Cour de cassation de Belgique
Arret
1455
NDEG C.07.0094.F
COMMUNE DE PONT-A-CELLES, representee par son college communal, dont lesbureaux sont etablis à Pont-à-Celles, en la maison communale,
demanderesse en cassation,
representee par Maitre Lucien Simont, avocat à la Cour de cassation, dontle cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 149, ou il est faitelection de domicile,
contre
1. VILLE DE CHARLEROI, representee par son college communal, dont lesbureaux sont etablis à Charleroi, en l'hotel de Ville,
2. SOCIETE WALLONNE DES EAUX, en abrege S.W.D.E., societe civile ayantemprunte la forme d'une societe cooperative à responsabilite limitee dontle siege social est etabli à Verviers, rue de la Concorde, 41,
defenderesses en cassation,
representees par Maitre John Kirkpatrick, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 3, ou ilest fait election de domicile.
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 21 septembre2006 par la cour d'appel de Mons.
Le conseiller Didier Batsele a fait rapport.
L'avocat general delegue Philippe de Koster a conclu.
II. Les moyens de cassation
La demanderesse presente trois moyens libelles dans les termes suivants :
Premier moyen
Dispositions legales violees
- principe general du droit relatif à la caducite des obligationscontractuelles par disparition de leur objet, tel qu'il est consacrenotamment par les articles 1108, 1126, 1182, 1193, 1194, 1195, 1196, 1302,1722, 1741 du Code civil et 39, 2DEG, et 41 du Code des societes et, pourautant que de besoin, ces dispositions legales ;
- articles 1108, 1126 et 1302 du Code civil.
Decisions et motifs critiques
L'arret decide :
« que le conseil communal de la [demanderesse] a decide le 14 decembre1978 de remettre le reseau de distribution d'eau de l'ancienne commune deThimeon à la S.N.D.E., avec effet au 1er janvier 1979 [...] ;
que dans ce contexte, la regie des eaux de Charleroi a d'ailleurs eteexpressement invitee par [la demanderesse] à desormais adresser toutesses factures à la S.N.D.E. [...] ;
(qu') à partir du 1er janvier 1979, [la demanderesse] ne disposait doncplus des installations destinees à recevoir l'eau qui devait lui etrefournie gratuitement par la [premiere defenderesse] ;
que de la sorte, l'obligation relative à cette fourniture gratuite estnecessairement devenue sans objet ;
que partant, c'est à juste titre que la [premiere defenderesse] invoquela caducite (et donc la disparition), sinon de la convention conclue entreles anciennes communes de Thimeon et de Jumet, à tout le moins del'obligation precitee, relative à la fourniture gratuite d'une certainequantite d'eau ».
Griefs
L'objet de l'obligation consiste en la chose qu'une partie s'oblige àdonner ou qu'une partie s'oblige à faire ou ne pas faire.
La disparition de cet objet n'emporte la caducite de l'obligation que dansla mesure ou elle entraine l'impossibilite d'executer l'obligation ennature.
L'arret constate en l'espece que l'objet de l'obligation de la premieredefenderesse aux termes de la convention conclue le 25 juin 1896consistait en la fourniture d'une certaine quantite d'eau gratuite auprofit de la demanderesse. Cette question n'etait pas litigieuse.
L'arret decide ensuite qu'en raison de l'apport de son reseau par lademanderesse à la S.N.D.E., à laquelle a succede la secondedefenderesse, l'obligation relative à la fourniture d'eau gratuite serait« necessairement » devenue sans objet et serait partant caduque.
Or, et d'une part, le reseau de distribution d'eau et son apport sontetrangers à la fourniture d'eau gratuite dont l'arret constate qu'elleconstitue l'objet de l'obligation de la premiere defenderesse qu'ildeclare caduque.
D'autre part, ni par les considerations visees ci-dessus ni par aucuneautre, l'arret ne constate que cette obligation serait devenue impossibleà executer en nature.
Il s'ensuit que l'arret, en ce qu'il prononce la caducite de l'obligationde la premiere defenderesse de fournir une certaine quantite d'eaugratuite à la demanderesse 1) en se fondant sur des element etcirconstance extrinseques à l'objet de ladite obligation, viole la notionlegale d'objet de l'obligation (violation des articles 1108, 1126 et 1302du Code civil), et 2) sans constater une impossibilite de l'executer,viole le principe general du droit de la caducite des obligations(violation du principe et des dispositions vises au moyen).
Deuxieme moyen
Dispositions legales violees
* article 149 de la Constitution ;
* 1138, 3DEG, du Code judiciaire.
Decisions et motifs critiques
L'arret deboute la demanderesse de l'appel interjete contre le jugement du9 fevrier 2001 pour le motif essentiellement que l'obligation principalede la premiere defenderesse aux termes de la convention du 25 juin 1896serait frappee de caducite, quod non.
Griefs
Les conclusions de synthese d'appel de la demanderesse faisaient valoir,à titre subsidiaire, que meme dans l'hypothese ou l'obligation defourniture d'une certaine quantite d'eau gratuite par la premieredefenderesse ou encore la convention qui les liait serait caduque, lapremiere defenderesse aurait commis une faute contractuelle justifiantqu'elle soit condamnee au paiement de dommages-interets equivalent auvolume d'eau gratuit auquel la demanderesse avait droit ou plussubsidiairement que soit prononcee la resiliation de la convention auxtorts de la premiere defenderesse accompagnee de dommages-interets evaluesà un montant provisionnel de 1.500.000 euros.
L'arret omet de statuer sur ces chefs subsidiaires de demande et viole,partant, l'article 1138, 3DEG, du Code judiciaire.
Si l'arret devait etre interprete - quod non - comme ayant rejete ceschefs de demande, il ne serait pas regulierement motive à defaut d'avoirrepondu aux conclusions visees au moyen (violation de l'article 149 de laConstitution).
Troisieme moyen
Dispositions legales violees
* article 149 de la Constitution ;
* principe general du droit relatif aux actes unilateraux consacrenotamment par les articles 28 du chapitre III et 30 à 32 du chapitreIV du titre VIII du livre 1er du Code de commerce et, pour autant quede besoin, violation de ces dispositions.
Decisions et motifs critiques
L'arret constate et considere :
« que la demande dirigee contre la [seconde defenderesse], quel que soitle fondement juridique sur lequel elle repose, suppose l'existence d'unefaute ou d'un manquement (...) » et que « (...) certes, la S.N.D.E.(aujourd'hui la seconde defenderesse) s'est engagee à respecter lecontrat passe entre les deux anciennes communes (...) ».
Il decide toutefois que, ensuite : « il ne resulte d'aucune piece verseeaux debats que les droits et obligations resultant de la convention avenueentre les anciennes communes de Jumet et de Thimeon aient ete transferesou cedes à la S.N.D.E., ce qui n'est d'ailleurs meme pas allegue par [lademanderesse] ; que des lors, on n'aperc,oit pas de quel droit la S.N.D.E.aurait pu obtenir de la [premiere defenderesse] la fourniture gratuited'une certaine quantite d'eau afin d'en faire beneficier, indirectement etd'une quelconque maniere, [la demanderesse] (ou ses habitants) ; que l'onaperc,oit pas davantage comment aujourd'hui la [seconde defenderesse]pourrait obtenir une telle fourniture gratuite d'eau et quelles mesureselle pourrait prendre pour obtenir celle-ci » et que « partant, ils'impose de confirmer le jugement du 3 mars 2005 ».
Griefs
L'arret decide que le contrat conclu entre les deux anciennes communes nelui ayant pas ete cede, la seconde defenderesse n'a pu ou n'a pas souscritd'obligation en s'engageant à respecter ce contrat.
Il signifie donc qu'aucun effet ne peut ni ne doit etre reconnu àl'engagement souscrit par la seconde defenderesse de respecter le contratdu 25 juin 1896.
Or, l'engagement par declaration unilaterale de volonte constitue unesource autonome d'obligations s'ajoutant aux sources prevues par l'article1370 du Code civil.
Un tiers au contrat peut partant s'engager à executer les obligationscontenues dans ce contrat sans que celui-ci doive au prealable lui etrecede.
L'arret, en ce qu'il refuse de donner effet à l'engagement souscrit parla seconde defenderesse en cassation viole le principe general du droitrelatif aux actes unilateraux consacre notamment par les articles 28 duchapitre III et 30 à 32 du chapitre IV du titre VIII du livre 1er du Codede commerce et, pour autant que de besoin, viole ces dispositions.
III. La decision de la Cour
Sur le premier moyen :
L'arret considere que l'objet de l'obligation de la premiere defenderesseenvers la demanderesse, telle qu'elle resulte de la convention du 25 juin1896, modifiee par les avenants des 29 novembre 1930 et 26 aout 1931, estla fourniture gratuite de soixante litres d'eau par jour et par habitant,et considere que cette obligation « devait s'executer en nature ».
En enonc,ant que la demanderesse « a fait apport, avec effet au 1erjanvier 1979, à la [seconde defenderesse], de toutes les installations dedistribution existantes de l'ancienne commune de Thimeon » et « qu'àpartir du 1er janvier 1979, [la demanderesse] ne disposait donc plus desinstallations destinees à recevoir l'eau qui devait lui etre fourniegratuitement par [la premiere defenderesse] », l'arret, qui considereainsi que l'execution materielle de l'obligation a ete rendue impossible,justifie legalement sa decision que l'obligation de celle-ci est devenuesans objet et, des lors, caduque.
Le moyen ne peut etre accueilli.
Sur le deuxieme moyen :
Sur la fin de non-recevoir opposee au moyen par les defenderesses etdeduite de son imprecision :
Il ressort des pieces auxquelles la Cour peut avoir egard que le moyendesigne avec suffisamment de precision les conclusions de la demanderessepour qu'elles puissent etre identifiees comme etant les conclusionsadditionnelles et de synthese communes deposees au greffe de la courd'appel le 31 janvier 2006.
La fin de non-recevoir ne peut etre accueillie.
Sur le fondement :
Dans ses conclusions precitees du 31 janvier 2006, la demanderessesoutenait que dans l'hypothese ou l'obligation de fourniture d'eaugratuite par la premiere defenderesse serait caduque, celle-ci auraitcommis une faute contractuelle en omettant de signaler à la demanderessequ'elle se trouvait dans l'impossibilite d'executer ses engagements etelle reclamait, à titre subsidiaire, que la premiere defenderesse soitcondamnee à lui payer des dommages-interets equivalant au volume d'eaugratuit auquel la demanderesse avait droit, et, à titre plus subsidiaire,que soit prononcee la resiliation de la convention aux torts de lapremiere defenderesse, accompagnee de dommages-interets evalues à unmontant provisionnel de 1.500.000 euros.
L'arret omet de prononcer sur ces chefs de demandes et viole, des lors,l'article 1138, 3DEG, du Code judiciaire.
Dans cette mesure, le moyen est fonde.
Sur le troisieme moyen :
Le moyen n'indique pas en quoi l'arret violerait l'article 149 de laConstitution.
Pour le surplus, il n'existe pas de « principe general du droit relatifaux actes unilateraux » dont la meconnaissance donnerait ouverture àcassation en vertu de l'article 608 du Code judiciaire.
Enfin, les dispositions legales qui consacreraient l'existence de ceprincipe general du droit sont etrangeres au grief allegue.
Le moyen est irrecevable.
Sur l'etendue de la cassation :
La cassation de l'arret attaque, sur la base du deuxieme moyen, en tantqu'il omet de statuer sur les demandes subsidiaires de la demanderessecontre la premiere defenderesse s'etend à la decision, rendue surl'action reconventionnelle de la premiere defenderesse, qui, parconfirmation du jugement dont appel du 9 fevrier 2001, condamne lademanderesse à restituer à la premiere defenderesse les sommes de559.805 francs et 556.740 francs, majorees d'interets judiciaires, enraison du lien qui peut exister entre les decisions à rendre sur lesdemandes subsidiaires de la demanderesse et la decision sur l'actionreconventionnelle de la premiere defenderesse.
Sur les autres griefs :
Il n'y a pas lieu d'examiner le surplus du deuxieme moyen qui ne sauraitentrainer une cassation plus etendue.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l'arret attaque en tant qu'il omet de statuer sur les demandessubsidiaires de la demanderesse contre la premiere defenderesse, que, parconfirmation du jugement dont appel du 9 fevrier 2001, il condamne lademanderesse à restituer à la premiere defenderesse les sommes de559.805 francs et 556.740 francs, majorees d'interets judiciaires, etqu'il statue sur les depens afferents aux demandes opposant lademanderesse à la premiere defenderesse ;
Rejette le pourvoi pour le surplus ;
Ordonne que mention du present arret sera faite en marge de l'arretpartiellement casse ;
Condamne la demanderesse à la moitie des depens et reserve le surpluspour qu'il soit statue sur celui-ci par le juge du fond ;
Renvoie la cause, ainsi limitee, devant la cour d'appel de Liege.
Les depens taxes à la somme de mille deux cent soixante euros vingt et uncentimes envers la partie demanderesse et à la somme de deux centtrente-six euros vingt-sept centimes envers les parties defenderesses.
Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Paul Mathieu, les conseillers DidierBatsele, Albert Fettweis, Christine Matray et Mireille Delange, etprononce en audience publique du vingt-cinq juin deux mille dix par lepresident de section Paul Mathieu, en presence de l'avocat general deleguePhilippe de Koster, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.
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| P. De Wadripont | M. Delange | Chr. Matray |
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| A. Fettweis | D. Batsele | P. Mathieu |
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25 JUIN 2010 C.07.0094.F/1