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30/04/2010 | BELGIQUE | N°C.08.0413.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 30 avril 2010, C.08.0413.F


Cour de cassation de Belgique

Arrêt

3898



N° C.08.0413.F

PIETERCIL DELBY'S, société anonyme dont le siège social est établi àTernat, Vitseroelstraat, 74,

demanderesse en cassation,

représentée par Maître Paul Lefebvre, avocat à la Cour de cassation, dontle cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 480, où il est faitélection de domicile,

contre

BARILLA ALIMENTARE, société de droit italien dont le siège est établi à43100 Parme (Italie), via Mantova, 166,

défenderesse en cassation,

représenté

e par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 149, où il est fai...

Cour de cassation de Belgique

Arrêt

3898

N° C.08.0413.F

PIETERCIL DELBY'S, société anonyme dont le siège social est établi àTernat, Vitseroelstraat, 74,

demanderesse en cassation,

représentée par Maître Paul Lefebvre, avocat à la Cour de cassation, dontle cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 480, où il est faitélection de domicile,

contre

BARILLA ALIMENTARE, société de droit italien dont le siège est établi à43100 Parme (Italie), via Mantova, 166,

défenderesse en cassation,

représentée par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 149, où il est faitélection de domicile.

I. La procédure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 21 mars 2008par la cour d'appel de Bruxelles.

Le président Christian Storck a fait rapport.

L'avocat général délégué Philippe de Koster a conclu.

II. Le moyen de cassation

La demanderesse présente un moyen libellé dans les termes suivants :

Dispositions légales violées

- article 149 de la Constitution ;

- articles 1134 et 1156 du Code civil ;

- articles 1^er et 6 de la loi du 27 juillet 1961 relative à larésiliation unilatérale des concessions de vente exclusive à duréeindéterminée (tels qu'ils ont été modifiés par les articles 1^er et 6 dela loi du 13 avril 1971 relative à la résiliation unilatérale desconcessions de vente).

Décisions et motifs critiqués

L'arrêt rejette en l'espèce l'application de la loi du 27 juillet 1961 et,partant, déclare la demande d'indemnités sur la base de la loi et l'appelincident de la demanderesse non fondés par les motifs suivants :

« 5. (La demanderesse) fonde ses diverses demandes sur les articles 2 et 3de la loi du 27 juillet 1961 relative à la résiliation unilatérale desconcessions de vente exclusive à durée indéterminée.

6. Pour que cette loi soit d'application, il faut que la relationcontractuelle nouée entre les parties puisse s'analyser en un contrat deconcession de vente, tel qu'il est précisé à l'article 1^er, § 2, deladite loi.

La concession de vente s'y définit comme `toute convention en vertu delaquelle un concédant réserve, à un ou plusieurs concessionnaires, ledroit de vendre en leur nom et pour leur propre compte des produits qu'ilfabrique ou distribue' (article 1^er, § 2, de la loi de 1961).

7. Les relations entre les parties n'ont pas fait l'objet d'une conventionécrite.

La convention de concession ne doit toutefois pas nécessairement êtreconsignée dans un écrit. Elle peut être verbale.

Dans cette hypothèse, c'est à celui qui se prévaut de la qualité deconcessionnaire exclusif qu'il appartient d'en rapporter la preuve partous moyens de droit, et notamment par la manière dont les parties se sontcomportées dans le passé.

8. (La défenderesse) ne conteste pas avoir été liée à (la demanderesse)par un contrat de distribution et lui avoir conféré l'exclusivité dans lesecteur qu'elle prospectait, à savoir celui de la grande distribution.

Le motif pour lequel elle conteste l'application de la loi de 1961 enl'espèce réside dans le fait que (la demanderesse) n'assumait pas tous lesrisques économiques liés à la distribution des produits (de ladéfenderesse) et des produits Wasa, en sorte qu'elle ne vendait pas pourson propre compte selon la prescription légale.

9. `Lorsque l'intermédiaire agit pour son propre compte, sa situation estcelle d'un commerçant qui retire directement tous les profits de sonactivité et en assume tous les risques (risques liés à la propriété desmarchandises, à leur distribution, etc.)' (L. du Jardin, Le droit belge dela distribution commerciale, Larcier, 1992, p. 37, n° 46).

`A la différence du commissionnaire et de l'agent autonome, leconcessionnaire achète pour son propre compte les produits qu'il vadistribuer, en sorte qu'il assume les risques d'une mévente ou d'unebaisse de prix' (Van Ryn et Heenen, Principes de droit commercial, t. IV,p. 53, n ° 68).

`Le concessionnaire présente (...) des avantages par rapport aureprésentant : (...) il achète au producteur pour revendre. Généralementtenu par un quota, il assume donc tous les risques de la distribution etpermet au concédant une production régulière' (G. Bricmont et R. Gijsels,Le contrat de concession de vente exclusive, Larcier, 1962, 22).

`C'est la réalité économique et juridique qui doit être examinée pourapprécier si oui ou non le revendeur vend en son nom et pour son proprecompte' (J.-P. Fierens et P. Kileste, `La loi du 27 juillet relative à larésiliation unilatérale des concessions de vente exclusive à duréeindéterminée', J. T., 1987, 693).

Il n'y a pas de concession de vente, au sens de la loi, lorsque,notamment, le prétendu concessionnaire n'a pas la liberté de fixer le prixde vente, reçoit une commission et ne supporte aucun risque de mévente(Bruxelles, 21 décembre 2000, R.D.C., 2002, 107).

10. En l'espèce, comme l'expose le premier juge, le contexte particulierdans lequel se sont développées les relations commerciales entre lesparties a eu une influence sur la détermination des modalités financièresde leur collaboration.

D'une part, l'on se trouve dans le secteur de la grande distribution quise caractérise, notamment, par le fait que l'acheteur occupe une positionde force par rapport au fournisseur — contrairement au schéma dedistribution classique —, fournisseur qui se voit imposer des conditionscommerciales particulièrement lourdes, à défaut d'acceptation desquellesle produit qu'il distribue n'est pas vendu par les grandes surfaces.

D'autre part, (la défenderesse) vendait ses produits à (la demanderesse) àun prix non négociable, souhaitant conserver une homogénéité de ses prixentre tous ses distributeurs, qu'il s'agisse d'entreprises indépendantes —comme (la demanderesse) — ou de filiales et ce, pour limiter les risquesd'exportations et d'importations parallèles.

Il est constant que ces contraintes quant à la fixation du prix d'achat enamont et de revente en aval plaçaient (la demanderesse) dansl'impossibilité de dégager un bénéfice. Sa marge brute, telle qu'ellerésulte classiquement de la différence entre le prix de vente des produitset le prix d'achat, était négative.

Les parties se sont dès lors accordées pour que la rémunération de (lademanderesse) soit fixée par rapport à un taux de rentabilité à négocierd'année en année.

Depuis 1999, ce taux était fixé à 11,30 p.c. du montant brut théorique desventes (ou Gross Sale Value - G.S.V.). Il est expliqué que le montantobtenu en appliquant ce taux au chiffre d'affaires brut théorique était leD.B.C. (`Direct Brand Contribution') ou la contribution directe de (ladéfenderesse) dans la rémunération de (la demanderesse).

Concrètement, (la défenderesse) procédait à des versements mensuelscorrespondant à 23,64 p.c. du chiffre d'affaires net théorique ; ellefaisait des régularisations périodiques et prenait en charge certainsfrais spécifiques. L'ensemble de ces opérations permettait d'atteindre unerémunération pour (la demanderesse) égale à 11,30 p.c. du chiffred'affaires brut théorique.

11. A tort, le premier juge est parti du postulat émis par (lademanderesse) que le mécanisme comptable et financier mis en place par lesparties aboutit à un résultat identique à celui qui aurait été obtenu si(la défenderesse) avait fixé son prix de vente à (la demanderesse) à unmontant inférieur.

D'une part, il ne résulte d'aucune pièce que (la défenderesse) ait jamaiseu la volonté de diminuer ses prix ; ce faisant, elle aurait créé desdistorsions entre ses différents distributeurs, ce qu'elle voulaitprécisément éviter.

D'autre part, ce postulat contesté par (la défenderesse) ne repose suraucune pièce probante.

La situation à examiner n'est pas celle qui eût pu exister dans desconditions économiques différentes mais bien celle qui a effectivementexisté entre les parties.

A cet égard, si le D.B.C. ne constitue pas une marge garantie en valeurabsolue, il n'en demeure pas moins qu'il visait à octroyer à (lademanderesse) une rémunération sous la forme d'un pourcentage fixe de11,30 p.c. sur chaque vente réalisée à son intermédiaire ; ainsi, surchaque produit vendu, (la demanderesse) était assurée de percevoir 11,30p.c. calculés sur le G.S.V. ou prix officiel du produit, compte non tenudes éventuelles remises ou ristournes octroyées.

Quel que soit le prix facturé à la clientèle, même si les ristournes etpromotions accordées par (la demanderesse) aux clients s'inscrivaient dansle cadre d'une enveloppe globale discutée par les parties, (lademanderesse) était certaine de percevoir 11,30 p.c. calculés sur leG.S.V. ; en d'autres termes, à un prix de vente théorique égal (ouG.S.V.), plus le prix effectivement facturé au client était bas, plus lemontant de la compensation à verser par (la défenderesse) était important,pour que le bénéfice dégagé par (la demanderesse) reste fixe enpourcentage.

(La demanderesse) ne supportait donc pas le risque d'une baisse des prixde revente à sa cliente.

Par ailleurs, si, comme le relève (la demanderesse), il lui appartenait deréaliser un certain quota de ventes pour couvrir ses propres frais, cettesituation n'est pas l'apanage du concessionnaire ; tant l'agent commercialque le commisssionnaire doivent également supporter leurs frais propres(cf. G. Bricmont et R. Gijsels, Le contrat de concession de venteexclusive, Larcier, 1962, 21).

Même si (la demanderesse) achetait pour revendre, finançait l'achat de sonstock et supportait le risque d'insolvabilité de ses clients — en principeseulement, car, en l'espèce, s'agissant de la grande distribution, cerisque était pratiquement nul —, elle avait toutefois la certitude derécupérer auprès de (la défenderesse) l'équivalent de sa marge brute sousla forme du D.B.C.

II convient enfin de ne pas perdre de vue que, de l'aveu même de (lademanderesse), sans ce mécanisme de soutien de (la demanderesse) par (ladéfenderesse), la mise en place d'une concession de vente exclusiven'était pas viable d'un point de vue économique.

Il s'en déduit que le `bénéfice' que retirait (la demanderesse) de larevente des produits s'apparentait plus à une commission qu'à un véritableprofit obtenu en faisant la différence entre les prix de vente et d'achat.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la relation commercialeatypique nouée par les parties ne répond pas à la notion de concession devente au sens de la loi du 27 juillet 1961.

Partant, la résiliation de cette relation n'est pas soumise à la loi de1961 et (la demanderesse) doit être déboutée de sa demande ».

Griefs

Première branche

La loi du 27 juillet 1961 définit en son article 1^er, § 2, une concessionde vente comme étant « toute convention en vertu de laquelle un concédantréserve, à un ou plusieurs concessionnaires, le droit de vendre, en leurpropre nom et pour leur propre compte, des produits qu'il fabrique oudistribue ».

Les mots « pour leur propre compte » ne requièrent pas que leconcessionnaire de vente assume seul tous les risques afférents à ladistribution des produits du concédant.

Ni la définition légale ni les travaux préparatoires de la loi n'exigentou ne supposent que le concessionnaire supporte seul l'intégralité desrisques liés à la distribution des produits.

Ainsi, tant l'exposé des motifs de la loi que le rapport fait au nom de lacommission des Classes moyennes du Sénat ainsi que les travauxpréparatoires de la loi du 13 avril 1971 modifiant la loi ne se réfèrent[pas] à la prise de risques économiques exclusivement par leconcessionnaire pour caractériser la concession de vente au sens de laloi, mais aux frais que le concessionnaire est amené à devoir supporter etaux investissements qu'il doit consentir pour assurer cette distribution.

Or, en citant certains auteurs qui soutiennent que le concessionnaire,pour pouvoir bénéficier de la protection de la loi, doit assumer tous lesrisques (risques liés à la propriété des marchandises, à leurdistribution, etc.), l'arrêt fait sien leurs opinions et requiert,partant, et sans que le législateur ne l'exige, que la demanderesse, en saqualité de concessionnaire, assume l'entièreté des risques afférents à ladistribution des produits.

En exigeant que la demanderesse, en sa qualité de concessionnaire, assumela totalité des risques de la distribution et, par voie de conséquence,que la défenderesse, en sa qualité de concédant, n'en assume aucun,l'arrêt ajoute à la loi une condition qui n'y figure pas, par conséquent,méconnaît les termes légaux « pour leur propre compte » figurant àl'article 1^er, § 2, de la loi et, partant, viole cet article.

Deuxième branche

L'arrêt est, en outre, ambigu.

L'arrêt cite différents auteurs ainsi que la jurisprudence de la courd'appel de Bruxelles.

Ainsi, sont cités monsieur du Jardin et messieurs les professeurs Van Rynet Heenen.

Le premier défend la thèse que le concessionnaire est censé assumer tousles risques liés à la distribution :

« Lorsque l'intermédiaire agit pour son propre compte, sa situation estcelle d'un commerçant qui retire directement tous les profits de sonactivité et en assume tous les risques liés à la propriété desmarchandises, à leur distribution, etc. » (L. du Jardin, Le droit belge dela distribution commerciale, Larcier, 1992, p. 37, n° 46).

Les seconds enseignent, au contraire, que le concessionnaire doitseulement supporter les risques relatifs à une mévente ou à une baisse desprix :

« A la différence du commissionnaire et de l'agent autonome, leconcessionnaire achète pour son propre compte les produits qu'il vadistribuer en sorte qu'il assume les risques d'une mévente ou d'une baissedes prix » (Van Ryn et Heenen, Principes de droit commercial, t. IV, p.53, n° 68).

L'arrêt poursuit en mettant en exergue un des avantages - selon messieursBricmont et Gijsels - qu'offre au concédant le statut du concessionnaire,soit celui d'un intermédiaire qui assume tous les risques de ladistribution :

« Le concessionnaire présente (...) des avantages par rapport aureprésentant : (...) il achète au producteur pour revendre. Généralementtenu par un quota, il assume donc tous les risques de la distribution etpermet au concédant une production régulière » (G. Bricmont et R. Gijsels,Le contrat de concession de vente exclusive, Larcier, 22).

L'arrêt cite, finalement, la jurisprudence antérieure de la cour d'appel,selon laquelle il « n'y a pas de concession de vente, au sens de la loi,lorsque, notamment, le prétendu concessionnaire n'a pas la liberté defixer le prix de vente, reçoit une commission et ne supporte aucun risquede mévente (Bruxelles, 21 décembre 2000, R.D.C., 2002, 107) », qui rejointl'opinion de messieurs Van Ryn et Heenen précitée.

Ces différentes autorités citées ne sont pas au diapason : ainsi lespassages de Bricmont et Gijsels et celui de du Jardin exigent que leconcessionnaire assume tous les risques, alors que la jurisprudenceantérieure de la cour d'appel adhère à la thèse défendue par Van Ryn etHeenen et lie le rejet de la qualification de concession de vente à troiséléments, à savoir (i) l'absence de liberté pour le concessionnaire defixer le prix de vente, (ii) l'existence de commissions et (iii) l'absencede risque de mévente.

En s'appropriant l'opinion d'autorités dont les unes exigent que leconcessionnaire supporte l'entièreté des risques et les autres seulementcertains risques, l'arrêt laisse ainsi incertain s'il décide que leconcessionnaire doit supporter tous les risques pour pouvoir tomber dansle champ d'application de la loi ou si le fait de supporter seulementcertains risques suffit pour lui conférer la protection de la loi.

Dans la première des interprétations, l'arrêt méconnaît les termes légaux« pour leur propre compte » et est, partant, contraire à l'article 1^er, §2, de la loi, alors que ceci n'est pas le cas dans la secondeinterprétation.

Illégal dans une interprétation et pas dans l'autre, l'arrêt est ambigu etviole, partant, l'article 149 de la Constitution.

L'arrêt utilise, en outre, dans l'attendu reproduisant sa jurisprudenceantérieure, le mot « notamment », ce qui implique la prise en compted'autres éléments, sans toutefois préciser de quels éléments il s'agit,rendant dès lors le contrôle de légalité de la Cour impossible et violant,partant, une nouvelle fois l'article 149 de la Constitution.

Troisième branche

En son article 1^er, § 2, la loi du 27 juillet 1961 énumère une série decaractéristiques qui doivent être présentes pour qu'il soit question deconcession au sens de cette loi, soit (i) l'achat et la revente par leconcessionnaire en son nom et pour son compte et (ii) la réservation parle concédant au concessionnaire de ce droit de revendre ses produits.

Dès que ces conditions légales sont présentes dans un cas d'espèce, ellesne laissent d'autre choix au juge que d'appliquer la loi, nonobstantl'existence d'une marge bénéficiaire qui n'était pas égale à la différenceentre le prix d'achat et le prix de revente mais qui, de l'accord desparties, était forfaitaire.

La loi est, en effet, protectrice des intérêts du concessionnaire et,partant, de nature impérative. L'article 6 de la loi l'énonceexplicitement.

L'insertion d'un élément étranger à la concession, telle qu'elle estdéfinie par la loi, ne peut avoir pour résultat d'éluder la loi à laquelleles parties ne peuvent pas déroger : ainsi le fait de stipuler une marge,tel le système du D.B.C. convenu en l'espèce, dans un contrat deconcession qui, pour le surplus, tombe dans le champ d'application de laloi, ne suffit point à en éviter l'application.

Les tribunaux ont ainsi l'obligation de qualifier des conventions,soumises à leur appréciation, conformément aux dispositions impérativesapplicables et, si nécessaire, de rectifier la qualification des partieslorsqu'elles ont choisi une qualification qui soustrait leur convention àcertains effets d'une disposition légale impérative ultérieurementinvoquée par la partie dont la loi tend précisément à protéger lesintérêts.

Au surplus, lorsque de la qualification dépend l'application d'une loiimpérative, l'article 1156 du Code civil, qui consacre la prééminence dela volonté réelle, doit être combiné avec l'article 1134 du Code civil,qui subordonne l'autonomie des volontés à la légalité des conventions. Lejuge a, dans cette hypothèse, un pouvoir de (dis)qualification étendu caril peut, le cas échéant, porter atteinte à la volonté des cocontractants.Pour donner à l'acte sa qualification correcte, le juge ne recherche pasce que les parties ont voulu, mais ce qu'elles ont fait.

Or, les juges d'appel ont constaté que la demanderesse s'était vu réserverla vente des produits de la défenderesse qu'elle achetait en amont en vuede les revendre en aval, qu'elle finançait l'achat de son stock et qu'ellesupportait le risque d'insolvabilité de ses clients.

En effet, après avoir constaté que « (la défenderesse) ne conteste pasavoir été liée à (la demanderesse) par un contrat de distribution et luiavoir conféré 1'exclusivité dans le secteur qu'elle prospectait, à savoircelui de la grande distribution », c'est-à-dire que la défenderesse avaitréservé la vente de ses produits à la demanderesse, l'arrêt poursuit enconstatant que la demanderesse achetait les produits de la défenderesse envue de les revendre à sa propre clientèle en supportant le risqued'insolvabilité de ses clients et en finançant son stock :

« Même si (la demanderesse) achetait pour revendre, finançait l'achat deson stock et supportait le risque d'insolvabilité de ses clients — enprincipe seulement, car, en l'espèce, s'agissant de la grandedistribution, ce risque était pratiquement nul —, elle avait toutefois lacertitude de récupérer auprès de (la défenderesse) l'équivalent de samarge brute sous la forme du D.B.C. ».

Ce faisant, les juges d'appel ont constaté que les conditions de l'article1^er de la loi étaient présentes dans le cas d'espèce.

En outre, l'arrêt retient comme élément contre l'existence d'uneconcession, au sens de la loi, la circonstance que la demanderessetirerait son bénéfice de quelque chose qui s'apparenterait plus à unecommission :

« Il convient enfin de ne pas perdre de vue que, de l'aveu même de (lademanderesse), sans ce mécanisme de soutien de (la demanderesse) par (ladéfenderesse), la mise en place d'une concession de vente exclusiven'était pas viable d'un point de vue économique.

Il s'en déduit que le `bénéfice' que retirait (la demanderesse) de larevente des produits s'apparentait plus à une commission qu'à un véritableprofit obtenu en faisant la différence entre les prix de vente et d'achat».

Le critère utilisé par l'arrêt, à savoir que le profit du concessionnairene pourrait consister que dans la différence entre les prix de vente etd'achat, est critiquable : en effet, la loi n'exige nullement que larémunération du concessionnaire consiste en une marge bénéficiaire quisoit la différence entre le prix d'achat et le prix de revente.

Pour autant que les éléments de la définition légale de la concessionsoient présents, la manière dont les parties ont déterminé la rémunérationdu concessionnaire, que ce soit de façon forfaitaire ou non, n'affecteaucunement la circonstance que la loi, par ailleurs de nature impérative,est applicable.

En concluant qu'il « résulte de l'ensemble de ces éléments que la relationcommerciale atypique nouée par les parties ne répond pas à la notion deconcession de vente au sens de la loi du 27 juillet 1961 », alors qu'ilressort de ses constatations que les éléments constitutifs d'un contrat deconcession visé par l'article 1^er de la loi, à savoir (i) l'achat et larevente par le concessionnaire en son nom et pour son compte et (ii) laréservation par le concédant au concessionnaire de ce droit de revendreses produits, sont bel et bien présents en l'espèce, l'arrêt viole,partant, l'article 1^er de la loi.

En considérant, en outre, qu'il ne peut être question d'un contrat deconcession visé par la loi que si la rémunération du concessionnaire estconstituée de la marge bénéficiaire qui résulte de la différence entre leprix d'achat et le prix de revente, l'arrêt ajoute une condition à ladéfinition légale de l'article 1^er de la loi et viole, partant, cetarticle.

En concluant à l'absence d'un contrat de concession au sens de l'article1^er de la loi, alors qu'il ressort des éléments de fait retenus parl'arrêt que la qualification du contrat conclu en l'espèce en concessionde vente visée par la loi s'imposait en vertu du caractère impératif desarticles 1^er et 6 de la loi et en s'appuyant sur le mode de rémunérationconvenu par les parties pour rejeter la qualification de concession devente, alors que la loi ne fait pas du mode de rémunération duconcessionnaire un élément de la définition légale de la concession,l'arrêt viole, partant, les articles 1^er et 6 de la loi ainsi que lesarticles 1134 et 1156 du Code civil.

Quatrième branche

Dans ses conclusions additionnelles et de synthèse en degré d'appel, lademanderesse avait développé le moyen qu'elle « n'avait aucune garantiequelconque que le stock qu'elle achetait serait écoulé » et que, « si pourdes raisons de mauvaise conjoncture économique, les ventes attendues nes'étaient pas concrétisées, (la demanderesse) aurait dû supporter seule lacharge d'un stock excédentaire, sur lequel elle ne percevait bienévidemment aucune `marge bénéficiaire garantie', contrairement à ce quelaisse entendre (la défenderesse) ».

L'arrêt ne répond à ce moyen ni expressément ni implicitement.

Ce moyen est, en effet, distinct de celui qui est tiré du financement dustock par la demanderesse ainsi que de l'insolvabilité des clients.

En omettant de répondre au moyen invoquant, à l'appui de la thèse de lademanderesse quant à l'applicabilité de la loi, le risque du stockinvendu, l'arrêt n'est pas régulièrement motivé et viole, partant,l'article 149 de la Constitution.

En refusant de reconnaître l'existence d'un contrat de concession, alorsque la demanderesse avait fait valoir qu'elle supportait seule la charged'un stock excédentaire, l'arrêt viole, par ailleurs, l'article 1^er de laloi du 27 juillet 1961.

III. La décision de la Cour

Quant à la troisième branche :

En vertu de l'article 1^er, § 2, de la loi du 27 juillet 1961 relative àla résiliation unilatérale des concessions de vente exclusive à duréeindéterminée, est une concession de vente, au sens de cette loi, touteconvention en vertu de laquelle un concédant réserve, à un ou plusieursconcessionnaires, le droit de vendre, en leur propre nom et pour leurpropre compte, des produits qu'il fabrique ou distribue.

Après avoir constaté que la défenderesse avait concédé à la demanderessel'exclusivité de la distribution de ses produits dans le secteur de lagrande distribution, sur le territoire de la Belgique et, pour partie deces produits, sur celui du Grand-Duché de Luxembourg, l'arrêt considèreque, la rémunération octroyée à la demanderesse consistant en unpourcentage fixe de 11, 30 p.c. sur chaque vente réalisée à sonintermédiaire, elle « ne supportait donc pas le risque d'une baisse desprix de revente à sa clientèle », que s'il « lui appartenait de réaliserun certain quota de ventes pour couvrir ses propres frais, cette situationn'est pas l'apanage du concessionnaire, tant l'agent commercial que lecommissionnaire [devant] également supporter leurs frais propres »,qu'elle avait « la certitude de pouvoir récupérer auprès de [ladéfenderesse] l'équivalent de sa marge brute », que, « de l'aveu même de[la demanderesse], sans ce mécanisme de soutien de [la demanderesse] par[la défenderesse], la mise en place d'une concession de vente exclusiven'était pas viable d'un point de vue économique » et que « le `bénéfice'que retirait [la demanderesse] de la revente des produits s'apparentaitplus à une commission qu'à un véritable profit obtenu en faisant ladifférence entre les prix de vente et d'achat ».

Sur la base de ces considérations, l'arrêt, qui relève par ailleurs que lademanderesse « achetait pour revendre » et qu'elle « finançait l'achat deson stock et supportait le risque d'insolvabilité de ses clients »,admettant ainsi, même s'il qualifie ce dernier risque de « pratiquementnul » s'agissant de la grande distribution, que la demanderesse supportaitcertains risques liés à la distribution des produits, n'a pu légalementconsidérer que la défenderesse n'avait pas réservé à la demanderesse ledroit de vendre en son propre nom et pour son propre compte les produitsqu'elle commercialisait et que les parties n'étaient pas liées par uncontrat de concession de vente exclusive au sens de la loi précitée.

Le moyen, en cette branche, est fondé.

Sur les autres griefs :

Il n'y a pas lieu d'examiner les autres branches du moyen, qui nesauraient entraîner une cassation plus étendue.

Par ces motifs,

La Cour

Casse l'arrêt attaqué, sauf en tant qu'il reçoit l'appel principal ;

Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêtpartiellement cassé ;

Réserve les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge dufond ;

Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour d'appel de Mons.

Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, oùsiégeaient le président Christian Storck, le président de section PaulMathieu, les conseillers Didier Batselé, Martine Regout et MireilleDelange, et prononcé en audience publique du trente avril deux mille dixpar le président Christian Storck, en présence de l'avocat général déléguéPhilippe de Koster, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.

+------------------------------------------------------------------------+
| P. De Wadripont | M. Delange | M. Regout |
|------------------------+-----------------------+-----------------------|
| D. Batselé | P. Mathieu | Chr. Storck |
+------------------------------------------------------------------------+

30 AVRIL 2010 C.08.0413.F/1



Références :

Origine de la décision
Date de la décision : 30/04/2010
Date de l'import : 31/08/2018

Numérotation
Numéro d'arrêt : C.08.0413.F
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2010-04-30;c.08.0413.f ?
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