Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° S.10.0052.F
ACTIVA, société anonyme dont le siège social est établi à Bruxelles, ruede la Fusée, 100,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Michel Mahieu, avocat à la Cour de cassation, dontle cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 523, où il est faitélection de domicile,
contre
OFFICE NATIONAL DE SÉCURITÉ SOCIALE, établissement public dont le siègeest établi à Saint-Gilles, place Victor Horta, 11,
défendeur en cassation,
représenté par Maître Antoine De Bruyn, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Vallée, 67, où il estfait élection de domicile.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 25 novembre2009 par la cour du travail de Bruxelles.
Le conseiller Alain Simon a fait rapport.
Le procureur général Jean-François Leclercq a conclu.
II. Le moyen de cassation
La demanderesse présente un moyen libellé dans les termes suivants :
Dispositions légales violées
- article 149 de la Constitution ;
- article 22ter de la loi du 27 juin 1969 révisant l'arrêté-loi du 28décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs, tel qu'ilétait applicable avant et après sa modification par l'arrêté royal du 10juin 2001, lui-même confirmé par la loi du 24 février 2003, et avant et,pour autant que de besoin, après sa modification par la loi du 27 décembre2004 ;
- articles 448 à 464 du Code d'instruction criminelle ;
- article 870 du Code judiciaire ;
- articles 1134, 1165, 1315, 1319, 1320 et 1322 du Code civil ;
* article 1138, 2°, du Code judiciaire ;
* principe général du droit dit principe dispositif ;
* article 6, § 1^er, de la Convention de sauvegarde des droits del'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, approuvéepar la loi du 13 mai 1955 ;
* principe général du droit relatif au respect des droits de la défense.
Décisions et motifs critiqués
L'arrêt confirme le jugement entrepris et met à charge de la demanderesseles dépens d'appel, par tous ses motifs, spécialement par les motifssuivants :
« IV. Discussion
1. Suivant l'article 22ter de la loi du 27 juin 1969 concernant lasécurité sociale des travailleurs, dans sa version applicable en 2004, lestravailleurs à temps partiel sont présumés avoir effectué leursprestations dans le cadre d'un contrat de travail en qualité detravailleurs à temps plein.
2. L'employeur n'a pas respecté les mesures de publicité des horairesprescrites en cas de travail à temps partiel suivant des horaires fixes(copie du contrat de travail à temps partiel ou d'un extrait signé ducontrat contenant les horaires conservée à l'endroit où le règlement detravail peut être consulté - articles 157 de la loi-programme du 22décembre 1989 ; horaires variables portés à la connaissance du travailleurpar voie d'affichage au même endroit - article 159 de la loi).
Les trois travailleuses sont par conséquent présumées avoir travaillé àtemps plein.
Même si la présomption vaut jusqu'à la preuve contraire, les contrats detravail produits après le contrôle, et les comptes individuels, nesuffisent pas à prouver le contraire. En effet, les contrats de travailont pu être établis après le contrôle et antidatés. Quant aux déclarationsde l'employeur au secrétariat social puis à l'Office national de sécuritésociale, elles peuvent être inexactes. Les trois travailleuses ont pu,comme l'expose l'Office national de sécurité sociale, avoir été occupéesau travail à temps plein et continuer à travailler après 9 heures, ou biendans les grands magasins où elles ont été trouvées au travail avant 9heures, ou bien en d'autres lieux, tout en n'étant déclarées que pourquelques heures de prestations par jour ».
Griefs
L'article 22ter de la loi du 27 juin 1969 révisant l'arrêté-loi du 28décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs, tel qu'ilétait applicable avant sa modification par l'arrêté royal du 10 juin 2001,disposait : « Sauf preuve du contraire apportée par l'employeur, lestravailleurs à temps partiel seront présumés, à défaut d'inscription dansles documents visés aux articles 160, 162, 163 et 165 de la loi-programmedu 22 décembre 1989 ou d'utilisation des appareils visés à l'article 164de la même loi, avoir effectué leurs prestations conformément aux horairesqui ont fait l'objet des mesures de publicité visées aux articles 157 à159 de cette même loi. À défaut de publicité des horaires, lestravailleurs à temps partiel seront présumés avoir effectué leursprestations dans le cadre d'un contrat de travail à temps plein ».
Tel qu'il a été modifié par l'arrêté royal du 10 juin 2001, confirmé parla loi du 24 février 2003, mais avant sa modification par la loi du 27décembre 2004, l'article 22ter de la loi du 27 juin 1969 disposait :« Sauf preuve du contraire apportée par l'employeur, les travailleurs àtemps partiel seront présumés, à défaut d'inscription dans les documentsvisés aux articles 160, 162, 163 et 165 de la loi-programme du 22 décembre1989 ou d'utilisation des appareils visés à l'article 164 de la même loi,avoir effectué leur travail effectif normal conformément aux horaires detravail normaux des travailleurs concernés qui ont fait l'objet desmesures de publicité visées aux articles 157 à 159 de cette même loi. Àdéfaut de publicité des horaires de travail normaux des travailleursconcernés, les travailleurs à temps partiel seront présumés avoir effectuéleurs prestations dans le cadre d'un contrat de travail en qualité detravailleur à temps plein ».
Cette disposition prévoyait donc une présomption réfragable de travail àtemps plein pour les travailleurs à temps partiel pour lesquels lesformalités en matière de publicité des horaires de travail n'avaient pasété respectées. L'employeur était donc fondé à établir que son travailleurtravaillait effectivement à temps partiel et donc à démontrer que lestravailleurs à temps partiel n'avaient pas effectué de prestations à tempsplein dans le cadre d'un contrat de travail à temps plein.
L'arrêt établit que les mesures de publicité des horaires de travail àtemps partiel édictées par les articles 157 et 159 de la loi-programme du22 décembre 1989 n'avaient pas été respectées par le demandeur à l'égardde trois travailleuses et que celles-ci étaient « par conséquent présuméesavoir travaillé à temps plein ». L'arrêt reconnaît cependant que lademanderesse pouvait effectivement apporter la preuve contraire de cetteprésomption. La charge de cette preuve incombait donc effectivement à lademanderesse.
La demanderesse invoquait, afin de renverser la présomption de travail àtemps plein des trois travailleuses concernées, les contrats de travail àtemps partiel conclus in tempore non suspecto avec ses troistravailleuses, ainsi que les comptes individuels concernant les troistravailleuses, rédigés par le Groupe S, secrétariat social de lademanderesse, et établissant que les travailleuses concernéestravaillaient bien à temps partiel et étaient payées en conséquence, etindiquait enfin que les travailleuses ne pouvaient travailler qu'à tempspartiel puisque le travail de nettoyage devait être effectué avant l'heured'ouverture des magasins.
L'arrêt considère que la demanderesse ne renverse pas la présomptionédictée par l'article 22ter de la loi du 27 juin 1969. Il considèreainsi, quant aux deux premiers éléments soumis par la demanderesse ettendant à renverser la présomption, que : « Les contrats de travailproduits après le contrôle, et les comptes individuels, ne suffisent pas àprouver le contraire. En effet les contrats de travail ont pu être établisaprès le contrôle et antidatés. Quant aux déclarations de l'employeur ausecrétariat social puis à l'Office national de sécurité sociale, ellespeuvent être inexactes ».
L'arrêt rejette donc la preuve du renversement de la présomption édictéepar l'article 22ter de la loi du 27 juin 1969 par le motif que lescontrats de travail produits « ont pu être établis après le contrôle etantidatés » et que les déclarations de l'employeur au secrétariat social« peuvent être inexactes ». Ce faisant, l'arrêt ne décide nullement demanière certaine que la demanderesse n'établit pas que les travailleusesconcernées travaillaient à temps partiel, puisqu'il se borne à considérerque les contrats de travail produits et les déclarations de lademanderesse au secrétariat social pourraient être antidatés ou inexacts,et qu'ils pourraient donc tout autant ne pas être antidatés et êtreexacts.
L'arrêt, qui se borne à considérer que les contrats de travail soumis parla demanderesse afin d'établir que les travailleuses concernéestravaillaient à temps partiel pourraient être postérieurs au contrôle etantidatés, sans constater par le moindre motif que cela seraiteffectivement le cas, et sans qu'une procédure en inscription de faux aitété menée contre ces contrats de travail, et qui se borne à considérer queles déclarations de l'employeur au secrétariat social pourraient êtreinexactes, sans considérer que cela serait effectivement le cas, méconnaîtles règles relatives à la charge de la preuve (articles 870 du Codejudiciaire et 1315 du Code civil), l'article 22ter de la loi du 27 juin1969 révisant l'arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécuritésociale des travailleurs visé au moyen, et l'article 149 de laConstitution en ne motivant pas régulièrement sa décision de considérerque la présomption édictée à l'article 22ter précité n'est pas renverséepar la demanderesse.
En outre, l'article 1165 du Code civil n'exclut pas que les conventionslégalement formées entre les parties, tenant lieu de loi à ceux qui lesont faites, sont en outre, quant à leur existence, opposables aux tiers,qui sont tenus d'en reconnaître les effets entre les partiescontractantes. Les contrats de travail conclus entre les troistravailleuses et la demanderesse, et produits par celle-ci, étaient doncopposables aux tiers, y compris la défenderesse, qui étaient tenus enprincipe d'en reconnaître les effets. Aucune inscription en faux à l'égarddes conventions ainsi produites par la demanderesse devant la cour dutravail n'avait par ailleurs été introduite par la défenderesse.
Partant, en considérant que les contrats de travail soumis par lademanderesse « ont pu être établis après le contrôle et antidatés », alorsqu'aucune procédure en inscription de faux n'avait été menée contre cespièces et sans constater que ces pièces seraient effectivement antidatées,l'arrêt méconnaît l'effet des conventions légalement formée entre lesparties à l'égard des tiers et viole les articles 1134 et 1165 du Codecivil. Il viole en outre les règles relatives à la procédure d'inscriptionde faux, étant les articles 448 à 464 du Code d'instruction criminelle, etles règles relatives à la foi due aux actes, étant les articles 1319, 1320et 1322 du Code civil.
Enfin, il est constant que la partie défenderesse ne contestait, en sesconclusions d'appel, ni la réalité et la date des contrats de travailproduits par la demanderesse devant la cour du travail et conclus avec lestrois travailleuses concernées, ni l'exactitude des déclarations faitespar la demanderesse à son secrétariat social et les comptes individuelsétablis par celui-ci. La demanderesse ne se défendait dès lors pas quant àla réalité et à l'exactitude des contrats et des comptes individuelsqu'elle produisait afin d'établir que les travailleuses concernées netravaillaient pas dans le cadre d'un contrat à temps plein.
En conséquence, l'arrêt, qui considère que les contrats de travailproduits par la demanderesse « ont pu être établis après le contrôle etantidatés » et que les déclarations de l'employeur à son secrétariatsocial « peuvent être inexactes », et donc également les comptesindividuels produits, afin de décider que la demanderesse ne renverse pasla présomption de travail à temps plein des trois travailleusesconcernées, élève d'office une contestation, étrangère à l'ordre public,dont les parties avaient exclu l'existence. En outre, il s'abstient derouvrir les débats afin de permettre aux parties de débattre de cettecontestation. Il méconnaît ainsi l'article 1138, 2°, du Code judiciaire etle principe général du droit dit principe dispositif et, en ne permettantpas à la demanderesse de se défendre sur cette contestation soulevéed'office, il viole également l'article 6, § 1^er, de la Convention desauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4novembre 1950, approuvée par la loi du 13 mai 1955, et le principe généraldu droit relatif au respect des droits de la défense.
III. La décision de la Cour
Aux termes de l'article 22ter de la loi du 27 juin 1969 révisantl'arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale destravailleurs, tel qu'il était applicable au litige, sauf preuve contraireapportée par l'employeur, les travailleurs à temps partiel serontprésumés, à défaut d'inscription dans les documents visés aux articles160, 162, 163 et 165 de la loi-programme du22 décembre 1989 ou d'utilisation des appareils visés à l'article 164 dela même loi, avoir effectué leur travail effectif normal conformément auxhoraires de travail normaux des travailleurs concernés qui ont faitl'objet de mesures de publicité visées aux articles 157 à 159 de cettemême loi. A défaut de publicité des horaires de travail normaux destravailleurs concernés, les travailleurs à temps partiel seront présumésavoir effectué leurs prestations dans le cadre d'un contrat de travail enqualité de travailleurs à temps plein.
La preuve contraire de la présomption que lesdits travailleurs onteffectué leurs prestations dans le cadre d'un contrat de travail à tempsplein doit être apportée par l'employeur. Cette preuve contraire consisteà démontrer que les travailleurs à temps partiel n'ont pas effectué deprestations à temps plein dans le cadre d'un contrat de travail à tempsplein.
L'arrêt relève qu'« aucun règlement de travail, contrat de travail ouextrait du contrat de travail constatant les horaires de travail n'a puêtre présenté à l'inspecteur social », que « les travailleuses nepointaient pas », que « le 9 mars 2004, un administrateur délégué de [lademanderesse] a déclaré qu'il n'y avait pas d'exemplaire des contrats detravail dans les grands magasins, et qu'il n'y avait pas non plusd'horaire pour une des travailleuses, laquelle avait des horairesvariables », que « le 25 septembre 2006, [la demanderesse] a signé [les]déclarations complémentaires pour accord », que, « par une lettre de sonavocat du 3 avril 2007, [la demanderesse] a transmis [au défendeur] unecopie de contrats de travail des trois travailleuses, ces contrats [étant]datés respectivement du 1^er mars 1999 (avec un avenant du 1^er mars2004), du 25 avril 2002 et du 29 avril 2002 » et qu' « en appel, [lademanderesse] dépose les comptes individuels des travailleuses ».
Il énonce, sans être critiqué, que la demanderesse n'a pas respecté lesmesures de publicité prescrites, en cas de travail à temps partiel suivantdes horaires fixes, et que les trois travailleuses sont, par conséquent,présumées avoir travaillé à temps plein.
Il considère que « même si la présomption vaut jusqu'à la preuvecontraire, les contrats de travail produits après le contrôle, et lescomptes individuels ne suffisent pas à prouver le contraire. En effet, lescontrats de travail ont pu être établis après le contrôle et antidatés.Quant aux déclarations de l'employeur au secrétariat social puis [audéfendeur], elles peuvent être inexactes. Les trois travailleuses ont pu,comme l'expose [le défendeur], avoir été occupées au travail à temps pleinet continuer à travailler après 9 heures, ou bien dans les grands magasinsoù elles ont été trouvées au travail avant 9 heures, ou bien en d'autreslieux, tout en n'étant déclarées que pour quelques heures de prestationspar jour ».
L'arrêt considère ainsi, de manière certaine, sans méconnaître ni lesrègles relatives à la charge de la preuve ni l'article 22ter précité, quela demanderesse ne prouve pas que les travailleuses concernéesn'effectuaient pas des prestations de travail à temps plein dans le cadred'un contrat de travail à temps plein.
En énonçant que les contrats de travail ont pu être établis après lecontrôle et antidatés, l'arrêt ne donne pas de ceux-ci une interprétationinconciliable avec leurs termes et ne viole dès lors pas la foi qui leurest due.
En n'y voyant pas une preuve de l'occupation à temps partiel destravailleuses, il ne refuse pas de donner à ces contrats les effets qu'ilsont légalement à l'égard des tiers et, partant, ne viole pas l'article1165 du Code civil.
L'arrêt ne déclare pas que les éléments de preuve contraire avancés par lademanderesse sont des faux mais qu'ils n'offrent pas une vraisemblancesuffisante pour renverser la présomption instituée par l'article 22terprécité. Il ne peut dès lors violer les règles relatives à la procédured'inscription de faux.
Enfin, l'arrêt, qui était tenu d'appliquer l'article 22ter précité, n'apas élevé une contestation que les conclusions des parties excluaient enconstatant que les éléments de preuve apportés par la demanderesse nepermettaient pas le renversement de la présomption légale.
Le moyen ne peut être accueilli.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de cent trente-trois euros vingt-deux centimesenvers la partie demanderesse et à la somme de cent vingt eurosseptante-deux centimes envers la partie défenderesse.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, oùsiégeaient le président de section Paul Mathieu, les conseillers DidierBatselé, Sylviane Velu, Martine Regout et Alain Simon, et prononcé enaudience publique du trente et un janvier deux mille onze par le présidentde section Paul Mathieu, en présence du procureur général Jean-FrançoisLeclercq, avec l'assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.
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| M-J. Massart | A. Simon | M. Regout |
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| S. Velu | D. Batselé | P. Mathieu |
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31 JANVIER 2011 S.10.0052.F/11