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23/09/2011 | BELGIQUE | N°C.10.0279.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 23 septembre 2011, C.10.0279.F


Cour de cassation de Belgique

Arret

421



NDEG C.10.0279.F

VILLE DE CHARLEROI, representee par son college communal, dont les bureauxsont etablis à Charleroi, en l'hotel de ville,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre Michele Gregoire, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 480, ou il estfait election de domicile,

contre

T. N.,

defenderesse en cassation,

representee par Maitre Caroline De Baets, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bru

xelles, avenue Louise, 149, ou il estfait election de domicile.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassati...

Cour de cassation de Belgique

Arret

421

NDEG C.10.0279.F

VILLE DE CHARLEROI, representee par son college communal, dont les bureauxsont etablis à Charleroi, en l'hotel de ville,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre Michele Gregoire, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 480, ou il estfait election de domicile,

contre

T. N.,

defenderesse en cassation,

representee par Maitre Caroline De Baets, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 149, ou il estfait election de domicile.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 10 mars 2010par la cour d'appel de Mons.

Le conseiller Albert Fettweis a fait rapport.

L'avocat general Thierry Werquin a conclu.

II. Le moyen de cassation

Dans la requete en cassation, jointe au present arret en copie certifieeconforme, la demanderesse presente un moyen.

III. La decision de la Cour

Sur la fin de non-recevoir opposee au pourvoi par la defenderesse etdeduite de ce que la demanderesse ne justifie pas que son college communala decide de se pourvoir en cassation et que le conseil communal a autorisecette voie de recours :

En vertu de l'article 1100 du Code judiciaire, outre les pieces versees audossier de la procedure, peuvent etre utilisees au cours de la procedureles pieces produites à l'effet de justifier de la recevabilite dupourvoi.

Ces pieces peuvent etre deposees jusqu'à la cloture des debats.

Le 10 septembre 2010, la demanderesse a depose au greffe de la Cour unecopie certifiee conforme d'un extrait du proces-verbal de la seance de sonconseil communal du 29 mars 2010 dont il ressort que ledit conseil a, surla proposition du college communal, autorise la demanderesse à sepourvoir en cassation contre l'arret attaque.

La fin de non-recevoir ne peut etre accueillie.

Sur le moyen :

Quant à la premiere et à la quatrieme branche :

Le juge des referes peut ordonner des mesures conservatoires s'il existeune apparence de droit justifiant pareille decision.

Le juge qui se borne à examiner les droits apparents des parties, sansappliquer aucune regle de droit qui ne puisse raisonnablement fonder lamesure provisoire qu'il ordonne, n'excede pas ses pouvoirs.

Des lors qu'il ne statue pas au fond sur les droits des parties, sadecision n'implique aucune violation du droit materiel qu'il prend enconsideration pour fonder son appreciation.

La cour d'appel, statuant en refere sur la base « d'un examen primafacie [des elements] de la cause » et d'une « appreciation superficielleet provisoire des droits en conflit », a ordonne à la demanderesse, dansl'attente de la decision à intervenir au fond, de permettre à ladefenderesse d'acceder aux ecoles ou elle est affectee et d'y donner coursde mathematique en portant le foulard islamique.

Il s'ensuit qu'elle n'a pas viole les dispositions qu'elle a prises enconsideration pour fonder son appreciation et dont le moyen invoque laviolation.

Le moyen, en ces branches, ne peut etre accueilli.

Quant à la deuxieme branche :

En cette branche, le moyen soutient que l'arret est entache d'unecontradiction « en epinglant, d'une part, [des] elements de fait concretsinvoques par la demanderesse pour expliquer l'interdiction qu'elle adecide d'adresser à la defenderesse en fonction du comportement decelle-ci » puis en enonc,ant, d'autre part, que la demanderesse nesoutient pas que « la decision a ete dictee par des elements concretsinherents [à la defenderesse] ».

Les elements de fait concrets epingles par l'arret comme ayant eteinvoques par la demanderesse pour expliquer l'interdiction litigieuseconcernent exclusivement le port par la defenderesse du foulard islamiqueau sein des ecoles de la demanderesse tandis que les elements concretsinherents au comportement de la defenderesse, auxquels l'arret se referepar ailleurs à la fin de la page 10, concernent l'absence decomportements contraires au maintien de l'ordre ou d'une attitudeproselytique, autres que le port du foulard.

Reposant sur une interpretation inexacte de l'arret, le moyen, en cettebranche, manque en fait.

Quant à la troisieme branche :

Il ne ressort pas des conclusions que reproduit le moyen, en cettebranche, que la demanderesse ait soutenu devant la cour d'appel que sadecision d'interdire le port du foulard islamique au sein de ses ecolesetait fondee, meme en l'absence de dispositions de droit interne, sur desprincipes generaux du droit ou sur les seules dispositions internationalesqu'elle citait.

Le moyen qui, en cette branche, repose sur l'affirmation contraire, manqueen fait.

Quant à la cinquieme branche :

L'arret constate que « les directeurs [...] refusaient que [ladefenderesse] porte son foulard des l'acces dans l'etablissement », que,« le 30 septembre 2009, il lui a ete demande d'enlever son foulard pourpouvoir acceder au C.E.C.S. ... », que, « le 19 octobre 2009, [...] ledirecteur [du C.E.C.S. de ...] [...] a precise [à la defenderesse] que,si elle ne retirait pas son voile, [...], elle ne pourrait pas donnercours et serait en absence injustifiee », que, « le 24 novembre 2009, lecollege communal a decide [...] de valider et de s'approprier lesdecisions prises par les directeurs d'etablissement à l'egard de [ladefenderesse] et de lui interdire de porter tout signe ostentatoirereligieux lorsqu'elle dispense ses cours », et que la defenderesse a« fait notifier, le 23 octobre 2009, l'exploit de citation introductif dela premiere instance, pour, dans l'attente de la decision au fond,entendre ordonner à [la demanderesse] de lui permettre de donner sescours en portant son foulard, des la signification de l'ordonnance àintervenir ».

Contrairement à ce que soutient la demanderesse, la demande de ladefenderesse ne tend pas à faire prevaloir le respect d'une prescriptionreligieuse sur des obligations d'origine legale et conventionnelle,relevant du droit positif, auxquelles elle s'est librement engagee, maisà faire reconnaitre par le juge que lesdites obligations ne peuvent primafacie justifier les decisions de lui interdire de donner ses cours demathematique en portant le voile.

Le moyen, en cette branche, manque en fait.

Quant à la sixieme branche :

Dans ses conclusions d'appel, la demanderesse faisait valoir, d'une part,qu'il n'y a pas lieu à refere des lors que la defenderesse a provoqueelle-meme la situation d'urgence dont elle se prevaut en refusant dedeferer à l'injonction de sa hierarchie de prester ses services sans plusporter le voile et, d'autre part, que la demande en refere ne peut etreaccueillie qu'à condition qu'il s'agisse d'assurer la protection d'undroit evident, incontestable ou qui n'est pas serieusement conteste, etque le droit de la defenderesse de porter le voile dans l'exercice de sesfonctions d'enseignante au sein d'un etablissement d'enseignement officielest tout sauf evident, et concluait que la demande de la defenderesseexcedait les limites du provisoire.

Contrairement à ce qu'affirme le moyen, en cette branche, la demanderessen'a pas soutenu que l'objet reel de la demande formee en refere par ladefenderesse consistait à rechercher l'autorisation judiciaire de faireprevaloir un interdit religieux ou, à tout le moins, considere oupresente par elle comme tel, sur les obligations d'origine legale etconventionnelle inherentes aux fonctions que la defenderesse doit exerceraupres de la demanderesse, consistant notamment à donner des cours demathematique.

Le moyen, en cette branche, manque en fait.

Quant à la septieme branche :

Le pouvoir judiciaire est competent tant pour prevenir que pour reparerune atteinte irreguliere portee à un droit subjectif parl'administration.

En vertu de l'article 584 du Code judiciaire, le president du tribunal depremiere instance statue au provisoire dans les cas dont il reconnaitl'urgence, en toutes matieres, sauf celles que la loi soustrait au pouvoirjudiciaire.

Le privilege du prealable n'interdit pas au juge des referes d'ordonner,en vertu de cet article, une mesure provisoire lorsqu'une apparence dedroit suffisante justifie la decision.

Il y a urgence, au sens du meme article, des que la crainte d'un prejudiced'une certaine gravite, voire d'inconvenients serieux, rend une decisionimmediate souhaitable ; il est permis, des lors, de recourir au referelorsque la procedure ordinaire serait impuissante à resoudre le differenden temps voulu, ce qui laisse au juge des referes un large pouvoird'appreciation en fait.

Dans ses conclusions d'appel, la demanderesse s'est bornee à faire valoirqu'il n'y avait pas lieu à refere des lors que la defenderesse avaitprovoque elle-meme la situation d'urgence dont elle se prevaut en refusantde deferer à l'injonction de sa hierarchie de prester ses services sansplus porter le voile.

Il n'apparait pas des pieces auxquelles la Cour peut avoir egard que lademanderesse ait fait valoir devant la cour d'appel que la mesure demandeepar la defenderesse lui causerait un prejudice lie à « l'obligationd'organiser les enseignements en devant s'adapter, sans discrimination,aux diverses prescriptions religieuses invoquees comme telles par lesmembres du personnel ».

L'arret constate que la demanderesse « conteste l'urgence » et releveque la defenderesse fait valoir qu' « en l'absence d'une decisionprovisoire imposant à [la demanderesse] de l'autoriser à donner coursavec son voile, elle perdra son emploi ».

Pour admettre l'urgence, l'arret considere que « si la [cour d'appel],statuant au provisoire, devait considerer que la decision imposee à [ladefenderesse] est manifestement illegale au regard des regles et principesqu'elle invoque [...], l'urgence alleguee serait etablie » et que, « sila demande d'oter le foulard devant les eleves n'est pas licite, il nepeut etre fait grief à [la defenderesse] d'avoir refuse de s'y soumettreet, des lors, soutenu à bon droit qu'elle a, ce faisant, creel'urgence ».

L'arret, qui permet ainsi à la Cour d'exercer son controle de legalite,est regulierement motive et ne meconnait pas la notion d'urgence au sensde l'article 584, alinea 1er.

Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, ne peut etre accueilli.

Pour le surplus, dans la mesure ou il invoque la meconnaissance duprincipe general du droit de la continuite du service public et duprincipe general du droit de l'egalite des usagers du service public, lemoyen, en cette branche, obligerait la Cour à verifier des elements defait, ce qui n'est pas en son pouvoir, et est, partant, irrecevable.

Quant à la huitieme branche :

L'arret considere que « la ou les decisions litigieuses [d'interdictionde porter le voile lorsque la defenderesse donne ses cours demathematique], d'un examen prima facie de la cause, [...] n'apparaissentpas legalement justifiees sur le fondement de l'article 5 du decret du 17decembre 2003 [...] et de l'annexe I du projet educatif de la ville deCharleroi ».

Contrairement à ce que soutient le moyen, l'arret ne considere pas que lavolonte declaree, persistante et absolue de la defenderesse de seconformer à ce qu'elle estime etre une prescription religieuse est unecirconstance constitutive d'une cause liberatoire d'une convention qu'elleaurait souscrite.

Le moyen, en cette branche, manque en fait.

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi ;

Condamne la demanderesse aux depens.

Les depens taxes à la somme de huit cent soixante-deux euros nonante etun centimes envers la partie demanderesse et à la somme de deux centsoixante et un euros quarante-neuf centimes envers la partie defenderesse.

Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president Christian Storck, les conseillers Didier Batsele,Albert Fettweis, Sylviane Velu et Mireille Delange, et prononce enaudience publique du vingt-trois septembre deux mille onze par lepresident Christian Storck, en presence de l'avocat general ThierryWerquin, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.

+--------------------------------------------+
| P. De Wadripont | M. Delange | S. Velu |
|-----------------+------------+-------------|
| A. Fettweis | D. Batsele | Chr. Storck |
+--------------------------------------------+

23 SEPTEMBRE 2011 C.10.0279.F/1


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.10.0279.F
Date de la décision : 23/09/2011

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2011-09-23;c.10.0279.f ?
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