertes fondamentales, conclue à Rome le 4 novembre 1950 et approuveepar la loi du 13 mai 1955 ;

- principe general du droit relatif au respect des droits de la defense.

Decisions et motifs critiques

L'arret, apres avoir rec,u l'appel de la demanderesse, le declare nonfonde, confirme le jugement dont appel et decide des lors que le defendeura ete victime d'un accident du travail le 3 juillet 2008 vers 20 heures,à defaut pour la demanderesse d'etablir que l'agression n'est passurvenue par le fait de l'execution du contrat de travail. L'arret renvoiela cause devant le tribunal du travail afin que la mesure d'instructionimposee par le premier juge soit poursuivie. L'arret fonde sa decision surles motifs reproduits ci-apres :

« S: 1. En ce qui concerne l'existence d'un accident du travail

A. Principes utiles à la solution du litige (...)

Existence d'un accident (...)

Existence d'un accident du travail

11. La necessite d'un lien avec le contrat de travail implique toutd'abord que l'accident soit survenu dans le cours de l'execution ducontrat de travail (...).

12. En ce qui concerne l'exigence que l'accident soit survenu par le faitdu contrat, le texte legal ne requiert pas que l'accident soit lie àl'execution des prestations de travail elles-memes.

On en deduit qu'il y a accident du travail `des que l'accident est larealisation d'un risque auquel la victime est exposee soit en raison deson activite professionnelle, soit en consideration du milieu naturel,technique ou humain dans lequel elle se trouve placee' (...).

Le risque lie à l'execution du contrat de travail est celui qui serattache à une circonstance quelconque entourant l'activite dutravailleur, c'est-à-dire le risque que le milieu de travail a rendupossible (...).

Par ailleurs, `la definition de l'accident du travail, inscrite àl'article 7 de la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail, [...]n'exclut pas l'accident qui aurait pu se realiser en tout autre lieu et entout autre temps que ceux de l'execution du contrat' (...).

13. Compte tenu de la presomption deposee à l'article 7 de la loi, lavictime doit seulement demontrer que l'accident est survenu dans le coursde l'execution du contrat de travail.

Il appartient alors à la partie adverse de demontrer que l'accident estla realisation d'un risque que le milieu professionnel n'a aucunement purendre possible ou favoriser. Pour renverser la presomption, elle doitprouver que l'accident n'est pas la realisation d'un risque auquel lavictime est exposee soit en raison de son activite professionnelle, soiten consideration du milieu naturel, technique ou humain dans lequel ellese trouve placee.

Cette presomption n'est, par exemple, pas renversee lorsqu'il apparait quele risque de survenance d'une agression pour des motifs prives a ete, àtout le moins, aggrave par le fait que `l'employee devait ouvrir seule lemagasin, y exercer seule son activite professionnelle, de surcroit dans unbatiment à la configuration exigue dont elle n'a pu s'enfuir' (...).

B. Application dans le cas d'espece

14. Il n'est pas conteste que l'agression par balles subie par (ledefendeur) le 3 juillet 2008 constitue un evenement soudain et que cetteagression a cause de multiples lesions. L'existence d'un accident n'estpas discutee.

Il n'est de meme pas conteste que l'agression a eu lieu lorsque (ledefendeur) executait son contrat de travail : l'accident est donc survenuen cours d'execution du contrat.

15. (La demanderesse) n'apporte aucun element de nature à renverser lapresomption que l'accident, survenu en cours d'execution du contrat, estsurvenu par le fait de cette execution.

La circonstance qu'il soit `peu courant que lorsque quelqu'un ferme uneporte d'un parc public, il se fasse tirer plusieurs balles dans les jambessans raison apparente' (...) ne suffit pas à renverser la presomption.

De meme, il ne se deduit ni des declarations des collegues selonlesquelles `tout se passait bien au travail' (...), ni du fait que`l'agresseur etait masque' (...), ni du fait que l'auteur des faits auraitadresse quelques mots (au defendeur) (...) que l'accident serait larealisation d'un risque etranger à l'activite professionnelle et quecette derniere n'a, à tout le moins, pas favorise.

16. Les allegations de (la demanderesse) selon lesquelles l'agressionpourrait etre liee à un differend prive ne sont rendues vraisemblablespar aucune piece du dossier et paraissent, au contraire, contredites parla declaration de monsieur K. dont il resulte qu'il avait, le jour desfaits, demande (au defendeur) `de passer au parc Dekoster pour le fermer'(proces-verbal de son audition du 3 juillet 2008) : de ce que c'est demaniere imprevue que (le defendeur) s'est rendu sur les lieux del'agression, il decoule que celle-ci n'a pas ete premeditee par quelqu'unqui l'attendait sur place.

De meme, les autres allegations de (la demanderesse) manquent depertinence : comme l'illustre parfaitement l'arret de la cour du travailde Mons cite ci-dessus, il ne suffit pas que l'agression resulte d'undifferend prive pour que la presomption soit renversee ; encore faut-iletablir que le risque d'agression n'a pas ete rendu possible ou favorisepar l'activite professionnelle.

17. C'est à tort que [la demanderesse] fait grief au premier juge de nepas avoir attendu qu'il puisse prendre connaissance des faits quipourraient etre reveles par l'instruction et d'avoir meconnu ses droits dela defense.

Comme indique ci-dessus, l'existence d'un eventuel differend priven'entrainerait pas necessairement le renversement de la presomption. Deslors que [la demanderesse] n'indique pas de maniere precise lescirconstances particulieres qui, en l'espece, permettraient effectivementd'obtenir ce renversement, les droits de la defense n'ont pas ete violespar le seul fait que le tribunal n'a pas attendu l'issue de l'instruction.(...)

18. En consequence, le jugement doit etre confirme. L'affaire doit etrerenvoyee devant le tribunal [du travail] afin que la mesure d'instructionsoit poursuivie ».

Griefs

Aux termes de l'article 7, alinea 1er, de la loi du 10 avril 1971 sur lesaccidents du travail, est considere comme accident du travail toutaccident qui survient à un travailleur dans le cours et par le fait del'execution du contrat de louage de travail et qui produit une lesion.

L'article 9 de ladite loi dispose que, lorsque la victime ou ses ayantsdroit etablissent, outre l'existence d'une lesion, celle d'un evenementsoudain, la lesion est presumee, jusqu'à preuve du contraire, trouver sonorigine dans un accident.

L'arret constate, sans etre critique, qu'il n'etait pas conteste quel'agression par balles subie par le defendeur le 3 juillet 2008 constitueun evenement soudain et que cette agression a cause de multiples lesions,de sorte que l'existence d'un accident n'etait pas discutee.

Selon la premiere phrase du deuxieme alinea dudit article 7, l'accidentsurvenu dans le cours de l'execution du contrat est presume, jusqu'àpreuve du contraire, survenu par le fait de cette execution.

L'arret constate, sans etre critique, qu'il n'etait pas conteste quel'agression a eu lieu lorsque le defendeur executait son contrat detravail et, des lors, que l'accident etait survenu en cours d'execution ducontrat.

L'accident du 3 juillet 2008 etait donc presume, jusqu'à preuve ducontraire, survenu par le fait de l'execution du contrat de travail.

Il appartenait par consequent à la demanderesse de rapporter la preuve ducontraire, notamment que l'accident n'etait pas survenu par le fait del'execution du contrat de travail. Cette preuve peut etre rapportee partous moyens de droit tels que des presomptions, une preuve litterale ausens de l'article 1341 du Code civil ne pouvant etre exigee.

La preuve du fait que l'accident litigieux n'est pas survenu par le faitde l'execution du contrat de travail pouvait donc etre rapportee par unensemble d'elements constituant des presomptions au sens des articles 1349et 1353 du Code civil, c'est-à-dire par des faits connus dont un faitinconnu est deduit.

Le respect du principe general relatif aux droits de la defense et ledroit à un proces equitable, consacres par l'article 6.1 de la Conventionde sauvegarde des droits de l'homme et des libertes fondamentales,requiert que les parties au proces soient autorisees à rapporter lapreuve, par tous les moyens legaux, d'un fait pertinent.

La demanderesse exposait en ses conclusions d'appel que les circonstancesexactes de l'accident devaient etre recherchees, ces circonstances pouvantetablir qu'il s'agissait d'un incident de la vie privee, trouvant sonorigine hors des relations professionnelles et n'ayant aucun lien avecl'execution du contrat de travail. La demanderesse alleguait que, pourconnaitre les circonstances exactes de l'accident, il etait necessaire deconsulter le dossier repressif.

La demanderesse precisait en ses conclusions d'appel qu'elle n'avait pasrec,u la declaration faite par le defendeur à la police et que, malgreses differentes tentatives d'obtenir l'autorisation de prendreconnaissance et copie du dossier repressif, le procureur du Roi avaitjusqu'alors refuse cette autorisation, mentionnant uniquement qu'il avaitconfie l'affaire au juge d'instruction V. E. Ce dernier avait, parcourrier du 10 mars 2009, informe la demanderesse que le dossier avaitfait l'objet d'une communication à toutes fins utiles à l'office duprocureur du Roi. Celui-ci avait par courrier du 24 mars 2009 precise quel'instruction etait toujours en cours.

La demanderesse alleguait à l'appui de sa these que l'accident pouvaitconstituer un incident de la vie privee n'ayant aucun lien avecl'execution du contrat de travail et que plusieurs elements etaientcurieux et peu courants.

Ainsi la demanderesse exposait en conclusions :

- qu'il etait curieux que la victime ne produise meme pas sa propredeclaration aux enqueteurs alors qu'elle avait droit à une copie sursimple demande,

- qu'il est peu courant que, lorsque quelqu'un ferme une porte d'un parcpublic, il se fasse tirer plusieurs balles dans les jambes sans raisonapparente, sans autre agression ou vol, etc.

- que l'agresseur portait une cagoule et une echarpe de maniere à etrecompletement masque,

- qu'il etait troublant que deux des collegues du defendeur aient soutenuque l'agresseur avait parle au defendeur (un des collegues ayantd'ailleurs precise que l'agresseur s'etait adresse en arabe au defendeur),alors que le defendeur lui-meme soutenait que l'auteur des tirs ne luiavait pas parle,

- qu'il etait encore troublant que l'agresseur n'ait tire que sur ledefendeur.

Ainsi la demanderesse invoquait un nombre de faits et de circonstancespouvant etre consideres comme formant un debut de preuve du fait quel'accident, dont avait ete victime le defendeur, etait un incident d'ordrestrictement prive n'ayant aucun lien avec l'execution du contrat detravail, fait dont la preuve pouvait eventuellement etre completee par leselements du dossier repressif dresse à l'occasion des faits et dont laconsultation avait jusqu'alors ete refusee à la demanderesse.

L'arret n'a, des lors, pas legalement pu decider que « les allegations de(la demanderesse) selon lesquelles l'agression pourrait etre liee à undifferend prive ne sont rendues vraisemblables par aucune piece dudossier », ce fait ne devant pas etre prouve par une preuve litterale.Dans la mesure ou l'arret requiert la preuve de ce fait par une piece dudossier, il viole, des lors, l'article 1341 du Code civil, ladite preuvepouvant etre rapportee par tous moyens, notamment par des presomptions.Dans la mesure ou l'arret ecarte ce mode de preuve, il viole les articles1316, 1341, 1349 et 1353 du Code civil et, pour autant que de besoin, lesarticles 7 et 9 de la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail.

Ni la circonstance que les elements dejà indiques par la demanderesse nesuffisaient pas à renverser la presomption de l'article 7, alinea 2, deladite loi sur les accidents du travail ni celle que, de ces elements, ilne se deduisait pas que l'accident etait la realisation d'un risqueetranger à l'activite professionnelle et que cette derniere ne l'avait,à tout le moins, pas favorise, ne pouvait exclure que ces elementspouvaient constituer un commencement de preuve, pouvant etre complete pard'autres elements recueillis notamment dans un dossier repressif, dont lademanderesse precisait qu'il devait contenir d'autres declarations quecelles connues par elle. En refusant le renvoi au role de l'affaire afinque la demanderesse puisse prendre connaissance des elements du dossierrepressif dresse à l'occasion de l'agression du 3 juillet 2008, l'arretmeconnait les droits de la defense de la demanderesse ainsi que son droità un proces equitable et viole, partant, l'article 6.1 de la Conventionde sauvegarde des droits de l'homme et des libertes fondamentales, conclueà Rome le 4 novembre 1950 et approuvee par la loi du 13 mai 1955, ainsique le principe general du droit relatif au respect des droits de ladefense et, pour autant que de besoin, les articles 7 et 9 de la loi du 10avril 1971 sur les accidents du travail.

III. La decision de la Cour

Sur le moyen :

L'article 7, alinea 2, de la loi du 10 avril 1971 sur les accidents dutravail presume, jusqu'à la preuve du contraire, que l'accident survenudans le cours de l'execution du contrat de travail est survenu par le faitde cette execution.

Cette preuve contraire peut-etre apportee par toute voie de droit.

L'arret constate que le defendeur a ete victime d'une agression par ballesdans le cours de l'execution du contrat de travail.

Conformement à l'article 7, alinea 2, precite, il incombe à lademanderesse de prouver que cet accident n'est pas survenu par le fait decette execution.

En conclusions, la demanderesse sollicitait le renvoi de la cause au rolejusqu'à la cloture de l'instruction relative à l'agression, afin d'etreen mesure de consulter le dossier repressif dans lequel elle esperaitdecouvrir des circonstances excluant que l'accident soit survenu par cefait.

L'arret rejette cette mesure au motif que la demanderesse « n'indique pasde maniere precise les circonstances particulieres qui, en l'espece,permettraient effectivement » de renverser la presomption.

L'arret n'a pu, sans constater que la consultation du dossier repressifn'etait pas susceptible de contribuer à la preuve dont la demanderesseavait la charge, priver celle-ci de la possibilite de rapporter cettepreuve par ce moyen, au seul motif qu'elle n'indiquait pas les faitsprecis qu'elle entendait ainsi prouver.

En decidant, sur la seule base des elements recueillis jusqu'alors, que lademanderesse ne renverse pas la presomption de l'article 7, alinea 2,l'arret viole cette disposition.

Dans cette mesure, le moyen est fonde.

Par ces motifs,

La Cour

Casse l'arret attaque ;

Ordonne que mention du present arret sera faite en marge de l'arretcasse ;

Vu l'article 68 de la loi du 10 avril 1971, condamne la demanderesse auxdepens ;

Renvoie la cause devant la cour du travail de Liege.

Les depens taxes à la somme de cent onze euros soixante-six centimesenvers la partie demanderesse.

Ainsi juge par la Cour de cassation, troisieme chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Albert Fettweis, les conseillersChristine Matray, Sylviane Velu, Alain Simon et Mireille Delange, etprononce en audience publique du dix octobre deux mille onze par lepresident de section Albert Fettweis, en presence de l'avocat general JeanMarie Genicot, avec l'assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.

+-------------------------------------------+
| M.-J. Massart | M. Delange | A. Simon |
|---------------+-------------+-------------|
| S. Velu | Chr. Matray | A. Fettweis |
+-------------------------------------------+

10 OCTOBRE 2011 S.10.0054.F/1


Synthèse
Numéro d'arrêt : S.10.0054.F
Date de la décision : 10/10/2011

Origine de la décision
Date de l'import : 28/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2011-10-10;s.10.0054.f ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award