Cour de cassation de Belgique
Arret
NDEG C.08.0596.N
PROCUREUR GENERAL PRES LA COUR D'APPEL D'ANVERS,
contre
ZAZA RETAIL bv, societe de droit neerlandais.
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 9 octobre 2008par la cour d'appel d'Anvers.
Le president Ivan Verougstraete a fait rapport.
L'avocat general Guy Dubrulle a conclu.
II. Faits et antecedents de la procedure
Il ressort de l'arret attaque ce qui suit:
1. Le 14 novembre 2006, le procureur du Roi pres le tribunal de premiereinstance de Tongres a requis la faillite de l'etablissement en Belgique deZaza Retail bv, une societe de droit neerlandais, dont le centre desinterets principaux est situe à Amsterdam.
2. A ce moment, aucune procedure d'insolvabilite n'etait ouverte auxPays-Bas.
3. La faillite a ete requise à la suite d'un examen d'office de lasituation du debiteur, en application de l'article 10 de la loi du 17juillet 1997 relative au concordat judiciaire, qui a fait apparaitre qu'ilse trouvait en etat de faillite.
4. Par jugement du 4 fevrier 2008, le tribunal de commerce de Tongres adeclare la faillite de Zaza Retail bv.
5. Par arret du 9 octobre 2008, la cour d'appel d'Anvers a reforme lejugement du tribunal de commerce de Tongres et a decide qu'en l'espece, nile tribunal ni la cour d'appel n'avaient la competence internationale pourstatuer sur le bien-fonde de la demande d'ouverture d'une procedureterritoriale d'insolvabilite independante pour l'etablissement de ZazaRetail bv en Belgique.
6. Par decision du tribunal d'Amsterdam du 8 juillet 2008, Zaza Retail bva ete declaree en faillite.
III. Les moyens de cassation
Le demandeur presente trois moyens dans sa requete.
Premier moyen
Dispositions legales violees
- articles 3 et 6 de la loi du 8 aout 1997 sur les faillites ;
- article 631 du Code judiciaire ;
- article 118 de la loi du 16 juillet 2004 portant le Code de droitinternational prive ;
- articles 3 et 4 du Reglement (CE) nDEG 1346/2000 du Conseil du 29 mai2000 relatif aux procedures d'insolvabilite (entre en vigueur le 31 mai2002), denomme ci-apres « le Reglement (CE) nDEG 1346/2000 du Conseil du29 mai 2000 ».
Decisions et motifs critiques
En ce que, dans l'arret attaque, la (cour d'appel) se declare sanscompetence internationale pour statuer sur le bien-fonde de la demanded'ouverture d'une procedure de faillite territoriale independante pourl'(les) etablissement(s) de Zaza Retail bv en Belgique sur la base desconsiderations suivantes:
« IV. La competence internationale des juges belges en matiere defaillites internationales (transfrontalieres) est regie par l'article 3 duReglement (CE) nDEG 1346/2000 du Conseil du 29 mai 2000, qu'il ne convientpas de lire, aux fins d'en determiner la portee, en combinaison avecl'article 4 dudit reglement.
V. En vertu du texte clair des articles 3.4., a), et 3.4.b), du Reglement(CE) nDEG 1346/2000 du Conseil du 29 mai 2000, une procedure de failliteterritoriale independante (donc une procedure territoriale ouverte avantune procedure principale) - il n'est pas conteste qu'une telle procedure aete menee devant le premier juge, meme si le jugement dont appel est muetà cet egard - ne peut etre ouverte que dans deux cas, à savoir :
1DEG si une faillite ne peut etre prononcee dans le pays du centre desinterets principaux, par exemple parce que le debiteur n'a pas la qualiterequise pour etre declare failli. Le rapport explicatif cite notamment lenon-commerc,ant ou une entreprise publique soumise à une reglementationspeciale ;
2DEG si cette ouverture est demandee par un `creancier privilegie' (en vuede la protection d'interets locaux ou d'une administration efficace de lamasse), etant entendu que l'article 3.4., b), distingue deux categories decreanciers privilegies. Le monopole de l'introduction d'une procedureindependante est octroye en premier lieu aux `creanciers locaux', àsavoir les creanciers etablis dans l'Etat membre ou l'etablissement estsitue. En outre, les creanciers dont la creance a son origine dansl'exploitation de l'etablissement peuvent aussi intervenir, comme, parexemple, un travailleur de l'etablissement habitant dans un autre Etatmembre. Le monopole accorde aux creanciers precites se justifie par leurinteret à voir appliquer à leurs creances la lex concursus locale.
VI. Le ministere public n'est pas un creancier au sens susmentionne, ainsique le prevoit l'article 3.4., b), du Reglement (CE) nDEG 1346/2000 duConseil du 29 mai 2000 et le fait que le ministere public suppose qu'il`... remplit la mission de gardien de l'interet general en procedant à lacitation en declaration de faillite en application de l'article 10, S: 3,de la loi du 17 juillet 1997 relative au concordat judiciaire et, enquelque sorte, intervient en lieu et place des creanciers institutionnelsou individuels eventuellement inactifs', est sans incidence.
VII. D'autre part, rien n'indique que la faillite de Zaza Retail bv nepouvait etre prononcee aux Pays-Bas, le contraire ressortant de laconstatation qu'entre-temps, Zaza Retail bv a ete declaree en faillite parle tribunal d'Amsterdam. Le fait que le procureur du Roi de Tongres neserait pas competent pour requerir la faillite de Zaza Retail bv auxPays-Bas n'est pas pertinent pour l'appreciation de la question de droitde savoir si la condition d'application de l'article 3.4., a), est remplieou non, des lors que, pour son application, il n'y a pas lieu de verifierqui peut solliciter l'ouverture d'une procedure de faillite aux Pays-Bas,mais uniquement si une faillite peut etre prononcee aux Pays-Bas. Lareponse à cette question etant affirmative, la condition prevue àl'article 3.4., a), n'etait pas remplie ».
Griefs
Premiere branche
Les articles 3 et 4 du Reglement (CE) nDEG 1346/2000 du Conseil du 29 mai2000 relatif aux procedures d'insolvabilite ne portent pas atteinte aupouvoir du ministere public prevu à l'article 6 de la loi du 8 aout 1997sur les faillites de proceder à la citation en faillite de Zaza Retailbv, etablie aux Pays-Bas mais ayant un(des) etablissement(s) en Belgique,et accordent au tribunal de commerce de Tongres le pouvoir de prononcer lafaillite sur citation du ministere public d'un debiteur dont le centre desinterets principaux est situe dans un autre Etat membre de l'Unioneuropeenne, mais qui a un etablissement à Maasmechelen (Belgique), memesi cette procedure etait anterieure à l'ouverture d'une procedured'insolvabilite en vertu de l'article 3, paragraphe 1er, du Reglement (CE)nDEG 1346/2000 du Conseil du 29 mai 2000.
En effet, les regles de competence contenues dans le Reglement (CE)nDEG 1346/2000 du Conseil du 29 mai 2000 ne fixent que la competenceinternationale, c'est-à-dire qu'elles designent l'Etat membre dont lesjuridictions peuvent ouvrir une procedure d'insolvabilite. La competenceterritoriale au sein de cet Etat membre est determinee par la loinationale de l'Etat concerne.
La legislation belge applicable - mise en conformite avec les reglesconsacrees par le Reglement (CE) nDEG 1346/2000 du Conseil du 29 mai 2000- figure aux articles 631 du Code judiciaire, 118 de la loi du 16 juillet2004 portant le Code de droit international prive et 3 de la loi du 8 aout1997 sur les faillites.
L'article 118 du Code de droit international prive enonce que lesjuridictions belges ne sont competentes pour ouvrir une procedured'insolvabilite que dans les cas prevus à l'article 3 du Reglement (CE)nDEG 1346/2000 du Conseil du 29 mai 2000.
L'article 631 du Code judiciaire dispose notamment que le tribunal decommerce competent pour declarer une faillite territoriale ou secondaireest celui dans le ressort duquel le debiteur possede l'etablissement vise.
L'article 3, alinea 1er, de la loi du 8 aout 1997 sur les faillites enonceque :
« Si le centre des interets principaux du debiteur est situe dans unautre Etat membre de l'Union europeenne, il peut, s'il possede en Belgiqueun etablissement, etre declare en faillite conformement aux dispositionsdu reglement (CE) nDEG 1346/2000 du Conseil du 29 mai 2000 relatif auxprocedures d'insolvabilite ».
Les dispositions pertinentes du Reglement (CE) nDEG 1346/2000 du Conseildu 29 mai 2000 sont celles des articles 3 et 4.
L'article 3, paragraphe 2, du Reglement (CE) nDEG 1346/2000 du Conseil du29 mai 2000 dispose que : « Lorsque le centre des interets principaux dudebiteur est situe sur le territoire d'un Etat membre, les juridictionsd'un autre Etat membre ne sont competentes pour ouvrir une procedured'insolvabilite à l'egard de ce debiteur que si celui-ci possede unetablissement sur le territoire de cet autre Etat membre ».
L'article 3, paragraphe 4, du Reglement (CE) nDEG 1346/2000 du Conseil du29 mai 2000 dispose que :
« Une procedure territoriale d'insolvabilite visee au paragraphe 2 nepeut etre ouverte avant l'ouverture d'une procedure principaled'insolvabilite en application du paragraphe 1er que :
a) si une procedure d'insolvabilite ne peut pas etre ouverte enapplication du paragraphe 1 en raison des conditions etablies par la loide l'Etat membre sur le territoire duquel est situe le centre des interetsprincipaux du debiteur ;
ou b) si l'ouverture de la procedure territoriale d'insolvabilite estdemandee par un creancier dont le domicile, la residence habituelle ou lesiege se trouve dans l'Etat membre sur le territoire duquel est situel'etablissement concerne, ou dont la creance a son origine dansl'exploitation de cet etablissement ».
Aux termes de l'article 4, paragraphe 2 :
« La loi de l'Etat d'ouverture determine les conditions d'ouverture, lederoulement et la cloture de la procedure d'insolvabilite... ».
En vertu de l'article 6 de la loi belge du 8 aout 1997 sur les faillites,le procureur du Roi est competent pour proceder à la citation enfaillite : « Sans prejudice des dispositions de la loi sur le concordatjudiciaire, la faillite est declaree par jugement du tribunal de commercesaisi soit sur l'aveu du commerc,ant, soit sur citation d'un ou plusieurscreanciers, du ministere public, de l'administrateur provisoire vise àl'article 8 ou du syndic de la procedure principale dans le cas (vise àl'article 3, paragraphe 1er) » (article 6 de la loi du 8 aout 1997 surles faillites).
Cette competence a ete instauree par la loi du 8 aout 1997 sur lesfaillites, une legislation qui ne peut d'ailleurs pas etre dissociee de laloi du 17 juillet 1997 relative au concordat judiciaire.
Auparavant, la faillite pouvait etre declaree d'office par le tribunal decommerce. Par l'instauration de la loi du 8 aout 1997 sur les faillites etde la loi 17 juillet 1997 relative au concordat judiciaire, la pratiquedes services de depistage organises au sein des tribunaux de commerce aete formalisee et la faillite d'office abrogee, mais, d'autre part lesparquets se sont vu conferer une nouvelle mission, le ministere publicayant acquis la competence de provoquer la faillite par citation. Ainsiqu'il ressort des termes de la loi, les competences du ministere publics'appliquent « sans prejudice des dispositions de la loi sur le concordatjudiciaire » (note: dans les stades successifs de l'actuelle procedure enconcordat, le tribunal de commerce dispose encore de la possibilite dedeclarer « d'office » le debiteur failli, apres avoir entendu celui-ci(ainsi que le ministere public)).
La loi du 17 juillet 1997 relative au concordat judiciaire a ainsiinstitutionnalise un controle (preventif) des pouvoirs publics (par leschambres d'enquete commerciale). Afin toutefois d'assurer l'efficacite desinvestigations de la chambre d'enquete commerciale, il y a lieu, dansl'interet general et pour empecher toute atteinte au tissu economique, deprevoir la possibilite de proceder à la faillite des la constatation queles conditions sont reunies à cet effet. Eu egard à la jurisprudence dela Cour europeenne des droits de l'homme, la faillite d'office a eteabrogee et cette tache a ete conferee au ministere public.
Le ministere public remplit à cette occasion la mission de gardien del'interet general et intervient en quelque sorte en lieu et place descreanciers institutionnels ou individuels eventuellement inactifs.
La reglementation europeenne a retenu expressement la possibilite d'ouvrirune ou plusieurs procedures d'insolvabilite secondaires (lire« territoriales ») qui ne produisent leurs effets que dans l'Etat membreconcerne. Selon le Reglement, une telle procedure peut servir diversobjectifs, parmi lesquels, en priorite, la protection des interets locaux.Le principe d'universalite est ainsi concilie avec la protection desinterets locaux.
C'est egalement dans cette optique qu'il y a lieu de lire l'article 3,paragraphe 4, du Reglement (CE) nDEG 1346/2000 du Conseil du 29 mai 2000.Il entend effectivement limiter strictement la procedure territorialeindependante, c'est-à-dire une procedure territoriale mise en mouvementavant toute la procedure principale (universelle). Une telle procedureest, partant, reservee aux « creanciers privilegies » et peut uniquementetre demandee que par, soit le(s) creancier(s) local(aux), soit lescreanciers de l'etablissement local (« les creanciers dont la creance ason origine dans l'exploitation de cet etablissement ») ou lorsque ledroit de l'Etat membre sur le territoire duquel est situe le centre desinterets principaux du debiteur ne permet pas d'ouvrir une procedureprincipale.
Les termes de « creancier local » ou de « creancier » dont la creancea son origine dans l'exploitation de l'etablissement ne saurait à cetegard etre interpretee de maniere restrictive.
Une autorite nationale, en l'espece le ministere public, peuteffectivement demander l'ouverture d'une telle procedure, pour autant quecette demande se fonde sur une(des) creance(s), revelee(s) par une enquetecommerciale judiciaire, d'un(de) creancier(s) de droit public ou priveayant son(leur) domicile, son (leur) siege ou son (leur) residencehabituelle dans un Etat membre sur le territoire duquel l'etablissementconcerne est situe ou sur des creances ayant leur origine dansl'exploitation de l'etablissement, l'autorite nationale concerneeintervenant ainsi dans l'interet de plusieurs creanciers concernes.
En l'espece, conformement à la legislation belge, une enquete a eteouverte d'office par la chambre d'enquete commerciale sur la based'elements fournis par les autorites fiscales et sociales et sur la basedes avis de saisie. A l'issue de cette enquete, conformement à l'article10, S: 3, de la loi du 17 juillet 1997 relative au concordat judiciaire,un rapport a ete redige, concluant à la reunion des conditions de lafaillite, et ce rapport a ete transmis au procureur du Roi en vue d'uneeventuelle citation en faillite.
Ce droit d'action du procureur du Roi est en outre consacre à l'article3, paragraphe 4, in fine, du Reglement (CE) n-o 1346/2000 du Conseil du 29mai 2000, à savoir que la creance a son origine dans l'exploitation decet etablissement.
Seconde branche
L'exception prevue à l'article 3, paragraphe 4, a), s'applique egalementà la citation en faillite à la requete du ministere public, etant donneque ce dernier ne peut obtenir l'ouverture d'une procedure principale dansl'Etat membre sur le territoire duquel est situe le centre des interetsprincipaux du debiteur, des lors que le ministere public n'a aucunecompetence pour introduire une citation en faillite à l'etranger.
La reponse aux deux branches du premier moyen semble ne pouvoir etredonnee que par une interpretation de l'article 3 du Reglement (CE)n-o 1346/2000 du Conseil du 29 mai 2000. Cette interpretation ressortit àla competence exclusive de la Cour de justice des Communautes europeennes.
En vertu des articles 68 et 234 du Traite CE, il semble y avoir lieu deposer ces questions prejudicielles à la Cour de Justice des Communauteseuropeennes.
De sorte que, dans son arret, la cour d'appel a donne une interpretationerronee de l'article 3, paragraphes 4, a), et b), Reglement (CE) nDEG1346/2000 du Conseil du 29 mai 2000 et ne pouvait se declarer sanscompetence internationale.
Deuxieme moyen
Dispositions legales violees
Articles 138, 138bis, 1017 et 1022 du Code judiciaire
Decisions et motifs critiques
En ce que, dans l'arret attaque, le ministere public a ete condamne aupaiement des depens des deux instances, taxes pour Zaza Retail bv à1.200,00 euros (indemnite de procedure de base en premiere instance) +
1.200,00 euros (indemnite de procedure de base en degre d'appel) =2.400,00 euros.
Griefs
Pour autant qu'une condamnation aux depens a pu etre prononcee, l'Etatbelge aurait du etre condamne aux depens comme c'est le cas lorsque, enmatiere civile, le ministere public est deboute d'une action introduited'office (Cass. 9 septembre 1999, Pas., 1999, 1138).
La cour d'appel a condamne à tort le ministere public au paiement desdepens des deux instances.
Troisieme moyen
Dispositions legales violees
Articles 68 et 234 du Traite du 25 mars 1957 instituant la Communauteeuropeenne
Decisions et motifs critiques
La (cour d'appel) n'a pas accueilli la demande de question prejudiciellesoulevee par le ministere public au motif que l'article 68 du Traite CE neconfere le droit de poser une question prejudicielle qu'aux juridictionssiegeant en dernier ressort, c'est-à-dire, pour la Belgique, à la Courde cassation, à la Cour constitutionnelle et au Conseil d'Etat, et que laprocedure prejudicielle ordinaire (article 234 du Traite CE) n'est pasapplicable.
Griefs
L'article 68, paragraphe 1er, dit uniquement que : « l'article (234) estapplicable au present titre dans les circonstances et conditionssuivantes: lorsqu'une question sur l'interpretation du present titre ousur la validite et l'interpretation des actes pris par les institutions dela Communaute sur la base du present titre est soulevee dans une affairependante devant une juridiction nationale dont les decisions ne sont passusceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne, cettejuridiction, si elle estime qu'une decision sur ce point est necessairepour rendre son jugement, demande à la Cour de justice de statuer surcette question ».
Mais l'on ne saurait en deduire que la procedure prejudicielle ne pourraitetre appliquee par une instance statuant en degre d'appel.
Sur la base des motifs par elle retenus, la cour d'appel ne s'est pasjugee competente, à tort, pour poser une question prejudicielle à laCour de justice.
III. La decision devant la Cour
Appreciation
Sur le troisieme moyen :
1. Le Reglement (CE) nDEG 1346/2000 du Conseil du 29 mai 2000 relatif auxprocedures d'insolvabilite (ci-apres: le Reglement (CE) n-o 1346/2000 duConseil du 29 mai 2000) est une mesure prise dans le domaine de lacooperation judiciaire en matiere civile, au sens de l'article 61, c), duTraite CE tel qu'il etait applicable à l'epoque.
L'article 61 du Traite CE fait partie du titre IV de la troisieme partiedudit traite, qui confere aux institutions la competence de la mise enoeuvre des politiques en matiere de libre circulation des personnes.
L'article 68 du Traite CE, tel qu'il etait applicable aux faits, disposeque l'article 234 est applicable au present titre dans les circonstanceset conditions suivantes : lorsqu'une question sur l'interpretation dupresent titre ou sur la validite et l'interpretation des actes pris parles institutions de la Communaute sur la base du present titre estsoulevee dans une affaire pendante devant une juridiction nationale dontles decisions ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel dedroit interne, cette juridiction, si elle estime qu'une decision sur cepoint est necessaire pour rendre son jugement, demande à la Cour dejustice de statuer sur cette question.
2. Relativement au titre IV de la troisieme partie du Traite CE et auxactes de droit derive qui y sont mentionnes, les juridictions des Etatsmembres peuvent appliquer l'article 234 de ce traite, etant entendu queleur competence de renvoi est limitee aux juges qui rendent une decisionqui n'est susceptible d'aucun recours de droit interne. Cela exclut lacompetence de la cour d'appel pour poser une question prejudiciellelorsque sa decision est encore susceptible d'un pourvoi en cassation.
3. La cour d'appel pouvait donc considerer, sur la base de l'article 68 duTraite CE, qu'elle ne peut accueillir en l'espece la demande de questionprejudicielle soulevee par le ministere public.
Le moyen ne peut etre accueilli.
Sur le premier moyen :
Quant à la premiere branche :
4. Selon l'arret attaque, en vertu de l'article 3.4., b), du Reglement(CE) nDEG 1346/2000 du Conseil du 29 mai 2000, le ministere public nepouvait requerir la faillite de l'etablissement belge de Zaza Retail bvdevant le tribunal de commerce de Tongres.
Les juges d'appel considerent que, sur la base de l'article 3.4., b), duReglement (CE) nDEG 1346/2000 du Conseil du 29 mai 2000, « une procedurede faillite territoriale independante (donc une procedure territorialeouverte avant une procedure principale) » ne peut etre ouverte que « sicette ouverture est demandee par un creancier `privilegie' (en vue de laprotection d'interets locaux ou d'une administration efficace de lamasse), etant entendu que l'article 3.4., b), distingue deux categories decreanciers privilegies. Le monopole de l'introduction d'une procedureindependante est octroye en premier lieu aux `creanciers locaux', àsavoir les creanciers etablis dans l'Etat membre ou l'etablissement estsitue. Les creanciers dont la creance a son origine dans l'exploitation del'etablissement peuvent aussi intervenir, comme par exemple un travailleurde l'etablissement habitant dans un autre Etat membre. Le monopole accordeaux creanciers precites se justifie par leur interet à voir appliquer àleurs creances la lex concursus locale.
5. Le demandeur soutient que le terme « creancier » de l'article 3.4.,b), du Reglement (CE) nDEG 1346/2000 du Conseil du 29 mai 2000 ne doit pasetre interprete strictement. Le demandeur souligne que le ministere publicpeut aussi citer en faillite. Selon le demandeur, le ministere publicremplit, en cette qualite, la mission de gardien de l'interet general etintervient en quelque sorte en lieu et place des creanciersinstitutionnels ou individuels eventuellement inactifs.
Par ce motif, le ministere public devrait pouvoir aussi requerirl'ouverture d'une procedure d'insolvabilite en vertu de l'article 3.4.,b), du Reglement (CE) nDEG 1346/2000 du Conseil du 29 mai 2000. La requetedevrait etre basee, selon le demandeur, « sur une creance, revelee parune enquete commerciale judiciaire, de creanciers de droit public et priveayant leur domicile, leur siege ou leur residence habituelle dans un Etatmembre sur le territoire duquel l'etablissement concerne est situe ou surdes creances ayant leur origine dans l'exploitation de l'etablissement,l'autorite nationale concernee intervenant ainsi dans l'interet deplusieurs creanciers concernes ».
6. L'article 3 du Reglement (CE) nDEG 1346/2000 du Conseil du 29 mai 2000dispose que :
« 1. Les juridictions de l'Etat membre sur le territoire duquel est situele centre des interets principaux du debiteur sont competentes pour ouvrirla procedure d'insolvabilite.
2. Lorsque le centre des interets principaux du debiteur est situe sur leterritoire d'un Etat membre, les juridictions d'un autre Etat membre nesont competentes pour ouvrir une procedure d'insolvabilite à l'egard dece debiteur que si celui-ci possede un etablissement sur le territoire decet autre Etat membre. Les effets de cette procedure sont limites auxbiens du debiteur se trouvant sur ce dernier territoire.
(...)
4. Une procedure territoriale d'insolvabilite visee au paragraphe 2 nepeut etre ouverte avant l'ouverture d'une procedure principaled'insolvabilite en application du paragraphe 1er que : (...)
b) si l'ouverture de la procedure territoriale d'insolvabilite estdemandee par un creancier dont le domicile, la residence habituelle ou lesiege se trouve dans l'Etat membre sur le territoire duquel est situel'etablissement concerne, ou dont la creance a son origine dansl'exploitation de cet etablissement ».
7. Le considerant 17 du preambule du Reglement nDEG 1346/2000 du Conseildu 29 mai 2000 precise qu'avant l'ouverture de la procedured'insolvabilite principale, l'ouverture d'une procedure d'insolvabilitedans l'Etat membre ou le debiteur a un etablissement ne devrait pouvoiretre demandee que par les creanciers locaux et les creanciers del'etablissement local. Cette limitation est justifiee par le fait que l'onvise à limiter au strict minimum les cas dans lesquels des proceduresterritoriales independantes peuvent etre demandees avant la procedured'insolvabilite principale ; si une procedure d'insolvabilite principaleest ouverte, les procedures territoriales deviennent secondaires.
Le rapport explicatif « Virgos-Schmit » concernant le Reglement (CE)nDEG 1346/2000 du Conseil du 29 mai 2000 souligne que la procedureterritoriale d'insolvabilite prevue à l'article 3.4 du Reglement (CE)nDEG 1346/2000 du Conseil du 29 mai 2000 sert l'interet des creancierslocaux ainsi que l'interet general.
8. Les limitations prevues quant aux procedures territoriales n'ont pasete reprises en ce qui concerne les procedures secondaires. Les articles27 et 29 du Reglement (CE) nDEG 1346/2000 du Conseil du 29 mai 2000disposent que l'insolvabilite secondaire peut etre demandee aussi bien parle syndic de la procedure principale que par toute autre personne ouautorite habilitee à demander l'ouverture d'une procedure d'insolvabiliteen vertu de la loi de l'Etat membre sur le territoire duquel l'ouverturede la procedure secondaire est demandee.
9. La question se pose de savoir si le ministere public peut etreconsidere, au sens du Reglement (CE) nDEG 1346/2000 du Conseil du 29 mai2000 comme un « creancier » dont le domicile, la residence habituelle oule siege se trouve dans l'Etat membre sur le territoire duquel est situel'etablissement concerne, ou dont la creance a son origine dansl'exploitation de cet etablissement.
Il importe de determiner le statut juridique du ministere public quirequiert la faillite.
En vertu de l'article 6 de la loi du 8 aout 1997 sur les faillites, lafaillite est declaree par jugement du tribunal de commerce saisi soit surl'aveu du commerc,ant, soit sur citation d'un ou plusieurs creanciers, duministere public, de l'administrateur provisoire vise à l'article 8 ou dusyndic de la procedure principale dans le cas vise à l'article 3, alinea1er.
Il ressort des travaux preparatoires que, apres avoir abroge la faillited'office, le legislateur a voulu neanmoins conserver une procedure dedeclaration de faillite, autre que la faillite sur aveu ou sur citationpar les creanciers. Le legislateur a choisi de confier ce droitd'initiative au ministere public « dans le cadre general de l'interetpublic ».
Ainsi, le ministere public n'intervient pas uniquement dans l'interetgeneral mais egalement dans le but de preserver les interets de l'ensembledes creanciers, sans toutefois intervenir au nom et pour le compte desditscreanciers. Il intervient aussi afin de pallier, dans l'interet de l'ordrepublic, l'inaction des creanciers qui n'ont souvent aucun interet àdemander la faillite du debiteur.
10. La question se pose de savoir si le terme de « creancier » del'article 3.4., b), du Reglement (CE) nDEG 1346/2000 du Conseil du 29 mai2000 peut etre interprete en ce sens que le ministere public qui, en vertudu droit belge, est competent pour requerir la faillite, peut egalementdemander valablement, le cas echeant, l'ouverture de la procedureterritoriale d'insolvabilite en application de l'article 3.4., b), duditreglement.
11. Cette question ne peut etre resolue que par une interpretation del'article 3.4., b), du Reglement (CE) nDEG 1346/2000 du Conseil du 29 mai2000.
Le moyen, en cette branche, souleve des lors un probleme qui ressortit àla competence exclusive de la Cour de justice de l'Union europeenne.
En vertu de l'article 267, alinea 3, du Traite sur le fonctionnement del'Union europeenne, la Cour est en regle tenue de poser une questionprejudicielle à la Cour de justice.
Quant à la seconde branche :
12. Le demandeur pretend en l'espece que l'exception prevue à l'article3.4., a), s'applique egalement à la citation en faillite par le ministerepublic, etant donne que ce dernier ne pouvait obtenir - à defaut decompetence - l'ouverture d'une procedure principale aux Pays-Bas, soitl'Etat membre ou le debiteur a son centre d'interets principaux.
13. L'arret attaque considere que le fait que le procureur du Roi deTongres ne serait pas competent pour requerir la faillite de Zaza Retailbv aux Pays-Bas n'est pas pertinent pour l'appreciation de la question dedroit de savoir si la condition d'application de l'article 3.4., a), duReglement (CE) 1346/2000 du Conseil du 29 mai 2000 est remplie ou non.Selon les juges d'appel, pour l'application de l'article 3.4., a),susmentionne, il n'y a pas lieu de verifier qui peut solliciterl'ouverture d'une procedure de faillite aux Pays-Bas, mais uniquement siune faillite peut etre prononcee aux Pays-Bas.
14. L'article 3.4., debut et a), du Reglement (CE) nDEG 1346/2000 duConseil du 29 mai 2000 dispose que:
« Une procedure territoriale d'insolvabilite visee au paragraphe 2 nepeut etre ouverte avant l'ouverture d'une procedure principaled'insolvabilite en application du paragraphe 1er que : (...)
a) si une procedure d'insolvabilite ne peut pas etre ouverte enapplication du paragraphe 1er en raison des conditions etablies par la loide l'Etat membre sur le territoire duquel est situe le centre des interetsprincipaux du debiteur ».
15. Le considerant 17 du preambule du Reglement (CE) nDEG 1346/2000 duConseil du 29 mai 2000 precise qu'avant l'ouverture de la procedureprincipale, l'ouverture d'une procedure d'insolvabilite dans l'Etat membreou le debiteur a un etablissement devrait pouvoir etre demandee lorsque ledroit de l'Etat membre ou le debiteur a son centre d'interet principal nepermet pas d'ouvrir une procedure principale.
Le rapport explicatif « Virgos-Schmit » concernant le Reglement (CE)nDEG 1346/2000 du Conseil du 29 mai 2000 considere que tel est le caslorsque le debiteur n'a pas la qualite requise pour etre declare failli.Le rapport cite notamment le non-commerc,ant ou une entreprise publiquesoumise à une reglementation speciale.
16. La question se pose de savoir si la notion de « conditionsetablies » vise aussi les conditions de la qualite ou de l'interet d'unepersonne - tel un membre du ministere public d'un autre Etat membre - pourdemander l'ouverture d'une procedure d'insolvabilite ou si ces conditionsne concernent que les conditions materielles de soumission à cetteprocedure.
17. Cette question ne peut etre resolue que par une interpretation del'article 3.4., a), du Reglement (CE) nDEG 1346/2000 du Conseil du 29 mai2000.
Le moyen, en cette branche, souleve des lors une question qui ressortit àla competence exclusive de la Cour de justice de l'Union europeenne.
En vertu de l'article 267, alinea 3, du Traite sur le fonctionnement del'Union europeenne, la Cour est en regle tenue de poser une questionprejudicielle à la Cour de justice.
Par ces motifs,
La Cour,
Sursoit à statuer jusqu'à ce que la Cour de Justice de l'Unioneuropeenne ait statue, par voie de decision prejudicielle, sur lesquestion suivantes :
1. La notion de « conditions etablies » de l'article 3.4., a), duReglement (CE) nDEG 1346/2000 du Conseil du 29 mai 2000 vise-t-elle aussiles conditions de la qualite ou de l'interet d'une personne - tel unmembre du ministere public d'un autre Etat membre - pour demanderl'ouverture d'une procedure d'insolvabilite ou ces conditions neconcernent-elles que les conditions materielles de soumission à cetteprocedure ?
2. Le terme de « creancier » de l'article 3.4., b), du Reglement (CE)nDEG 1346/2000 du Conseil du 29 mai 2000 peut-il etre interpretelargement, en ce sens qu'une autorite nationale qui, en vertu du droit del'Etat membre dont elle releve, est competente pour demander l'ouvertured'une procedure d'insolvabilite, peut egalement demander valablement, lecas echeant, l'ouverture de la procedure territoriale d'insolvabilite enapplication de l'article 3.4., b), dudit reglement ?
3. Si le terme de creancier peut egalement concerner une autoritenationale competente pour demander l'ouverture d'une procedured'insolvabilite, est-il necessaire, pour l'application de l'article 3.4.,b), du Reglement (CE) nDEG 1346/2000 du Conseil du 29 mai 2000, que cetteautorite nationale demontre qu'elle agit dans l'interet des creanciersdont le domicile, la residence habituelle ou le siege se trouve sur leterritoire de ladite autorite nationale ?
Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president Ivan Verougstraete, le president de section RobertBoes, les conseillers Albert Fettweis, Alain Smetryns et Geert Jocque, etprononce en audience publique du quatre fevrier deux mille dix par lepresident Ivan Verougstraete, en presence de l'avocat general GuyDubrulle, avec l'assistance du greffier Johan Pafenols.
Traduction etablie sous le controle du president de section Paul Mathieuet transcrite avec l'assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.
Le greffier, Le president de section,
4 FEVRIER 2010 C.08.0596.N/19