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18/06/2010 | BELGIQUE | N°C.08.0211.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 18 juin 2010, C.08.0211.F


Cour de cassation de Belgique

Arret

1533



NDEG C.08.0211.F

G. M.,

demandeur en cassation,

represente par Maitre Michel Mahieu, avocat à la Cour de cassation, dontle cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 523, ou il est faitelection de domicile,

contre

1. ReGION WALLONNE, representee par son gouvernement en la personne duministre-president, dont le cabinet est etabli à Namur (Jambes), rueMazy, 25-27,

representee par Maitre Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, a

venue Louise, 149, ou il estfait election de domicile,

2. VILLE DE MONS, representee par son college communal, ...

Cour de cassation de Belgique

Arret

1533

NDEG C.08.0211.F

G. M.,

demandeur en cassation,

represente par Maitre Michel Mahieu, avocat à la Cour de cassation, dontle cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 523, ou il est faitelection de domicile,

contre

1. ReGION WALLONNE, representee par son gouvernement en la personne duministre-president, dont le cabinet est etabli à Namur (Jambes), rueMazy, 25-27,

representee par Maitre Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 149, ou il estfait election de domicile,

2. VILLE DE MONS, representee par son college communal, dont les bureauxsont etablis à Mons, en l'hotel de ville,

representee par Maitre Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est etabli à Liege, rue de Chaudfontaine, 11,ou il est fait election de domicile,

defenderesses en cassation.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 10 janvier 2008par la cour d'appel de Mons.

Le conseiller Didier Batsele a fait rapport.

L'avocat general delegue Philippe de Koster a conclu.

II. Le moyen de cassation

Le demandeur presente un moyen libelle dans les termes suivants :

Dispositions legales violees

Articles 1382 et 1383 du Code civil

Decisions et les motifs critiques

L'arret reforme partiellement le premier jugement et, partant, deboute ledemandeur de ses demandes et ce, par tous ses motifs et specialement lesmotifs suivants :

« Les fautes alleguees consistent, pour la [premiere defenderesse], àavoir, de maniere illegale, donne un avis favorable à la delivrance dupermis de batir litigieux, pour la [seconde defenderesse], à avoir, demaniere tout aussi illegale, delivre ledit permis de batir et, pour lesdeux autorites administratives precitees, à avoir porte atteinte aurespect du aux anticipations legitimes d'autrui en transgressant leprincipe de bonne administration et de securite juridique ;

En ce qui concerne les deux premieres fautes decrites ci-avant, [ledemandeur] se refere à l'autorite de chose jugee de l'arret d'annulationrendu le 21 novembre 1990 par le Conseil d'Etat ;

[Les deux defenderesses] contestent (notamment) l'existence d'un lien decausalite entre le dommage dont [le demandeur] reclame la reparation etles fautes alleguees par celui-ci à leur encontre ;

Le prejudice materiel consiste dans le remboursement du cout de laconstruction litigieuse, dans le cout des travaux de demolition et dans letrouble de jouissance pendant l'execution des travaux de demolition ;

Le premier chef de demande represente la perte resultant de la demolitiondu batiment ;

En effet, [le demandeur] fait observer à propos de celui-ci qu'il a faitconstruire un immeuble qu'il a, compte tenu de l'illegalite du permisdelivre, ete contraint de demolir ;

Le prejudice moral resulte de ce que [le demandeur] à ete contraint defaire face aux poursuites diligentees contre lui ensuite d'uneconstruction devenue illegale' ;

Ce prejudice moral consiste dans les efforts consentis en vain afin`d'eviter la condamnation à la demolition de l'immeuble' litigieux, dansles tracas administratifs et financiers et les difficultes psychologiquesen relation avec les procedures penales dont [le demandeur] et son epouseont fait l'objet et avec les critiques formulees par divers voisins dansce contexte ;

[Le demandeur] demande à la cour [d'appel] de lui donner acte de sesreserves relatives au cas ou les parties civiles constituees devant letribunal correctionnel viendraient à diligenter leurs demandes ;

Le jugement du tribunal correctionnel de Mons du 27 juin 1994 a declareetablie la prevention mise à charge [du demandeur] et de son epouse ;

Cette prevention consiste à avoir maintenu le batiment litigieux apresl'arret d'annulation du Conseil d'Etat ;

Ce meme jugement a ordonne la remise en etat des lieux dans leur pristinetat (ce qui impliquait la demolition du batiment litigieux) ;

Ledit jugement a ete confirme par l'arret rendu le 22 fevrier 2000 par lacour d'appel de Bruxelles, sous la precision que la periodeinfractionnelle a ete fixee à la periode se situant entre le 4 decembre1990 et le 29 septembre 1993 et sous l'emendation que le delai de remiseen etat des lieux a ete fixe à un an ;

Lorsque, en matiere d'urbanisme, le fonctionnaire delegue demande, commeen l'espece, à la juridiction repressive d'ordonner la remise en etat deslieux, la decision du juge penal faisant droit à cette demande ressortità l'action publique, nonobstant le caractere civil de la mesure, dont laprononciation en pareil cas est prescrite par la loi à titre decomplement oblige de la condamnation civile [lire : penale] (Cass., 19 mai1999, Pas., 1999, I, 710) ;

Au vu des considerations qui precedent, le prejudice materiel resulte dela condamnation à la remise des lieux dans leur etat anterieur, laquellecondamnation constitue le complement oblige de la decision de lajuridiction repressive ayant declare etablie la prevention mise à charge[du demandeur] et de son epouse ;

Le prejudice moral resulte des faits constitutifs de l'infraction ayantfait l'objet de ladite prevention ;

Il en est de meme des reserves sollicitees par [le demandeur] ;

C'est des lors à bon droit que les defenderesses contestent l'existenced'un lien causal entre les fautes alleguees et le dommage dont [ledemandeur] reclame la reparation, en maniere telle qu'il s'impose de fairedroit à l'appel principal ;

Dans ce contexte, il importe peu que l'exploit introductif de la premiereinstance ait ete signifie le 1er mars 1994 ;

En effet, il appartient à la cour [d'appel], pour apprecier l'existenceeventuelle d'un lien causal entre le dommage et les fautes alleguees, detenir compte de l'objet de la demande originaire tel qu'il a ete modifieet etendu en degre d'appel ».

Griefs

Premiere branche

Le lien de causalite entre la faute et le dommage suppose que, sans lafaute, le dommage n'eut pu se produire tel qu'il s'est realise inconcreto. En d'autres termes, tout fait fautif en lien de condition sinequa non avec le dommage est considere comme une cause de celui-ci, quelleque soit sa gravite et quel que soit son eloignement dans la chaine desantecedents. Il en resulte que le juge ne peut condamner l'auteur de lafaute à reparer le dommage que s'il constate que, sans cette faute, ledommage ne se serait pas produit tel qu'il s'est produit in concreto.Inversement, le juge qui ne constate pas que, sans la faute, le dommage seserait neanmoins produit tel qu'il s'est realise ne justifie paslegalement sa decision qu'il n'existe pas de relation causale entre cettefaute et le dommage.

L'arret attaque precise « que les fautes alleguees consistent, pour la[premiere defenderesse], à avoir, de maniere illegale, donne un avisfavorable à la delivrance du permis de batir litigieux, pour la [secondedefenderesse], à avoir, de maniere tout aussi illegale, delivre leditpermis de batir et, pour les deux autorites administratives precitees, àavoir porte atteinte au respect du aux anticipations legitimes d'autrui entransgressant le principe de bonne administration et de securite juridique; qu'en ce qui concerne les deux premieres fautes decrites ci-avant, [ledemandeur] se refere à l'autorite de chose jugee de l'arret d'annulationrendu le 21 novembre 1990 par le Conseil d'Etat ».

En ce qui concerne les dommages subis par le demandeur, l'arret constateque « le prejudice materiel consiste dans le remboursement du cout de laconstruction litigieuse, dans le cout des travaux de demolition et dans letrouble de jouissance pendant l'execution des travaux de demolition ; quele premier chef de demande represente la perte resultant de la demolitiondu batiment ; qu'en effet, [le demandeur] fait observer à propos decelui-ci qu'il a fait construire un immeuble qu'il a, compte tenu del'illegalite du permis delivre, ete contraint de demolir ; [...] que leprejudice moral resulte de ce que [le demandeur] à ete contraint de faireface aux poursuites diligentees contre lui ensuite de la constructiondevenue illegale' ; que ce prejudice moral consiste dans les effortsconsentis en vain afin `d'eviter la condamnation à la demolition del'immeuble' litigieux, dans les tracas administratifs et financiers et lesdifficultes psychologiques en relation avec les procedures penales dont[le demandeur] et son epouse ont fait l'objet et avec les critiquesformulees par divers voisins dans ce contexte ; [...] que [le demandeur]demande à la cour [d'appel] de lui donner acte de ses reserves relativesau cas ou les parties civiles constituees devant le tribunal correctionnelviendraient à diligenter leurs demandes ».

L'arret decide, en ce qui concerne le lien de causalite entre les fautesalleguees et les dommages subis, « qu'au vu des considerations quiprecedent, le prejudice materiel resulte de la condamnation à la remisedes lieux dans leur etat anterieur, laquelle condamnation constitue lecomplement oblige de la decision de la juridiction repressive ayantdeclare etablie la prevention mise à charge du [demandeur] et de sonepouse ; que le prejudice moral resulte des faits constitutifs del'infraction ayant fait l'objet de ladite prevention ; qu'il en est dememe des reserves sollicitees par [le demandeur] ; que c'est des lors àbon droit que les defenderesses contestent l'existence d'un lien causalentre les fautes alleguees et le dommage dont [le demandeur] reclame lareparation, en maniere telle qu'il s'impose de faire droit à l'appelprincipal ».

En decidant qu'il n'existe pas de relation causale entre les faitsqualifies de fautes commis par les deux defenderesses et le dommage dontle demandeur sollicite la reparation, alors que l'infraction penaleresulte de l'annulation par le Conseil d'Etat du permis delivreillegalement par les defenderesses, sans constater que, sans ces fautes,le dommage se serait neanmoins produit tel qu'il s'est realise, l'arretattaque n'est pas legalement justifie et viole les articles 1382 et 1383du Code civil.

Seconde branche

Conformement aux articles 1382 et 1383 du Code civil, l'obligation dereparer un dommage ne peut etre imposee à l'auteur d'une faute que sicette faute est la cause du dommage. Pour qu'une faute soit la cause dudommage, il faut que le fait qualifie faute ait, nonobstantl'interposition d'autres causes, necessairement cree le dommage,c'est-à-dire que, sans la faute, le dommage tel qu'il se presente inconcreto ne se serait pas realise.

En decidant qu'il n'existe pas de lien de causalite entre les fautesimputees aux defenderesses et le dommage subi par le demandeur au motifque la condamnation du demandeur par la cour d'appel de Mons, statuant enmatiere correctionnelle, l'obligeant à remettre les lieux dans leur etatanterieur absorberait toute la causalite, ou encore que cette causaliteserait absorbee par l'existence meme d'une infraction, l'arret attaquen'est pas legalement justifie.

L'existence d'une decision condamnant le demandeur à remettre les lieuxen leur etat anterieur ne permet en effet pas de rompre la causalite quilie la faute des defenderesses, faute à l'origine de la constructionlitigieuse, au dommage subi par le demandeur. De meme, l'existence d'uneprevention consideree comme etablie ne peut etre consideree comme unecause de rupture du lien de causalite.

L'existence d'une obligation legale, reglementaire ou contractuelle,s'interposant entre la faute et le dommage ne peut entrainer la rupture dela relation causale entre cette faute et ce dommage que lorsqu'il ressortdu contenu ou de l'economie de la convention, de la loi ou du reglement,que la depense ou prestation à intervenir doit rester definitivement àcharge de celui qui s'y est oblige ou qui doit l'effectuer en vertu de laloi ou du reglement.

En considerant que l'obligation, pour le demandeur, de proceder àl'execution de l'arret le condamnant à remettre le bien litigieux dansson etat anterieur, ou encore que la simple existence d'une infraction,rompt le lien de causalite unissant les fautes commises par lesdefenderesses, constituees par les actes ayant confere l'autorisationillegale de construction, et le dommage subi par le demandeur, et ce, sansconstater qu'il resulte de l'existence de cette obligation que celle-ciimpliquerait que le dommage resultant de la faute des demanderesses doitrester definitivement à la charge du destinataire de cette obligation,l'arret attaque meconnait la notion legale de causalite et, pour autantque de besoin, la notion legale de dommage reparable, et viole partant lesarticles 1382 et 1383 du Code civil.

III. La decision de la Cour

Quant à la premiere branche :

Sur la premiere fin de non-recevoir opposee au moyen, en cette branche,par la premiere defenderesse et deduite du defaut d'interet :

L'arret constate « que les fautes alleguees [par le demandeur]consistent, pour [la premiere defenderesse], à avoir, de maniereillegale, donne un avis favorable à la delivrance du permis de batirlitigieux, pour la [seconde], à avoir, de maniere tout aussi illegale,delivre ledit permis de batir ».

Il considere « que le prejudice materiel consiste dans le remboursementdu cout de la construction litigieuse, dans le cout des travaux dedemolition et dans le trouble de jouissance pendant l'execution destravaux de demolition » et « que [ce] premier chef de demande representela perte resultant de la demolition du batiment », tandis « que leprejudice moral resulte de ce que [le demandeur] à ete contraint de faireface aux poursuites diligentees contre lui ensuite de la constructiondevenue illegale' ».

La premiere defenderesse fait valoir qu'il resulte de ces motifs que ledommage dont se plaint le demandeur consiste en la perte d'un avantageillicite, ce qui justifierait la decision de l'arret de dire non fondee lademande du demandeur.

Le dommage consiste en la perte d'un avantage illicite, et ne peut, deslors, donner lieu à reparation, si la situation dans laquelle se trouvaitla victime avant l'acte fautif, etait contraire à une regle de droit.

Il ne ressort pas des motifs de l'arret qu'avant les fautes alleguees, ledemandeur se trouvait dans une situation illegale, en sorte que l'ensemblede son dommage, tel que l'analyse l'arret, consisterait en la perte d'unavantage illicite.

Sur la seconde fin de non-recevoir opposee au moyen, en cette branche, parla premiere defenderesse et deduite du defaut d'interet :

L'examen de la fin de non-recevoir est indissociable de celui du moyen.

Les fins de non-recevoir ne peuvent etre accueillies.

Sur le fondement du moyen, en cette branche :

Si le juge constate souverainement les faits d'ou il deduit l'existence oul'inexistence d'un lien de causalite entre la faute et le dommage, la Courcontrole cependant si, de ses constatations, le juge a pu legalementdeduire cette decision.

Pour exclure l'existence d'un lien causal entre les fautes reprochees auxdefenderesses et le dommage pretendu par le demandeur, l'arret enonce« que le prejudice resulte de la condamnation à la remise des lieux dansleur etat anterieur, laquelle condamnation constitue le complement obligede la decision de la juridiction repressive ayant declare etablie laprevention mise à charge [du demandeur] » et « que le prejudice moralresulte des faits constitutifs de l'infraction ayant fait l'objet deladite prevention ».

L'arret exclut ainsi la responsabilite des defenderesses sur la based'enonciations dont il se deduit que le demandeur a commis une faute enrelation causale avec son dommage mais qui n'impliquent pas que, sans lesfautes qu'il reproche aux defenderesses, ce dommage se serait neanmoinsproduit tel qu'il s'est realise.

Le moyen, en cette branche, est fonde.

Sur les autres griefs :

Il n'y a pas lieu d'examiner la seconde branche du moyen, qui ne sauraitentrainer une cassation plus etendue.

Par ces motifs,

La Cour

Casse l'arret attaque, sauf en tant qu'il rec,oit l'appel principal ;

Ordonne que mention du present arret sera faite en marge de l'arretpartiellement casse ;

Reserve les depens pour qu'il soit statue sur ceux-ci par le juge dufond ;

Renvoie la cause, ainsi limitee, devant la cour d'appel de Liege.

Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president Christian Storck, le president de section PaulMathieu, les conseillers Didier Batsele, Martine Regout et MireilleDelange, et prononce en audience publique du dix-huit juin deux mille dixpar le president Christian Storck, en presence du procureur generalJean-Franc,ois Leclercq, avec l'assistance du greffier Patricia DeWadripont.

+--------------------------------------------+
| P. De Wadripont | M. Delange | M. Regout |
|-----------------+------------+-------------|
| D. Batsele | P. Mathieu | Chr. Storck |
+--------------------------------------------+

18 JUIN 2010 C.08.0211.F/1


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.08.0211.F
Date de la décision : 18/06/2010

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2010-06-18;c.08.0211.f ?
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