Cour de cassation de Belgique
Arret
NDEG S.10.0040.N
K. I.,
Me Caroline De Baets, avocat à la Cour de cassation,
* * contre
ORDRE DES AVOCATS DU BARREAU D'YPRES, BUREAU D'AIDE JURIDIQUE.
I. La procedure devant la Cour
III. Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 7 janvier2010 par la cour du travail de Gand.
IV. Le conseiller Beatrijs Deconinck a fait rapport.
V. L'avocat general Ria Mortier a conclu.
VI. II. Le moyen de cassation
VII. VIII. Le demandeur presente un moyen libelle dans les termessuivants :
IX. * Dispositions legales violees
* articles 6 et 13 de laConvention de sauvegarde desdroits de l'homme et deslibertes fondamentales, signeeà Rome le 4 novembre 1950,approuvee par la loi du 13 mai1955 ;
* article 16 de la Conventioninternationale relative austatut des refugies et desannexes, signees à Geneve le28 juillet 1951, approuveespar la loi du 26 juin 1953 (enabrege : Convention de Genevede 1951) ;
* articles 508/13 et 508/14 duCode judiciaire ;
* articles 51/3, S:S: 1er, 4DEG,et 2, 1DEG, 51/8, 51/10,alinea 1er, 52, S: 2, 2DEG, et63 de la loi du 15 decembre1980 sur l'acces auterritoire, le sejour,l'etablissement etl'eloignement des etrangers(en abrege : loi du15 decembre 1980) ;
* article 1er, 10DEG, del'arrete royal du 18 decembre2003 determinant lesconditions de la gratuitetotale ou partielle dubenefice de l'aide juridiquede deuxieme ligne et del'assistance judiciaire (enabrege : arrete royal du18 decembre 2003).
* * Decisions et motifs critiques
L'arret attaque a deboute le demandeur de sonappel et a rejete sa demande tendant à obtenir lebenefice de la gratuite de l'aide juridique dedeuxieme ligne en vue de sa defense au cours de laprocedure d'asile devant le Conseil du contentieuxdes etrangers, par les motifs suivants :
« 5.1. Dans un premier temps, la cour du travailreleve que (le demandeur) n'apporte pas la preuvequ'il est le denomme I.K. La piece jointe à sarequete tendant à entendre ordonner lareouverture des debats n'etablit pas son identite.
5.2. Il ressort de la lecture conjointe desarticles 508/13 et 508/14, alinea 5, du Codejudiciaire que l'obtention du benefice de lagratuite de l'aide juridique de deuxieme ligne estsubordonnee à deux conditions. La premierecondition concerne les ressources. (Le demandeur)remplit certainement cette condition. La secondecondition est que la demande ne peut etremanifestement mal fondee.
5.3. La loi ne precise pas ce qu'il y a lieud'entendre par une demande manifestement malfondee. Le bureau d'aide juridique controle lademande tendant à obtenir le benefice de lagratuite de l'aide juridique de maniere marginaleà la lumiere de la nature et de l'etendue duprobleme juridique (soit l'objet de l'interventionde l'avocat) et apprecie si l'intervention del'avocat est necessaire (voir S. Gibens,Juridische bijstand, A.P.R.-reeksE. Story-Scientia, Malines, 2008, 150, nDEG 208).A cette occasion, il est egalement tenu compte dufait que l'aide juridique est partiellementfinancee par l'Etat, c'est-à-dire par lacommunaute.
5.4. Le (demandeur) ne peut etre suivi lorsqu'ilsoutient que le droit à l'aide juridique estabsolu. Ce droit peut etre soumis à desrestrictions pour autant que celles-ci soientjustifiees par des criteres objectifs etraisonnables et qu'elles soient controlees à lalumiere des normes internationales en vigueur, telle droit à l'acces au tribunal.
5.5. Il ressort des elements du dossier depose par(le defendeur) que (le demandeur) a introduitplusieurs demandes d'asile en Belgique sous unfaux nom, à savoir le nom de E.A. A chaquedemande, il a utilise non seulement une fausseidentite mais aussi un faux passeport et de fauxdiplomes.
5.6. A sa quatrieme demande d'asile seulement, ledemandeur s'est subitement decide à utiliser lenom de I.K. La cour du travail se rallieentierement à l'avis du ministere public suivantlequel (le demandeur) n'apporte pas la preuvequ'il est reellement le denomme I.K.
5.7. Il est manifeste que (le demandeur) tente partous les moyens d'obtenir l'asile et qu'à cettefin, il ne craint pas de faire de faussesdeclarations ou de produire de faux certificats etdocuments. Des demandes d'asile introduites decette maniere ne peuvent evidemment aboutir.
5.8. Dans ces circonstances, c'est à bon droitque, le 15 octobre 2007, le bureau d'aidejuridique de l'Ordre des avocats du barreaud'Ypres a rejete la demande tendant à obtenir lebenefice de la gratuite de l'aide juridique dedeuxieme ligne comme manifestement mal fondee ».
* Griefs
* L'article 6 de la Convention desauvegarde des droits de l'homme et des libertesfondamentales garantit le droit à l'acces autribunal et, en vertu de l'article 13 de la memeconvention, toute personne dont les droitsfondamentaux ont ete violes dispose du droit àl'octroi d'un recours effectif.
L'article 16 de la Convention de Geneve de 1951garantit à tout refugie le libre acces devant lestribunaux. Conformement à l'article 63 de la loidu 15 decembre 1980, une decision de refus del'octroi d'asile peut donner lieu à un recoursaupres du Conseil du contentieux des etrangers.
Ces memes droits sont garantis au justiciabledemuni par la voie d'un systeme d'aide juridiquegratuite dont les conditions sont fixees auxarticles 508/13 et suivants du Code judiciaire età l'arrete royal du 18 decembre 2003.
Ce benefice de la gratuite de l'aide juridique dedeuxieme ligne est egalement accessible audemandeur d'asile demuni qui souhaite obtenirl'assistance d'un avocat notamment en vue d'unrecours devant le Conseil du contentieux desetrangers.
Les conditions d'octroi du benefice de la gratuitede l'aide juridique de deuxieme ligne ne peuventetre interpretees ou appliquees d'une manieretelle qu'elles excluent le droit à l'acces autribunal et le droit à un recours effectif.
L'article 508/13 du Code judiciaire requiert commepremiere condition à l'obtention du benefice dela gratuite de l'aide juridique de deuxieme ligneque le demandeur soit une personne dont lesressources sont insuffisantes ou une personne yassimilee. Le demandeur est tenu de produiretoutes les pieces justificatives utiles pourprouver l'insuffisance de ses ressources.
La seule autre condition d'obtention du beneficede la gratuite de l'aide juridique de deuxiemeligne est prevue au dernier alinea del'article 508/14 du Code judiciaire qui disposeque les demandes manifestement mal fondees sontrejetees. Cette condition est correlative à lademande sous-jacente qui fait l'objet de lademande tendant à obtenir le benefice de lagratuite de l'aide juridique.
(...)
Seconde branche
En vertu de l'article 508/14, dernier alinea, duCode judiciaire, les demandes manifestement malfondees sont rejetees. Les demandes manifestementmal fondees sont celles dont les demandessous-jacentes de toute evidence n'aboutiront pas.
Si, en vertu de cette disposition, il peutconnaitre du fondement de la demande sous-jacentequi fait l'objet de la demande tendant à obtenirle benefice de la gratuite de l'aide juridique dedeuxieme ligne, le bureau d'aide juridique ne peutse substituer aux instances qui sont competentespour statuer sur la demande sous-jacente.
Ainsi, il appartient aux autorites competentes etau Conseil du contentieux des etrangers decontroler l'identite du demandeur d'asile(articles 51/3, S:S: 1er, 4DEG, et 2, 1DEG, et51/10, alinea 1er, de la loi du 15 decembre 1980)et de verifier si sa demande est frauduleuse(article 52, S: 2, 2DEG, a, de la loi du15 decembre 1980). En outre, aucune dispositionn'interdit au demandeur d'asile d'introduire unenouvelle demande lorsqu'une premiere demandefrauduleuse a ete rejetee (article 51/8 loi du15 decembre 1980).
Ainsi, sauf s'il constate l'existence d'indicesmanifestes de faux quant aux nouveaux documents etaux nouvelles declarations, le bureau d'aidejuridique n'est pas competent pour proceder à uneinstruction sur le fond de la sincerite dudemandeur en vue d'apprecier ses chances de succesaupres du Conseil du contentieux des etrangers.
Apres avoir refuse de considerer le nouveaudocument du consulat d'Ukraine comme une preuve del'identite du demandeur, l'arret attaque apprecieles chances de succes du demandeur aupres duConseil du contentieux des etrangers et confirmeensuite la decision par laquelle le bureau d'aidejuridique declare la demande manifestement malfondee.
Lors de l'appreciation des chances de succes de lademande sous-jacente, l'arret attaque constatedans un premier temps que le demandeur a introduitplusieurs demandes d'asile sous un faux nom enutilisant de faux documents et considere ensuite« qu'à sa quatrieme demande d'asile seulement,(le demandeur) s'est decide à utiliser le nom deI.K. » et « que la cour du travail se rallieentierement à l'avis du ministere public suivantlequel (le demandeur) n'apporte pas la preuvequ'il est reellement le denomme I.K. ».
Se referant à nouveau aux premieres demandesd'asile du demandeur, l'arret attaque considere« qu'il est manifeste que (le demandeur) tentepar tous les moyens d'obtenir l'asile et qu'àcette fin, il ne craint pas de faire de faussesdeclarations ou de produire de faux certificats oudocuments » pour arriver à la conclusion « quedes demandes introduites de cette maniere nepeuvent aboutir ».
Il ressort de ces considerations que pour declarerla demande sous-jacente du demandeur manifestementmal fondee, les juges d'appel ont apprecie lavaleur probante du nouveau document produit par ledemandeur ainsi que la credibilite de sesdeclarations quant à son identite en controlantles documents produits et les declarations faitesdans le cadre de sa nouvelle demande à la lumierede son comportement lors des demandes precedentes.
Ce controle excede la constatation des motifsmanifestes de non-fondement et implique uneappreciation effective de la credibilite dudemandeur et de ses documents, soit un examen dufond de la cause pour lequel seuls les autoritescompetentes et le Conseil du contentieux desetrangers sont competents.
En tant qu'il rejette la demande tendant àobtenir le benefice de la gratuite de l'aidejuridique de deuxieme ligne à la suite d'unexamen au fond de la credibilite des documents etdes declarations du demandeur, l'arret attaqueexcede les limites du controle du non-fondementmanifeste de la demande (violation desarticles 508/14, dernier alinea, du Codejudiciaire, 51/3, S:S: 1er, 4DEG, et 2, 1DEG,51/8, 51/10, alinea 1er, 52, S: 2, 2DEG, de la loidu 15 decembre 1980 sur l'acces au territoire, lesejour, l'etablissement et l'eloignement desetrangers), de sorte qu'il restreint illegalementle droit du demandeur à l'acces au tribunal et àl'octroi d'un recours effectif devant le Conseildu contentieux des etrangers (violation desarticles 6 et 13 de la Convention de sauvegardedes droits de l'homme et des libertesfondamentales, signee à Rome le 4 novembre 1950,approuvee par la loi du 13 mai 1955, 16 de laConvention internationale relative au statut desrefugies et des annexes, signees à Geneve le28 juillet 1951, approuvees par la loi du 26 juin1953 et 63 de la loi du 15 decembre 1980 surl'acces au territoire, le sejour, l'etablissementet l'eloignement des etrangers).
III. La decision de la Cour
Quant à la seconde branche :
1. En vertu de l'article 508/14, in fine, duCode judiciaire, les demandes tendant aubenefice de la gratuite complete oupartielle de l'aide juridique de deuxiemeligne manifestement mal fondees sontrejetees.
Le tribunal du travail ou, en degre d'appel, lacour du travail, qui sont appeles à statuer surle recours dirige contre une decision de refus dubureau d'aide juridique sont tenus d'examiner àla lumiere des limites prevues par la loi et laConvention de sauvegarde des droits de l'homme etdes libertes fondamentales si la decision de refusdu benefice de l'aide juridique de deuxieme lignene viole pas le droit d'acces effectif à untribunal pour une cause ayant une chanceraisonnable de succes.
Ces chances ne doivent pas etre manifestes, desorte qu'il n'appartient pas aux instancesprecitees, lorsqu'elles statuent sur une demandetendant à obtenir le benefice de l'aide juridiquede deuxieme ligne, de proceder à l'examen au fonddes moyens invoques.
2. L'arret attaque retient le caractere« manifestement mal fonde » de lademande, notamment sur la base des motifssuivants :
- le demandeur n'apporte pas la preuve qu'il estle denomme I.K. ; la piece jointe à sa requete enreouverture des debats n'etablit nullement sonidentite ;
- il ressort des elements du dossier depose par ledefendeur que le demandeur a introduit plusieursdemandes d'asile en Belgique sous un faux nom ; àchaque demande, il a utilise non seulement unefausse identite mais aussi un faux passeport et defaux diplomes ;
- c'est seulement lors de sa quatrieme demanded'asile que le demandeur se presente subitementsous le nom de I.K. mais en aucune maniere il neparvient à apporter la preuve qu'il estreellement le denomme I.K. ;
- il est clair que le demandeur tente par tous lesmoyens d'obtenir l'asile et qu'à cette fin il necraint pas de faire de fausses declarations ou deproduire de faux certificats et documents.
Par ces motifs, les juges d'appel n'ont pu rejeterla demande comme etant manifestement mal fondee etn'ont pas justifie legalement leur decision.
Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, estfonde.
* Par ces motifs,
* * La Cour
* * Casse l'arret attaque ;
* Ordonne que mention du present arret serafaite en marge de l'arret casse ;
* Reserve les depens pour qu'il soit statue surceux-ci par le juge du fond ;
* Renvoie la cause devant la cour du travaild'Anvers.
Ainsi juge par la Cour de cassation, troisiemechambre, à Bruxelles, ou siegeaient le presidentde section Robert Boes, les conseillers BeatrijsDeconinck, Alain Smetryns, Koen Mestdagh et GeertJocque, et prononce en audience publique du vingtdecembre deux mille dix par le president desection Robert Boes, en presence de l'avocatgeneral Ria Mortier, avec l'assistance du greffierPhilippe Van Geem.
Traduction etablie sous le controle du conseillerAlbert Fettweis et transcrite avec l'assistance dugreffier Marie-Jeanne Massart.
Le greffier, Le conseiller,
20 DECEMBRE 2010 S.10.0040.N/1