Cour de cassation de Belgique
Arret
770
NDEG C.08.0322.F
D. P.,
demandeur en cassation,
represente par Maitre Michel Mahieu, avocat à la Cour de cassation, dontle cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 523, ou il est faitelection de domicile,
contre
V. H.,
defendeur en cassation,
represente par Maitre Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, rue des Quatre-Bras, 6, ou il estfait election de domicile.
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 4 fevrier 2008par la cour d'appel de Bruxelles.
Le conseiller Albert Fettweis a fait rapport.
L'avocat general Thierry Werquin a conclu.
II. Le moyen de cassation
Le demandeur presente un moyen libelle dans les termes suivants :
Dispositions legales violees
- articles 19, 24, 1413, 1415, alinea 1er, 1420, 1445, alinea 1er, et 1451du Code judiciaire ;
- principe general du droit dit principe dispositif, tel qu'il estconsacre par l'article 1138, 2DEG, du Code judiciaire et, pour autant quede besoin, cette disposition ;
- principe general du droit relatif au respect des droits de la defense,tel qu'il est notamment consacre par l'article 6 de la Convention desauvegarde des droits de l'homme et des libertes fondamentales et, pourautant que de besoin, cette disposition ;
- principe general du droit relatif à l'autorite de chose jugee, telqu'il est consacre par les articles 23 à 28 du Code judiciaire et, pourautant que de besoin, ces dispositions.
Decisions et motifs critiques
L'arret ordonne la mainlevee de la saisie conservatoire pratiquee le 21novembre 2005 pour tout montant superieur à 100.000 euros.
Il justifie cette decision par tous ses motifs reputes ici integralementreproduits, en particulier par les motifs suivants :
« Depuis lors, le juge du fond a rendu un jugement le 22 mars 2007,statuant comme suit :
a) la demande de condamnation [du defendeur] au paiement de la somme de279.846,25 euros est declaree fondee à concurrence de la sommeprovisionnelle de 100.000 euros sur le montant du en vertu de laconvention du 16 juin 2005,
b) la demande en indemnisation des frais de defense est declaree fondee àconcurrence d'un euro à titre provisionnel,
c) la demande reconventionnelle [du defendeur] visant son indemnisationdes frais et honoraires exposes est rejetee,
d) le benefice de l'executoire est accorde [au demandeur], sans exclusionde la faculte de cantonnement,
e) il est sursis à statuer pour le surplus.
(...) Pour pouvoir proceder à une saisie conservatoire, il faut que lecreancier dispose d'une creance certaine, liquide et exigible.
Pour de justes motifs auxquels la cour [d'appel] se refere et qu'elle faitsiens, le premier juge a decide que [le demandeur] etait titulaire d'unecreance certaine, liquide et exigible.
Il y a cependant lieu d'en reduire le montant à 100.000 euros, sommeretenue par le juge du fond dans sa decision du 22 mars 2007 revetue del'autorite de chose jugee, celle-ci ne permettant pas de douter que lacreance ainsi determinee faisait preuve de la qualite requise au moment dela saisie ».
Griefs
Premiere branche
L'article 1413 du Code judiciaire dispose : « Tout creancier peut, dansles cas qui requierent celerite, demander au juge l'autorisation de saisirconservatoirement les biens saisissables qui appartiennent à sondebiteur ».
L'article 1415, alinea 1er, de ce code dispose : « La saisieconservatoire ne peut etre autorisee que pour une creance certaine etexigible, liquide ou susceptible d'une estimation provisoire ».
L'article 1420 de ce code dispose : « Dans les cas ou la saisie peut etrefaite sans ordonnance prealable du juge, la partie saisie peut citer lesaisissant devant le juge des saisies, aux fins de faire ordonner la leveede la saisie ».
L'article 1445, alinea 1er, du Code judiciaire dispose : « Toutcreancier peut, en vertu de titres authentiques ou prives, saisir-arreterpar huissier de justice, à titre conservatoire, entre les mains d'untiers, les sommes et effets que celui-ci doit à son debiteur ».
L'article 1451 du Code judiciaire dispose : « Des la reception de l'actecontenant saisie-arret, le tiers saisi ne peut plus se dessaisir dessommes ou effets qui font l'objet de la saisie, à peine de pouvoir etredeclare debiteur pur et simple des causes de la saisie sans prejudice desdommages-interets envers la partie s'il y a lieu ».
La saisie-arret conservatoire entraine une indisponibilite totale desavoirs saisis. Elle n'est pas limitee au montant de la creance pourlaquelle la saisie est pratiquee, meme si celle-ci est inferieure aumontant du solde crediteur frappe de la mesure. Par consequent, le jugesaisi d'une demande de mainlevee ne peut limiter la saisie à concurrencedu montant de cette creance et ordonner la mainlevee pour le surplus.
Le jugement prononce le 26 avril 2006 par le juge des saisies du tribunalde premiere instance, auquel l'arret se refere, constate que, le 1erdecembre 2005, la societe anonyme Fortis Real Estate Development a adresseà l'huissier instrumentant une declaration de tiers saisi aux termes delaquelle elle a indique avoir conclu avec le defendeur, le 28 novembre2005, une convention de vente des actions de la societe Lazam pour unmontant de 559.682,15 euros.
L'arret constate que les conditions de la saisie-arret conservatoirepratiquee par le demandeur sont reunies.
En ordonnant la mainlevee de la saisie-[arret] conservatoire pratiquee le21 novembre 2005 pour tout montant superieur à 100.000 euros,correspondant à la somme provisionnelle retenue par le juge du fond danssa decision du 22 mars 2007 au titre de la creance du demandeur, alorsqu'il constate que les conditions de la saisie-arret conservatoirepratiquee par le demandeur sont reunies, d'une part, et que cettesaisie-arret conservatoire entraine une indisponibilite totale des avoirssaisis, d'autre part, l'arret viole les articles 1413, 1415, alinea 1er,1420, 1445, alinea 1er, et 1451 du Code judiciaire.
Deuxieme branche
Il resulte du principe general du droit relatif au respect des droits dela defense, tel qu'il est notamment consacre par l'article 6 de laConvention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertesfondamentales, qu'une partie ne peut etre correctement jugee sans avoir pudefendre entierement et librement sa cause, sans connaitre l'objet de lademande adverse, ses moyens et les pieces produites à l'appui decelle-ci, ce qui implique qu'avant le jugement, le debat ait etecontradictoire.
En vertu du principe dispositif, qui constitue un principe general dudroit, le juge ne peut modifier d'office l'objet de la demande, soit enl'amplifiant, soit en substituant une pretention à une autre.
En considerant qu'il y a lieu de reduire le montant de la saisie à lasomme de 100.000 euros, des lors qu'il s'agit du montant retenu « par lejuge du fond dans sa decision du 22 mars 2007 revetue de l'autorite dechose jugee, celle-ci ne permettant pas de douter que la creance ainsideterminee faisait preuve de la qualite requise au moment de la saisie »,alors que ce moyen a ete souleve d'office par la cour d'appel et qu'il neresulte pas des pieces auxquelles la Cour peut avoir egard qu'il auraitete soumis aux parties lors des debats, l'arret viole le principe generaldu droit relatif au respect des droits de la defense, tel qu'il estnotamment consacre par l'article 6 de la Convention de sauvegarde desdroits de l'homme et des libertes fondamentales et, pour autant que debesoin, cette disposition.
Dans ses conclusions d'appel, le defendeur considerait que les conditionslegales de la saisie-arret conservatoire n'etaient pas reunies et qu'ilfallait, en consequence, en ordonner la mainlevee. Il ne demandait pas, àtitre subsidiaire, que la mainlevee de la saisie soit ordonnee sauf àconcurrence du montant de la creance resultant du jugement prononce le 22mars 2007 par le tribunal de premiere instance. En ordonnant neanmoinscette mainlevee partielle, l'arret viole le principe dispositif, tel qu'ilest consacre par l'article 1138, 2DEG, du Code judiciaire et, pour autantque de besoin, cette disposition.
Troisieme branche
L'article 24 du Code judiciaire dispose que l'autorite de chose jugees'attache à toute decision definitive au sens de l'article 19 du Codejudiciaire.
L'article 19 du Code judiciaire dispose qu'est definitive la decision qui« se prononce definitivement sur le point conteste ».
La decision qui condamne une partie à payer à une autre partie une sommeprovisionnelle en application d'une dette et qui rouvre les debats afin depermettre aux parties de produire un decompte n'est pas definitive en tantqu'elle se prononce sur le montant de cette dette.
L'arret constate que, par un jugement du 22 mars 2007, le tribunal depremiere instance a declare fondee la demande en condamnation du defendeurau paiement de la somme de 279.846,25 euros « à concurrence de la sommeprovisionnelle de 100.000 euros sur le montant du en vertu de laconvention du 16 juin 2005 » et a « sursis à statuer pour le surplus ». Selon les motifs de ce jugement, dont il est produit une copie certifieeconforme par le greffe du tribunal de premiere instance, « seul unmontant provisionnel de 100.000 euros sera alloue [au demandeur], lesdebats etant rouverts afin de permettre aux parties de produire undecompte ».
L'arret, en considerant que la decision du tribunal de premiere instancedu 22 mars 2007 est revetue de l'autorite de chose jugee en ce qu'elleretient la somme de 100.000 euros, alors qu'il constate par ailleurs quecette somme n'est retenue qu'à titre provisionnel par cette decision,viole les articles 19 et 24 du Code judiciaire ainsi que le principegeneral du droit de l'autorite de chose jugee, tel qu'il est consacre parles articles 23 à 28 du Code judiciaire et, pour autant que de besoin,ces dispositions.
III. La decision de la Cour
Quant à la premiere branche :
Sur la fin de non-recevoir opposee au moyen, en cette branche, par ledefendeur et deduite du defaut d'interet :
L'examen de la fin de non-recevoir est indissociable de celui du moyen.
La fin de non-recevoir ne peut etre accueillie.
Sur le fondement du moyen, en cette branche :
Aux termes de l'article 1445, alinea 1er, du Code judiciaire, toutcreancier peut, en vertu de titres authentiques ou prives, saisir-arreterpar huissier de justice, à titre conservatoire, entre les mains d'untiers, les sommes et effets que celui-ci doit à son debiteur.
L'article 1451 du meme code dispose que, des la reception de l'actecontenant saisie-arret, le tiers saisi ne peut plus se dessaisir dessommes ou effets qui font l'objet de la saisie, à peine de pouvoir etredeclare debiteur pur et simple des causes de la saisie, sans prejudice desdommages-interets envers la partie s'il y a lieu.
Il decoule de ces dispositions, ainsi que du caractere collectif de lasaisie, que la saisie-arret conservatoire rend indisponible entre lesmains du tiers saisi la totalite des sommes dont il est debiteur envers lesaisi et que, des lors que les conditions pour pratiquer une telle saisiesont reunies, le juge ne peut, sauf accord des parties, ordonner lamainlevee de la saisie-arret conservatoire pour ce qui depasse le montantde la creance du saisissant.
L'arret qui, apres avoir releve que « le saisissant a demande demaintenir la saisie à tout le moins jusqu'à ce qu'une decisiondefinitive sur le fond intervienne », considere que la condition decelerite demeure remplie et que le demandeur est titulaire à l'egard dudefendeur d'une creance certaine, liquide et exigible à concurrence de100.000 euros, ne justifie pas legalement sa decision d'ordonner lamainlevee de la saisie-arret conservatoire litigieuse pour tout montantsuperieur à 100.000 euros.
Le moyen, en cette branche, est fonde.
Sur les autres griefs :
Il n'y a pas lieu d'examiner les autres branches du moyen, qui nesauraient entrainer une cassation plus etendue.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l'arret attaque en tant qu'il « met à neant le jugement entreprisdans la mesure ou il declare la demande en mainlevee entierement nonfondee », qu'il ordonne la mainlevee de la saisie-arret conservatoirelitigieuse pour tout montant superieur à 100.000 euros et qu'il statuesur les depens ;
Ordonne que mention du present arret sera faite en marge de l'arretpartiellement casse ;
Reserve les depens pour qu'il soit statue sur ceux-ci par le juge dufond ;
Renvoie la cause, ainsi limitee, devant la cour d'appel de Liege.
Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president Christian Storck, le president de section PaulMathieu, les conseillers Didier Batsele, Albert Fettweis et ChristineMatray, et prononce en audience publique du treize novembre deux milleneuf par le president Christian Storck, en presence de l'avocat generalThierry Werquin, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.
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| P. De Wadripont | Ch. Matray | A. Fettweis |
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| D. Batsele | P. Mathieu | Chr. Storck |
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13 NOVEMBRE 2009 C.08.0322.F/1