Cour de cassation de Belgique
Arret
3928
NDEG C.10.0322.F
Fortis Banque, societe anonyme dont le siege social est etabli àBruxelles, Montagne du Parc, 3,
demanderesse en cassation,
representee par Maitre Pierre Van Ommeslaghe, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 106, ouil est fait election de domicile,
contre
L. S.,
defenderesse en cassation.
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 24 fevrier 2009par la cour d'appel de Liege.
Le conseiller Christine Matray a fait rapport.
L'avocat general Thierry Werquin a conclu.
II. Le moyen de cassation
La demanderesse presente un moyen libelle dans les termes suivants :
Dispositions legales violees
- article 82, alinea 2, de la loi sur les faillites du 8 aout 1997, danssa version resultant de la loi du 2 fevrier 2005, entree en vigueur le 21fevrier 2005, avant sa modification par la loi du 18 juillet 2008, entreeen vigueur le 28 aout 2008, et, pour autant que de besoin, dans sa versionactuelle ;
- articles 1134, en particulier alinea 1er, et 1135 du Code civil ;
- principe general du droit de la convention-loi.
Decisions et motifs critiques
L'arret rec,oit l'appel et, reformant le jugement entrepris, dit lademande de decharge de la defenderesse recevable et fondee et dit que lademanderesse ne peut poursuivre la defenderesse en recuperation de sacreance par les motifs que :
« L'objectif de [la defenderesse] est de sauver l'immeuble qui luiappartient et est occupe par sa mere, titulaire d'un usufruit. Elleinvoque l'article 82, alinea 2, de la loi sur les faillites, qui disposeque le conjoint du failli qui est personnellement oblige à la dette deson epoux est libere de cette obligation par l'effet de l'excusabilite,et, subsidiairement, les articles 72bis et 80, alinea 3, de la meme loi.
Aux termes de l'article 82, alinea 1er, le failli excuse ne peut plus etrepoursuivi par ses creanciers. Sa dette n'est pas eteinte mais lescreanciers ne peuvent plus agir contre lui, les codebiteurs n'etantcependant pas à l'abri de poursuites, pas plus que les cautions, à moinsque ces dernieres n'aient accorde leur garantie à titre gratuit et queleur engagement se revele, en fin de compte, disproportionne à leurpatrimoine et leurs revenus.
La decharge du conjoint du failli, prevue par le deuxieme alinea du memearticle, s'applique desormais à l'ensemble des dettes du failliauxquelles il est personnellement tenu, que ce soit par l'effet desdispositions legales ou par sa volonte, que ce soit à titre de caution ouen tant que codebiteur solidaire (P. Henfling et J. Willems, `Excusabilitedu failli et decharge de la caution', in Droit de la faillite. Actualites,Jeune barreau de Liege, 2005, p. 48). Que ce soit comme caution ou commecodebiteur du failli, le conjoint profite de l'excusabilite du failli etse trouve decharge des engagements souscrits avec lui ou pour lui (Derijkeet T'Kint, La faillite, Rep. not., t. XII, livre 12, p. 536,n. 372 ; M. Lamesch, `L'excusabilite du debiteur failli, le sort dessuretes personnelles et de son conjoint. Dix ans d'evolution depuisl'adoption de la loi du 8 aout 1997', R.G.D.C., 2007, p. 515, nos108-110 ; Liege, 2 octobre 2008, RG 2007/1592).
La decharge du conjoint est generale, la loi ne prevoyant pas d'exception,que ce soit pour le cas ou la dette est egalement propre au conjoint dufailli ou pour le cas ou la dette n'a pas ete contractee à des finsstrictement professionnelles (Mons, 21 fevrier 2008, J.L.M.B., 2008,1241).
Certes, les commentateurs relevent que, si le conjoint est libere parceque le failli beneficie de l'excusabilite, la faillite est pour lui uneaubaine puisqu'elle lui permet d'etre decharge de ses dettes propres (C.Biquet-Mathieu et S. Notarnicola, La protection des suretes personnellesdites faibles. Le point apres la loi du 3 juin 2007 sur le cautionnementà titre gratuit, CUP, vol. 100, p. 85, n. 73). Cependant, en l'absence dedistinction, ce serait faire une application incorrecte de l'article 82,alinea 2, de la loi sur les faillites de refuser la decharge au conjointau motif que la dette litigieuse est anterieure à l'activiteprofessionnelle ou qu'elle avait egalement ete contractee par lui.
En sa qualite de conjoint du failli excuse, [la defenderesse] estdechargee de ses obligations et [la demanderesse] ne peut plus lapoursuivre, ce qui fait obstacle à la mise en oeuvre de la garantiehypothecaire.
La situation de [la defenderesse] qui a consenti une hypotheque sur unbien propre ne peut etre assimilee à celle d'un tiers affectanthypothecaire. Certes, il est acquis qu'un tiers affectant hypothecaire nepeut pretendre au benefice de la decharge prevue par l'article 80, alinea3, de la loi sur les faillites au profit de la personne physique qui, àtitre gratuit, s'est constituee surete personnelle du faillie puisqu'iln'est pas une surete personnelle et qu'il ne peut davantage pretendre àl'extinction de l'hypotheque ensuite de l'excusabilite accordee au failli,laquelle ne prevoit qu'une suspension du droit de poursuite à l'egard dece dernier (Liege, 15 octobre 2007, R.G. 2006/778), la Courconstitutionnelle ayant par ailleurs decide que ce regime n'etait pasdiscriminatoire (arrets nos 12/2006 du 25 janvier 2006 et 42/2006 du 15mars 2006).
Mais, en l'espece, la situation du conjoint du failli est reglee par unedisposition specifique, l'article 82, alinea 2, de la loi sur lesfaillites, sans qu'elle doive etre examinee au regard de l'article 80,alinea 3, relatif aux suretes personnelles à titre gratuit. Precisement,l'article 82, alinea 2, place le conjoint sur le meme pied que le failliexcuse en sorte que, tout comme ce dernier, il ne peut plus etrepoursuivi, ce qui exclut toute mesure d'execution forcee à son egard, ycompris l'intentement de l'action hypothecaire par la saisie-execution del'immeuble.
En revanche, la mere de [la defenderesse] pour la valeur de l'usufruit estun simple tiers affectant hypothecaire ».
Griefs
En vertu de l'article 82, alinea 2, de la loi sur les faillites du 8 aout1997, tant dans sa version resultant de la loi du 2 fevrier 2005, entreeen vigueur le 21 fevrier 2005, avant sa modification par la loi du 18juillet 2008, entree en vigueur le 28 aout 2008, que dans celleactuellement en vigueur, le conjoint du failli qui est personnellementoblige à la dette de son epoux est libere de cette obligation par l'effetde l'excusabilite.
Pour que le conjoint soit libere du seul fait de l'excusabilite du failli,il faut qu'il s'agisse d'une dette du failli pour laquelle le conjoint estengage - contractuellement ou legalement, peu importe - en qualite detiers garant, par exemple comme caution ou comme codebiteur non concernepersonnellement par la dette.
L'article 82, alinea 2, precise en effet que la liberation du conjoint dufailli joue lorsque celui-ci est tenu à la dette de son epoux.
L'article 82, alinea 2, de la loi sur les faillites ne concerne pas ladecharge du conjoint du failli pour ses propres dettes.
Ainsi que l'arret le releve, la creance de la demanderesse represente,d'une part, le solde d'un credit d'habitation souscrit par les deux epouxle 29 fevrier 2000 et, d'autre part, le solde d'un credit temporaireaccorde aux conjoints le 16 decembre 2006.
L'arret constate aussi que la dette litigieuse est anterieure àl'activite professionnelle du failli et que la dette avait egalement etecontractee par le conjoint du failli, puisqu'il estime que ces deuxraisons ne permettent pas d'exclure l'application de l'article 82, alinea2, de la loi sur les faillites.
Il en resulte que les obligations contractees par la defenderesse l'ontete, non pas comme caution, mais comme codebitrice de son mari.
La dette resultant des credits ainsi consentis n'etait nullement une dettede l'epoux failli de la defenderesse, au sens de l'article 82, alinea 2,de la loi sur les faillites, mais constituait une dette conjointe des deuxepoux et constituait ainsi non seulement une dette de l'epoux failli maisegalement une dette personnelle de la defenderesse elle-meme.
La defenderesse etait en effet co-emprunteuse, avec son conjoint, dessommes en question. Elle etait codebitrice de ces sommes dans le cadre descredits existants : elle etait donc liee conjointement et directement avecson epoux et n'etait pas seulement solidairement tenue à la dette de cedernier ni caution solidaire de la dette de ce dernier.
La dette etait egalement une dette propre de la defenderesse en raison duregime matrimonial des epoux dont l'arret constate qu'il s'agit du regimede la separation des biens.
Dans cette mesure, la defenderesse ne pouvait beneficier de la liberationprevue par l'article 82, alinea 2, de la loi sur les faillites, quis'applique uniquement pour les dettes de l'epoux failli.
En decidant le contraire et en liberant entierement la defenderesse de sesengagements envers la demanderesse, la cour d'appel a etendu illegalementl'application de cette disposition aux dettes propres et personnelles dela defenderesse et a viole l'article 82, alinea 2, de la loi sur lesfaillites tel qu'il est vise en tete du moyen.
Elle a, en consequence, viole egalement les articles 1134 et 1135 du Codecivil en liberant illegalement la defenderesse de ses engagementscontractuels à l'egard de la demanderesse, alors que celle-ci y etaittenue en vertu du principe de la convention-loi (violation de l'article1134, alinea 1er, du Code civil, meconnaissance du principe general dudroit relatif à la convention-loi et violation de l'article 1135 du Codecivil, qui ne permet pas au juge de delier une partie contractuellementtenue dans un tel contexte).
III. La decision de la Cour
En vertu de l'article 82, alinea 2, de la loi du 8 aout 1997 sur lesfaillites, le conjoint du failli qui est personnellement oblige à ladette de son epoux est libere de cette obligation par l'effet del'excusabilite.
L'application de cette disposition s'etend à l'hypothese ou le conjointdu failli est codebiteur avec celui-ci d'une dette contractee avant lafaillite par les deux epoux et dont le conjoint du failli est des lorspersonnellement tenu.
Le moyen, qui soutient le contraire, manque en droit.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux depens.
Les depens taxes à la somme de sept cent dix euros dix-huit centimesenvers la partie demanderesse.
Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president Christian Storck, les conseillers Didier Batsele,Christine Matray, Sylviane Velu et Alain Simon, et prononce en audiencepublique du vingt-quatre fevrier deux mille onze par le presidentChristian Storck, en presence de l'avocat general Thierry Werquin, avecl'assistance du greffier Patricia De Wadripont.
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| P. De Wadripont | A. Simon | S. Velu |
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| Chr. Matray | D. Batsele | Chr. Storck |
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24 FEVRIER 2011 C.10.0322.F/1