Cour de cassation de Belgique
Arret
NDEG C.08.0551.N
Region flamande,
Me Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation,
contre
F. A.
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 16 janvier 2008par la cour d'appel de Bruxelles.
Le conseiller Alain Smetryns a fait rapport.
L'avocat general Christian Vandewal a conclu.
II. Le moyen de cassation
La demanderesse presente un moyen libelle dans les termes suivants :
Dispositions legales violees
- article 37, alineas 1er et 10, 5DEG, de la loi du 29 mars 1962 organiquede l'amenagement du territoire et de l'urbanisme ;
- article 35, alineas 1er et 10, 5DEG, du decret relatif à l'amenagementdu territoire, coordonne le 22 octobre 1996, confirme par l'article 171 dudecret du 18 mai 1999 portant organisation de l'amenagement du territoire.
Decisions et motifs critiques
L'arret declare l'appel de la demanderesse non fonde, il la deboute et lacondamne aux depens de l'appel. Il confirme ainsi la decision entreprisedu 15 mars 2005 du tribunal de premiere instance de Louvain, quicondamnait la demanderesse à payer un montant de 2.526.822 francs belges,soit 62.638,28 euros, à la defenderesse, majore des interets judiciairesau taux legal, prenant cours à la citation ainsi que des depens, par lesmotifs suivants:
« III. Elements de fait pertinents
Feu monsieur W. etait proprietaire de quatre parcelles pour lesquelles ladefenderesse demande à present une indemnite du chef de dommagesresultant du plan :
- une parcelle sise à Linter-Wommersom, rue Melkwezer (...) ;
- une parcelle sise à Tirlemont-Hakendover, Eliksemstraat (...) ;
- une parcelle sise à Tirlemont-Hakendover, rue Van Audenhove (...) ;
- une parcelle sise à Tirlemont-Oorbeek, chaussee d'Oorbeek (...).
9. Le projet de plan de secteur Tirlemont-Landen (arrete ministeriel du 14novembre 1974) et le plan de secteur definitif approuve par arrete royaldu 24 mars 1978 ont classe ces parcelles respectivement en zone agricole(les deux parcelles situees à Tirlemont-Hakendover) et en zone agricoled'interet paysager (les deux autres parcelles).
10. L'expert judiciaire a examine les quatre parcelles en se fondant surles trois criteres qui permettent de considerer un terrain comme etant unterrain à batir, à savoir :
- la parcelle doit convenir techniquement pour etre batie. Le niveau duterrain, le taux d'hygrometrie, l'aptitude du sol, etc. permettent debatir sur la propriete ;
- la parcelle doit etre adjacente à une voie suffisamment equipee. Parune voie suffisamment equipee on entend: un revetement solide, des egoutsavec la possibilite de raccorder les parcelles concernees, del'electricite et, si possible, une conduite d'eau ;
- la parcelle doit etre situee à proximite d'une agglomeration et elledoit en faire partie (...).
11. Selon l'expert, les parcelles repondent à ces criteres. Des lors, ila estime la difference entre la valeur residuelle des parcelles en 1988 etla valeur acquisitive actualisee à 3.158.528 francs belges, montant dontil faut eventuellement deduire 20 pour cent (part de la depreciationdevant etre supportee legalement par le proprietaire).
IV. Discussion
12. Les deux parties reconnaissent que la destination normale d'un terrainà batir doit etre determinee au moyen des trois criteres cumulatifs prisen consideration par l'expert (considerant nDEG 10) et acceptes par lajurisprudence (Cass., 24 fevrier 1995, Pas. 1995, I, p. 214).
13. Toutefois, la demanderesse conteste :
- que la parcelle sise à Linter-Wommersom, rue Melkwezer, est adjacenteà une voie suffisamment equipee ;
- que les trois autres parcelles sont situees à proximite d'autreshabitations.
14. La parcelle sise à Linter-Wommersom, rue Melkwezer, cadastree sous lasection C, nDEG 493/D, actuellement situee dans une zone agricoled'interet paysager, a une superficie (apres lotissement et ventepartielle) de 34 ares, 9 centiares.
L'expert a decrit la parcelle comme suit :
`La propriete à estimer est situee dans la rue Melkwezer à 140 metres ducoin forme avec la rue Broek. La parcelle à estimer est situee àl'arriere des parcelles loties dont elle faisait auparavant partie.
Les parcelles situees à l'avant ont ete separees de la parcelleoriginelle apres lotissement. La parcelle est desenclavee par une voied'acces de 3m50.
La propriete à estimer est une parcelle à configuration rectangulairedisposant d'une voie d'acces etroite à droite des habitations. Laparcelle est situee à meme hauteur que la rue sur le devant.
Dimensions generales :
Largeur de fac,ade du cote de la rue : 3m50.
Profondeur de la voie d'acces : 65m.
Superficie de la parcelle : 34a09ca.
Largeur de la parcelle : 42m.
Profondeur de la parcelle : 80m.
Sur le devant de la parcelle à estimer se trouve une route betonnee àdeux bandes. Un trottoir asphalte est situe à gauche et à droite decette route.
Conclusion : La parcelle à estimer est adjacente à une route betonnee àdeux bandes d'une largeur de 3m50. La rue est pourvue de toutes lescanalisations d'utilite publique. La parcelle est situee entre et en faced'habitations. Elle convient techniquement pour etre batie'.
`La parcelle à estimer est une parcelle situee à l'arriere, faisantpartie de la zone d'habitation et du centre de Wommersom (eglise à 150m).
L'expert ne conteste pas que la parcelle est situee à l'arriere et estaccessible via une voie d'acces de 3m50.
La situation d'une parcelle à l'arriere n'empeche pas qu'elle puisse etrebatie. Des permis de batir ont ete delivres recemment par les servicesd'urbanisme pour des parcelles situees à l'arriere.
Des permis de lotir continuent à etre delivres lorsque la situationurbanistique le permet et qu'une voie d'acces suffisante existe. Les 3m50existants sont suffisants, des lors que des lotissements sontregulierement approuves lorsqu' une voie d'acces de 3m est amenagee.
Il est constate que ces parcelles sont souvent les plus recherchees sur lemarche de l'immobilier en raison de leur caractere paisible et de leursituation calme loin de la rue.
En outre, l'insertion des parcelles confirme l'esprit du plan de structureVlaanderen qui tente de gerer de la maniere la plus rationnelle possibleles terrains situes en zones d'habitation. Il tente de diminuer lessuperficies des parcelles de telle sorte que 15 habitations par hectarepuissent etre retenues'(...).
15. Il peut, des lors, etre admis que la parcelle litigieuse est liee àla voie publique et ce sur une largeur de 3,50 metres. La voie publique(route betonnee consistant en deux bandes de circulation et un trottoirasphalte des deux cotes) est sans aucun doute suffisamment equipee. C'està tort que la demanderesse fait valoir que la bande de 3,50 metres de laparcelle ne constitue pas en elle-meme une voie suffisamment equipee: cequi importe est de savoir si la parcelle est elle-meme reliee à une voiesuffisamment equipee, ce qui est le cas en l'espece, au vu de ladescription de la parcelle par l'expert. La cour d'appel considere, parailleurs, qu'une liaison à la voie publique d'une largeur de 3,50 metresest suffisante en l'espece en tenant compte de la situation concrete de laparcelle.
L'expert a, des lors, pu deduire de ses constatations que le bien avait ladestination normale de terrain à batir.
Les parcelles remplissent, des lors, les conditions cumulatives pour queleur destination normale de terrain à batir soit reconnue au jourprecedant l'entree en vigueur du plan de secteur' (...).
Griefs
1. Aux termes de l'article 37, alinea 1er, de la loi du 29 mars 1962organique de l'amenagement du territoire et de l'urbanisme et de ladisposition similaire de l'article 35, alinea 1er, du decret relatif àl'amenagement du territoire coordonne le 22 octobre 1996, il y a lieu àindemnite à charge, suivant le cas, de l'Etat, de l'associationintercommunale ou de la commune « lorsque l'interdiction de batir ou delotir resultant d'un plan revetu de la force obligatoire met fin àl'usage auquel un bien est affecte ou normalement destine (au jourprecedant l'entree en vigueur) dudit plan ».
L'article 37, alinea 10, 5DEG, de la loi du 29 mars 1962 et la dispositionsimilaire de l'article 35, alinea 10, 5DEG, du decret coordonne le 22octobre 1996 disposent qu'aucune indemnite n'est due dans le cas d'une «interdiction de lotir un terrain n'ayant pas d'acces à une voiesuffisamment equipee compte tenu de la situation des lieux, ou d'ybatir ».
La notion de « destination normale » de la parcelle au sens de l'article37, alinea 1er, de la loi du 29 mars 1962 et de l'article 35, alinea 1er,du decret coordonne le 22 octobre 1996, inclut la notion de « terrain àbatir », de sorte que l'indemnite du chef de dommages resultant duplan n'est due que dans la mesure ou le terrain faisant l'objet del'interdiction de lotir ou de batir a la destination normale de terrain àbatir, ce qui doit etre apprecie en fonction de trois criteres, à savoir(1) le fait que le terrain convienne pour etre bati, (2) la proximited'une voie existante suffisamment equipee et (3) le fait qu'il soitadjacent à d'autres terrains à batir ou batiments.
Des terrains situes à l'arriere, au-delà de la profondeur deconstruction habituelle (en general 50 metres depuis l'alignement) en« deuxieme ligne » derriere les terrains dejà batis et touchant la voiepublique sur toute la largeur, ne sont pas susceptibles d'uneindemnisation du chef de dommages resultant du plan, de sorte que celle-cine peut etre accordee que pour la « partie avant du terrain » jusqu'àla profondeur de construction habituelle (50 metres depuis l'alignement)et non pour la « partie arriere du terrain ».
La circonstance que « la partie arriere du terrain » a ete separee de la« partie avant du terrain » (batie) par un lotissement et estdesenclavee par une voie d'acces privee passant par la « partie avant duterrain », n'implique pas que cette partie arriere du terrain soitdorenavant « adjacente à une voie existante suffisamment equipee » etdevienne un terrain « ayant la destination normale de terrain àbatir ».
Le fait d'etre relie à la voie publique par une voie privee appartenantà la meme parcelle, n'est pas essentiellement different de la situationde toute partie arriere de terrain reliee à la voie publique via lapartie avant du terrain. Le fait que le terrain soit adjacent à la voiepublique sur toute sa largeur ou seulement sur une largeur limitee qui estintegralement utilisee comme voie d'acces, ne justifie pas qu'unedistinction soit operee et ne change rien au caractere du terrain situe àl'arriere au-delà de la profondeur de construction habituelle.
Si le regime des dommages resultant du plan etait applique à tous lesterrains dont la « partie à batir » n'est pas adjacente à la voiepublique (« les parties arrieres des terrains »), mais qui sont oupeuvent neanmoins etre reliees à la voie publique par une voie privee,ledit regime serait beaucoup plus large que vise par le legislateur. Commecela ressort des travaux preparatoires relatifs au regime des dommagesresultant du plan, le legislateur visait precisement à eviter que la« destination normale » du terrain soit interpretee « au sens large »,raison pour laquelle la notion de « terrain à batir » a ete reprisetelle qu'elle etait dejà acceptee par la jurisprudence et la doctrinepour le calcul de l'indemnite d'expropriation.
2. En l'espece, il ressort des constatations de l'arret que la proprietede la defenderesse à la rue Melkwezer à Linter-Wommersom
- est une « parcelle situee à l'arriere » de parcelles baties ;
- faisait partie, auparavant, des parcelles baties situees à l'avant,mais qu'elle en a ete separee par lotissement ;
- dispose d'une voie d'acces etroite, « à droite des habitations »,vers la voie publique (la rue Melkwezer, une voie suffisamment equipee),d'une profondeur de 65 metres et d'une largeur de 3,5 metres ;
- a une configuration rectangulaire d'une largeur de 42 metres, d'uneprofondeur de 80 metres et d'une superficie de 34a, 9ca.
L'arret considere que la parcelle situee à Linter-Wommersom est adjacenteà une « voie totalement equipee », aux motifs qu'elle est reliee à larue Melkwezer par une voie d'acces et conclut, sur cette base, qu'elle ala « destination normale de terrain à batir » au sens de l'article 37,alinea 1er, de la loi du 29 mars 1962 et de l'article 35, aliena 1er, dudecret coordonne le 22 octobre 1996.
Des lors que les terrains situes à l'arriere de parcelles batiesn'entrent, en regle, pas en consideration pour une indemnite du chef dedommage resultant du plan, etant situes au-delà de la profondeur deconstruction habituelle, et ne peuvent en aucun cas etre consideres commedes terrains dont la partie à batir est « adjacente » à une voiesuffisamment equipee, l'arret ne pouvait pas, sur la base desconstatations qu'il contient et dont il ne ressort pas que les jugesd'appel ont tenu compte d'une profondeur de construction habituelle enfonction de la situation locale, legalement decider que la parcellelitigieuse situee à Linter-Wommersom « avait la destination normale deterrain à batir » (violation de l'article 37, alineas 1er et 10, 5DEG,de la loi du 29 mars 1962 organique de l'amenagement du territoire et del'urbanisme et, pour autant que de besoin, de l'article 35, alienas 1er et10, 5DEG, du decret relatif à l'amenagement du territoire coordonne le 22octobre 1996) et il ne pouvait, des lors, pas legalement condamner lademanderesse à payer pour cette parcelle une indemnite du chef dedommages resultant du plan (violation des memes dispositions).
III. La decision de la Cour
1. En vertu de l'article 37, alinea 1er, de la loi du 29 mars 1962organique de l'amenagement du territoire et de l'urbanisme, il y a lieu àindemnite à charge, suivant le cas, de l'Etat, de l'associationintercommunale ou de la commune, lorsque l'interdiction de batir ou delotir resultant d'un plan revetu de la force obligatoire met fin àl'usage auquel un bien est affecte ou normalement destine au jourprecedant l'entree en vigueur dudit plan.
En vertu de l'article 37, aliena 10, sub 5 de la loi precitee, aucuneindemnite n'est due dans le cas d'une interdiction de lotir un terrainn'ayant pas d'acces à une voie suffisamment equipee compte tenu de lasituation des lieux, ou d'y batir.
2. Il suit de la combinaison de ces dispositions qu'une interdiction debatir ou de lotir resultant d'un plan definitivement arrete peut donnerdroit à une indemnite du chef de dommages resultant du plan si le biensubissant les effets du plan peut etre considere au jour precedant sonentree en vigueur comme un terrain à batir ou à lotir, soit en vertu dela destination existante, soit en vertu de la destination normale duterrain.
Une parcelle a une destination normale respectivement de terrain à batirou de terrain à lotir si elle est adjacente à une voie suffisammentequipee en fonction de la situation locale, si elle est situee àproximite d'autres habitations et si elle convient techniquement pour etrebatie ou lotie.
3. Contrairement à ce qu'invoque le moyen, l'article 37 de la loi du 29mars 1962 ne limite pas le droit à l'indemnite du chef de dommagesresultant du plan à la partie de la parcelle se situant dans les limitesde la profondeur de construction habituelle.
Dans la mesure ou le moyen repose sur la these contraire, il manque endroit.
4. Le critere de la situation adjacente à une voie suffisamment equipeen'implique pas que la parcelle doive directement jouxter cette voie surtoute sa largeur. La situation adjacente à une voie suffisamment equipeevise la necessite d'une bonne accessibilite à la parcelle depuis cettevoie, de sorte qu'il suffit que la parcelle soit suffisamment etouvertement accessible à partir de cette voie.
5. Il ressort de la description faite par l'expert, reprise par les jugesd'appel, que :
- la parcelle d'une superficie de 34 ares et 9 centiares a les dimensionssuivantes : une largeur de 3,50 metres du cote de la rue, une voie d'accesd'une profondeur de 65 metres, une largeur de 42 metres et une profondeurde parcelle de 80 metres ;
- la parcelle a une configuration rectangulaire avec une voie d'acces quifait partie de la meme parcelle.
6. Les juges d'appel ont constate que la parcelle litigieuse est reliee àla voie publique et ce sur une largeur de 3,50 metres et que la voiepublique, une route betonnee consistant en deux bandes et un trottoirasphalte des deux cotes, est sans aucun doute suffisamment equipee.
Ils ont considere qu'il importe de savoir si la parcelle est elle-memereliee à une voie suffisamment equipee, « ce qui est le cas en l'espece,au vu de la description de la parcelle faite par l'expert » et qu'uneliaison avec la voie publique d'une largeur de 3,50 metres est suffisanteen l'espece, compte tenu de la situation concrete de la parcelle.
En decidant sur la base de ces considerations que le bien avait unedestination normale de terrain à batir, les juges d'appel ont legalementjustifie leur decision.
Dans cette mesure, le moyen ne peut etre accueilli.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux depens.
Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president Ivan Verougstraete, le president de section RobertBoes, les conseillers Eric Stassijns, Beatrijs Deconinck et Alainsmetryns, et prononce en audience publique du dix-sept decembre deux milleneuf par le president Ivan Verougstraete, en presence de l'avocat generalChristian Vandewal, avec l'assistance du greffier Johan Pafenols.
Traduction etablie sous le controle du conseiller Martine Regout ettranscrite avec l'assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.
Le greffier, Le conseiller,
17 DECEMBRE 2009 C.08.0551.N/11