Cour de cassation de Belgique
Arrêt
5969
N° P.10.0503.F
B.Ph., D., accusé, détenu,
demandeur en cassation,
ayant pour conseil Maître Emmanuel Ruchat, avocat au barreau de Bruxelles.
I. la procédure devant la cour
Le pourvoi est dirigé contre un arrêt avant dire droit rendu le 1^erfévrier 2010 ainsi que contre deux arrêts rendus les 9 et 10 février 2010,sous les numéros 6 et 18 du répertoire, par la cour d'assises de laprovince de Hainaut.
Le demandeur invoque deux moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt,en copie certifiée conforme.
Le président de section Jean de Codt a fait rapport.
L'avocat général Raymond Loop a conclu.
II. les faits
Par arrêt du 31 août 2009, la chambre des mises en accusation de la courd'appel de Mons a renvoyé le demandeur devant la cour d'assises du chef,notamment, d'assassinat, tentative d'assassinat, vol à l'aide de violencesou de menaces avec circonstances aggravantes, fraude informatique etmenaces avec ordre ou condition.
A l'ouverture de la session, le 1^er février 2010, le demandeur a déposédes conclusions sollicitant que les poursuites soient déclaréesirrecevables faute pour lui d'avoir été assisté d'un avocat dès sapremière audition.
La cour d'assises a rejeté cette défense par un arrêt rendu le jour même.
Sur le verdict, la cour d'assises a rendu ensuite, le 9 février 2010, unarrêt indiquant les principales raisons pour lesquelles les jurés se sontdéterminés comme ils l'ont fait et, le 10 février 2010, un arrêtcondamnant le demandeur à la réclusion à perpétuité du chef desaccusations libellées ci-dessus.
III. la décision de la cour
A. En tant que le pourvoi est dirigé contre l'arrêt avant dire droit du1^er février 2010 :
Sur le premier moyen :
1. Le demandeur soutient que l'arrêt viole le droit à un procès équitableen refusant de déclarer les poursuites irrecevables. Le grief est déduitde la circonstance que le demandeur n'était pas assisté d'un avocat aumoment de sa privation de liberté, lors des différentes auditions depolice et dans le cabinet du juge d'instruction.
Selon le moyen, une telle restriction suffit en elle-même pour conclure àla violation des articles 6.1 et 6.3, c, de la Convention de sauvegardedes droits de l'homme et des libertés fondamentales.
2. L'article 6.3, c, de la Convention, qui consacre le droit pour toutaccusé d'être effectivement défendu par un avocat, ne précise pas lesconditions d'exercice de ce droit et laisse aux Etats contractants lechoix des moyens permettant à leur système judiciaire de le garantir.
3. Les articles 1, 2, 16, §§ 2 et 4, et 20, § 1^er, de la loi du 20juillet 1990 relative à la détention préventive ne prévoient pas laprésence d'un avocat aux côtés de la personne gardée à vue pendant ledélai de vingt-quatre heures institué par l'article 12, alinéa 3, de laConstitution.
Le secret imposé par les articles 28quinquies, § 1^er, alinéa 1^er, et 57,§ 1^er, alinéa 1^er, du Code d'instruction criminelle, fait obstacle, enrègle, à la présence de l'avocat aux actes de l'information et del'instruction préparatoire.
4. Il ne peut être affirmé que ces dispositions violent en elles-mêmes ledroit à un procès équitable. La raison en est double. D'une part, larestriction critiquée doit être appréciée au regard de l'ensemble desgaranties légales fournies à l'inculpé pour assurer utilement le respectde ses droits de défense dès l'engagement de l'action publique. D'autrepart, l'interprétation donnée par le demandeur à l'article 6 de laConvention doit être vérifiée au regard du principe constitutionnel delégalité de la procédure pénale.
5. Les formalités imposées pour l'audition du suspect par l'article 47bisdu Code d'instruction criminelle, la brièveté du délai de garde à vue, laremise immédiate à l'inculpé, au moment de la signification du mandatd'arrêt, de toutes les pièces visées aux articles 16, § 7, et 18, § 2, dela loi du 20 juillet 1990, le droit de l'inculpé de communiquersur-le-champ avec son avocat conformément à l'article 20, §§ 1 et 5, deladite loi, l'accès au dossier tel qu'il est organisé par l'article 21, §3, de la loi, la présence de l'avocat à l'interrogatoire récapitulatifvisé à l'article 22, alinéas 1, 2 et 3, ainsi que les droits instituésnotamment par les articles 61ter, 61quater, 61quinquies, 136 et 235bis duCode d'instruction criminelle, ne permettent pas de conclure de manièreautomatique à une impossibilité définitive de juger équitablement lapersonne entendue sans avocat par la police et le juge d'instruction.
6. En règle, l'article 12, alinéa 2, de la Constitution ne permet pas aujuge de modifier les formes assignées aux poursuites pénales par la loid'un Etat démocratique. Il n'en va autrement que si la règle de droitinterne déclarée non conforme peut être écartée sans altération par lejuge de l'ordonnancement dans lequel elle s'inscrit.
En raison de son imprécision, la portée que le demandeur attribue auprocès équitable ne s'accommode pas du principe de légalité susdit, envertu duquel l'instruction, la poursuite et le jugement n'ont lieu qued'après des textes légaux préexistants et accessibles. Le moyen ne définitpas jusqu'où le juge doit écarter la loi nationale pour rendre le procèséquitable à l'aune de l'article 6 de la Convention dans la lectureévolutive qui en est proposée.
Ainsi, ni le demandeur ni la jurisprudence qu'il invoque n'indiquentclairement si le procès eût été équitable à la seule condition quel'avocat ait été présent lors de la garde à vue ou s'il aurait fallu quecette assistance se prolongeât à tous les actes de l'instruction.
Le droit à un procès équitable suppose aussi qu'aucune des parties ne soitplacée dans une situation plus favorable ou moins avantageuse que celleréservée à son adversaire. Il ne peut dès lors être tenu pour assuré quele procès déféré à la censure de la Cour aurait revêtu un caractère pluséquitable, au sens où le demandeur l'entend, du seul fait qu'un avocataurait assisté à toutes ses auditions sans que l'avantage équivalent soitgaranti aux autres parties.
7. Il y a lieu de rejeter dès lors la thèse suivant laquelle le droitrevendiqué pour l'accusé aurait un caractère absolu, et d'examinerconcrètement, à la lumière de l'ensemble de la procédure, si le griefsoulevé par le demandeur a pu vicier celle-ci.
Tel ne paraît pas être le cas en l'espèce. En effet, il ressort notammentdes constatations de l'arrêt attaqué
* que le demandeur n'a consenti aucune déclaration auto-accusatricependant sa garde à vue ;
* qu'avant sa première audition par la gendarmerie française, il arenoncé expressément à l'assistance d'un avocat telle que prévue parl'article 63-4 du Code de procédure pénale français ;
* que l'intéressé a été assisté d'un avocat dès sa comparution devant lachambre de l'instruction de la cour d'appel de Douai et pendant lesdeux années de sa détention préventive ;
* que le demandeur n'a jamais été contraint de s'incriminer lui-mêmemais s'est toujours exprimé librement.
La cour d'assises a, dès lors, légalement refusé de dire les poursuitesirrecevables.
Le moyen ne peut être accueilli.
Et les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont étéobservées et la décision est conforme à la loi.
B. En tant que le pourvoi est dirigé contre les arrêts de motivation etde condamnation pénale rendus les 9 et 10 février 2010 :
Sur le second moyen :
Le demandeur fait grief à la presse de l'avoir présenté comme étantcoupable dès avant le début des audiences. Selon lui, il est possible quecertains membres du jury aient eu connaissance de ces écrits et qu'ilsaient été influencés par ceux-ci.
La Cour n'est pas le juge des excès médiatiques. Son contrôle ne s'étendpas au-delà de la décision visée par le pourvoi. Dans la mesure où il estétranger aux arrêts attaqués, le moyen est irrecevable.
Pour le surplus, la motivation du verdict et de la peine ne se réfère pasaux affirmations des journalistes mais aux données débattuescontradictoirement à l'audience.
Ne trouvant pas d'appui dans les pièces de la procédure, le moyen manque àcet égard en fait.
Et les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont étéobservées et les décisions sont conformes à la loi.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux frais.
Lesdits frais taxés à la somme de quatre-vingt-cinq euros trente-quatrecentimes dus.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, oùsiégeaient Jean de Codt, président de section, Albert Fettweis, BenoîtDejemeppe, Alain Simon et Gustave Steffens, conseillers, et prononcé enaudience publique du vingt-six mai deux mille dix par Jean de Codt,président de section, en présence de Raymond Loop, avocat général, avecl'assistance de Tatiana Fenaux, greffier.
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| T. Fenaux | G. Steffens | A. Simon |
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| B. Dejemeppe | A. Fettweis | J. de Codt |
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26 MAI 2010 P.10.0503.F/7