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08/01/2010 | BELGIQUE | N°C.07.0303.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 08 janvier 2010, C.07.0303.F


Cour de cassation de Belgique

Arrêt

1671



N° C.07.0303.F

SOCIETE AGRICOLE DE GERPINNES, société privée à responsabilité limitéedont le siège social est établi à Gerpinnes, rue de la Blanche Borne, 12,

demanderesse en cassation,

représentée par Maître François T'Kint, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est établi à Charleroi, rue de l'Athénée, 9, où il estfait élection de domicile,

contre

 1. D. R. et

2. D. R. A.,

défendeurs en cassation,

représentés par Maître Lucien Simon

t, avocat à la Cour de cassation, dontle cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 149, où il est faitélection de domicile.

I. La procédure d...

Cour de cassation de Belgique

Arrêt

1671

N° C.07.0303.F

SOCIETE AGRICOLE DE GERPINNES, société privée à responsabilité limitéedont le siège social est établi à Gerpinnes, rue de la Blanche Borne, 12,

demanderesse en cassation,

représentée par Maître François T'Kint, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est établi à Charleroi, rue de l'Athénée, 9, où il estfait élection de domicile,

contre

 1. D. R. et

2. D. R. A.,

défendeurs en cassation,

représentés par Maître Lucien Simont, avocat à la Cour de cassation, dontle cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 149, où il est faitélection de domicile.

I. La procédure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirigé contre le jugement rendu le 31 janvier2007 par le tribunal de première instance de Dinant, statuant en degréd'appel.

Le conseiller Sylviane Velu a fait rapport.

L'avocat général Thierry Werquin a conclu.

II. Le moyen de cassation

La demanderesse présente un moyen libellé dans les termes suivants :

Dispositions légales violées

- articles 7, spécialement 1°, 8, § 1^er, et 9 de la loi du 4 novembre1969 formant la section 3 du chapitre II du titre VIII du livre III duCode civil, contenant les règles particulières aux baux à ferme, modifiéspar la loi du 7 novembre 1988 ;

- articles 1833 et 1845 du Code civil ;

- articles 1^er, 2, spécialement § 2, 210, 223, alinéa 2, 2°, 232, 249,250, 251, 252, 253, 350, 437 et 654 du Code des sociétés ;

- principe général du droit « fraus omnia corrumpit ».

Décisions et motifs critiqués

Le jugement attaqué, confirmant la décision entreprise, rejette l'appel dela demanderesse, la déboute de son action en validation des congés qu'elleavait notifiés aux défendeurs et la condamne aux dépens d'appel, auxmotifs que :

« En vertu d'un acte daté du 30 novembre 2001, (la demanderesse) a étéconstituée par deux sociétés anonymes : la société anonymeFrère - Bourgeois et la société anonyme Financière de la Sambre. Les(défendeurs) plaident que (la demanderesse) constitue en réalité unesociété de capitaux qui a été créée uniquement pour éluder la rigueur dela loi sur le bail à ferme en matière de congé pour exploitationpersonnelle.

Comme l'a écrit opportunément le premier juge, à défaut de définitionlégale précise de la notion de `société de personnes', il s'impose derechercher la volonté du législateur.

Il y a lieu de reprendre les termes des travaux préparatoires, ainsi quel'a fait adéquatement le premier juge (...) : `Lorsque le futur exploitantest une personne morale, elle doit obligatoirement avoir été constituéeconformément à la loi du 12 juillet 1979 créant la société agricole ousous la forme d'une société de personnes. Si l'on mentionne les sociétésde personnes, c'est parce qu'il existe des sociétés de capitaux tant dansle secteur horticole que dans le secteur agricole. Du coup, la possibilitéde congé en question pourra être utilisée par toute forme de sociétéassurant une exploitation familiale. Les sociétés anonymes et les sociétéspar actions en général sont exclues' (Sénat, Rapport fait en commission aunom du groupe de travail [...]).

A l'évidence, la constitution de la (demanderesse) résulte d'une tentativede ses deux actionnaires d'éviter les interdictions édictées par la loisur le bail à ferme puisqu'elle et ses actionnaires n'ont aucune vocationà assurer une `exploitation familiale' ».

Griefs

Suivant l'article 7 de la loi du 4 novembre 1969 sur le bail à ferme,introduit par l'article 5 de la loi du 7 novembre 1988, le bailleur peutmettre fin au bail à ferme à l'expiration de chaque période de neufannées, notamment en vue d'en assurer personnellement l'exploitation. Etl'article 8 ajoute que le bailleur peut également donner congé, à toutmoment, à partir de l'échéance de la deuxième période de neuf ans, pour lemême motif.

En vertu de l'article 9, l'exploitation qui justifie le congé prévu parles articles 7 et 8 et qui doit être assurée « personnellement » pendantneuf années au moins, ne doit pas être poursuivie nécessairement par lebailleur, personne physique, lui-même ou par un membre de sa famille ;car, si ce bailleur est une personne morale, celle-ci est égalementautorisée à mettre fin au bail en vue de l'exploitation personnelle,c'est-à-dire pour son propre compte, pourvu qu'elle soit assurée par sesorganes ou dirigeants responsables, l'être juridique ne pouvant cependantpas se contenter de la confier seulement à un ou plusieurs préposés.

A cet égard, l'alinéa 5 dudit article 9 dispose expressément que « lespersonnes morales dont il est question au présent article doivent êtreconstituées conformément à la loi du 12 juillet 1979 créant la sociétéagricole ou sous la forme d'une société de personnes ou d'une sociétéd'une personne à responsabilité limitée. En outre, les personnes quidirigent la société en qualité d'administrateur ou de gérant doiventfournir un travail réel dans le cadre de l'entreprise agricole ».

Première branche

Seul le congé notifié par le bailleur, société de capitaux, en vue del'exploitation en faire valoir direct et personnel peut être déclaréinvalide au regard des articles 7, 8 et 9 de la loi sur les baux à ferme.En revanche, dès que le bailleur, personne morale, est constitué sous laforme d'une société de personnes, le congé qu'il notifie dans lesconditions prévues par ces dispositions légales ne saurait être invalidéen considération de la qualité juridique ou des compétences de sesassociés, peu important qu'il s'agisse de personnes physiques ou d'êtresjuridiques et, dans ce cas, en tout ou en partie, de sociétés de capitaux.

L'article 9 n'impose pas de restriction à cet égard et se borne à imposerque la personne morale qui donne congé revête la forme d'une société depersonnes et que l'exploitation soit réellement et effectivement assuréepar ses gérants ou administrateurs qui doivent présenter les conditions decompétence requises ; spécialement, il n'exige pas que la société depersonnes soit constituée par des personnes physiques, membres d'une «famille » ou exerçant ou ayant exercé la profession d'agriculteur.

Certes, il ne définit pas la notion de « société de personnes » ; maislorsque la loi emploie un terme sans le définir plus amplement, celui-cirevêt son sens usuel, ordinaire, tel qu'il doit être compris non seulementdans le langage courant, mais aussi et avant tout, lorsqu'il s'agit d'unenotion de droit, dans son acception juridique.

La société de personnes est, tant dans son acception usuelle qu'en langagejuridique, celle qui, par opposition aux sociétés de capitaux (sociétéanonyme et société en commandite par actions), comporte un caractèreintuitu personae primordial ; tel est le cas des sociétés privées àresponsabilité limitée, des sociétés coopératives et des sociétés encommandite simple.

La demanderesse constitue donc assurément une « société de personnes » auregard tant du droit des sociétés que de la loi sur les baux à ferme, quine réserve pas la possibilité de donner congé valablement aux seulessociétés qui seraient constituées par des personnes physiques, celles-ciétant seules susceptibles de constituer une « famille ».

Au demeurant, le recours aux travaux préparatoires d'une loi ou d'unrèglement n'est permis que si les termes utilisés par le texte ne sont pasclairs, sont ambigus ou imprécis. Or, en utilisant l'expression « sociétésdepersonnes » sans aucune restriction, singulièrement quant à la qualité desassociés qui composent celles-ci, le législateur n'a pas utilisé uneexpression imprécise et obscure.

Il s'ensuit que le jugement attaqué qui, par confirmation de la décisioncantonale ayant invalidé les congés donnés par la demanderesse auxdéfendeurs, au motif que les associés de ladite demanderesse, sociétéprivée à responsabilité limitée et, partant, société de personnes, sontdes sociétés anonymes, ne justifie pas légalement sa décision et viole lesarticles 7, 1°, 8 et 9 de la loi du 4 novembre 1969 sur les baux à ferme.

Seconde branche

Chaque associé doit, en vertu de l'article 1833 du Code civil, apporter àla société un apport en argent, en nature ou en industrie ; par cetteopération, l'apporteur transfère à la société ses droits de propriété surle bien apporté ; l'article 210 du Code des sociétés précise que « lasociété à responsabilité limitée est une société où les associésn'engagent que leur apport et où leurs droits ne sont transmissibles quesous certaines conditions. Elle ne peut pas faire publiquement appel àl'épargne », tandis que l'article 218 ajoute que « les apports autresqu'en numéraire ne peuvent être rémunérés par des parts représentatives ducapital que s'ils consistent en éléments d'actif susceptibles d'évaluationéconomique, à l'exclusion des actifs constitués par des engagementsconcernant l'exécution de travaux ou de prestations de services. Cesapports sont appelés apports en nature », l'article 223, alinéa 2, 2°,imposant que « les parts sociales ou parties de parts socialescorrespondant à des apports en nature [soient] entièrement libérées ».

Il résulte de la combinaison de ces dispositions que la société privée àresponsabilité limitée régulièrement constituée dispose d'une personnalitéjuridique entièrement distincte de celle de ses associés et que, parailleurs, l'apport, singulièrement lorsqu'il est entièrement libéré dès saréalisation, est mis à la disposition immédiate de la société afin quecelle-ci réalise son but et qu'il est maintenu dans la société en tantqu'élément du capital social, pour la valeur qui lui a été attribuée, auxfins de participer aux risques de l'entreprise et à la formation du gagedes créanciers.

Il apparaît des pièces auxquelles la Cour peut avoir égard que la sociétéanonyme Frère-Bourgeois, lors de la constitution de la demanderesse, lui afait apport en nature notamment des biens donnés en location auxdéfendeurs et qui firent l'objet des congés-renons signifiés par lademanderesse et qu'au moment où ces congés ont été émis, ils faisaienttoujours partie du patrimoine de cette dernière.

Il s'ensuit qu'en décidant, pour rejeter l'appel de la demanderesse, quela décision entreprise qui a invalidé les congés notifiés par lademanderesse doit être confirmée parce que, « à l'évidence, laconstitution de (la demanderesse) résulte d'une tentative de ses deuxactionnaires d'éviter les interdictions édictées par la loi sur le bail àferme puisqu'elle et ses actionnaires n'ont aucune vocation à assurer une`exploitation familiale' », le jugement attaqué n'est pas légalementjustifié (violation de toutes les dispositions visées au moyen, sauf lesarticles 7, 1°, 8 et 9 de la loi sur les baux à ferme, et méconnaissancedu principe général du droit « fraus omnia corrumpit »).

III. La décision de la Cour

Quant à la première branche :

En vertu de l'article 9, alinéa 5, de la loi du 4 novembre 1969 formant lasection 3 du chapitre II du titre VIII du livre III du Code civilcontenant les règles particulières aux baux à ferme, les personnes moralesdont les organes ou les dirigeants responsables sont admis à donner congéen vue d'une exploitation personnelle du bien loué, en application del'article 7, 1°, doivent être constituées conformément à la loi du 12juillet 1979 créant la société agricole ou sous la forme d'une société depersonnes ou d'une société d'une personne à responsabilité limitée. Enoutre, les personnes qui dirigent l'activité de la société en qualitéd'administrateur ou de gérant doivent fournir un travail réel dans lecadre de l'entreprise agricole.

Il suit du texte et des travaux préparatoires de cette disposition qu'unesociété privée à responsabilité limitée dont les seuls associés sont dessociétés de capitaux, telles que des sociétés anonymes, ne peut donner untel congé.

Le moyen, qui, en cette branche, soutient le contraire, manque en droit.

Quant à la seconde branche :

La considération, vainement critiquée par le moyen, en sa premièrebranche, que la demanderesse, constituée seulement de deux sociétésanonymes, n'est pas une société de personnes au sens de l'article 9,alinéa 5, précité, suffit à justifier le rejet de la demande de lademanderesse en validation des congés qu'elle a donnés pour le motif prévupar l'article 7, 1°.

Le moyen, qui, en cette branche, ne saurait entraîner la cassation, estdénué d'intérêt et, partant, irrecevable.

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi ;

Condamne la demanderesse aux dépens.

Les dépens taxés à la somme de quatre cent vingt-neuf euros deux centimesenvers la partie demanderesse et à la somme de deux cent quatorze eurosquarante et un centimes envers les parties défenderesses.

Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, oùsiégeaient le président Christian Storck, les conseillers Didier Batselé,Albert Fettweis, Christine Matray et Sylviane Velu, et prononcé enaudience publique du huit janvier deux mille dix par le présidentChristian Storck, en présence de l'avocat général Thierry Werquin, avecl'assistance du greffier Patricia De Wadripont.

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| P. De Wadripont | S. Velu | Ch. Matray |
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| A. Fettweis | D. Batselé | Chr. Storck |
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8 JANVIER 2010 C.07.0303.F/1


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.07.0303.F
Date de la décision : 08/01/2010

Origine de la décision
Date de l'import : 31/08/2018
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2010-01-08;c.07.0303.f ?
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