Cour de cassation de Belgique
Arret
NDEG S.09.0111.F
1. I. S. et
2. S. K.,
demandeurs en cassation,
admis au benefice de l'assistance judiciaire par ordonnance du premierpresident du 3 decembre 2009 (nDEG G.09.0225.F),
representes par Maitre John Kirkpatrick, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 3, ou ilest fait election de domicile,
contre
CENTRE PUBLIC D'ACTION SOCIALE DE HUY, dont les bureaux sont etablis àHuy, rue du Long Thier, 35,
defendeur en cassation,
represente par Maitre Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est etabli à Liege, rue de Chaudfontaine, 11,ou il est fait election de domicile.
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 9 septembre2009 par la cour du travail de Liege.
Par arret du 13 decembre 2010, la Cour a sursis à statuer jusqu'à ce quela Cour constitutionnelle ait repondu à la question prejudiciellelibellee dans le dispositif de l'arret.
La Cour constitutionnelle a repondu à cette question par l'arretnDEG 133/2011 du 14 juillet 2011.
Le conseiller Alain Simon a fait rapport.
L'avocat general delegue Michel Palumbo a conclu.
II. Les moyens de cassation
Les demandeurs presentent trois moyens libelles dans les termes suivants :
Premier moyen
Dispositions legales violees
- article 5, alinea 1er, de la loi du 7 aout 1974 instituant le droit àun minimum de moyens d'existence (avant son abrogation par la loi du 26mai 2002 concernant le droit à l'integration sociale) ;
- article 13, S: 2, de l'arrete royal du 30 octobre 1974 portant reglementgeneral en matiere de minimum de moyens d'existence (avant son abrogationpar l'arrete royal du 11 juillet 2002 portant reglement general en matierede droit à l'integration sociale) ;
- articles 16, S: 1er, 19, S:S: 1er et 2, et 22, S: 1er, de la loi du 26mai 2002 concernant le droit à l'integration sociale ;
- article 34, S: 2, de l'arrete royal du 11 juillet 2002 portant reglementgeneral en matiere de droit à l'integration sociale.
Decisions et motifs critiques
Apres avoir constate que les demandeurs, originaires de l'ex-Yougoslavieet ayant acquis la nationalite belge en 1997, ont beneficie du minimum demoyens d'existence (minimex) jusqu'au 30 septembre 2002 puis du revenud'integration sociale à partir du 1er octobre 2002 au taux cohabitantplein ; que, depuis 1997 , les demandeurs resident dans un immeuble dontleur fils est proprietaire ; que leur fils habite egalement cet immeuble,avec sa femme et ses enfants, depuis le 8 novembre 2000 ; que la fille desdemandeurs, qui percevait des allocations de chomage, a egalement habitecet immeuble du 12 octobre 2004 au 30 avril 2006 ; que, selon lescertificats de domicile, il y avait trois menages distincts ; que, lorsd'une visite domiciliaire operee le3 mai 2006, il fut constate que l'immeuble, reparti sur trois niveaux,comportait un sejour, une cuisine, une salle de bain au rez-de-chaussee etune autre au deuxieme etage, plusieurs chambres, un seul compteurelectrique, deux sonnettes sans nom et une seule boite aux lettres ; qu'àla suite de cette visite, le defendeur a decide, le 31 mai 2006, derecuperer une partie des sommes versees aux demandeurs à titre de minimexet de revenus d'integration sociale ; que, le 27 juin 2006, le defendeurdecida que l'indu s'elevait à 19.270,18 euros pour chacun des demandeurs« sur la base d'une omission de declaration de cohabitation avec desascendants (lire : des descendants) au premier degre percevant desrevenus, à savoir un fils ayant des revenus professionnels et une fillepercevant des allocations de chomage », decision sur laquelle ledefendeur a refuse de revenir le 5 septembre 2006 ; que les demandeurs ontforme des recours contre les decisions precitees des 31 mai, 27 juin et 5septembre 2006 ; que les demandeurs reprochent au defendeur de n'avoirfait aucune verification quant à la composition de leur menage, « leslaissant penser que leur situation etait reguliere » ; qu'ils demandentà la cour [du travail] d'ordonner au defendeur la production des rapportsdes precedentes visites ; qu'ils « estiment que le [defendeur] a commisune faute en leur laissant croire durant de nombreuses annees que leursituation etait reguliere, faute dont il doit assumer la responsabilite», et apres avoir decide que le defendeur n'est pas fonde à recupereraupres des demandeurs le minimex qu'il leur a verse du 8 novembre 2000 au30 septembre 2002, à defaut de prouver que les demandeurs connaissaientles revenus de leur fils avec lequel ils cohabitaient,
l'arret, par confirmation partielle du jugement entrepris du 9 mai 2007,confirme la decision du defendeur du 31 mai 2006 et reforme en partie lesdecisions du defendeur des 27 juin 2006 et 5 septembre 2006 « en ce sensque le montant de l'indu dont chacun [des demandeurs] est redevable pourla periode du 8 novembre 2000 au 30 avril 2006 est chiffre à 16.306,91euros ».
L'arret fonde cette decision sur les deux ordres de motifs suivants :
1. « Il n'y a pas lieu d'ordonner au [defendeur] de produire des rapportsde visite anciens, des lors qu'il n'est pas etabli qu'ils existent ». «En matiere de revenus d'integration sociale [...], l'article 22 de la loidu 26 mai 2002 retient comme motif de revision avec effet retroactif lesomissions de toute espece et non seulement, en matiere de ressources, lesdeclarations incompletes et inexactes de la personne, et il peut etreretenu que les [demandeurs] se sont abstenus de declarer leur cohabitationavec leurs enfants [...]. Le [defendeur] etait en consequence fonde àoperer, conformement à l'article 22, S: 1er, de la loi du 26 mai 2002, larevision avec effet retroactif du revenu d'integration octroye aux[demandeurs] à partir du 1er octobre 2002 et jusqu'au 30 avril 2006. Iln'y a en l'espece aucune erreur de droit ou de fait commise par le[defendeur] qui soit à l'origine de l'octroi du revenu d'integration pourcette periode, l'octroi s'etant opere sur la base des declarations, àpresent reputees inexactes ou incompletes, des [demandeurs], de sorte que,conformement à l'article 22, S: 2, de la loi du 26 mai 2002, la revisionsortit ses effets au 1er octobre 2002, date à partir de laquelle le motifqui donne lieu à revision, soit la cohabitation des [demandeurs] avecleur fils E., est apparue. Les [demandeurs] invoquent à tort une faute du[defendeur] qui aurait trompe leur legitime confiance en leur laissantcroire, par l'octroi du revenu d'integration durant plusieurs annees sansque soient pris en compte les revenus de leur fils E., que leur situationadministrative etait reguliere. En effet, si le [defendeur] a consideredurant plusieurs annees qu'il n'y avait pas cohabitation entre les[demandeurs], cela tient d'abord et avant tout au fait que ceux-ci ne leuront pas declare cette cohabitation, bien qu'ils reconnaissent maintenantavoir durant cette periode cohabite avec leur fille, alors que l'article19, S: 2, de la loi du 26 mai 2002 leur faisait obligation de fournir toutrenseignement utile à l'examen de leur demande, mais aucontraire leur (lire : lui) ont presente une situation laissant croire àune non- cohabitation. Il doit etre retenu que les [demandeurs] etaientparfaitement informes de ces problemes de cohabitation et de leurimplication en matiere de droit au minimex ».
2. « La cour [du travail] considere que la prise en compte des revenusdes ascendants ou descendants majeurs du premier degre doit constituer,tant en matiere de minimex qu'en matiere de revenus d'integration sociale,la regle et la non-prise en compte l'exception, des lors que la solidaritefamiliale doit primer la solidarite collective ; la non-prise en comptepeut se justifier lorsque des circonstances tout à fait particulieressont rencontrees. En l'espece, aucune circonstance particuliere justifiantla non-prise en compte des revenus des descendants majeurs cohabitant dupremier degre n'a ete avancee et aucune circonstance particuliere de cetordre ne peut etre retenue ». « C'est donc à juste titre que lesdecisions [attaquees] entendent retenir la prise en compte des revenus dufils des [demandeurs], ainsi que, pour la periode du 12 octobre 2004 au 30avril 2006, de ceux de leur fille, descendants majeurs du premier degrequi cohabitent avec les [demandeurs], afin de determiner leur droit auminimex d'abord et aux revenus d'integration sociale ensuite ».
Griefs
Premiere branche
L'article 19, S: 1er, alinea 1er, de la loi du 26 mai 2002 concernant ledroit à l'integration sociale dispose que « le centre procede à uneenquete sociale en vue de l'octroi de l'integration sociale sous la formed'un revenu d'integration ou d'un emploi, en vue de la revision ou duretrait d'une decision y afferente ou en vue d'une decision de suspensionde paiement du revenu d'integration ». Selon l'article 19, S: 2,« l'interesse est tenu de fournir tout renseignement et autorisationutile à l'examen de sa demande ». L'article 22,S: 1er, de la meme loi dispose : « Sans prejudice des dispositionslegales et reglementaires en matiere de prescription, le centre revoit unedecision en cas : 1. de modification des circonstances qui ont uneincidence sur les droits de la personne ; 2. de modification du droit parune disposition legale ou reglementaire ; 3. d'erreur juridique oumaterielle du centre ; 4. d'omission, de declarations incompletes etinexactes de la personne » (alinea 1er). « En vue d'une revisioneventuelle, l'interesse doit faire une declaration immediate de toutelement nouveau susceptible d'avoir une repercussion sur le montant quilui a ete accorde ou sur sa situation d'ayant droit » (alinea 2). « Dansle meme but, le centre examinera regulierement et ce, au moins une foisl'an, si les conditions d'octroi sont toujours reunies » (alinea 3).
Il ressort des dispositions precitees qu'une fois que le centre publicd'action sociale a octroye à une personne le revenu d'integration socialesur la base de renseignements fournis par cette derniere au moment del'introduction de sa demande et sur la base de l'enquete sociale realiseeà ce moment, il est tenu de reexaminer au moins une fois par an si lesconditions de l'octroi sont toujours reunies, independamment du point desavoir si la personne a fait la declaration de tout element susceptibled'avoir une repercussion sur son droit au revenu qui lui a ete alloue.
En l'espece, l'arret ne constate pas que les demandeurs auraient fait audefendeur des declarations inexactes sur la base desquelles le defendeurleur a octroye, à partir de 1997, le minimex jusqu'en septembre 2002 etensuite le revenu d'integration sociale à partir du 1er octobre 2002,mais seulement qu'ils ont omis de declarer la cohabitation avec leur filsà partir du 8 novembre 2000 et avec leur fille du 12 octobre 2004 au 30avril 2006. Toutefois, l'arret ne constate pas que le defendeur aurait unefois l'an reexamine si les conditions d'octroi etaient toujours reunies.Il considere d'ailleurs qu'il n'est pas certain qu'il existe des rapportsde visite anterieurs à la visite du 30 mai 2006.
L'arret, qui condamne chacun des demandeurs à rembourser, sur le revenud'integration sociale qui leur a ete octroye du 1er octobre 2002 au30 avril 2006, la somme de 16.309,91 euros, n'est, des lors, paslegalement justifie (violation des articles 19, S:S: 1er et 2, et 22, S:1er, de la loi du 26 mai 2002 concernant le droit à l'integrationsociale).
Seconde branche
L'article 5, alinea 1er, de la loi du 7 aout 1974 instituant le droit àun minimum de moyens d'existence, abrogee par la loi du 26 mai 2002concernant le droit à l'integration sociale, disposait : « Sansprejudice de l'application des dispositions du paragraphe 2, toutes lesressources, quelle qu'en soit la nature ou l'origine, dont disposent lesconjoints interesses, la personne cohabitante ou la personne isolee, sontprises en consideration, y compris toutes les prestations allouees envertu de la legislation belge ou etrangere. Peuvent etre egalement prisesen consideration, dans les limites fixees par le Roi, les ressources despersonnes avec qui le demandeurcohabite ». Selon les travaux preparatoires ayant abouti à l'adoption dece texte, l'intention du legislateur a ete de ne pas decourager labienfaisance mais d'eviter les abus, un large pouvoir d'appreciation etantlaisse, dans les limites fixees par le Roi, au centre public d'aidesociale en cette matiere. En execution du texte precite, l'article 13, S:2, de l'arrete royal du 30 octobre 1974 portant reglement general enmatiere de minimum de moyens d'existence, abroge par l'arrete royal du 11juillet 2002, disposait : « En cas de cohabitation du demandeur avec unou plusieurs ascendants ou descendants majeurs du premier degre, peut etreprise en consideration la partie des ressources de chacune de cespersonnes qui depasse le montant prevu à l'article 2, S: 1er, alinea 1er,4DEG, de la loi ; l'application de cette disposition doit permettre àchacune des personnes precitees de se voir attribuer fictivementl'equivalent du montant vise à l'article 2, S: 1er, alinea 1er, 4DEG, dela loi ». Cette disposition permettait donc au centre public d'aidesociale de tenir compte, dans les limites qu'il fixe, des ressources despersonnes visees par cette disposition. Dans ces limites, les centrespublics d'aide sociale appreciaient s'il y avait lieu, compte tenu descirconstances de fait et du but de la loi, d'user de cette faculte.
L'article 16, S: 1er, alinea 1er, de la loi du 26 mai 2002 concernant ledroit à l'integration sociale dispose : « Sans prejudice del'application de la disposition du paragraphe 2, toutes les ressources,quelle qu'en soit la nature ou l'origine, dont dispose le demandeur, sontprises en consideration, y compris les prestations allouees en vertu de lalegislation sociale belge ou etrangere. Peuvent egalement etre prises enconsideration, dans les limites fixees par le Roi par arrete delibere enconseil des ministres, toutes les ressources des personnes avec lesquellesle demandeur cohabite ». L'article 34, S: 2, de l'arrete royal du 11juillet 2002 portant reglement general en matiere de droit àl'integration sociale dispose : « En cas de cohabitation du demandeuravec un ou plusieurs ascendants ou descendants majeurs du premier degre,la partie des ressources de chacune des personnes qui depassent le montantprevu à l'article 14, S: 1er, 1DEG, de la loi peut etre prise totalementou partiellement en consideration ; en cas d'application de cettedisposition, le montant prevu à l'article 14, S: 1er, 1DEG, de la loidoit etre octroye fictivement au demandeur et à ses ascendants oudescendants majeurs du premier degre ».
La regle est donc la meme que celle qui etait consacree par les articlesprecites de la loi du 7 aout 1974 et de l'arrete royal du 30 octobre 1974,en sorte que, comme sous l'empire de la legislation precedente, le centrepublic d'action sociale doit apprecier s'il y a lieu, compte tenu descirconstances de fait et du but de la loi, d'user de la faculte de prendreen compte totalement ou partiellement les revenus des ascendants oudescendants qui cohabitent avec la personne beneficiant du revenud'integration sociale. La juridiction saisie d'un recours contre ladecision du centre doit faire de meme.
Des lors, en considerant que la prise en compte des revenus des ascendantsou descendants majeurs doit constituer la regle en matiere de minimex etde revenu d'integration sociale, sauf circonstance tout à faitparticuliere, alors qu'il revient au contraire au centre public d'actionsociale d'apprecier la question au cas par cas, l'arret, qui decide quec'est à juste titre que le defendeur a entendu retenir la prise en comptedes revenus du fils et de la fille des demandeurs, sans examiner si, dansle cas d'espece, cette prise en compte se justifiait, n'est pas legalementjustifie (violation des articles 5, alinea 1er, de la loi du 7 aout 1974,avant son abrogation par la loi du 26 mai 2002, 13, S: 2, de l'arreteroyal du 30 octobre 1974, avant son abrogation par l'arrete royal du 11juillet 2002, 16, S: 1er, alinea 1er, de la loi du 26 mai 2002 et 34, S:2, de l'arrete royal du 11 juillet 2002).
Deuxieme moyen (subsidiaire)
Dispositions legales violees
Articles 10 et 11 de la Constitution
Decisions et motifs critiques
Apres avoir decide que le defendeur a verse indument aux demandeurs, quiont acquis la nationalite belge en 1997, des revenus d'integration socialedu 1er octobre 2002 au 30 avril 2006 au taux cohabitant plein à la suitede l'absence de declaration des demandeurs de leur cohabitation avec leurfils qui avait des revenus professionnels et avec leur fille qui disposaitd'allocations de chomage, et apres avoir constate qu' « aucune preuved'une fraude qu'auraient commise les [demandeurs] n'est rapportee par le[defendeur], la non-declaration d'une situation par le beneficiaire nepouvant constituer une fraude en soi, cette notion requerant que soientetablies des manoeuvres entreprises dans le but de tromper, ce qui n'estpas le cas »,
l'arret decide que le montant de l'indu dont chacun des demandeurs estredevable est de 16.306,91 euros, la prescription applicable etant de cinqans, conformement à l'article 2277 du Code civil.
L'arret fonde cette decision sur les motifs suivants :
« Les [demandeurs] considerent que les dispositions applicables en lamatiere en ce qui concerne la prescription sont discriminatoires eteffectuent des comparaisons avec les prescriptions applicables à d'autresmatieres de securite sociale que sont la loi du 13 juin 1966 sur lespensions et la loi relative à l'assurance soins de sante et indemnites.Cette comparaison n'est toutefois pas pertinente des lors qu'il s'agit deregimes de securite sociale d'une nature totalement differente, la matieredes pensions ou de l'assurance maladie-invalidite en ce qui concerne lesindemnites reparant la perte de revenus en raison d'une incapacite detravail relevant du domaine des regimes contributifs alors que la matieredu revenu d'integration comme celle du droit à l'aide socialeappartiennent au domaine des regimes non contributifs. Il existe dans lesdiverses matieres de la securite sociale de nombreuses dispositionsinstituant des prescriptions qui different en matiere de duree et il n'estpas justifie d'operer des comparaisons entre toutes celles-ci sans quel'on puisse trouver un element ou un ensemble d'elements qui rapprochentces matieres entre elles. La question prejudicielle suggeree par les[demandeurs] n'est pas pertinente à l'estime de la cour [du travail],comme l'illustrent tres clairement les termes de l'arret prononce par laCour constitutionnelle repris ci-dessous. Il convient en effet deconsiderer que la Cour constitutionnelle a d'ores et dejà ete amenee àcomparer les dispositions relatives à la prescription en ce qui concernele recouvrement de l'indu en matiere d'aide sociale et en matiere derevenus d'integration et a juge, dans son arret prononce le 30 octobre2008, que l'article 29, S: 1er, de la loi du 26 mai 2002 concernant ledroit à l'integration sociale viole les articles 10 et 11 de laConstitution dans la mesure ou le delai de prescription auquel il serefere depasse le delai de prescription prevu par l'article 2277 du Codecivil [...]. Conformement à cet arret de la Cour constitutionnelle, ledelai de prescription en matiere de revenus d'integration sociale doitetre ramene à cinq ans comme le prevoit l'article 2277 du Code civil »(disposition concernant les dettes payables par annee ou à des termesperiodiques plus courts).
Griefs
La regle de l'egalite de traitement et d'absence de discriminationinscrite aux articles 10 et 11 de la Constitution implique que tous ceuxqui se trouvent dans une meme situation soient traites de la meme maniere,sauf si la distinction se fonde sur une justification objective etraisonnable. En vertu de l'article 24, S: 1er, de la loi du 26 mai 2002concernant le droit à l'integration sociale, « le revenu d'integrationverse en application de la presente loi est recupere à charge del'interesse : 1DEG en cas de revision avec effet retroactif, visee àl'article 22, S: 1er». Selon l'article 29, S: 1er, de cette meme loi,l'action en remboursement visee à l'article 24, S: 1er, se prescritconformement à l'article 2262bis, S: 1er, alinea 1er, du Code civil,c'est-à-dire par dix ans.
L'article 30, S: 1er, de la loi du 29 juin 1981 etablissant les principesgeneraux de la securite sociale des travailleurs salaries dispose : « Larepetition des prestations sociales versees indument se prescrit par troisans à compter de la date à laquelle le paiement a ete effectue »(alinea 1er). « Le delai prevu à l'alinea 1er est ramene à six moislorsque le paiement resulte uniquement d'une erreur de l'organisme ou duservice, dont l'interesse ne pouvait normalement se rendre compte »(alinea 2). « Le delai prevu à l'alinea 1er est porte à cinq anslorsque le paiement indu a ete effectue en cas de fraude, de dol ou demanoeuvres frauduleuses de l'interesse » (alinea 3). Il ressort de cettedisposition qu'en matiere de securite sociale des travailleurs salaries,le legislateur n'a pas permis que les allocations versees indumentpuissent etre recuperees dans les delais de droit commun prevus par lesarticles 2262bis, S: 1er, alinea 1er, et 2277 du Code civil.
Quelle que soit la specificite du droit à l'integration sociale, quin'est pas compris dans les regimes de securite sociale vises par la loi du29 juin 1981 precitee, les allocations versees à ce titre ne differentpas à ce point des autres prestations de securite sociale qu'il seraitjustifie de soumettre, en matiere de droit à l'integration sociale, larecuperation des allocations indument payees à des personnes qui n'ontpas commis de fraude à un delai de prescription plus long que celui prevupar l'article 30, 1er, alinea 1er, de la loi du 29 juin 1981. Lacirconstance que le droit à l'integration sociale ou à l'aide sociale nereleve pas des regimes de securite sociale contributifs n'est pas denature à justifier la difference de traitement.
En decidant que, cependant, le delai de prescription de l'action enrecouvrement de l'indu à l'egard des demandeurs qui n'ont pas commis defraude est de cinq ans, conformement à l'article 2277 du Code civil, ensorte que le montant de 16.309,91 euros que chacun des demandeurs doitrembourser au defendeur comprend des sommes versees plus de trois avant ladecision de recouvrement, l'arret viole les articles 10 et 11 de laConstitution.
Troisieme moyen
Dispositions legales violees
- article 149 de la Constitution ;
- article 22, S: 1er, de la loi du 26 mai 2002 concernant le droit àl'integration sociale ;
- article 17, alinea 1er, de la loi du 11 avril 1995 visant à instituerla charte de l'assure social.
Decisions et motifs critiques
Apres avoir constate que le defendeur realisa une visite au domicile desdemandeurs le 4 juin 2007 ; qu'à la suite de cette visite, dont lerapport n'avait d'ailleurs aucune force probante particuliere à defautque les constatations faites aient ete contresignees contradictoirement,le defendeur a pris le 16(lire : 12) juin 2007 la decision suivante à l'egard des demandeurs : «Maintien au 1er mai 2007 de votre revenu d'integration au taux cohabitantde 438,25 euros par mois. Motivation : suite à la revision de votredossier » ; que, le 26 juillet (lire : juin) 2007, le defendeur prit àl'egard des demandeurs la decision suivante : « Retirer la decision priselors du comite special du service social, soit le maintien au 1er mai 2007de votre revenu d'integration sociale au taux cohabitant de 438,25 eurospar mois. Ramener au 1er juin 2007 votre revenu d'integration sociale autaux cohabitant partiel en complement des revenus de votre fils habitantegalement l'immeuble dont le montant ne nous est pas connu, decision prisesur la base de la cohabitation effective et du caractere artificiel de laseparation des logements. Tenir en suspens le paiement de votre revenud'integration sociale au taux cohabitant » ; que les demandeurs formerentun recours contre cette decision ; que, par jugement du 6 fevrier 2008, letribunal du travail « dit le recours recevable et fonde ; met à neantles decisions du [defendeur] du 26 juin 2007 et condamne le [defendeur] àpayer à chacun des [demandeurs] le revenu d'integration sociale au tauxcohabitant plein à partir du 1er mai 2007 ; [que] le premier juge, apresavoir rappele la disposition de l'article 22, S: 1er, de la loi du 26 mai2002, observe que le [defendeur] qui decide de revoir une situationexistante doit prouver les elements sur la base desquels il appuie sa[decision] de revision ; [que] le premier juge considere que le[defendeur] ne justifie pas des elements qui l'amenent à revoir sadecision du 12 juin 2007 », et que le defendeur a interjete appel de cejugement, l'arret dit fonde l'appel du defendeur contre le jugemententrepris du 6 fevrier 2008 ; reforme ce jugement, et retablit en toutesleurs dispositions les decisions prises par le defendeur le 26 juillet(lire : juin) 2007 à l'egard de chacun des demandeurs.
L'arret fonde cette decision sur le motif suivant :
« Les [demandeurs] vivent sous le meme toit que leur fils E. tant apresle 30 avril 2006 qu'avant et notamment à la date du 1er juin 2007 ou laderniere decision dont recours sortit ses effets ; [...] ils font menagecommun et reglent en commun les questions menageres avec leur fils E. etsafamille ».
Griefs
Premiere branche
Dans leurs conclusions prises dans la cause nDEG 35.456, les demandeursfaisaient valoir le moyen suivant : « Outre l'absence de toutemodification de la situation entre 2006 et 2007, l'on doit relever, commel'a fait le tribunal, que le [defendeur] n'avait, dans un premier temps,pas cru devoir modifier sa decision puisque, posterieurement au rapport devisite du 4 juin 2007, le [defendeur] a encore, par decision du 12 juin2007, decide de maintenir au1er mai 2007 le revenu d'integration des [demandeurs] au taux cohabitantplein. C'est donc à bon droit que le tribunal a considere que `le[defendeur] ne justifie une revision de sa decision du 12 juin 2007 ni parune modification des circonstances, ni par une modification du droit parune disposition legale ou reglementaire, ni par une erreur juridique oumaterielle du centre, ni par une omission ou des declarations incompleteset inexactes [des demandeurs], justifiant la revision'. [...] Il y a donclieu de conclure que le [defendeur] ne pouvait revenir sur la decisionprise le 12 juin 2007, posterieurement au rapport de visite du 4 juin2007, ainsi que l'a particulierement bien precise le tribunal ».
Pour retablir en toutes leurs dispositions les decisions du defendeur du26 juin 2007, l'arret se borne à considerer que les demandeurs vivent enmenage commun avec leur fils notamment à la date du 1er juin 2007. Il nerepond pas au moyen precite des conclusions des demandeurs selonlesquelles, en substance, aucune circonstance ne justifiait de modifier ladecision du 12 juin 2007 prise par le defendeur en connaissance de causedu rapport de la visite du 4 juin 2007.
L'arret n'est des lors pas regulierement motive (violation de l'article149 de la Constitution).
Seconde branche
L'article 17, alinea 1er, de la loi du 11 avril 1995 visant à instituerla charte de l'assure social dispose : « lorsqu'il est constate que ladecision est entachee d'une erreur de droit ou materielle, l'institutionde securite sociale prend d'initiative une nouvelle decision produisantses effets à la date à laquelle la decision rectifiee aurait du prendreeffet ».
L'article 22, S: 1er, alinea 1er, de la loi du 26 mai 2002 concernant ledroit à l'integration sociale dispose : « le centre revoit sa decisionen cas :1. de modification des circonstances qui ont une incidence sur les droitsde la personne ; 2. de modification du droit par une disposition legale oureglementaire ; 3. d'erreur juridique ou materielle du centre ; 4.d'omission, de declarations incompletes et inexactes de la personne ».
En l'espece, l'arret decide que le defendeur pouvait le 26 juin 2007revoir sa decision du 12 juin 2007 sans constater l'existence, entre cesdeux dates, d'une des circonstances lui permettant legalement de le faire.L'arret viole des lors lesdits articles 17, alinea 1er, de la loi du 11avril 1995 et 22,S: 1er, alinea 1er, de la loi du 26 mai 2002.
III. La decision de la Cour
Sur le premier moyen :
Quant à la premiere branche :
En vertu de l'article 19, S: 1er, alinea 1er, de la loi du 26 mai 2002concernant le droit à l'integration sociale, le centre public d'actionsociale procede à une enquete sociale en vue de l'octroi de l'integrationsociale sous la forme d'un revenu d'integration ou d'un emploi, en vue dela revision ou du retrait d'une decision y afferente ou en vue d'unedecision de suspension du paiement du revenu d'integration.
Le paragraphe 2 de cet article dispose que l'interesse est tenu de fournirtout renseignement et autorisation utile à l'examen de sa demande.
Aux termes de l'article 22, S: 1er, alinea 1er, de la meme loi, sansprejudice des dispositions legales ou reglementaires en matiere deprescription, le centre revoit une decision en cas de modification descirconstances qui ont une incidence sur les droits de la personne, demodification du droit par une disposition legale ou reglementaire,d'erreur juridique ou materielle du centre et d'omission, de declarationsincompletes et inexactes de la personne.
Le deuxieme alinea de cette disposition prevoit qu'en vue d'une revisioneventuelle, l'interesse doit faire declaration immediate de tout elementnouveau susceptible d'avoir une repercussion sur le montant qui lui a eteaccorde ou sur sa situation d'ayant droit.
Dans le meme but, poursuit le troisieme alinea, le centre examineraregulierement, et ce au moins une fois l'an, si les conditions d'octroisont toujours reunies.
Il ne resulte pas de ces dispositions que, faute d'avoir examine au moinsune fois par an si les conditions d'octroi etaient toujours reunies, lecentre ne pourrait pas poursuivre le remboursement d'un revenud'integration octroye à une personne sur la base d'une declaration decelle-ci entachee d'omission.
Le moyen, qui, en cette branche, repose sur le soutenement contraire,manque en droit.
Quant à la seconde branche :
Apres avoir souligne que l'article 34 de l'arrete royal du 11 juillet 2002portant reglement general en matiere de droit à l'integration socialedistingue, pour regler la prise en consideration d'autres ressources quecelles du demandeur en cas de cohabitation, « le partenaire de vie,conjoint ou compagnon du demandeur, dont les ressources doivent etreprises en consideration, les ascendants ou descendants majeurs du premierdegre cohabitant, dont les ressources peuvent etre prises enconsideration, et les autres cohabitants, dont les ressources ne peuventpas etre prises en consideration », l'arret attaque considere « que laprise en compte des revenus des ascendants ou descendants majeurs dupremier degre doit constituer, tant en matiere de minimex qu'en matiered'integration sociale, la regle et la non-prise en compte l'exception, deslors que la solidarite familiale doit primer la solidarite collective »,que « la non-prise en compte peut se justifier lorsque des circonstancestout à fait particulieres sont rencontrees » mais qu'« en l'espece,aucune circonstance particuliere justifiant une non-prise en compte desrevenus des descendants majeurs cohabitants du premier degre n'a eteavancee et aucune circonstance particuliere de cet ordre ne peut etreretenue ».
Il suit de ces motifs que, contrairement à ce que soutient le moyen, encette branche, l'arret attaque examine si, en l'espece, la prise enconsideration des ressources des personnes avec lesquelles cohabitent lesdemandeurs se justifiait.
Le moyen, en cette branche, manque en fait.
Sur le deuxieme moyen :
Repondant à la question qui lui a ete posee par l'arret de la Cour du 13decembre 2010, la Cour constitutionnelle a dit pour droit que l'article29,
S: 1er, de la loi du 26 mai 2002 concernant le droit à l'integrationsociale, dans la version anterieure à sa modification par la loi du 30decembre 2009, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution en cequ'il permet d'exercer pendant cinq ans l'action en remboursement.
En appliquant ce delai de prescription, l'arret attaque ne viole pas lesarticles 10 et 11 de la Constitution.
Le moyen ne peut etre accueilli.
Sur le troisieme moyen :
Quant à la premiere branche :
Par aucune consideration, l'arret attaque ne repond aux conclusions desdemandeurs reproduites au moyen, en cette branche.
Le moyen, en cette branche, est fonde.
Il n'y a pas lieu d'examiner la seconde branche du moyen, qui ne sauraitentrainer une cassation plus etendue.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l'arret attaque en tant qu'il statue sur les appels formes contre lejugement du tribunal du travail de Huy du 6 fevrier 2008 ;
Rejette le pourvoi pour le surplus ;
Ordonne que mention du present arret sera faite en marge de l'arretpartiellement casse ;
Vu l'article 1017, alinea 2, du Code judiciaire, condamne le defendeur auxdepens ;
Renvoie la cause, ainsi limitee, devant la cour du travail de Mons.
Les depens taxes à la somme de trois cent trente-cinq euros quatorzecentimes en debet envers les parties demanderesses et à la somme de centvingt euros septante-deux centimes envers la partie defenderesse.
Ainsi juge par la Cour de cassation, troisieme chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president Christian Storck, les conseillers Sylviane Velu,Martine Regout, Alain Simon et Mireille Delange, et prononce en audiencepublique du vingt-six septembre deux mille onze par le president ChristianStorck, en presence de l'avocat general delegue Michel Palumbo, avecl'assistance du greffier Chantal Vandenput.
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| Ch. Vandenput | M. Delange | A. Simon |
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| M. Regout | S. Velu | Chr. Storck |
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26 SEPTEMBRE 2011 S.09.0111.F/20